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ÉGORGER, verbe trans.
A.− Emploi trans.
1. Tuer un animal en lui tranchant la gorge :
1. La femme du garde avait employé une partie de la nuit précédente à égorger la moitié de sa basse-cour, et les divers produits de ce massacre comparurent successivement sur la table... Feuillet, Monsieur de Camors,1867, p. 91.
Emploi abs. Pour chaque proie il [l'épervier] a une manière d'assaillir, d'étouffer ou d'égorger, de tuer (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 176).
Spéc. Immoler une victime pour l'offrir en sacrifice. D'un accent grave et lent Le brahmane qui doit égorger la victime Murmure du sama la formule sublime (Leconte de Lisle, Poèmes ant.,1874, p. 53).
2. P. ext. Tuer un être humain de façon sanglante, avec sauvagerie.
a) [Le compl. d'obj. désigne le plus souvent des pers. sans défense ou réduites à l'impuissance] Il [Cassius] prit Rhodes, et quoiqu'il eût été élevé dans cette ville, il fit égorger cinquante des principaux citoyens (Michelet, Hist. romaine,t. 2, 1831, p. 298).Regardez-la, sous sa robe de putain, la petite fille d'Atrée, d'Atrée qui égorgea lâchement ses neveux (Sartre, Mouches,1943, II, 1ertabl., 3, p. 50):
2. La phrase authentique : « cent mille hommes égorgés à coups de fusil », est moins choquante, le mot « égorger » étant évidemment de ceux qui sont en marche vers l'abstraction. Gourmont, Esthétique de la lang. fr.,1899, p. 313.
Emploi factitif :
3. Qu'était-ce que la vie d'un traître qui par une lettre secrète pouvait faire égorger un de ces beaux régiments que je voyais passer sur la place Grenette? Stendhal, Vie de Henry Brulard,t. 1, 1836, p. 126.
P. ext. [L'ext. du sens s'effectue p. réf. à la gorge (considérée comme siège de certaines sensations ou comme organe de la voix), plus que p. réf. au fait de tuer ou de faire mourir] M., blessé, chantait pendant l'opération; puis, dans un grand éclat de rire qui l'égorgea, il mourut (D'Esparbès, Chevauchée gd s.,1937, p. 218).Enfoui dans le sable jusqu'à la nuque, et lentement égorgé par la soif (Saint-Exup., Terre hommes,1939, p. 244).
En partic. Suffoquer, prendre à la gorge. Un paysan parut (...) Il parlait sans suite, égorgé de fatigue, en haletant (D'Esparbès, Bris. fers,1908, p. 99).Incommodé par l'odeur du fumier et égorgé par les émanations ammoniacales (Barbusse, Feu,1916, p. 148).
b) Emploi abs. Se livrer au meurtre, au massacre, le plus souvent par fanatisme politique ou religieux. On n'égorge plus maintenant pour opinion religieuse (Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 198).Quand on aime comme je t'aime, on passe par-dessus tout, on assassine, on égorge (Cocteau, Par. terr.,1938, II, 1, p. 234).
3. Au fig., vieilli. Mettre quelqu'un dans une situation difficile, intenable; mettre en pièces, faire disparaître brutalement quelque chose.
a) [Le compl. d'obj. désigne une pers.]
− Dans le domaine du comm., des affaires ou de la pol.Éliminer un concurrent ou un adversaire en le ruinant complètement; exploiter sans pitié les membres d'une classe sociale. En l'état actuel des choses trente mille francs étaient un prix exorbitant, le fils s'écria : Mon père, vous m'égorgez! (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 17).On s'apitoie en ce moment beaucoup sur le sort des classes ouvrières, on les présente comme égorgées par les fabricants (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 139).Dieu me sauve! comme vous plumez votre monde! on ne me trompait pas, quand on m'assurait que vous égorgiez vos pratiques (Fabre, Courbezon,1862, p. 155):
4. Bourras est persuadé que le Mouret a voulu simplement le couler; car, enfin, à quoi ça rime-t-il, des parapluies avec des étoffes? ... Mais Bourras est solide, il ne se laissera pas égorger. Zola, Au Bonheur des dames,1883, p. 411.
Par brachylogie. C'est un cabinet à égorger de l'argent, la bauge où se tient tapie la lignée des acheteurs de biens nationaux (Goncourt, Journal,1858, p. 537).
− Dans le domaine des relations hum.Attaquer violemment quelqu'un, le dénigrer de manière à lui enlever tout crédit, toute considération; blesser cruellement quelqu'un par des paroles hypocrites ou inconsidérées. La parole fardée Ne vous égorgeait pas sous un masque imposteur (Quinet, Napoléon,1836, p. 176).On cache doucement le poignard sous le manteau de l'amitié et l'on sait égorger en feignant de plaindre (Guéhenno, Jean-Jacques,1952, p. 21):
5. ... Flaubert était un bourgeois (...) Il le disait souvent lui-même (...) ce qui ne l'empêchait pas d'égorger les bourgeois, de les foudroyer à chaque occasion, avec ses emportements lyriques. Zola, Les Romanciers naturalistes,Flaubert, 1881, p. 154.
En partic. [Le suj. désigne un critique] Éreinter un auteur dans un article. Sa maîtresse était perdue s'il n'égorgeait pas D'Arthez dans le grand journal et dans le Réveil (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 511).Ces messieurs [de la critique] sont toujours très surpris, quand un auteur qu'ils égorgent se fâche et les étrangle (Zola, Renée,1887, p. XIII).
[Avec un obj. second.] Ce pauvre diable [répondit Marchenoir] a choisi (...) l'adversaire le plus capable de l'égorger de ridicule (Bloy, Désesp.,1886, p. 283).
b) [Le compl. d'obj. désigne une chose]
[Une chose pouvant être personnifiée ou désigner des pers. p. méton.] Anéantir une institution, une valeur, en usant de la violence ou de la terreur; réduire un pays à l'impuissance, à la dépendance. Le Premier Consul aime les ci-devant et ne peut souffrir les républicains (...) s'il veut un trône, il doit égorger la Liberté (Balzac, Tén. affaire,1841, p. 123).Aujourd'hui la Grèce est égorgée par l'Allemagne, Salonique est tombée (Green, Journal,1941, p. 87):
6. Le scélérat qui est à l'Elysée croit que l'armée de la France est une bande du Bas-Empire (...) Il vous fait faire une besogne infâme; il vous fait égorger en plein dix-neuvième siècle, et dans Paris même, la liberté le progrès, la civilisation. Hugo, Histoire d'un crime,1877, p. 213.
[Une œuvre littér. ou musicale] Massacrer une composition en l'exécutant, un texte en le disant :
7. ... il [Christophe] n'en était pas moins résolu à lui [Schulz] faire de la peine, plutôt que de tolérer que ce Sir John Falstaff égorgeât sa musique. Rolland, Jean-Christophe,La Révolte, 1907, p. 576.
[Avec méton. de l'obj.] Ces virtuoses brigands qui égorgent les grands compositeurs (Berlioz, À travers chants,1862, p. 276).
B.− Emploi pronom.
1. réfl. Se trancher la gorge. J'étais folle de rage! tiens! je me serais enfoncé mes ciseaux dans la gorge, je me serais égorgée devant lui, exprès, sur la nappe! (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 84):
8. Ils délibérèrent sur le genre de mort. Le poison fait souffrir. Pour s'égorger, il faut trop de courage. Avec l'asphyxie, on se rate souvent. Flaubert, Bouvard et Pécuchet,t. 2, 1880, p. 108.
Rem. On rencontre ds la docum. un ex. de s'égorger au sens de « s'égosiller ». Pachli! Pachli! s'égorgeaient les Cosaques [en poussant en avant] (D'Esparbès, Lég. aigle, 1893, p. 194).
2. passif, au fig. Être bafoué, outragé sans vergogne. Ces petits appartements, où, la plupart du temps, s'égorge l'honneur du mari (Balzac, Physiol. mar.,1826, p. 130).
3. réciproque. Se massacrer les uns les autres, s'entre-égorger. Les nations s'arment, s'égorgent, s'exterminent, jusqu'à ce que, par une large dépopulation, l'équilibre se rétablisse (Proudhon, Propriété,1840, p. 140).Des millions de jeunes hommes qui, ne s'étant jamais vus auparavant, ne peuvent se haïr, s'égorgeront tout de même (Green, Journal,1933, p. 128).
Rem. On rencontre ds la docum. a) Égorgeter, verbe trans., au fig. Critiquer un auteur. Blaze a égorgeté les frères Deschamps, mais enfin l'article n'est pas mauvais, s'il est un peu méchant (Sainte-Beuve, Corresp., t. 4, 1818-69, p. 131). b) Égorgeoir, subst. masc. ,,Lieu où l'on égorge`` (Besch. 1845). Témoin hideux d'étranglements et de meurtres entremêlés, Égorgeoir humain, et sol qui sue le massacre! (Claudel, Agamemnon, 1896, p. 894). c) Égorgerie, subst. fém., égorgeade, subst. fém. Action d'égorger ou de s'entre-égorger, massacre. L'assistance qu'aucune scène de violence, d'égorgerie, aucun jet de carotide n'a éclaboussée (Arnoux, Suite var., 1925, p. 196). Bientôt les hommes recommenceraient entre eux leurs égorgeades (Montherl., Pte Inf. Castille, 1929, p. 643).
Prononc. et Orth. : [egɔ ʀ ʒe], (j')égorge [egɔ ʀ ʒ]. Enq. : /egoʀ ʒ/ (il) égorge. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. Ca 1450 (Mist. du vieil Testament, éd. J. de Rothschild, 15640); 1690 fig. (Fur). Dér. de gorge*; préf. é-*. Fréq. abs. littér. : 617. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1294, b) 1 007; xxes. : a) 981, b) 386.