| ÉPERON, subst. masc. A.− Domaine de l'équitation 1. Instrument métallique, s'adaptant au talon de la chaussure, garni à l'arrière d'une pointe acérée ou d'une molette, que le cavalier enfonce dans le flanc de sa monture pour l'exciter. Donner de l'éperon, un coup d'éperon à sa bête; piquer un cheval de l'éperon; faire sonner ses éperons. Des Espagnols galopant sur des chevaux ensanglantés par l'éperon gigantesque qui chaussait leur pied nu (Verne, Enf. cap. Grant,t. 1, 1868, p. 96).Les cavaliers (...) mènent leurs bêtes sans mors, sans éperons, sans étriers (T'Serstevens, Itinér. esp.,1963, p. 187): 1. Il la ramena trois fois à l'éperon, à la cravache, et quand la bête se bloquait, il la châtiait rudement. La main tordait les rênes comme un garrot, sciait les lèvres; les longues jambes lardaient le ventre à grands coups d'éperon.
Vercel, Capitaine Conan,1934, p. 184. − Expr., HIST. [Les éperons en tant que symbole de la dignité de chevalier] ♦ Chausser les éperons (à qqn.) Conférer la dignité de chevalier. Enfin, on lui a chaussé les éperons d'or, attributs du chevalier (Faral, Vie temps St Louis,1942, p. 32). ♦ Gagner ses éperons. Faire ses premières armes avec distinction (Ac. 1835-1932). Au fig., vieilli. Se distinguer dans une première affaire. J'ai conquis mes éperons oratoires hier et ce matin (Lamart., Corresp.,1835, p. 150).Talleyrand (...) avait à gagner ses éperons; il était depuis quelques semaines seulement à la tête du ministère des affaires étrangères (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 12, 1863-69, p. 40). 2. P. méton. Stimulation provoquée au moyen de l'éperon. Cheval sensible à l'éperon. Il lui fit sentir [à sa rosse] l'éperon, elle fit un écart et fut sur le point de tomber (Stendhal, L. Leuwen,t. 1, 1836, p. 39): 2. ... ces hurlements achevèrent d'épouvanter le cheval que les deux coups de feu avaient si violemment ému. La noble bête se cabra, volta sur elle-même, devint sourde à la voix, indocile à l'éperon.
Ponson du Terrail, Rocambole,t. 5, 1859, p. 463. − Au fig. [Suivi d'un compl. déterminatif] Stimulation. (Quasi-)synon. aiguillon.Les soldats (...) allongeaient maintenant le pas, gaillards, ranimés, sous l'éperon cuisant du péril (Zola, Débâcle,1892, p. 150): 3. Il [Stendhal] sentait dans sa chair secrète l'éperon de la vanité littéraire; mais il y sentait, un peu plus avant, l'étroite et bizarre morsure de l'orgueil absolu qui ne veut dépendre que de soi.
Valéry, Variété II,1929, p. 89. ♦ Proverbe. Il a plus besoin de bride* que d'éperon. ♦ Spéc., GASTR., vieilli. Mets excitant l'appétit ou poussant à boire. Ce petit fromage de chèvre, jaspé et persillé de vert, était un excellent éperon à boire (Gautier, Fracasse,1863, p. 465). B.− P. anal. 1. [L'éperon est une pointe métallique] a) JEUX. Pointe métallique dont on arme les pattes d'un coq de combat. Un combat de coqs (...) armés d'éperons de fer, dont la gorge ouverte saignait (Zola, Germinal,1885, p. 1265). b) MARINE c) Spéc., HIST. Pointe métallique placée en avant de l'étrave et en dessous de la ligne de flottaison, destinée à percer la coque des navires ennemis. (Quasi-)synon. rostre.Les éperons des galères d'Octave se brisaient contre ces gros navires construits de fortes poutres cerclées de fer (Michelet, Hist. romaine,t. 2, 1831, p. 322). d) P. ext. Partie saillante ou renforcée en avant de l'étrave d'un navire. Enfin on reconnut la trirème d'Hamilcar (...) et sous l'éperon qui terminait sa proue, le cheval à tête d'ivoire (Flaub., Salammbô,t. 1, 1863, p. 115). − P. anal., CH. DE FER. L'éperon d'une locomotive. Il eût écrasé sans doute les premiers buffles attaqués par l'éperon de la locomotive (Verne, Tour monde,1873, p. 153). 2. [Une saillie, une proéminence] a) ANAT. Partie en saillie dans une cavité qu'elle tend à diviser ou dans un tissu à structure homogène qu'elle tend à renforcer (d'apr. Méd. Biol. t. 2 1971). Guérison des anus contre nature consistant à repousser l'éperon avec un instrument « ad hoc » (C. Bernard, Notes,1860, p. 176). b) ARCHIT. Ouvrage saillant en maçonnerie, angulaire en plan, construit en avant d'une pile de pont pour le protéger ou contre un mur pour le soutenir. (Quasi-) synon. bec.Chaque pile [du pont Saint-Esprit, sur le Rhône] est percée à jour au-dessus des éperons (Stendhal, Mém. touriste,t. 1, 1838, p. 283).Ces statues sont posées latéralement et du même côté, par rapport aux becs saillants ou aux éperons qui renforcent ces tours contre la sape et qui augmentent les flanquements (Viollet-le-Duc, Archit.,1872, p. 242). c) BOT. Appendice tubuleux du calice ou de la corolle d'une fleur. Le calice de la capucine, les pétales de la violette ont un éperon (Ec.1835-1932). d) Dans le domaine de la géogr.Partie saillante, avancée d'un relief montagneux. Éperon rocheux, calcaire. Le Potawmack sera navigable jusqu'au dernier éperon des Alléghénys (Crèvecœur, Voyage,t. 1, 1801, p. 174).Saint-Gilles (...) construisit sur l'éperon rocheux qui surplombe la gorge de la Qadicha, une forteresse (Grousset, Croisades,1939, p. 75): 4. ... une attaque menée par trois corps d'armée, ayant pour objectif la crête de Vimy (côtes 119, 140, 132). Deux attaques de flanc : l'une au nord de l'attaque principale visant la crête de Notre-Dame-de-Lorette et l'éperon nord de Souchez, puis la cote 119; l'autre, au sud, en direction de la croupe 96-93 (1 500 mètres sud de Bailleul) et s'étendant jusqu'à la Scarpe.
Joffre, Mémoires,t. 2, 1931, p. 73. ♦ Faire éperon, s'avancer en éperon. Faire saillie, s'avancer en saillie. Telle cathédrale (...) faisant éperon au bord du fleuve (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 838).L'hôtel et le village, accrochés à un versant, s'avançaient en éperon au-dessus du torrent (Estaunié, Sil. camp.,1925, p. 59). e) Dans le domaine de la zool.Petit appendice sur la partie postérieure de la patte de certains animaux. Chez le coq (...) l'éperon court et rond chez les jeunes s'allonge et, chez les vieux, devient une pointe (Vialar, Fusil,1960, p. 53). Prononc. et Orth. : [epʀ
ɔ
̃]. Warn. 1968 note [εpʀ
ɔ
̃] pour le lang. cour. À ce sujet cf. émeraude. Comme pour ce mot, la conservation dans la graph. du second e muet donne l'impression d'une syll. ouverte, ce qui explique le timbre fermé de l'initiale ainsi que la présence de l'accent aigu. Le mot est admis ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 esperun équit. (Roland, éd. J. Bédier, 345); 2. 1428 esperon « pointe de la proue d'un navire » (Ballade ds Voyage de Jérusalem du seigneur d'Anglure, 112 ds T.-L.), attest. isolée; de nouv. 1552 (Est., s.v. rostra); 3. 1556-60 archit. (F. Bournon, Hist. gén. de Paris, La Bastille, p. 256); 4. 1605 [éd.] ergots et esperons [du coq] (O. de Serres, Théâtre d'agriculture, 350 ds Littré); 5. 1801 « avancée en pointe d'un contrefort montagneux » (Crèvecœur, loc. cit.). De l'a. b. frq. *sporo, au sens 1, cf. l'a. h. all. sporo (Graff t. 6, col. 357), all. Sporn « id. »; sporo est attesté en b. lat. au ixes. (calcar : sporonus, spora ds CGL t. 2, p. 572, 21). Fréq. abs. littér. : 453. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 722, b) 968; xxes. : a) 551, b) 459. DÉR. Éperonnier, subst. masc.,vx. Celui qui fabrique, vend des éperons et autres instruments métalliques de monte. Faites-lui faire (...) un mors, (...) par notre éperonnier (Courier, Lettres Fr. et It.1805, p. 695).La plupart des dict. enregistrent un emploi en zool. ,,Oiseau de Chine dont le mâle porte à chaque pied deux ergots ou éperons`` (Ac. 1932). − [epʀ
ɔnje]. Seules transcr. mod. ds Passy 1914 et Lar. Lang. fr. Cf. éperon pour la var. cour. avec [ε] ouvert à l'initiale. Le mot est admis ds Ac. 1694-1932. − 1resattest. a) 1292 esperonnier « celui qui fabrique ou vend des éperons (Rôle de la Taille de Paris, éd. H. Géraud, p. 49a), b) 1771 ornith. (Buffon, Hist. nat., t. 17, Oiseaux, vol. 2, p. 370); de éperon, suff. -ier*. − Fréq. abs. littér. : 2. BBG. − La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 58, 123, 124. − Mat. Louis-Philippe, 1951, p. 287. − Rommel 1954, p. 112. |