| ENTHOUSIASME, subst. masc. A.− Dans le vocab. relig. 1. RELIGIONS NON-CHRÉTIENNES. État d'exaltation de l'esprit, d'ébranlement profond de la sensibilité de celui qui se trouve possédé par la Divinité dont il reçoit l'inspiration, le don de prophétie ou de divination. Enthousiasme prophétique; l'enthousiasme de la pythie, de la sibylle; la divination par l'enthousiasme. Les Hiérophantes, dans leur enthousiasme, avaient peint « Un Roi Libérateur » (Volney, Ruines,1791, p. 299).Ce n'est pas pour rien qu'enthousiasme veut dire Dieu dans nous (Vigny, Journal poète,1841, p. 1161): 1. Le second [point à noter] est que la doctrine à laquelle le mouvement aboutit, et où la pensée hellénique trouva son achèvement, prétendit dépasser la pure raison. Il n'est pas douteux, en effet, que l'enthousiasme dionysiaque se soit prolongé dans l'orphisme.
Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion,1932, p. 231. 2. P. ext. État de ferveur, d'émotion religieuse intense donnant l'intuition de vérités religieuses ou de réalités supra-naturelles (opposé à raison, intelligence). Enthousiasme divin, religieux, sacré; un pieux enthousiasme. La foi est une surexcitation, un enthousiasme, un état de grandeur intellectuelle (Sand, Corresp.,1866, p. 114).Tous s'appliquaient (...) à créer la religion d'une humanité libre, qui ne sacrifiât rien, ni de ses puissances d'enthousiasme, ni de ses puissances de raison (Rolland, J.-Chr., Maison, 1909, p. 956): 2. Des deux côtés le moi se donne à la volupté d'une sorte d'anéantissement, mais là c'est pour se refuser aux promesses de la vie, ici pour en briser les limites dans une extase, se gonfler d'un enthousiasme divin, retrouver, par-delà sa durée arrêtée et discontinue, le temps perdu qui mesure l'immensité de son existence souterraine.
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 390. B.− P. ext. [Concernant des valeurs humaines, mais souvent avec une coloration religieuse, l'enthousiasme étant conçu comme un don divin ou l'objet de l'enthousiasme étant divinisé] 1. État d'exaltation de l'âme chez le poète ou l'artiste en proie à l'inspiration (opposé à art, habileté, travail artistique, etc.). Enthousiasme lyrique, musical, poétique; l'enthousiasme du génie; se livrer à l'enthousiasme. Je ne comprends pas pourquoi l'homme rationnel et spirituel se sert de moyens artificiels pour arriver à la béatitude poétique, puisque l'enthousiasme et la volonté suffisent pour l'élever à une existence supra-naturelle (Baudel., Paradis artif.,1860, p. 343).Je trouvais indigne, et je le trouve encore, d'écrire par le seul enthousiasme. L'enthousiasme n'est pas un état d'âme d'écrivain (Valéry, Variété I,1924, p. 186): 3. ... les difficultés de la langue et de la versification française s'opposent presque toujours à l'abandon de l'enthousiasme. On peut citer des strophes admirables dans quelques-unes de nos odes; mais y en a-t-il une entière dans laquelle le dieu n'ait point abandonné le poëte?
Staël, De l'Allemagne,t. 2, 1810, p. 117. − P. ext. Force naturelle ou mystique qui pousse à créer ou à agir avec ardeur et dans la joie. Ardent, vif enthousiasme; enthousiasme guerrier, militaire, scientifique; l'enthousiasme des croisades, du patriotisme; travailler avec, sans enthousiasme; manquer d'enthousiasme; avoir beaucoup, peu d'enthousiasme. Nos aimables barons (...) vous enseigneront la belle tenue de l'état-major de Berthier et l'étiquette des maréchaux, sans oublier le dévouement, l'enthousiasme, le « feu sacré » (Courier, Pamphlets pol.,Lettres au rédacteur du « Censeur », 1820, p. 45).C'était sa belle ardeur juvénile, sa foi dans le bien, son enthousiasme, son élan vers l'action qu'il voyait chanceler (Roy, Bonheur occas.,1945, p. 386): 4. Le sens de l'abondance de l'être, la joie de la connaissance du monde et de la liberté et l'élan vers la découverte scientifique, l'enthousiasme créateur et la dilection de la beauté des formes sensibles décèlent au temps de la Renaissance des sources inextricablement naturelles et chrétiennes.
Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 33. ♦ Enthousiasme + compl. à l'inf. Cet enthousiasme à téter est physiologiquement le premier modèle et vrai modèle de tout enthousiasme au monde (Alain, Propos,1924, p. 578). 2. Au sing. et au plur. Mouvement violent et profond de la sensibilité portant à aimer ou à admirer quelqu'un ou quelque chose avec passion, parfois de façon excessive. Enthousiasme aveugle, profond; avoir de l'enthousiasme pour qqn, pour qqc.; exciter l'enthousiasme. À ces mots, vous verriez la France entière, animée du saint enthousiasme de la liberté (Robesp., Discours,Sur la guerre, t. 8, 1792, p. 147).Il y avoit un esprit de dévouement héroïque et généreux, un enthousiasme pour les femmes, qui faisoit de l'amour un noble culte (Staël, Allemagne,t. 4, 1810, p. 91).On touche ici à l'impureté de certains enthousiasmes passionnels. Notamment de certains enthousiasmes à forme collective (Mounier, Traité caract.,1946, p. 611).Cf. aussi amour ex. 61 : 5. L'amour est paix, l'amour est guerre. Le fanatisme, dans son fond, est aussi bien amour que l'enthousiasme; il y a de la générosité dans tout carnage, et dans toute cruauté active.
Alain, Propos,1910, p. 77. − Spéc. Caractère passionné d'un phénomène affectif. L'émotion de mon âme et l'enthousiasme de mon admiration (Lamart., Confid.,1849, p. 301): 6. ... je n'ai jamais senti le besoin de me taire quand j'ai admiré; c'est pourquoi je proclame mon enthousiasme pour Mmede Staël et pour lord Byron. Quoi de plus doux que l'admiration? C'est de l'amour dans le ciel, de la tendresse élevée jusqu'au culte; ...
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 1, 1848, p. 516. SYNT. Enthousiasme excessif, exclusif, fiévreux, frénétique; grands enthousiasmes; enthousiasmes amoureux; soulevé, saisi, transporté d'enthousiasme; prompt à l'enthousiasme; élans, transports d'enthousiasme; l'enthousiasme de/pour les arts, la beauté, l'idéal, les principes, la vertu; inspirer, soulever, susciter l'enthousiasme (les enthousiasmes); échauffer, glacer, refroidir l'enthousiasme; admirer, louer, parler avec enthousiasme. Rem. La tournure enthousiasme de suivie d'un compl. représentant une chose abstr., largement attestée jusqu'au début du xxes., est aujourd'hui vieillie. 3. Joie très vive, tendant à s'extérioriser et exprimant une adhésion totale, une approbation complète. Enthousiasme expansif; débordements d'enthousiasme; accepter d'enthousiasme ou avec enthousiasme. On vit les évêques jeter en l'air d'enthousiasme leurs crosses (Barrès, Cahiers, t. 5, 1906-07, p. 304).Une grande vague d'enthousiasme et d'émotion populaires me saisit quand j'entrai à Cherbourg (...), la population massée sur mon passage éclatait en démonstrations (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 297). Rem. gén. Si dans la lang. cour. enthousiasme a perdu toute coloration religieuse et a pu devenir banal au point d'être employé à propos de l'événement le plus ordinaire, il n'en va pas de même dans la lang. littér. où le mot retrouve facilement une part de sa valeur originelle. Empl. absol. enthousiasme est gén. pris en bonne part. Seule l'association avec certains adj. péj. (aveugle, excessif, etc.) peut transformer cette valeur. Parfois il est employé ironiquement lorsque le subst. compl. désigne une chose dérisoire ou mauvaise. L'enthousiasme de l'ignominie (Bloy, Femme pauvre, 1897, p. 194); l'enthousiasme du mensonge (Renard, Journal, 1906, p. 1032). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃tuzjasm̥]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1546 « délire sacré qui saisit l'interprète de la divinité; transport, exaltation du poète sous l'effet de l'inspiration » (Rabelais, Tiers Livre, éd. M. A. Screech, Prologue, p. 14); 2. 1664 « exaltation poussant à agir avec joie » (Molière, Princ. d'El., 1erinterm., sc. 2 ds Livet Molière, p. 231); 3. 1689, 24 janv. « admiration passionnée » (Sévigné, Lettres ds
Œuvres, éd. M. Monmerqué, t. 8, p. 429). Empr. au gr.
ε
̓
ν
θ
ο
υ
σ
ι
α
σ
μ
ο
́
ς « possession divine », formé sur le verbe ε
̓
ν
θ
ο
υ
σ
ι
α
́
ζ
ω « être inspiré par la divinité », lui-même dér. de l'adj. ε
́
ν
θ
ο
υ
ς, forme contractée de ε
́
ν
θ
ε
ο
ς « inspiré par un dieu ou par les dieux » (ε
̓
ν « dans » θ
ε
ο
́
ς « dieu »). Fréq. abs. littér. : 3 647. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 6 313, b) 5 612; xxes. : a) 5 074, b) 4 062. Bbg. Krauss (W.). Über franz. enthousiasme. In : [Mél. Meier (H.)]. München, 1971, pp. 259-275. − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 410. − Schalk (F.). Zur Geschichte von enthousiasme. Rom. Forsch. 1975, t. 87, pp. 191-225. − Sckomm. 1933, pp. 147-149. − Tucker (S.). Enthusiasm. A study in semantic change. London, 1972, 224 p. |