| ÉROTIQUE, adj. A.− Vieilli. [Sans allusion partic. à la sensualité ou à la sexualité] Qui a rapport à l'amour. Il restait inconsciemment dans la vieille tradition érotique de sa race (...) il n'était amoureux d'aucune femme, mais il aimait à aimer (France, Révolte anges,1914, p. 66). − En partic., domaine de l'expression (notamment artistique, littér.) 1. [En parlant d'un mode d'expression, d'une œuvre] Qui a l'amour pour thème, pour inspiration. Genre érotique. Joli petit poème qui (...) contient tous les secrets du code galant, toutes les finesses de la chicane érotique (Sainte-Beuve, Tabl. poésie fr.,1828, p. 19).Quelques-uns [des critiques modernes] n'y [dans la « Divine Comédie »] ont découvert qu'une inspiration pieusement érotique, d'autres un manifeste politique écrit sous la dictée de la vengeance (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 10). 2. [En parlant d'un artiste] Qui traite de l'amour. Un poète érotique. ♦ Emploi subst. Auteur d'œuvres consacrées à l'amour. Il y a trois ans nous allâmes ensemble voir la bibliothèque de l'abbaye de Florence, où, entre autres manuscrits, on nous montra celui qui contient le roman de Longus, avec plusieurs autres érotiques grecs (Courrier, Lettre à M. Renouard,1810, p. 267). B.− Usuel. [Avec une idée explicite de sensualité ou de sexualité] 1. a) [En parlant d'un trait hum.; éventuellement avec une connotation péj.] Qui se rattache à l'amour physique, qui est de nature sensuelle, sexuelle. Souvenirs érotiques. Les petites filles apprenaient [au temple d'Aphrodite] en sept classes la théorie et la méthode de tous les arts érotiques : le regard, l'étreinte (Louÿs, Aphrodite,1896, p. 73).Les corvées érotiques et leur navrant ennui (Lorrain, Âmes automne,1898, p. 90).Les belles familles ont des traditions érotiques (...). Ces traditions ne se limitent pas à des habitudes de prudence et d'hygiène, elles commandent une façon de faire l'amour, d'en parler ou de n'en pas parler (Aymé, Jument,1933, p. 21): 1. La perception érotique n'est pas une cogitatio qui vise un cogitatum; à travers un corps elle vise un autre corps, elle se fait dans le monde et non pas dans une conscience.
Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 183. − Emploi subst. masc. à valeur de neutre. Ce qui est érotique, valeur ou pratique érotique. C'est dans l'érotique que [selon Wagner dans Tannhaeuser] l'humanité trouvera les énergies qui la conduiront à son entière rédemption (Pourtalès, Wagner,1932, p. 143). − P. anal. [À propos d'un animal] La fureur érotique du dindon, les allées et venues de la dinde renseignent sur l'époque où celle-ci couve (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 250). − En partic., domaine psychanal., pathol.Désirs érotiques. Il n'est pas rare d'observer chez les mêmes malades auparavant frigides, de véritables « fringales érotiques » (Céline, Voyage,1932, p. 116).L'insolence sexuelle trahit souvent, comme l'inflation érotique, une déchéance de l'instinct (Mounier, Traité caract.,1946, p. 488). b) [En parlant d'une pers.] Qui a un tempérament sensuel, qui est enclin au plaisir physique. Le président, ce Prudhomme érotique que nous avons entendu faire le galantin et le beau diseur avec la marchande de modes (Goncourt, Journal,1860, p. 763). − Emploi subst. (gén. masc.). Personne portée au plaisir physique. Thiers, Guizot, Hugo. Guizot et Hugo ont pu devenir des baiseurs, des érotiques, leur première jeunesse a été chaste (Goncourt, Journal,1872, p. 897).L'érotique qui se vante de plus de trois cent soixante cinq maîtresses (Durry, Nerval,1956, p. 130). 2. Qui provoque le désir amoureux. a) [En parlant d'une pers., d'un aspect de son physique, de son comportement] (Quasi-)synon. aguicheur, désirable, excitant.Je voyais sous sa robe à la mode du moment le dessin de son ventre et de ses deux cuisses, comme si seulement un linge mouillé en voilait la nudité. C'était très érotique (Goncourt, Journal,1878, p. 1254). b) [En parlant d'une chose] (Quasi-)synon. aphrodisiaque, érotogène (cf. érogène rem. b).La vertu érotique des truffes. (...) persuasion assez générale où l'on est que la truffe dispose aux plaisirs génésiques (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 96): 2. Cette drogue [l'eau-de-vie de pommes] était un philtre érotique, qu'il ne pourrait jamais sucer sans voir, dans ses lueurs, surgir une tête vermeillée, et rosissante et consentante.
La Varende, Roi d'Écosse,1941, p. 195. − Emploi subst. masc. à valeur de neutre. Ce qui provoque le désir amoureux. Cette chair rosée sous la gaze parle à l'âme (...). Vous êtes bien heureux de ne pas vibrer à l'érotique; cela me détraque, moi (Péladan, Vice supr.,1884, p. 114). 3. En partic., domaine de l'expression (notamment artistique, littér.; parfois avec une connotation péj.) a) [En parlant d'un artiste] Qui traite de l'amour charnel et (peut) incite(r) à la volupté. Lequel, entre nos poètes érotiques, y compris les chevaliers de Bertin et de Parny, a jamais rendu la chaleur âpre et le délire cuisant de la jouissance en traits plus saisissants que Jacques Tahureau du Mans, dans ce « baiser » tout de flamme? (Sainte-Beuve, Tabl. poésie fr.,1828, p. 95). − Emploi subst. Auteur d'œuvres consacrées à l'amour charnel. Conversation sur les érotiques du XVIIIesiècle, (...) gens trop bas d'esprit pour voir un tableau de mœurs dans « Faublas » et une maladie à étudier dans « Justine »! (Goncourt, Journal,1856, p. 244). b) [En parlant d'un mode d'expression, d'une œuvre, etc.] Qui a l'amour charnel pour thème, pour inspiration et qui (peut) incite(r) à la recherche du plaisir physique. Livre, vers érotique(s). Fadeurs érotiques (Amiel, Journal,1866, p. 375).Les peintures érotiques mangées par le temps (Zola, Faute Abbé Mouret,1875, p. 1515).Le motif du rêve gracieux, fréquemment érotique (Béguin, Âme romant.,1939, p. 156).Cf. aussi bouquiner2ex. 1 : 3. L'excitation sexuelle, la provocation du désir est le prétexte de jeux qui sont plus nettement élevés au rang d'institutions sociales ou même de rites. Les danses lascives et franchement érotiques font partie du folklore de nombreux peuples primitifs ou civilisés.
Jeux et sp.,1967, p. 809. − Emploi subst. ♦ Subst. masc.
Œuvre qui a l'amour charnel pour thème, pour inspiration : 4. Rodin, qui est en pleine faunerie, me demande à voir mes érotiques japonais, et ce sont des admirations devant ces dévalements de têtes de femmes en bas, ces cassements de cou, ces extensions nerveuses des bras, ces contractures des pieds, toute cette voluptueuse et frénétique réalité de coït, tous ces sculpturaux enlacements de corps fondus et emboîtés dans le spasme du plaisir.
Goncourt, Journal,1887, p. 632. ♦ Subst. masc. à valeur de neutre, Ce qui exprime l'amour charnel. Qu'y écrirai-je? (...) sera-ce du bon ou du mauvais, du tendre ou de l'érotique, du triste ou du gai? (Flaub., Corresp.,1846, p. 344). ♦ Subst. fém. sing. Système érotique, et plus généralement, conception de l'amour humain. L'érotique des troubadours. Il y a un autre côté mort dans ses livres [de Gourmont], une érotique sèche, alambiquée, réfrigérée (Thibaudet, Hist. litt. fr.,1936, p. 463). Rem. On rencontre ds la docum. a) Éroticité, subst. fém., rare. Caractère de ce qui est érotique; p. méton. chose qui a un caractère érotique. Il y a place (...) [dans le théâtre aphrodisiaque] pour une éroticité négative, pour une culture de l'aversion sexuelle (Marcel, Heure théâtr., 1959, p. VII). Monde fantastique et cruel que celui de Goerg, tout frémissant de stridentes éroticités (Cassou, Arts plast. contemp., 1960, p. 623). b) Érotico-, substitut de érotique dans la formation de qq. adj. doubles de type savant.
α) Érotico-lymphatique. Qui a un caractère érotique et lymphatique. La maladie utérine de Murger pour la femme, le besoin qu'il éprouve de se frotter à une de ces peaux, de coucher sa muse érotico-lymphatique dans le giron d'une salope (Goncourt, Journal, 1857, p. 431).
β) Érotico-médical, ale. Qui a un caractère érotique et médical. Un roman intitulé « Sarah Grand », qui a abordé la question sexuelle dans le mariage et qui est beaucoup plus érotico-médical que mes romans (Id., ibid., 1895, p. 804).
γ
) Érotico-mystique. Qui a un caractère érotique et mystique. Elles me parurent d'autant mieux divines ces apparitions qu'elles ne semblaient point du tout s'apercevoir que j'existais, moi, là, à côté sur ce banc, tout gâteux, baveux d'admiration érotico-mystique (Céline, Voyage, 1932, p. 243). c) Érotocratie, subst. fém., rare. Système qui reconnaît, accorde une force souveraine à l'amour. Hier au soir en me promenant avec Curtius au bord de l'Yonne, Curtius me citait l'excellente formule de Hermann Bahr : « L'humanité de Whitman n'est pas une démocratie; c'est une érotocratie » (Du Bos, Journal, 1922, p. 166). d) Érotographe, subst., rare. Synon. péj. de auteur érotique. L'un d'eux [un écrivain], le plus raffiné des érotographes contemporains, me fit déclarer que Claude professait sur l'amour les idées d'un bourgeois du Marais (Bourget, Physiol. am. mod., 1890, p. IV). Prononc. et Orth. : [eʀ
ɔtik]. Enq. : /eʀotik/. Ds Ac. 1762-1932. Étymol. et Hist. Mil. xvies. antiq. gr. « relatif à l'amour » (Guill. du Choul. ds Delb. Rec. ds DG : hymnes erotiques); 1794 « relatif à l'amour sensuel » (Chamfort, Caract. et anecd., p. 117). Empr. au b. lat. eroticus, gr. ε
̓
ρ
ω
τ
ι
κ
ο
́
ς « qui concerne l'amour ». Fréq. abs. littér. : 174. DÉR. Érotiquement, adv.D'une manière érotique, qui évoque l'amour charnel, qui suscite le désir amoureux. En mimant un cancan de son corps érotiquement avachi, (...) nous donnant sa répétition des « tordions » de son corps lascif (Goncourt, Journal,1878, p. 1245).Ces couturières nous intéressent plus avec (...) leurs petites robes érotiquement serrées aux hanches que toutes ces bouchères grecques enveloppées d'étoffes qui leur dessinent d'ennuyeux tuyaux le long des jambes (Huysmans, Art mod.,1883, p. 56).− [eʀ
ɔtikmɑ
̃]. − 1reattest. 1796 (Le Néologiste français ds Z. fr. Spr. Lit., t. 35, p. 136); de érotique, suff. -ment2*. Fréq. abs. littér. : 2. BBG. − Quem. DDL t. 1; t. 7 (s.v. éroticité, érotico-patriotique); t. 9. |