| ÉPAISSIR, verbe. I.− Emploi trans. Rendre épais, plus épais. A.− [En parlant de l'étendue d'un corps] 1. Augmenter une des dimensions d'un corps. Épaissir des fortifications. On avait assez que d'épaissir la muraille et de la rendre le plus haut possible (Flaub., Salammbô, t. 2, 1863, p. 90). − P. métaph. : 1. ... le poète a eu raison de parler des « fils mystérieux » que la vie brise. Mais il est encore plus vrai qu'elle en tisse sans cesse entre les êtres, entre les événements, qu'elle entre-croise ces fils, qu'elle les redouble pour épaissir la trame, si bien qu'entre le moindre point de notre passé et tous les autres un riche réseau de souvenirs ne laisse que le choix des communications.
Proust, Le Temps retrouvé,1922, p. 1030. 2. [L'obj. désigne un être vivant ou une partie de son corps] Rendre plus considérables les proportions, le volume (de). Si l'embonpoint lui a un peu épaissi la taille [à MmeSligo], il lui a blanchi la peau (Gyp, Tante Joujou, Paris, Calmann-Lévy, 1893, p. 158).Une petite veste de soie molletonnée, café clair, l'épaissit encore (Gide, Journal,1925, p. 805). B.− [En parlant de la structure de la matière] 1. [L'obj. désigne un ensemble de pers. ou de choses] Rendre plus serré, plus touffu. À chaque instant les barques, (...) apportaient de nouveaux curieux qui épaississaient la foule (Gautier, Rom. momie,1858, p. 210).Les arbres épaississent leurs rangs, sans pourtant former des forêts (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. de Fr.,1908, p. 307): 2. Nous ignorons absolument (...) comment le climat agit de manière à épaissir la fourrure de l'animal transporté dans les régions froides, et à l'éclaircir quand on le transporte au contraire vers les régions chaudes; ...
Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances,1851, p. 83. 2. [L'obj. désigne une substance solide, liquide ou gazeuse] Rendre plus compact, plus condensé. Épaissir une sauce. Les vapeurs épaississent l'air (Ac.1798-1878).Je n'examinerai pas ici (...) si le chocolat épaissit nos humeurs ou nous fortifie (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 129).Les derniers toits fumants de la ville moribonde épaississaient la brume autour de la cathédrale démesurée (Mauriac, Galigaï,1952, p. 120). − P. métaph. L'odeur des potions, des drogues, épaississait encore l'atmosphère morbide de cet appartement (Sue, Atar Gull,1831, p. 36). 3. P. ext. [L'obj. désigne une chose assimilée à une substance matérielle] Donner une apparence plus opaque, plus impénétrable à la vue. Voilà tout le secret (...) de leur fureur quand un rayon de vérité vient à percer les immenses ténèbres qu'ils travaillent sans cesse à épaissir (Lamennais, Religion,1826, p. 51).Et le couvert de la forêt épaississait l'ombre du crépuscule (Aymé, Passemur.,1943, p. 104). − Emploi abstr. La logique du révolté est (...) de s'efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel (Camus, Homme rév.,1951, p. 352). 4. Au fig., péj. [L'obj. désigne une manifestation de l'esprit] Rendre plus lourd et embarrassé, moins élégant. La Flandre épaissit le goût français, et remplace notre naturalisme à tendances idéalistes par un lyrisme et une emphase charnels (Toulet, Notes art,1920, p. 125).Les traductions ne peuvent qu'épaissir et alourdir cette prose si légère et si fine (Green, Journal,1955-58, p. 228). − Emploi pronom. subjectif. [Le suj. désigne l'esprit humain ou ses manifestations] Perdre sa finesse, sa pénétration. Rousseau, (...) risque de laisser le cerveau de son élève s'épaissir (Sand, Hist. vie,t. 2, 1855, p. 154).Comme je sortais alors de la première enfance, je m'obscurcis et m'épaissis (France, Bonnard,1881, p. 390). II.− Emploi intrans. ou pronom. Devenir épais, plus épais. A.− [En parlant de l'étendue d'un corps] Devenir plus gros, plus important dans ses proportions, son volume. 1. Épaissir.Cette espèce de faiblesse qu'il avait jadis dans le visage, maintenant que ses traits avaient un peu épaissi, avait tourné à une sorte de lourdeur (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 160). 2. S'épaissir.La taille qui n'avait jamais été fine ne s'épaississait guère (Drieu La Roch., Rêv. bourg.,1939, p. 189). − [Suivi d'un compl. prép. de] Les fichiers s'épaississent sans cesse de nouveaux cartons (Morand, Ne-wYork,1930, p. 248). B.− [En parlant de la structure de la matière] 1. [Le suj. désigne un ensemble de pers. ou de choses] Devenir plus fourni, plus serré. a) Épaissir.Ces essaims d'abeilles qui, soudain, se condensent, épaississent autour d'une branche morte (Mauriac, Journal 2,1937, p. 111). b) S'épaissir.C'étaient d'innombrables bouquets d'arbres qui se serraient et s'épaississaient (Michelet, Journal,1820, p. 113). 2. [Le suj. désigne une substance solide, liquide ou gazeuse] Devenir plus consistant, plus condensé. a) Épaissir.Puis la brume (...) trouva moyen de croître et d'épaissir encor (Hugo, Légende,t. 5, 1877, p. 983). − P. métaph. Quand ces brillants débutants journalistes se soutiennent six mois, c'est déjà beaucoup; (...) l'ignorance volontaire les enveloppe de ses voiles qui épaississent vite, et il n'y a plus rien (Veuillot, Odeurs de Paris,1866, p. 66). b) S'épaissir.Des œufs cassés, battus par la fourchette et qui fumèrent, s'épaissirent, devinrent la solide omelette (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 109): 3. En effet, vers six heures et demie, trois quarts d'heure après le lever du soleil, la brume devenait plus transparente. Elle s'épaississait en haut, mais se dissipait en bas. Bientôt tout l'îlot apparut, comme s'il fût descendu d'un nuage; ...
Verne, L'Île mystérieuse,1874, p. 22. − [Suivi d'un compl. prép. de] À mesure que nous nous avancions vers le large, l'air perdait sa légèreté impondérable et sa transparence; il s'épaississait de vapeur d'eau (Loti, Chât. Belle-au-bois-dorm.,1910, p. 200). − P. métaph. Xavière dormait. À chaque minute son sommeil s'épaississait (Beauvoir, Invitée,1943, p. 418). 3. [Le subst. désigne la langue] Se charger de salive épaisse; p. ext. articuler difficilement. C'est une alerte pocharde; seule la langue s'épaissit parfois (Green, Journal,1948, p. 219). 4. P. ext. [En parlant de ce qui est assimilé à une substance matérielle] Devenir plus opaque, plus impénétrable à la vue. a) Épaissir.Le bord de nuit, infiniment tiède, commençait d'épaissir (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 156). b) S'épaissir.La nuit arriva, je la laissai bien s'épaissir (Dumas père, Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 114). Prononc. et Orth. : [epεsi:ʀ] ou p. harmonis. vocalique [epesi:ʀ], (j')épaissis [epε(s)si]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1180 intrans. « devenir plus épais, plus dense » l'air epessist (Thomas, Tristan, 2871 ds T.-L.); 1538 trans. espessir la chevelure (Est.); 1578 pronom. « rendre plus compact, plus profond » ici pronom. (Du Bartas, La Semaine, I ds Gdf. Compl.); 2. av. 1755 « augmenter le volume; accroître l'importance » (St-Sim., t. 1, p. 425, édit. Chéruel ds Littré); 3. 1704 « perdre de sa vivacité (d'une faculté intellectuelle) » (Trév.). Dér. de épais*; dés. -ir; a supplanté l'a. fr. espessier, espoissier, v. aussi épais. Fréq. abs. littér. : 545. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 547, b) 904; xxes. : a) 961, b) 786. DÉR. Épaississeur, subst. masc.,technol. Appareil destiné à concentrer un corps solide se trouvant en solution dans un liquide. Cela [le desséchage de la pulpe venant des cuves de flottation] se fait dans 2 appareils en série, un épaississeur et un filtre (Bresson, Manuel prospect.,1923, p. 410).− 1reattest. 1923 id.; du rad. de épaissir, suff. -(iss)eur2*. |