| ÉLÉGANCE, subst. fém. A.− [Domaine de l'esthétique en tant que science du beau; correspond à élégant A] 1. [Correspond à élégant A 1] Qualité qui se caractérise par une grâce faite d'harmonie, de légèreté et d'aisance dans la forme et les lignes, dans la disposition et les proportions des parties, dans le mouvement. La grossièreté de ses vêtements ne pouvait dissimuler l'extrême élégance de sa taille (Soulié, Mém. diable,t. 2, 1837, p. 92).L'élégance presque féminine de ses mains maigres et allongées (Du Camp, Mém. suic.,1853, p. 9): 1. Toutes les fenêtres et les portes des salles (...) sont ornées dans le style plateresque, avec une fantaisie d'un goût très sûr et d'une finesse exquise. La beauté de tout ceci n'est pas seulement dans l'élégance des proportions architecturales et de l'ornementation, mais surtout dans le contraste entre la rude écorce du castel et la délicatesse du fruit.
T'Serstevens, L'Itinéraire espagnol,1963, p. 94. SYNT. Élégance d'une courbe, d'une ligne, d'un intérieur; élégance naturelle d'un corps; élégance incomparable d'un geste; élégance majestueuse d'une colonne; noblesse et élégance d'une démarche; jambe d'une élégance parfaite; raffinement de l'élégance et du bon goût; respirer l'élégance et le bon goût; être coiffée avec élégance; danser avec élégance et légèreté; meubler une chambre avec une élégance discrète. − P. méton. (au plur.). Manifestations, expressions de cette élégance. Une femme d'une trentaine d'années, maigre et avec toutes les élégances de la maigreur (Goncourt, Journal,1863, p. 1341).Ces vieilles maisons aux élégances surannées (Green, Journal,1941, p. 145): 2. La pelouse s'émaillait des corbeilles dont Ortègue faisait renouveler les fleurs chaque semaine. C'était une des élégances de sa clinique...
Bourget, Le Sens de la mort,1915, p. 146. 2. [Correspond à élégant A 2] Spéc. a) [En parlant d'une pers.] − [Du point de vue de son habillement] Qualité du goût qui se manifeste dans le choix des vêtements et la façon raffinée et discrète de les porter. Élégance éminine. Le costume de la jeune fille prouvait par son élégance la richesse et le rang de celle qui le portait (Gautier, Fracasse,1863, p. 263).Il portait avec élégance un habit à la française, semé de taches et tout râpé (France, Vie fleur,1922, p. 443): 3. La disgrâce de ses mouvements et de son habillement, sa gaucherie, sa froideur, eussent éloigné tout homme, sensible comme Christophe à la grâce féminine. Quand il se rappelait la spirituelle élégance des Parisiennes, il ne pouvait s'empêcher, en regardant Anna, de penser : − comme elle est laide!
Rolland, Jean-Christophe,Le Buisson ardent, 1911, p. 1346. SYNT. Élégance instinctive, naturelle, simple, discrète, sobre, souple, gracieuse, ultra-moderne, recherchée, exagérée, tapageuse, souveraine, somptueuse, prétentieuse; fausse élégance; élégance de la toilette, des vêtements, d'une robe, de la parure; souci d'élégance; goût, idées de luxe et d'élégance; reines de l'élégance; être habillé avec élégance; manquer totalement d'élégance. − P. méton. (gén. au plur.). Manifestations, expressions de cette élégance. Élégances féminines, parisiennes, élégances des vêtements, de la toilette, de la mise; élégances de pacotille. Les orchestres qui font tourbillonner, à leur respiration vibrante, les élégances de toutes classes (Ch. Cros, Coffret santal,1873, p. 130).Un changement dans la toilette des femmes qui promènent ici leurs élégances plus ou moins coquettes est noté, critiqué, interprété (Bourget, Disciple,1889, p. 13): 4. Elle l'étonnait par ses gestes éperdus, par ses exclamations larmoyantes. Elle était dépouillée de ses élégances admirables et habituelles. Sa « vitchoura » de velours vert et d'hermine parut flétrie, loqueteuse même.
Adam, L'Enfant d'Austerlitz,1902, p. 80. ♦ Au sing. Le rempli du bas de jambe, simulant un retroussé, était considéré comme une élégance un peu frivole ou comme une mode de jeunes gens (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p. 31): 5. ... ses vêtements, qui n'étaient plus entretenus, avaient vite pris un aspect défraîchi. Sa seule élégance résidait dans sa collection de chapeaux melons.
Druon, Les Grandes familles,t. 2, 1948, p. 221. − P. ext. [Du point de vue de son comportement, de ses manières] Pauliet toussait. Il toussait avec une élégance d'artiste. Pauliet souriait en toussant (Jouve, Scène capit.,1935, p. 215). ♦ [En parlant du comportement, des manières mêmes] Qualité du comportement, des manières qui révèle une grande distinction. L'élégance des manières. Édouard ne manque pas de louer en ses lettres la gravité de ton caractère et l'élégance de tes façons (Adam, Enfant Aust.,1902, p. 376).Attendre, attendre... cela s'apprend à la bonne école, où s'enseigne aussi la grande élégance des mœurs, le chic suprême du savoir-décliner... (Colette, Naiss. jour,1928, p. 70).Au plur. Manifestations, expressions de cette élégance. Élégances aristocratiques. On ne le reconnaissait plus; les élégances de ses habits et de ses manières augmentaient terriblement (France, Île ping.,1908, p. 350): 6. Il faisait la mode, décidait des élégances et était aimé. Les jeunes gens copiaient sa redingote, son monocle, ses gestes, son insolence exquise, ses manies amusantes.
France, Le Lys rouge,1894, p. 314. Rem. Dub. enregistre l'expr. faire des élégances ,,chercher à se faire remarquer par des manières distinguées``. b) [En parlant d'une assemblée, d'une société ou d'une manifestation de la vie soc.] Qualité d'une assemblée, d'une société qui se compose de personnes élégantes, ou d'une manifestation sociale qui les rassemble : 7. ... recevoir une dame russe qui ne connaissait que la grande-duchesse Eudoxie, c'était peu. Mais la princesse Sherbatoff eût même pu ne pas la connaître sans qu'eussent été amoindries l'opinion que Cottard avait relativement à la suprême élégance du salon Verdurin, et sa joie d'y être reçu.
Proust, Sodome et Gomorrhe,1922, p. 881. Rem. Rob. mentionne les syntagmes : L'élégance d'un public, d'une assistance. L'élégance d'une réunion, d'une soirée mondaine. − P. méton., au plur. Manifestations, expressions de cette élégance. Tout cet hosanna du sabre, ce « vae victis » aux élégances de la vie sociale, aux beaux préjugés, aux aristocraties, cette ovation de la mansarde et de la servante (Goncourt, Journal,1857, p. 385): 8. ... il voyait disparaître avec M. Verdurin un des derniers vestiges du cadre social, du cadre périssable − aussi vite caduc que les modes vestimentaires elles-mêmes qui en font partie − qui soutient un art, certifie son authenticité, comme la révolution en détruisant les élégances du xviiiesiècle aurait pu désoler un peintre de fêtes galantes, ou affliger Renoir la disparition de Montmartre et du Moulin de la Galette...
Proust, Le Temps retrouvé,1922, p. 770. 3. [Correspond à élégant A 3] P. ext., dans le domaine de l'expr.Qualité de l'expression, de l'écriture en tant que caractérisée par la justesse et la finesse du choix des mots et par une aisance naturelle dans la façon de les disposer. Je vanterais la finesse et la pureté de son goût, l'élégance exquise de sa prose, la beauté, la force, l'harmonie de ses vers (Chateaubr., Mém.,t. 2, 1848, p. 271): 9. Se rappelant trop tard la verbeuse élégance et les éloquentes périphrases auxquelles un long professorat avait habitué son maître, Raphaël se repentit presque de l'avoir reçu...
Balzac, La Peau de chagrin,1831, p. 205. SYNT. Élégance du langage, d'un discours; élégance et dignité du style poétique; finesse et élégance d'un style; langue exquise d'élégance naturelle; élégance verbale, soutenue; élégance discrète du style; élégance exquise d'une prose; écrire avec élégance. − P. méton., gén. au plur. Manifestations, expressions de cette élégance. On rencontre dans ses œuvres (...) des échantillons complets de toutes les surannées élégances poétiques, telles que rimes « équivoquées, consonnées » (Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr.,1828, p. 32).Firmin n'avait retenu de l'enseignement du séminaire que des élégances de latinité, de l'adresse pour les sophismes (France, Orme,1897, p. 15). ♦ Au sing. : 10. ... telle scène du Mari de la débutante, où l'absence de poésie, de grandes pensées (...) me semblait à elle seule une élégance, une élégance conventionnelle, et par là d'autant plus mystérieuse et plus instructive.
Proust, Le Côté de Guermantes 1,1920, p. 43. B.− [P. réf. à la notion de choix, dans le domaine de l'action et de la décision dans l'ordre mor. ou intellectuel; correspond à élégant B] Qualité d'une personne ou d'une action qui se caractérise par sa délicatesse et sa distinction. Procédé qui manque d'élégance. Grandes journées d'une incomparable élégance spirituelle où le vieillard nous apportait ce qu'on eût appelé jadis le bouquet de son œuvre (Barrès, Cahiers,t. 14, 1922-23, p. 175).Se piquer de ne parler jamais argent est une fausse élégance, et marque de bourgeoisie (Montherl., Maître Sant.,1947, II, 1, p. 629): 11. ... l'élégance morale fait partie de la coquetterie de certains hommes en amour. Tout comme la femme cherche à être belle pour plaire, l'homme cherche à être admirable.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 oct., 1932, p. 152. − P. méton., au plur. Manifestations, expressions de cette élégance. Élégances morales, sentimentales. Une jeune fille, en qui s'unissent toutes les élégances et toutes les parures du corps, de l'esprit et de l'âme (Goncourt, Journal,1858, p. 543).Deux jeunes femmes qu'elle formait aux élégances de l'esprit (France, Lys rouge,1894, p. 352): 12. M. Pasquier, de naissance parlementaire, d'intelligence cultivée, d'aptitude universelle, de parole fluide, de convictions larges, fidèle seulement aux élégances d'esprit et à l'aristocratie des sentiments.
Lamartine, Nouvelles Confidences,1851, p. 312. − Spéc. ,,Élégance d'une démonstration mathématique, caractère de simplicité, de netteté, que présente une démonstration`` (DG). ♦ P. ext. L'élégance d'un argument. La science ne doit pas être cultivée uniquement pour elle-même, pour l'élégance de ses méthodes, pour sa clarté et sa beauté. Elle a pour but l'avantage matériel et spirituel de l'homme (Carrel, L'Homme,1935, p. 339).C'est en vain que l'on croirait avoir résolu avec élégance le problème du dualisme, en substituant au dualisme des substances un dualisme des points de vue (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 15). Prononc. et Orth. : [elegɑ
̃:s]. Enq. : /elegãs/. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Fin xives. (Glossaire Aalma, éd. M. Roques, Lexique II, 131, 3784); 1495 (J. de Vignay, Is. xviii, 6 ds R. Hist. litt. Fr. t. 11, p. 497 : Elegance et suavité de langage); fin xves. « courtoisie, qualité de distinction dans les manières » (J. Molinet, Chron. d'outrepont et Jodogne, CCCVII, t. II, p. 535); 1690 au plur. « phrases recommandées pour leur distinction » (Vaug. Nouv. Rem., p. 103); 1834 p. ext. « ressources mondaines » (Sainte-Beuve, Volupté, t. 2, p. 85). Empr. au lat. class.elegantia « goût, délicatesse, distinction ». Fréq. abs. littér. : 1 636. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 571, b) 2 373; xxes. : a) 2 410, b) 2 042. Bbg. Duch. Beauté 1960, pp. 145-147. − Gall. 1955, p. 85. − Knabe (P.E.). Schlüsselbegriffe des kunsttheoretischen Denkens in Frankreich von der Spätklassik bis zum Ende der Aufklärung. Düsseldorf, 1972, pp. 174-177. |