| ÉCLAIRER, verbe. A.− Emploi trans. et intrans. 1. Domaine phys. a) Donner de la clarté, (de) la lumière à quelqu'un, à quelque chose. Éclairer le chemin, l'escalier; la lune éclaire les allées, les visages. Madame veut sortir, prends une torche, éclaire madame (Gautier, Albertus,1833, p. 136).Un bon feu de cheminée éclaire ma chambre (Erckm.-Chatr., Hist. paysan,t. 2, p. 283). − Emploi factitif. Éclairer. Allumer : on entend assez souvent cette expression qui semble bizarre : éclairer le gaz. Elle nous choque, quoiqu'elle soit identique à allumer le gaz (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 158).Arg. ,,Éclairer le velours. Déposer son enjeu sur le tapis`` (Delvau 1867, p. 495). − Spéc. Mettre de la lumière à la disposition d'une personne dans une maison (cf. éclairage A 1 b en partic.).Je suis nourri (...) blanchi, chauffé et éclairé dans l'établissement (Verlaine, Corresp.,t. 3, 1879, p. 101). − Emploi abs. Cette lumière éclaire mal. Le feu dans la cheminée s'éteignait, n'éclairait plus (Huysmans, Là-bas,t. 2, 1891, p. 46).L'affaire d'une lampe est d'éclairer (Bernanos, Dialog. Carm.,1948, 2etabl., 1, p. 1584).Arg. ,,Payer comptant, faire reluire sa monnaie. « C'est pas tout ça, i'faut éclairer. C'est six francs »`` (Larch. 1861, p. 118). b) P. anal. Illuminer, rayonner sur. La joie, un sourire éclaire son visage. Qui serait triste quand il a pour éclairer sa maison ce petit soleil? (Claudel, Annonce,1912, II, 5, p. 179): 1. Installé avec naturel et avec grâce dans la plus belle saison de l'homme, il [Wedeke] éclairait une salle de bal en y entrant sous l'uniforme blanc à parements noirs des cuirassiers de Silésie.
Morand, Fin de siècle,1957, p. 11. 2. Au fig. [Le compl. d'obj. désigne une chose ou une pers. qui manque de clarté(s)] a) [Chose] Rendre clair, compréhensible, intelligible. Éclairer un problème, une question. Synon. élucider; anton. obscurcir.Le nom de ton amant va tout éclairer, va tout nous dire, n'est-ce pas? Qui aimes-tu? Qui est-ce? (Giraudoux, Électre,1937, II, 5, p. 159).À mes yeux, l'attentat d'Alger éclairait, à son tour, la cause principale de nos épreuves (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 69): 2. ... les démonstrations directes, qui éclairent l'esprit, c'est-à-dire qui lui montrent la raison de la vérité démontrée...
Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances,1851, p. 581. SYNT. Éclairer une confusion, une difficulté, une erreur, un paradoxe. − En partic. Donner un éclairage, une lumière, un sens qui permet de considérer les choses sous un angle nouveau, de les (faire) comprendre. Éclairer le mystère, le secret de qqn, de qqc. Sa Cité antique éclaire toute l'antiquité par la religion des ancêtres (L. Daudet, Stup. XIXes.,1922, p. 122).L'homme s'emporte partout avec soi; où qu'il soit, il éclaire, il ne voit que ce qu'il éclaire, c'est lui qui décide de la signification des choses (Sartre, Sit. I,1947, p. 185). b) [Pers. ou aspect de la pers.] Apprendre quelque chose à quelqu'un, l'initier, l'instruire, l'aider à voir clair, à acquérir du discernement. Éclairer qqn, la conscience, les scrupules de qqn. Anton. égarer, perdre qqn.Port-Royal, au moment le plus voilé de son éclipse, continuait par là d'éclairer et d'enseigner (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 434): 3. ... une critique soucieuse d'action (...) se donne pour tâche opérante de façonner cet esprit, de l'éclairer, de l'instruire...
Massis, Jugements,1923, p. 245. − Expr. Éclairer qqn de ses conseils; éclairer les yeux de qqn. Ce texte sensationnel (...) pourrait servir à notre défense (...). Il éclairera votre lanterne (Cocteau, Lettre Amér.,1949, p. 68).Être éclairé sur qqn. En savoir long sur lui, savoir qui il est. Le jeune roi était prévenu contre lui [Fouquet], ou plutôt éclairé sur lui (Sainte-Beuve, Caus. lundi,t. 5, 1851-62, p. 295). − En partic. Donner une lumière telle ou, si particulière, qu'elle apporte un grand contentement à toute la personne. Éclairer le cœur de qqn. Ce qui compte, ce qui ennoblit et éclaire notre vie, c'est bien moins nos pensées que les sentiments qu'elles éveillent en nous (Maeterl., Sag. et dest.,1898, p. 249): 4. Mais elle, elle était comme un rayon de lumière qui se serait servi de ma vie pour m'éclairer tout le dedans du cœur. Elle était la joie de vivre.
J. Bousquet, Traduit du silence,1935-36, p. 181. Rem. L'usage manifeste que si le verbe éclaircir se réfère principalement à quelque chose, le verbe éclairer se rapporte davantage à quelqu'un. B.− Emploi pronom. 1. a) Devenir clair, recevoir de la lumière. ♦ [Le suj. désigne le ciel] Le ciel, avant de s'assombrir tout à fait, s'éclairait de rose (Green, Chaque homme,1960, p. 189). ♦ [Le suj. désigne une cheminée, une maison] La fenêtre de Dona Sol s'éclaire (Hugo, Hernani,1830, II, 1, p. 35). ♦ [Le suj. désigne une couleur] Tout s'éclaire ou s'assombrit, tout rayonne ou s'obscurcit par un effarement alternatif du principe colorant (Fromentin, Maîtres autrefois,1876, p. 322). − P. anal. ♦ [Le suj. désigne un regard, un visage] Les figures s'éclairent ou s'attristent à un mot de celui-ci, à un mot de celui-là (Goncourt, Journal,1870, p. 687). ♦ [Le suj. désigne une pers.] M. de Coantré s'éclaira un peu. Quand même, il y avait quelquefois de bonnes nouvelles! (Montherl., Célibataires,1934, p. 792). − Arg. ,,S'éclairer le fanal. Boire un verre de vin ou d'eau-de-vie`` (Delvau 1866, p. 151). b) Devenir rare. Il faut que la forêt s'assainisse et s'éclaire, Ou par le bûcheron ou par l'incendiaire (Sully Prudh., Justice,1878, p. 277). 2. Au fig. Devenir compréhensible, dissiper les obscurités, prendre un sens. Ces ténèbres qui nous environnent ne sont pas absolument imperméables, car elles s'éclairent par endroits et l'on discerne quelques vérités (Huysmans, Cathédr.,1898, p. 410).Il fallait une explication. Dissiper les malentendus. Ensuite, tout s'éclairerait (Martin du G., Thib.,Mort père, 1929, p. 1347): 5. Plus les trouvailles de fossiles humains se multiplient, plus leurs caractères anatomiques et leur succession géologique s'éclairent...
Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain,1955, p. 203. Prononc. et Orth. : [eklε
ʀe] ou p. harmonis vocalique [ekleʀe], (j')éclaire [eklε:ʀ]. La tendance à fermer -ai- en [e] fermé dans l'inf. est combattue par l'infl. de la graph. et par l'anal. avec les formes fortes j'éclaire, éclaire(nt) (cf. Buben 1935, § 36). Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. xes. (Passion, éd. d'A.-S. Avalle, 201 : Cum le matins fud esclairez); ca 1100 (Roland, éd. J. Bédier, 2637 : Tuz li païs en reluist e esclairet); 2. ca 1200 « répandre la lumière (sur qqn) » (Escoufle, 4015 ds T.-L.); xiiies. [date ms.] « répandre la clarté (dans une pièce) » (Wace, Vie Ste Marguerite, ms Tours, 927 ds Mém. Antiq. Normandie, 3esérie, t. 10, p. 232); 3. ca 1220 « faire comprendre, expliquer » (G. de Coinci, éd. F. Kœnig, I Mir., 41, 244); 1667 part. passé (Molière, Le Sicilien, 11 : Vous avez l'esprit trop éclairé); 4. 1834 milit. « faire reconnaître le terrain qu'on va parcourir par des éclaireurs » (Ségur, Hist. de Nap., VI, 7 ds Littré). Du lat. pop. *exclariare, lat. class. exclarare « éclairer ». Fréq. abs. littér. : 5 164. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 7 136, b) 7 073; xxes. : a) 7 866, b) 7 355. Bbg. Chautard (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 415. − Duneton (C.). Éclairer sa lanterne. Elle. 1977, no1590, p. 39. − Gohin 1903, p. 304. − Sain. Lang. par. 1920, p. 235. − Schalk (F.). Zur Semantik von « Aufklärung » in Frankreich. In : [Mél. Wartburg (W.von)]. Tübingen, 1968, t. 1, pp. 251-266. |