| ÉCOUTER, verbe trans. A.− [Souvent en liaison/ou en oppos. avec entendre*, en face duquel il exprime l'effort volontaire; cf. regarder et voir] Tendre l'oreille vers ce qu'on peut entendre, prêter attention à ce qu'on entend. Synon. inusité dans la lang. cour. ouïr. 1. [L'obj. désigne un inanimé ou un animal] Écouter un bruit de, un disque, un murmure, la radio, le silence. Écouter du Beethoven que je préfère à tous les opéras (Barb. d'Aurev., 1erMemor.,1838, p. 186).Il écouta la plainte du vent, l'oreille tendue (Roy, Bonheur occas.,1945, p. 194): 1. Il était midi. Alors, elle [la pendule] sonna les douze coups. On n'avait jamais entendu encore sonner l'heure dans la maison. Tout le monde l'écouta, comme on écoute l'Angélus au bord du champ.
Pesquidoux, Le Livre de raison,1932, p. 7. − [P. réf. à la théorie platonicienne de l'harmonie des sphères] J'aime la nuit écouter les étoiles. C'est comme cinq cents millions de grelots (Saint-Exup., Pt Prince,1943, p. 493). − En partic. [L'obj. désigne un organe ou une fonction organique du corps faisant entendre un son, un bruit] Écouter les battements du cœur. Elle écoute la respiration paisible du vieillard (Chateaubr., Martyrs,t. 3, 1810, p. 236).La joue au creux de l'oreiller, il écoute le battement de l'artère temporale (Bernanos, Joie,1929, p. 629). − [Souvent avec un double obj. (nom + inf.)] :
2. Il [Smarh] allait dans les bois et il écoutait la pluie tomber sur le feuillage, les oiseaux qui roucoulent sur la haie fleurie, et les insectes qui bourdonnent dans les airs et qui se jouent dans les rayons du soleil; il regardait la neige tomber, il écoutait le vent mugir.
Flaubert, Smarh,1839, p. 108. 2. [L'obj. désigne une pers. qui parle ou ce qu'elle dit] a) Cour. C'est elle [Mmede Nevers] que j'aimais à entendre : je l'écoutais avec délices (Duras, Édouard,1825, p. 125): 3. Vous fermez les yeux?
− Je vous écoute.
− Écoute-moi, cette nuit. Vous ne m'entendrez pas toujours. − Je voudrais vous entendre toujours.
Duhamel, La Nuit de la Saint-Jean,1935, p. 199. − Souvent en emploi abs. L'individu tendait l'oreille. Il écoutait (Bloch, Dest. du S.,1931, p. 296): 4. L'habitude que j'ai d'écouter, et qui est une grâce d'état, me mit à même de recevoir de tous ceux qui m'entourèrent une certaine somme de clarté et beaucoup de sujets de réflexion.
Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 266. ♦ THÉÂTRE. [Le suj. désigne un acteur] Écouter bien, savoir écouter. Être en scène attentif et savoir l'exprimer physiquement quand un interlocuteur vous parle. Elle [Janine Crispin] sait admirablement, de tout son visage, écouter (Colette, Jumelle,1938, p. 98). − Emploi pronom. ♦ réfl. S'écouter (parler). Parler avec affectation, en se complaisant à ce que l'on dit et à la manière dont on le dit. En se voyant écoutée avec extase, elle [Dinah] s'habitua par degrés à s'écouter aussi, prit plaisir à pérorer (Balzac, Muse départ.,1844, p. 71): 5. Mérimée vient le soir; et pour la première fois, nous l'entendons causer. Il cause en s'écoutant, lentement, avec de mortels silences, mot à mot, goutte à goutte, comme s'il distillait ses effets, faisant tomber peu à peu, autour de lui, une sorte de froideur glaciale.
Goncourt, Journal,1865, p. 211. ♦ réciproque. Au lieu de s'éclairer on s'irrite; les passions s'exaltent, on ne s'écoute même plus (Lamennais, L'Avenir,1831, p. 150). SYNT. Écouter une chanson, un discours, une histoire, des paroles, une réponse, une voix; écouter avec admiration, attention, complaisance, curiosité, étonnement, impatience, intérêt, plaisir, recueillement; écouter distraitement, gravement, à peine, en silence, en souriant, volontiers; écouter sans interrompre, sans répondre, jusqu'au bout; s'arrêter pour, avoir l'air de, cesser de, daigner, refuser de, se taire pour écouter. Rem. Écoute, écoutez se rencontre à l'impér. (souvent en début de phrase). a) Pour réclamer le silence. Attention, les clients, écoutez! Un peu de silence, que diable! (Claudel, Ours et lune, 1919, p. 588). b) Pour appeler quelqu'un, éveiller l'attention, appuyer une opinion, solliciter l'assentiment, inviter (comme par une confidence) à la réflexion ou introduire une atténuation à ce qu'on vient de dire. (Quasi-)synon. vois-tu, voyons. Écoutez, Dominique, il faut me le dire, afin que je sache : êtes-vous devenue amoureuse de moi? (Montherl., Songe, 1922, p. 176). Écoutez : il y a quelque chose que vous me cachez (Daniel-Rops, Mort, 1934, p. 334). b) P. ext., souvent dans un cont. négatif. Prêter une attention plus ou moins bienveillante, ne pas refuser d'entendre. Écouter des doléances, des plaintes, une requête. Le roi (...) s'avança (...) sans vouloir écouter ou recevoir aucune députation (Barante, Hist. ducs Bourg.,t. 1, 1821-24, p. 272).Toutes les jeunes filles refusaient de recevoir, d'écouter le nouveau venu (Goncourt, R. Mauperin,1864, p. 69). c) Loc. fig. fam. ♦ N'écouter que d'une oreille. Prêter peu d'attention à ce qu'on entend. J'avais vraiment trop de fatigue (...) Je l'écoutais que d'une oreille (Céline, Mort à crédit,1936, p. 688). ♦ Écouter de toutes/des deux oreilles. Être très attentif à ce qu'on entend. Synon. vieilli ou plaisant être tout ouïe.Un gros Anglais (...) qui écoutait gravement de toutes ses oreilles (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 158).Le bonhomme l'écouta des deux oreilles (Pourrat, Gaspard,1925, p. 229). ♦ Écouter aux portes (parfois au fig.) Être curieux et indiscret. Pénétrer dans l'existence des voisins, au point d'écouter aux portes et de décacheter les lettres (Zola, Ventre Paris,1873, p. 668).Je n'écoute jamais aux portes et les histoires d'office m'écœurent (Barrès, Cahiers, t. 6, 1907-08, p. 145). ♦ Écouter d'où vient le vent. Chercher à prendre le parti le plus avantageux pour soi en se conformant aux idées ou aux puissants du jour. ♦ Le temps (s')écoute (région., Ouest). Le temps est indécis (cf. Fromentin cité par Littré). 3. P. anal., ÉQUIT. Écouter son cheval. ,,Être attentif à ne point le déranger de ses airs quand il manie bien`` (Ac. Compl. 1842). Rem. Attesté ds la plupart des dict. gén. du xixeet du xxes. et St-Riquier-Delp. 1975. B.− P. ext. 1. [L'obj. désigne une pers. ou ce qu'elle dit] Accueillir avec faveur, en donnant sa confiance et son adhésion à ce qu'on entend. MmeTaboureau est une femme que l'on peut écouter (Zola, Ventre Paris,1873, p. 858).Une France en révolution préfère toujours écouter Danton plutôt que de s'endormir aux ronrons des formules d'autrefois (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 533): 6. Gilbert jouissait d'un grand prestige auprès de ses camarades; ils l'appelaient par son prénom, l'écoutaient avec déférence.
Arland, L'Ordre,1929, p. 96. 7. Je ne veux pas être épargnée!
− L'heure viendra pourtant où vous souhaiterez l'être, ma fille, dit-il, et vous regretterez de n'avoir pas voulu écouter le dernier conseil d'un ami.
Bernanos, La Joie,1929, p. 699. − En partic. Donner une réponse favorable à une requête. Synon. exaucer.Les vœux d'un honnête homme (...) Dieu les écoute (Balzac, Goriot,1835, p. 209).C'était la septième année que j'allais à Lourdes, et la Sainte Vierge ne m'a pas écouté (Zola, Lourdes,1894, p. 250). − Loc. N'écouter que soi-même. Suivre son propre penchant en ne prenant avis de personne. Il [Bonnières] avait sur n'importe quoi des opinions d'autant plus inébranlables, qu'il n'écoutait jamais que lui (Gide, Si le grain,1924, p. 541). 2. P. ext. [L'obj. désigne une pers. ou un inanimé] Obéir spontanément à. Certains sujets doivent être tenus serrés, qui n'écoutent que la force (Mounier, Traité caract.,1946, p. 462).Ce n'est pas par hasard si, dans la plupart des langages, le mot obéissance a une proximité sémantique à l'audition : écouter (en allemand horchen) est la possibilité d'obéir (gehorchen) (Lavelle, La Parole et l'écrit,p. 125 ds Foulq. 1971, s.v. écouter): 8. − Mais veux-tu savoir leur vrai rêve [aux paysans]? C'est d'être leur maître au point de n'écouter personne, de suivre leur sentiment tout seul, et sans se soucier de quoi que ce puisse être.
Pourrat, Gaspard des Montagnes,1930, p. 203. − En partic. [Le suj. désigne un enfant] Exécuter les ordres, obéir à. Écouter sa maman. 3. Au fig. [L'obj. désigne un inanimé abstr.] Se laisser conduire sciemment par un sentiment, une passion, une faculté. N'écouter que son courage. Synon. s'abandonner à, suivre.Oh! laissez-moi, sans trêve, écouter ma blessure, Aimer mon mal et ne vouloir que lui (Sainte-Beuve, Livre d'am.,1843, p. 176).On lui fait la sourde oreille [à la tentation] pour n'écouter que son devoir (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 76): 9. Elle [Florentine] riait encore à des mots que lui disait Emmanuel sans entendre ces mots. Elle ne l'écoutait plus. Elle n'écoutait rien autre qu'un mauvais pressentiment.
Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 164. − Emploi pronom. réfl., fam. Suivre son inspiration, son impulsion. Si je m'écoutais, j'irais le voir (Green, Journal,1944, p. 160). ♦ ,,Il s'écoute trop. Il s'inquiète trop de sa santé. On dit dans le même sens Il écoute trop son mal`` (Ac. 1835-1932). Écouter son mal, s'écouter (trop). Prendre un soin excessif de sa santé, de sa personne. Tu t'écoutes trop! (...) Tu te dorlotes comme un roi! (Flaub., MmeBovary,t. 2, 1857, p. 17).Qui s'écoute trop meurt bientôt (Bernanos, Imposture,1927, p. 483). Rem. On rencontre ds la docum. a) Écoutable, adj., rare. Qui mérite d'être écouté. Violons de village à peine écoutables dans une ville (Amiel, Journal, 1866, p. 291). Tout ce qu'ils récitent [ces mômes] c'est pas écoutable (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 274). b) Écoutation, subst. fém., pop. Ce que l'on écoute. C'est marrant, c't'écoutation-là (Barbusse, Feu, 1916, p. 200). Non attesté ds les dict. gén. du xixeet du xxes. c) Écoutement, subst. masc., rare. Fait d'écouter. Synon. écoute1. Il ne faut qu'un moment je ne dis pas d'attention, mais d'écoutement pour comprendre (...) les beautés de la Bible (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 131). d) Écoutoir, subst. masc., vx. Appareil acoustique utilisé par les personnes dures d'oreille, pour mieux entendre. Synon. vieilli cornet acoustique. Attesté ds la plupart des dict. gén. du xixeet du xxes. e) Écoute-s'il-pleut, subst. masc., vx. Moulin qui manque d'eau et attend la pluie ou l'eau d'une écluse pour marcher. Écoute-s'il-pleut, surnom ancien − et charmant − donné au moulin de rivière (La Varende, Tourmente, 1948, p. 104). Au fig., fam. Personne faible qui se laisse rebuter par la moindre difficulté ou qui attend pour agir une aide incertaine. Attesté par la plupart des dict. gén. du xixeet du xxes. Promesse illusoire. Je paye en riant Tes écoute-s'il-pleut d'un va-t'en-voir-s'ils-viennent (Hugo, Toute la lyre, t. 2, 1885, p. 225). Prononc. et Orth. : [ekute], (j')écoute [ekut]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Fin du ixes. « prêter l'oreille à; accueillir favorablement » (Séquence de Sainte Eulalie, 5 ds Henry, Chrestomathie, p. 3 : Elle no'nt eskoltet les mals conselliers); 1389 part. prés. subst. « auditeur » (A.N. JJ 136, pièce 268 ds Gdf. Compl. : Plusieurs autres abscoultans); 1690 avocat escoutant (Fur.); 1752 part. prés. subst. « catéchumène du second rang » (Trév. Suppl.); 1690 part. passé adj. man. pas escouté (Fur.); 2. 1558 s'escouter parler (Du Bellay, Regrets, LXXV, éd. E. Droz, p. 82 : Un sot audacieux [...] Qui s'escoute parler); 3. 1628 « se laisser guider par un sentiment, un principe » (Malherbe, Poésies, CIII, 31 ds
Œuvres, éd. L. Lalanne, t. 1, p. 278 : Sans jamais écouter ni pitié ni clémence). Du b. lat. ascultare (iies., Caper ds TLL 1534, 39, s.v. ausculto), issu du lat. class. auscultare « écouter avec attention; ajouter foi, obéir », avec substitution du préf. courant es- (é-*) à as-. Fréq. abs. littér. : 17 124. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 19 489, b) 25 141; xxes. : a) 29 148, b) 25 194. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 13, 25. − Margerie (C. de), Moirand (S.), Porquier (R.). Les Constr. verbales avec faire, laisser, voir. Fr. Monde. 1973, no98, pp. 33-41. |