| VRAISEMBLANCE, subst. fém. A. − Au sing. 1. [Gén. sans réf. à un cont. explicite, le plus souvent précédé de l'art. déf.] Ensemble des modèles, des règles qui constituent la logique du sens commun. Bornes, limites de la vraisemblance; souci de la vraisemblance; faute contre la vraisemblance; rester dans, en appeler à, respecter la vraisemblance; choquer, passer la vraisemblance. La vraisemblance d'après laquelle nous pouvons adopter une opinion, en faire la base de nos raisonnements, sans blesser les droits de la raison et la règle de notre conduite; sans manquer à la prudence, ou sans offenser la justice (Condorcet, Esq. tabl. hist., 1794, p. 189).[Le roseau pensant animé par une passion] se meut dans le plausible, − il se déplace − tissée par sa voix, ses gestes, sa démarche − dans une sphère de vraisemblance, de bienséance, de « comme il faut » (Gracq, Beau tén., 1945, p. 113). 2. a) Domaine concr.[Souvent accompagné d'un adj.] Caractère de ce qui, dans son aspect physique, ressemble le plus à la réalité, à la vérité. Synon. ressemblance, semblance.Vraisemblance complète, extrême, irréfutable. Il déshabilla lui-même sa femme pour lui ajuster un flanc trompeur [pour simuler une grossesse]. Dix fois de suite il changea les serviettes de place, et il s'éloignait de quelques pas afin de constater l'effet, cherchant à obtenir une vraisemblance absolue (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Hérit., 1884, p. 524).Elle se dressait à demi, la bouche ouverte, avec un geste de surprise d'une vraisemblance parfaite, irrésistible (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 86). b) Caractère de ce qui semble vrai, juste, aux yeux du sens commun. Synon. crédibilité.Discours dénué, dépourvu, plein de vraisemblance; faire admettre, renforcer la vraisemblance d'une hypothèse; ôter toute vraisemblance à un témoignage; avoir un air de vraisemblance. Ondouré obtint un succès complet; le Conseil fut convaincu: comment ne l'auroit-il pas été? Quelle liaison dans les faits! quelle vraisemblance dans les accusations! Tout se transforme en crime: pas un sourire qui ne soit interprété, pas une démarche qui n'ait un but! (Chateaubr., Natchez, 1826, p. 380).V. croyable ex. 2. − Loc. adv. Contre toute vraisemblance. Alors que cela (un état, une situation, un fait) n'est même pas possible. Alexis, la tête entre les mains, feignait de somnoler contre toute vraisemblance, car ses deux cadets s'amusaient bruyamment de tirer les oreilles du chien (Aymé, Jument, 1933, p. 74).Au delà de toute vraisemblance. D'une manière insensée, incroyable, au delà du possible. J'avais résisté de toutes mes forces, − et cette situation singulière s'était prolongée, au delà de toute vraisemblance, plusieurs jours durant (Loti, Mariage, 1882, p. 25). − [Dans une tournure impers.; pour exprimer qu'un fait est ou n'est pas concevable, envisageable dans la pensée] Il n'est pas sans vraisemblance de + inf.Il n'est pas sans vraisemblance de supposer des avions qui iraient plus vite que le son (Alain, Propos, 1922, p. 389).Il n'y a point de vraisemblance pour que + subj., il n'est pas sans vraisemblance que + subj., il paraît hors de toute vraisemblance que + subj.Il me paroissoit hors de toute vraisemblance que Nasuf pût avoir la possibilité de revenir dans ma maison me rendre la liberté (Genlis, Chev. Cygne, t. 2, 1795, p. 265).Il n'y a point de vraisemblance pour qu'un homme que je n'aime point dise toujours faux (Alain, Propos, 1929, p. 823).Il n'est pas sans vraisemblance que le cerveau de l'inventeur fonctionne souvent à la manière d'une machine interpolatrice (Ruyer, Cybern., 1954, p. 45). c) [Gén. dans un cont. sc.] Degré de vérité d'un fait, d'une théorie. Apprécier, examiner, vérifier la vraisemblance (d'un document); ajouter de la vraisemblance à/ajouter à la vraisemblance (d'une opinion); conférer une certaine vraisemblance à (une thèse); augmenter, diminuer la vraisemblance (d'une preuve); gagner, perdre en vraisemblance; (atteindre à) un maximum, un minimum de vraisemblance. La théorie de la « matière subtile » explique complètement l'expérience [de la congélation de l'eau pure] et tire de son accord avec elle une vraisemblance qui ressemble à une vérification (Metzger, Genèse sc. cristaux, 1918, p. 137).V. authenticité ex. 4. − Loc. adv. Avec (quelque, grande) vraisemblance; avec une certaine, une extrême vraisemblance; avec assez de vraisemblance. Avec plus ou moins de chance d'avoir raison. Si la Genèse (...) est, comme on peut le croire avec assez de vraisemblance, un livre égyptien plutôt qu'une création hébraïque, comment les prêtres d'Égypte, qui vivaient en communauté (...), auraient-ils manqué de symboliser cette idée essentielle dans le mythe génésiaque de l'homme ou de l'humanité! (P. Leroux, Humanité, 1840, p. 559).Le Dr Jean Vinchon suppose, avec vraisemblance, que la métapsychique avant la lettre faisait partie de l'enseignement secret de Mesmer (Amadou, Parapsychol., 1954, p. 93).Non sans (quelque) vraisemblance. Avec des chances que quelque chose se réalise, devienne vrai. Dans sa jalouse rage, la soupçonnant, non sans vraisemblance, d'envoyer et de recevoir des lettres, il jura de les intercepter (A. France, Île ping., 1908, p. 380). − Rare. [Dans une tournure impers.] Il y a peu de vraisemblance que + subj.Il y a peu de chance pour que (quelque chose se soit passé). Puisque c'est à l'initiative d'un franciscain, Richard du Mans, qu'est due la mise à l'ordre du jour de la doctrine de l'institution (...), il y a peu de vraisemblance qu'il ait cherché à provoquer la condamnation des deux illustres docteurs de son ordre, Alexandre et saint Bonaventure (Théol. cath.t. 14, 11939, p. 575). − INFORMAT. Contrôle, test de vraisemblance. « Contrôle qui, sans donner une certitude absolue de l'exactitude des données, permet de les considérer comme plausibles » (Ging.-Lauret 1973, 1982). d) Forte probabilité concernant généralement un événement futur. Il y allait pour lui de l'avenir le plus menaçant, la vraisemblance croissait à chaque minute, et toute cette foule regardait avec plus d'anxiété que lui-même cette sentence pleine de calamités qui penchait sur lui de plus en plus (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 324).Ce sont les nouvelles de ce matin qui l'ont démonté. Il a senti tout à coup la vraisemblance d'une catastrophe. Il aurait dû le sentir plus tôt (Romains, Hommes bonne vol., 1932, p. 52). − Loc. adv. ♦ En toute vraisemblance. [Par recoupement avec supra A 2 d] Avec de fortes chances d'avoir raison. [M. de Saint-Cyran] passa outre et ne ménagea plus rien de ce côté dans d'autres publications plus importantes qui remplirent les années 1632-1633, et qu'on lui attribue en toute vraisemblance (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 1, 1840, p. 321). ♦ Selon toute vraisemblance. Synon. de en toute vraisemblance (supra).Ce qu'il est intéressant de noter, ce sont les contacts d'Agrippa − et aussi, selon toute vraisemblance, de Paracelse − avec des sociétés secrètes (Caron, Hutin, Alchimistes, 1959, p. 39).Synon. de certainement, sans doute*.Depuis lundi dernier − Paule étant au lit avec une grippe et une laryngite et ne devant me revenir selon toute vraisemblance, que vers le milieu de la semaine − je me suis trouvé jusqu'au retour, ce soir, de Suzanne, sans secrétaire (Du Bos, Journal, 1925, p. 330). 3. Domaine de la création littér. et artist.Accord entre ce que l'écrivain ou l'artiste exprime dans son œuvre et ce que le lecteur ou le spectateur considère comme pouvant être vrai, comme conforme à l'idée qu'il se fait de la réalité. L'école littéraire d'hier se servait, pour ses romans, des aventures ou vérités exceptionnelles rencontrées dans l'existence; tandis que l'école actuelle, ne se préoccupant que de la vraisemblance, établit une sorte de moyenne des événements ordinaires (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Drame, 1882, p. 820).Lui [le profane] que trompe l'habileté du peintre à camoufler ses initiatives sous la vraisemblance, lui que mène son habitude de chercher seulement dans le tableau le rappel de ce qu'il a déjà vu ou la promesse de ce qu'il pourrait voir (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 76). − LITT. CLASS. Conformité d'une conduite humaine particulière avec une conduite probable, pouvant être celle du plus grand nombre. Le rapport entre le récit vraisemblable et le système de vraisemblance auquel il s'astreint est (...) essentiellement muet: les conventions de genre fonctionnent comme un système de forces et de contraintes naturelles, auxquelles le récit obéit comme sans les percevoir, et a fortiori sans les nommer (G. Genetteds Communications, 1968, no11, p. 8).La vraisemblance demande au poète de rendre la fable susceptible d'être généralisée et permet au lecteur l'effort de faire abstraction du particulier, de saisir le sens général de la fable (A. Kibédi Vargads Crit. et création littér. en France au XVIIes., 1977, p. 328). B. − P. méton. 1. Le plus souvent au plur. Ce qui est ou ce qui rend vraisemblable. On est persuadé que les recherches que M. de La Pérouse doit faire dans cette partie [concernant les îles Salomon], établiront comme une vérité ce qui n'est présenté ici que comme une vraisemblance [l'identité des découvertes de Mendana en 1567 et de Surville en 1769: les îles Salomon] (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. 119).Tout ce qui ne se résout qu'en paroles, lesquelles ne se résolvent elles-mêmes qu'en opinions, en doutes, en controverses, ou en simples vraisemblances (Valéry, Variété IV, 1938, p. 231). − Rare. [Avec un compl. prép. précisant une appartenance] Rien dans son esprit qu'une sorte de passivité foudroyée, une sensation d'assommé, une perte brusque de toutes les vraisemblances de la vie (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 219). 2. Au plur. a) Ensemble des éléments qui font croire à la forte probabilité d'un événement. Mon père est extrêmement tranquille (...). Votre migraine m'a fait plus de mal que je n'en vois ici. Toutes les vraisemblances sont donc pour mon retour mercredi chez moi (Staël, Lettres div., 1794, p. 566). − Loc. adv. Suivant toutes vraisemblances; selon toutes les vraisemblances. Nous nous couchions ensemble, lui pour se lever plus glorieux, moi, selon toutes les vraisemblances, pour ne me réveiller jamais (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 424).D'ailleurs, l'exclusion dont nous étions l'objet devait, suivant toutes vraisemblances, entraîner une démonstration qui serait à notre avantage (De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p. 80). b) Règles de la morale, du comportement qui satisfont la logique du sens commun. Synon. bienséances (v. bienséance), convenances (v. convenance).Il arrive un jour où le mari trompé est obligé, la mort dans l'âme, de se fâcher par souci des vraisemblances et de sa dignité personnelle (Jankél., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 176). Prononc. et Orth.: [vʀ
εsɑ
̃blɑ
̃:s]. Ac. 1694. 1718: vray-semblance; 1740: vrai-semblance; dep. 1762: vraisemblance. Étymol. et Hist. 1. Ca 1358 (P. Varin, Arch. administratives de la ville de Reims, t. 3, p. 125: présomption et vraisemblance que...); 2. 1660 arts (Corneille, Examen (de Mélite) ds
Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 2, p. 14: [le poëte] qui force un peu la vraisemblance pour observer les règles de son art). De vrai* et semblance* (d'apr. le lat. verisimilitudo « id. », de verus « vrai » et similitudo « ressemblance, similitude, image ressemblante »). Fréq. abs. littér.: 409. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 617, b) 309; xxes.: a) 409, b) 799. Bbg. Kibédi Varga (A.). La Vraisemblance. Critique et création littér. en France au 17es. Paris, 1977, pp. 325-332. |