| ÉPINE, subst. fém. A.− SC. NAT. Excroissance dure et pointue naissant sur certains corps. 1. BOT. Piquant naissant sur certains végétaux et qui ne peut être arraché sans déchirer les tissus sous-jacents. Les épines que l'on distingue des aiguillons en ce qu'elles tiennent à l'aubier, ..., doivent être considérées comme des fibres de cet aubier, allongées, grossies et durcies (Baudrillart, Nouv. manuel forest.,t. 1, 1808, p. 46). a) Usuel. Aiguillon de certaines plantes ou partie d'un végétal à pointe acérée et piquante. Les chataignes [sic] sont hérissées d'épines et sous cette enveloppe est un excellent fruit (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1648).[Des aloès] aux feuilles minces semblables à des lames de glaive, les uns dentelés d'épines, les autres finement ourlés (Zola, Faute Abbé Mouret,1875, p. 1389).Une branche [d'] acacia-gommier, dont les hideuses épines blanches, longues de près de dix centimètres, me remplissaient de crainte pour l'œsophage de notre ami (Benoit, Atlant.,1919, p. 296): 1. − Les épines. À quoi servent-elles?
Le petit prince ne renonçait jamais à une question une fois qu'il l'avait posée. J'étais irrité par mon boulon et je répondis n'importe quoi :
− Les épines, ça ne sert à rien, c'est de la pure méchanceté de la part des fleurs!
(...)
− Tu sais ... ma fleur ... j'en suis responsable! et elle est tellement faible! et elle est tellement naïve.
Elle a quatre épines de rien du tout pour la protéger contre le monde...
Saint-Exup., Pt Prince,1943, p. 430 et 492. − P. compar. ou p. métaph. La pointe acérée du remords se fait sentir comme l'épine à travers les touffes vermeilles du rosier (J. de Maistre, Soirées,t. 2, 1821, p. 71).Les baisers d'une bouche qui n'est point aimée sont des épines qui percent les lèvres (Chateaubr., Natchez,1826, p. 294).Le regard d'un vieil homme s'immobilisa comme un clou... Ce regard était toujours planté au même endroit. Il y déchirait, il y faisait du pus comme une épine (Giono, Solit. pitié,1932, p. 11): 2. L'ironie et le sérieux, l'éloge hyperbolique et des critiques les plus sagaces, hautaines, entrelacées comme des roses et des épines dans ses lettres, fallait-il feindre de n'en voir que les fleurs?
Blanche, Modèles,1928, p. 130. − En partic., p. méton. Variété de châtaigne des environs de Périgueux (attesté ds DG, Lar. 19e-Lar. encyclop.). Épine d'été, d'hiver; épine rose : variétés de poires (ds Ac. Compl. 1842, Besch. 1845, Littré, DG, Guérin, 1892, Lar. 19e-Lar. Lang. fr.). b) P. ext. Arbre ou arbrisseau dont les branches ont des piquants. − Épine + adj. déterminatif.Épine blanche/rose ou épine, absol. Synon. aubépine.Épine noire. Synon. prunellier.Épine luisante. Synon. argousier.Un sentier bordé de deux haies d'épine blanche en fleur qui répandaient de pénétrantes odeurs dans l'humide atmosphère du soir (Balzac, Méd. camp.,1833, p. 129).« Toi qui aimes les aubépines, regarde un peu cette épine rose; est-elle jolie! » En effet c'était une épine, mais rose, plus belle encore que les blanches (Proust, Swann,1913, p. 139). − Spéc., RELIG. La couronne* d'épines. La Sainte épine ou p. ell. l'épine. Relique vénérée comme étant la couronne d'épines du Christ. Mademoiselle Marguerite Périer, la miraculée de la Sainte-épine (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 4, 1859, p. 10).Une image qui avait touché la sainte épine (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 192). 2. ZOOL. (en partic. ichtyol.) a) Au plur. Piquants d'animaux, spéc. des poissons. Regarde la queue de ta raie, elle est hérissée d'épines et de dards (Malot, R. Kalbris,1869, p. 28).L'épinoche elle-même est une créature extraordinaire, puisque (...) elle est pourvue de dix épines dorsales! (Colette, Pays et portr.,1954, p. 251).Des épines d'oursins (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 123). − En partic. Poils rigides et durs. Épines du hérisson. [Les poils] sont roides et dressés dans les « cochons », les « hérissons », les « porc-épics », etc. Leur grande épaisseur, dans ces deux derniers, leur a fait donner le nom d'« épines » (Cuvier, Anat. comp.,t. 2, 1805, p. 599). b) P. ext. Nom donné à certains animaux à épines. − ENTOMOL. Épine noire ou de velours. Chenille de l'ortie. Rem. Attesté ds Ac. Compl. 1842, Lar. 19e-20e. − ICHTYOLOGIE ♦ Épine de Judas. (Quasi-)synon. vive. Rem. Attesté ds Ac. Compl. 1842, Lar. 19eLang fr., Rob. ♦ Épine vierge. Nom vulgaire des épinoches. Rem. Attesté ds Lar. 19e, Nouv. Lar. ill., Quillet 1965, DG, Rob. B.− P. anal. Excroissance rappelant la forme d'une épine. Les ruisseaux (...) étaient tout fleuris de fleurs de givre, aiguës, tranchantes, avec de belles et longues épines de givre (Giono, Chant monde,1934, p. 109). 1. ANATOMIE a) Excroissance (osseuse) pointue. Épine de l'omoplate, du radius (Ac. Compl.1842).Les deux bords antérieurs ou orbito-nasaux, présentant au milieu l'échancrure et l'épine nasales (Gérard, Anat. hum.,1912, p. 23).La surface de la langue présente habituellement des saillies (...) constituant soit des épines cornées, soit des papilles (E. Perrier, Zool.,t. 4, 1928-32, p. 3448). b) Spéc. Épine du dos/épine dorsale ou p. ell. épine. Suite de vertèbres situées le long du dos chez l'homme et chez certains animaux. (Quasi-)synon. colonne vertébrale.La moelle de l'épine (Cabanis, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 418).Une épine dorsale un peu voûtée (Janin, Âne mort,1829, p. 24).Joseph (...) sentait des frissons lui courir le long de l'épine sous ses habits (Ramuz, Gde peur,1926, p. 144): 3. [Os et muscles du tronc]. Les muscles de l'épine de la salamandre ressemblent beaucoup à ceux de la grenouille. Ceux de la queue ont beaucoup de rapport avec les muscles des poissons. L'épine de la tortue n'a de mouvemens que dans les portions du cou et de la queue; celles du dos et des lombes, ayant les vertèbres soudées, n'ont aucun muscle.
Cuvier, Anat. comp.,t. 1, 1805, p. 193. − P. métaph. [P. réf. à la forme de l'épine et à sa disposition] L'isthme de Portland, il y a deux cents ans, était un dos d'âne de sable avec une épine vertébrale de rocher (Hugo, Homme qui rit,t. 1, 1869, p. 138).Il lui faut une épine dorsale, « il met un énorme porte-plume dans le berceau » (Apoll., Tirésias,1918, II, p. 904).On construisait les organes essentiels. La route, s'il y en avait une, servait d'épine dorsale, et puis, perpendiculairement à la route, on traçait des rues comme des vertèbres (Sartre, Sit. III,1949, p. 94): 4. La chaîne des Andes se déroulait à l'horizon, enflant ses croupes et multipliant ses pics vers le nord. Ce n'étaient encore là que les basses vertèbres de l'énorme épine dorsale sur laquelle s'appuie la charpente du nouveau-monde.
Verne, Enf. cap. Grant,t. 1, 1868, p. 95. − Au fig. La syntaxe, qui est comme l'épine dorsale du langage (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 133).Une idée large, et indiscutable, le soutient : c'est comme l'épine dorsale de son discours (Renard, Journal,1902, p. 795). 2. Emplois techn. a) AGRIC., VITIC. Parties longues et pointues de certaines machines agricoles (herse ou rouleau). Synon. dent.[Dans] la machine à planter la vigne (...) un cylindre à épines pulvérise le sol dans les terrains qui ne sont pas suffisamment nivelés (Brunet, Matér. vitic.,1909, p. 87). − En appos. On passera la herse « épines » dans les jeunes avoines, juste au moment de la levée des « sanves » (La Terre fr.,févr. 1941). b) MÉTALL. ,,Pointes qui hérissent le cuivre après l'opération du ressuage et de la liquation`` (Littré). Rem. Attesté aussi ds Ac. 1798-1878, Besch. 1845, Lar. 19e-20e, Guérin 1892, DG, Quillet 1965. C.− Au fig., class. et littér. [Souvent p. oppos. à fleur ou à rose] 1. Gén. au plur. [P. réf. à épine A 1 a] a) Aspects fâcheux, pénibles, douloureux (d'une situation). Les épines de la vie. Vous ne connoissez que les roses de la liberté; le sage gouvernement qui vous protège, en a écarté toutes les épines (Crèvecœur, Voyage, t. 3, 1801, p. 139).Va, pauvre petit. Si tu nous suivais, tu trouverais peut-être le chemin des épines, et, ce matin, ce serait trop tôt pour toi (Pourrat, Gaspard,1930, p. 253): 5. Jacques marchait toujours isolé, se faisant intérieurement saigner le cœur aux épines d'un souvenir dont l'orchestre augmentait la vivacité, en exécutant une contredanse joyeuse qui sonnait aux oreilles de l'artiste, triste comme un de profundis.
Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 223. b) Côtés susceptibles, agressifs ou acariâtres (d'une personne). Suppression partielle ou même totale de la moelle épinière (si au moins ça pouvait lui ôter les épines du caractère) (Jarry, Ubu,1895, V, 1, p. 88).Elle [Nathalie] est (...) provocante et pleine d'épines (Colette, Jumelle,1938, p. 8). − Loc. proverbiales ♦ Il n'est point de roses sans épines/il n'est point de plaisir sans épines. ,,On dit prov. qu'il n'y a point de roses sans épines, pour dire qu'il n'y a point de plaisir sans quelque mélange d'ennui, de chagrin`` (J.-F. Rolland, Dict. mauv. lang., 1813, p. 60) : 6. Que je serais content si je pouvais vous revoir l'année prochaine! Quelle serait ma joie en vous embrassant, mais il n'y a pas de plaisir sans épine. Vous connaissez aussi bien que moi cette épine, c'est qu'il y en a pour longtemps.
M. de Guérin, Corresp.,1824, p. 7. ♦ Quand on sème des épines, on ne va pas sans sabots (région.). Quand on provoque le malheur des autres, on doit se méfier à son tour. Les voilà aux aguets de façon à ne pas manquer leur gibier, vu que la galipote se méfiait sûrement; et qui sait quelles ruses elle avait toutes prêtes. Mais quand on sème des épines, on ne va pas sans sabots (Pourrat, Gaspard,1922, p. 89). 2. Loc. fig., fam. a) [P. réf. à épine A 1 a] ♦ Avoir une épine (au pied). Avoir un sujet d'embarras, d'inquiétude. Depuis qu'il a assumé cette tâche, depuis qu'il s'est mis dans cette affaire, il a une furieuse épine au pied (Ac.1932). ♦ Être une épine (au pied). Être un sujet d'embarras, d'inquiétude : 7. ... quand on lit l'ouvrage éloquent de Bossuet où il s'est si bien passé de Richard Simon, il est impossible d'en séparer le souvenir de ce savant qui le gênait, qui lui était une épine au pied, et qu'il supprimait autant qu'il lui était possible.
Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 9, 1863-69, p. 302. ♦ (Re)tirer (à qqn) une épine (du pied). Délivrer d'un embarras, d'une situation difficile. Dis-lui bien comme j'aime les bons cœurs qui, sur ma route difficile, m'ont arraché quelqu'épine ou adouci le chemin (Balzac, Corresp.,1832, p. 66).Je viens, selon votre conseil, d'écrire un petit mot poli au Michel. Voilà donc une affaire terminée, ça me retire une épine du pied (Flaub., Corresp.,1867, p. 100). ♦ Arracher (à qqn) une épine (du cœur). Le délivrer d'une peine, d'une douleur. Mon Dieu! Que j'ai souffert! (...) Vint le jour de bonheur où, de sa main divine, L'ange de mon salut arracha cette épine Bien délicatement de mon cœur (M. de Guérin, Poésies,1839, p. 67). b) [P. réf. à épine A 1 b] ♦ Être un fagot d'épines. [En parlant d'une pers.] Être hargneux, d'humeur bizarre, difficilement abordable. Rubentel (...) brave homme de guerre, mais difficile à vivre, d'une humeur à faire damner les gens, d'autant plus roide et plus cassant qu'on lui fait plus d'avances, et furieux si on le néglige; enfin un fagot d'épines (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 8, 1863-69, p. 455).S'envelopper d'épines (rare). Ma femme (...) est bonne. Moi, j'ai du plaisir à m'envelopper d'épines. On s'y trompe. Le curé dit : « Le diable a épousé un ange » (Renard, Journal,1898, p. 465). ♦ Être sur/marcher sur/se sentir sur les/des épines. Être dans une situation difficile, être dans une grande inquiétude, dans une grande impatience. MmeDebée-Leemann était sur les épines : sa conscience lui faisait deviner la matière de notre conversation; mais ce qui me surprit, c'est que Sara n'en était pas moins inquiète (Restif de la Bret., M. Nicolas,1796, p. 136).Don José était sur les épines. Il brûlait d'impatience de les quitter [la duchesse et Conception] pour retrouver sa prétendue princesse polonaise (Ponson du Terr., Rocambole,t. 4, 1859, p. 289).Il [Gaspard] se sentait sur des épines si l'on parlait des Escures (Pourrat, Gaspard,1925, p. 178). ♦ (S')enfoncer dans les épines. Se mettre dans les difficultés. Vous savez ce que c'est que les procès, et vous allez vous enfoncer dans d'étranges épines (Claudel, Raviss. Scapin,1952, p. 1329). Prononc. et Orth. : [epin]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Fin du xes. « arbuste aux branches garnies de piquants » (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 247 : espines); 2. ca 1260 « piquant » (Vers de la mort, 28, 2 ds T.-L.); 3. xives. « espèce de poisson, plectognathe » (G. de Bibbesworth, Traité sur la langue fr., éd. A. Owen, p. 96, addition du ms. B); 4. 1314 anat. « épine dorsale » (Mondeville, Chirurgie, 416 ds T.-L.); 5. av. 1475 au fig. « difficulté » (G. Chastellain, Chron., 1. 6, chap. 93 ds
Œuvres, éd. J. Kervyn de Lettenhove, t. 5, p. 41); 6. 1571 bot. poire d'espine (Belleforest, Secrets de la vraye agriculture, Paris, p. 111); 1654 espine rose (Jardinier françois ds Roll. Flore t. 5, p. 43); 7. 1660 « piquant de certains animaux » (Oudin Fr.-Esp. : espine ou tuyau de porc espic). Du lat. spina « épine, arbuste ou plante épineuse; piquant d'animaux, épine dorsale »; fig. « difficultés ». Fréq. abs. littér. : 1 202. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 506, b) 1 619; xxes. : a) 1 434, b) 1 242. Bbg. Arveiller (R.). R. Ling. rom. 1972, t. 36, p. 232. − Budahn (C.). Die Bezeichnungen der Johannisbeere und der Stachelbeere im Galloromanischen. Z. fr. Spr. Lit. 1939, t. 63, pp. 129-165. − Wartburg (W. von). Spina, spinula. Bolletino dell'Istit. di lingue estere. Genova. 1957, t. 5, pp. 17-40. |