| ÉVÉNEMENT, subst. masc. A.− Vieilli. Fait auquel aboutit une situation. L'empereur a bien reconnu, par l'événement, toutes les fautes de cet armistice, et qu'il eût mieux fait de pousser obstinément en avant (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 2, 1823, p. 16).Je vois des gens qui suivent les armées sur la carte et ne les perdent non plus de vue que s'ils répondaient de l'événement (Courier, Lettres Fr. et It.,1825, p. 862): 1. ... le public ne s'y est point trompé. On l'a toujours entendu désapprouver une mesure dont il prévoyait l'événement, et à laquelle, dans la meilleure supposition, il attribuait des lenteurs préjudiciables à la nation.
Sieyès, Tiers-état?,1789, p 53. ♦ P. anal. [En parlant d'une action dram.] Dénouement. La force de grâce de Corneille au contraire est telle qu'elle envahit l'événement même. Une tragédie de Corneille finit toujours bien (Péguy, V.-M., comte Hugo,1910, p. 791). − Auj. [Dans certaines expr.] Ce qui se produit par la suite. L'événement a confirmé, trompé son attente; l'événement lui a donné raison, tort. Et pourquoi dirais-je que notre admiration ne fait que s'accroître parce que l'événement a prouvé que Déroulède avait raison? (Barrès, Cahiers,t. 11, 1914-18, p. 226): 2. La science prévoit, et c'est parce qu'elle prévoit qu'elle peut être utile et servir de règle d'action. J'entends bien que ses prévisions sont souvent démenties par l'événement; cela prouve que la science est imparfaite...
Poincaré, Valeur sc.,1905, p. 219. B.− 1. Tout ce qui se produit, tout fait qui s'insère dans la durée. Par un temps pareil, je n'ai aucune visite, et un événement, si petit qu'il soit, ne se présente pas dans ma plate existence, peu ornée de distractions (Flaub., Corresp.,1879, p. 182): 3. L'art photographique, aux yeux de la plupart des hommes, consiste surtout à capter l'événement fugace, l'accident, le sinistre imprévisible, à immobiliser la minute ou la seconde où le fantastique quotidien fait son apparition.
Lhote, Peint. d'abord,1942, p. 49. SYNT. [Expr. soulignant la passivité ou le dynamisme de qqn] Compter sur l'événement (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1033); attendre l'événement (Duhamel, Passion J. Pasquier, 1945, p. 195); soumission à l'événement (M. Bloch, Apol. pour hist., 1944, p. 72); presser l'événement (Lamart., Corresp., 1834, p. 26); être maître de l'événement (Montherl., Lépreuses, 1939, 1repart., p. 1396). − Vx., loc. adv. À tout événement. À tout hasard, quoi qu'il arrive. Synon. À toute(s) éventualité(s).Pour Caïus il ne voulut point s'armer, et ne prit qu'un petit poignard qui à tout événement lui assurât sa liberté (Michelet, Hist. romaine,t. 2, 1831, p. 143).Région. usuel au Québec. ♦ Se tenir prêt à tout événement (Lautréam., Chants Maldoror,1869, p. 355).Parer à tout événement (Proust, Temps retr.,1922, p. 844). − P. anal. [En parlant d'une action dram., ou d'un roman] Incident, fait raconté ou mis en action : 4. Il y a des œuvres où l'événement semble naturel au lecteur. Mais il en est d'autres (plus rares, il est vrai) où c'est le personnage qui trouve naturel ce qui lui arrive.
Camus, Le Mythe de Sisyphe,1942, p. 172. 2. Fait d'une importance notable pour un individu ou une communauté humaine. Réfléchir, agir à la lumière d'un événement; mesurer la portée d'un événement; considérer, commenter un événement. Hamilcar ne faiblissait pas. Il comptait sur un événement, sur quelque chose de décisif, d'extraordinaire (Flaub., Salammbô,1863, p. 90).Oui, mes parents déménagent. Ce n'est pas un événement extraordinaire. C'est un événement quand même, et, pour ma mère, un gros souci (Duhamel, Nuit St-Jean,1935, p. 57): 5. ... ce fut là la fortune de Louis-Philippe en 1830; jamais il n'y eut adaptation plus complète d'un homme à un événement; l'un entra dans l'autre, et l'incarnation se fit. Louis-Philippe, c'est 1830 fait homme.
Hugo, Misér.,t. 2, 1862, p. 18. ♦ Heureux événement. Naissance. Attendre un heureux événement : 6. Je suis heureux, cher papa, de reposer tes idées sur des sujets moins tristes en t'entretenant aujourd'hui de l'heureux événement, qui doit amener un autre également heureux pour nous, ton retour. Ma bien-aimée Adèle accouche dans cinq semaines environ.
Hugo, Corresp.,1823, p. 371. − Fait qui attire l'attention par son caractère exceptionnel. Faire événement; l'événement du jour, du siècle, de ma vie; événement historique, littéraire, politique, scientifique; événement qui fait date. Les grands crimes comme les grandes vertus nous étonnent. Tout ce qui fait événement plaît à la multitude (Chateaubr., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 212).Or, cette fois, Madame Lepic fait événement. Par exception, elle s'adresse à M. Lepic d'une manière directe (Renard, Poil Carotte,1894, p. 60). ♦ Fam. Fait auquel on accorde une importance démesurée. Un bon livre est un événement; c'est tout un événement; considérer qqc. comme un événement. Aujourd'hui, 10 novembre, nous avons passé toute la journée à nettoyer l'argenterie. C'est tout un événement (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 225): 7. ... comme j'avais envie qu'il m'arrive des choses, et que jamais il ne se passait rien, je fis de mon émotion un événement.
Beauvoir, Mém. fille,1958, p. 263. ♦ [Concernant l'appréciation qualitative d'un événement] Un événement agréable, heureux; un événement déplorable, douloureux, dramatique, fâcheux, fatal, funeste, grave, regrettable, terrible, tragique; un triste événement; un événement qui tourne bien, mal. − Spéc., au plur. Ensemble des faits plus ou moins importants de l'actualité. Les événements dont nous sommes témoins; être au courant des événements; être bousculé, dépassé par les événements. Je me demande, dit Caracalla, si l'idée de patrie n'est pas périmée. Les événements actuels dépassent nos vieilles notions (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 52): 8. ... « si Metz avait capitulé un jour plus tard, si la deuxième armée était arrivée un jour plus tard devant la forêt d'Orléans, il aurait fallu de toute nécessité renoncer à l'investissement de Paris (...) La tournure que les événements ont prise tient à ma chance plutôt qu'à mon mérite. »
Barrès, Cahiers,t. 9, 1911-12, p. 5. Rem. On rencontre ds la docum. événementaire, adj. Qui se rapporte à un événement. Une telle vocation de la pauvreté, de la misère même, si profonde, si intérieure, et en même temps si historique, si éventuelle, si événementaire (Péguy, Notre jeunesse, 1910, p. 115). Prononc. et Orth. : [evεnmɑ
̃] Seul Warn. 1968 admet, pour le lang. soutenu la var. [evenəmɑ
̃] et avec la mention ,,parfois`` la var. [evenmɑ
̃]. En réalité, après la syncope du [ə] de la 3esyll., la 2evoyelle, en syll. entravée ne peut que prendre le timbre ouvert [ε]. Mais la conservation dans la graph. du e [ə] de la 3esyll. peut faire croire que la 2esyll. est toujours ouverte et provoque une tendance à fermer la voyelle de cette 2esyll. (cf. Buben 1935, § 14). Dans la graphie le mot porte un accent aigu (cf. Ac. jusque ds l'éd. 1932; à comparer avec avènement). Mais il faut bien souligner que cet accent aigu ne signifie pas qu'il faut prononcer [e]. Il correspond à un e moyen, voyelle à timbre non tranché, normal en syll. inaccentuée. La transcr. de Warn. 1968 [e] tout à fait influencée par la graph. é (mal comprise) est donc à écarter. Enq. : /evenmɑ
̃/. Étymol. et Hist. Av. 1461 « ce qui arrive » (G. Chastellain, Exposition sur vérité mal prise, éd. K. de Lettenhove, t. VI, p. 278). Formé sur le lat. class. evenire « avoir une issue, un résultat », « arriver, se produire », sur le modèle de avènement*. Fréq. abs. littér. : 8 307. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 14 162, b) 8 668; xxes. : a) 7 902, b) 13 847. DÉR. Événementiel, ielle, adj.a) Sc. hum. Qui se borne à décrire les événements, sans apporter de commentaire ni de réflexion. Sociologie événementielle. L'Histoire de surface, dite événementielle, cette microhistoire où voisinent le fait divers et l'événement éclatant (Traité sociol.,1967, p. 89).b) Psychol. Lié à un événement déterminant. Névrose événementielle (Rob.).− [evεnmɑ
̃sjεl]. − 1reattest. 1953 (Lar. 20eSuppl.); du rad. de événement, suff. -iel*. BBG. − Dub. Dér. 1962, p. 48 (s.v. événementiel). − Gohin 1903, p. 291, 335. − Offroy (G.). Contribution à l'ét. de la synt. québécoise. In : Travaux de ling. québécoise. 1. Québec, 1975, p. 292. |