| VISION, subst. fém. A. − 1. PHYSIOL., MÉD. Perception par l'œil de la lumière, des couleurs, des formes; ensemble des mécanismes physiologiques par lesquels les radiations lumineuses reçues par l'œil déterminent des impressions sensorielles de nature variée. Sens de la vision; appareil, mécanisme, organes, phénomènes, physiologie de la vision; atteinte, fatigue, troubles de la vision. Les myopes seuls connaissent le contraste prodigieux qu'il y a entre la vision confuse et la vision nette (Amiel, Journal, 1866, p. 213).Il y a aussi une vision passive, sans regard, comme celle d'une lumière éblouissante (...) où la lumière cesse d'être lumière pour devenir douloureuse et envahir notre œil lui-même (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p. 364). − [Avec adj. relatif à] V. cône ex. 4,
œil ex. 1. ♦ [l'organe, la partie d'organe en cause] Vision binoculaire, monoculaire. L'analyse rétinienne de l'image est (...) beaucoup plus fine au niveau de la tache jaune, donc au centre de la rétine vision centrale, que sur ses bords vision périphérique (Camefort, Gama, Sc. nat., 1960, p. 247). ♦ [l'intensité de la lumière] Vision nocturne. Vision diurne ou photopique. V. phot(o)-1B 5. ♦ [la distance de l'objet perçu] Vision éloignée, proche, rapprochée. La pupille ne laisse pénétrer dans l'œil, provenant des points lumineux, que des faisceaux étroits (...). D'où une diaphragmation maximum en lumière forte et en vision rapprochée (Camefort, Gama, Sc. nat., 1960, p. 243). ♦ [l'impression reçue] Vision stéréoscopique. ,,Perception visuelle des objets en relief, qui constitue le troisième degré de la vision binoculaire`` (Méd. Biol. t. 3 1972). Vision télescopique. ,,Perception visuelle caractérisée par un champ visuel réduit et un fort grossissement apparent des objets rapprochés`` (Mill. Vision 1981). ♦ [la sensibilité aux couleurs] Vision achromatique (ou achromatopsie); vision dichromatique (ou dichromatisme); vision dyschromatopsique; vision chromatique, colorée. Les tests de confusion [des couleurs]. (...). Fond et chiffres ont des couleurs nettement différentes pour un sujet normal, mais ces couleurs apparaissent comme voisines à un sujet à vision chromatique anormale (Lar. méd.1987). − Angle de vision. V. angle ex. 22.Champ de vision. V. champ1II B 2 ex. de Merleau-Ponty. 2. Action, fait de voir. Du bas de l'étroite rue surgit, sans ralentir, une automobile. L'averse gênait sans doute la vision du chauffeur (Billy, Introïbo, 1939, p. 195).Jean Cocteau utilise très judicieusement une partition de Vivaldi qui est censée prédisposer le spectateur à la vision du film (Samuel, Art mus. contemp., 1962, p. 765). − [P. méton.] D'autres univers, que la vision perçante du télescope commence à saisir dans les inaccessibles profondeurs de l'immensité (Flammarion, Astron. pop., 1880, p. 92). 3. P. méton. Ce qui s'offre à la vue. Vision charmante, délicieuse, enchanteresse, familière, fascinante, féerique; vision fugitive, furtive, inoubliable; vision abominable, affreuse, atroce, effroyable, fantomatique, terrifiante; vision d'apocalypse, d'enfer, d'horreur; vision décorative, plastique. Brusquement, le régiment venait d'avoir la première vision poignante de la guerre: un horizon en flammes. Les Allemands étaient là. Cette ligne de feu, c'était eux (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 41): La gorge en feu, hantés par la vision des boissons fraîches qui coulaient à toutes les terrasses de la place Clichy, les crieurs de journaux offraient leur marchandise d'une voix harassée et regardaient avec dégoût la foule de six heures se presser sur les trottoirs brûlants.
Aymé, Mais. basse, 1934, p. 258. − En partic. Vision animée. Film. Un compositeur doit pouvoir s'exprimer lyriquement dans le cadre illimité du cinéma. Pour un art immatériel comme la musique, la vision animée est seule, en effet, à fournir une ambiance et des décors appropriés aux suggestions du musicien (Arts et litt., 1935, p. 78-7). 4. PARAPSYCHOLOGIE a) Vision à distance. Vision d'un objet qui n'est pas présent. L'existence de la « vision à distance » est une faculté humaine restée jusqu'ici dans le vague. En tant que physiciens étudiant les phénomènes dits paranormaux, nous sommes avant tout des scientifiques (Le Point, 2 oct. 1978, p. 175, col. 1). b) P. méton. Objet non présent qui s'offre à la vue. À côté de la table, en face de la tasse, se trouve un fauteuil en osier dont je n'aperçois que le dossier. Cette vision disparaît et reparaît comme la première fois; la première chose que j'aperçois c'est la tasse très éclairée. Ce doit être une image vue par moi il y a quelques années, car le fauteuil fut en notre possession il y a quatre ans (Warcollier, Télépathie, 1921, p. 58). B. − Au fig. 1. a) Action, fait de percevoir, de se représenter en esprit une réalité concrète ou abstraite. Méthode, mode, plan de vision. La connaissance est une vision intellectuelle. Pour découvrir il suffit à notre esprit de regarder; le savant ne crée pas le fait, il le constate (Gds cour. pensée math., 1948, p. 230). − [Avec compl. de nom désignant l'objet de l'action] Synon. évocation, représentation.Affolée, à la brusque vision de la police, des gendarmes, de la prison préventive, des assises, elle tomba en une panique désespérée sans autre idée que de fuir (Péladan, Vice supr., 1884, p. 307).La claire vue du Bien entraîne l'acte comme la vision distincte du Vrai entraîne l'assentiment (Sartre, Sit. I,1947, p. 299). b) En partic. Vision ou vision intuitive. Synon. de intuition.Dieu, dans sa nature intime, échappe à notre esprit, puisqu'ici-bas il n'y a pas de vision intuitive de l'Essence divine et que rien de ce que nous connaissons ne peut nous donner une idée propre de l'être même de Dieu (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 1044).Vision directe de l'esprit par l'esprit (...), vision qui se distingue à peine de l'objet vu, connaissance qui est contact et même coïncidence (Bergson, La Pensée et le mouvant, 1922ds Foulq.-St-Jean 1969). 2. P. méton. a) Ce qui s'offre ainsi à l'esprit.
α) Image, représentation mentale d'une réalité. Vision aiguë, confuse, douce, obsédante, soudaine; vision qui renaît, surgit, se précise, se brouille, se dissipe, s'efface, s'éloigne, s'évanouit; être assailli, frappé, tourmenté par une vision; chasser une vision. − [La vision concerne le présent, le passé ou le futur] On (...) sentait encore [dans les villas fermées] comme un frémissement, une chaleur de vie, et par moments, au tournant des allées, j'avais des visions de chapeaux de paille, d'ombrelles tendues (A. Daudet, R. Helmont, 1874, p. 63).Dans une vision extraordinairement prophétique, Chevalier montrait la pénétration des grandes voies ferrées des principaux ports vers l'intérieur (Pineau, S.N.C.F. et transp., 1950, p. 110).
β) Souvent au plur. − Représentation mentale imaginaire, souvent pathologique. Synon. fantasme, mirage, hallucination.Le récit de Dante, comme son poëme, témoigne d'une hallucination continue: il s'évanouit, les visions l'assaillent, son corps devient malade (Taine, Voy. Ital., t. 2, 1866, p. 26).Si je classe les voix et les visions de mon interlocuteur parmi les hallucinations, c'est que je ne trouve rien de pareil dans mon monde visuel ou auditif (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p. 389).V. hallucination A ex. de Sand. ♦ [Avec adj. ou compl. de nom désignant] [la nature de vision] Le caractère de la maladie semble avoir changé. Les visions d'épouvante ont cessé. Maintenant c'est la douleur atroce toute pure (Bloy, Journal, 1906, p. 291).[l'origine, la source de la vision] Visions nocturnes; visions du sommeil; visions de la fièvre, de la folie; vision de l'opium. Un régisseur, avec une canne, range des bataillons de danseuses, des légions de figurants; il a l'air d'un caporal qui commanderait à une légende, aux visions d'un songe (Goncourt, Journal, 1863, p. 1275).[le sujet] Ivresse d'opium et vision de fou, Où les récipients, matras, siphons et pompes, Allongés en phallus ou tortillés en trompes, Prennent l'air d'éléphants et de rhinocéros (Gautier, Albertus, 1833, p. 128). ♦ [Avec un nom propre désignant un aut.] J'avais cru saisir la série de toutes mes existences antérieures (...). Ce serait le Songe de Scipion, la Vision du Tasse ou la Divine Comédie du Dante, si j'étais parvenu à concentrer mes souvenirs en un chef-d'œuvre (Nerval, Filles feu, Dédic. à A. Dumas, 1854, p. 494).La beauté (...) est aussi dans les calculs de Galilée, dans les visions de Dante, dans les expériences de Pasteur, dans le lever du soleil sur l'océan (Carrel, L'Homme, 1935, p. 155). − Loc. verb., pop., fam. Avoir des visions. Déraisonner, perdre la tête. Synon. avoir la berlue.Visez, les gars, un poilu qui saute, hurlait Vairon avec des gestes désarticulés. − T'as des visions, ripostait Lemoine, jaloux de n'avoir rien vu, c'est un rondin (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 45). b) Vision intérieure. Esprit, conscience. Ce souvenir (...) occupait tout le champ de ma vision intérieure (Proust, Fugit., 1922, p. 491). C. − P. ext. 1. a) Manière de voir, d'appréhender par l'œil ou par l'esprit, une réalité concrète ou abstraite. − [Sens actif] Rien ne demeure [dans les souvenirs d'enfance] que certains reflets de réalité agrandie et transformée par un cerveau tout jeune à qui le monde est nouveau. Les enfants, avec leur vision spontanée, singulière, incomplète et par là personnelle, sont de grands impressionnistes sans le savoir (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 170).Voyage, me disait Persicaire. Si tu changes sans bouger, autour de toi les objets se déplacent et les êtres. Dans le voyage, sais-tu si ta vision est neuve ou simplement nouveau ce que tu regardes? (Cocteau, Potomak, 1919, p. 55). − [Sens passif] Vision de la vie, des choses; vision lucide d'une situation; vision théorique d'un problème. Chesterton a pu dire qu'il n'y a rien de plus romanesque que la vision catholique du monde (Massis, Jugements, 1923, p. 272). b) ARTS, PEINT. Manière d'appréhender la réalité et, p. ext., manière de la rendre sur la toile. Vision picturale; vision forte, franche, large, vraie, rapide, superficielle; vision juste de la couleur; acuité, finesse, originalité, simplicité, sincérité de la vision. Ces toiles [de Seurat] sont plutôt des exemples raisonnés que des œuvres d'intuition et de vision spontanée (Mauclair, Maîtres impressionn., 1923, p. 189).La vision souveraine des plus grands peintres, c'est celle des derniers Renoir, des derniers Titien, des derniers Hals − semblable à la voix intérieure de Beethoven sourd − la vision qui veille en eux quand ils commencent à devenir aveugles (Malraux, Voix sil., 1951, p. 278). 2. Chose vue ou réalité perçue telle qu'elle est représentée par un auteur, un artiste. Vision esthétique, scénique. J'ai toujours adoré les contes et (...) je me grisais délicieusement du délicat opium de cette histoire de fées, une des plus poétiques visions du conteur Andersen (Lorrain, Sens. et souv., 1895, p. 180). D. − Spécialement 1. a) PHILOS. Vision en Dieu. ,,Doctrine de Malebranche, d'après laquelle l'homme ne connaît pas directement les choses créées ni les lois qui les régissent, mais seulement l'idée de ces choses ou de ces lois, qui est en Dieu, à qui seul il est immédiatement uni`` (Lal. 1968). Convaincu que nous ne pouvons avoir aucune idée de l'infini, Malebranche recourt à la fois au fidéisme et à la vision en Dieu (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 780). b) THÉOL. Fait de voir Dieu. Vision mystique; vision face à face. Swedenborg (...) donna pendant sa vie plusieurs preuves de la puissance de vision acquise à son être intérieur (Balzac, L. Lambert, 1832, p. 104).La béatitude éternelle (...) consiste dans la vision de Dieu (Green, Journal, 1948, p. 150). ♦ Vision béatifique* ou intuitive*. − [La vision, attribut de Dieu] Dieu avait dans sa propre nature l'exemplaire d'une double vision, la vision intuitive et la vision idéale. Présent à lui-même par la vision intuitive, il découvrait par la vision idéale les choses qu'il devait un jour créer (Lacord., Conf. N.-D., 1848, p. 141). 2. a) Représentation d'ordre surnaturel apparaissant aux yeux ou à l'esprit. Vision des prophètes; vision de l'apocalypse. Ébloui comme par une vision céleste, il tomba sur ses deux genoux (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 768).Or, pendant son sommeil, elle eut une vision. La Vierge Marie lui apparut tenant l'Enfant Jésus dans ses bras (A. France, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 41).V. apparition ex. 1. b) Personnage apparu comme dans une vision. Gwynplaine voyait descendre vers lui (...) une blanche nuée de beauté ayant la forme d'une femme (...) et cette apparition, presque nuage, et pourtant femme, l'étreignait, et cette vision l'embrassait (Hugo, Homme qui rit, t. 2, 1869, p. 70). Prononc. et Orth.: [vizjɔ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1remoit. xiies. visiun « perception d'une réalité surnaturelle » (Psautier d'Oxford, éd. F. Michel, LXXXVIII, 19); 2. ca 1170 « ce que l'on voit, chose perçue » (Rois, éd. E. R. Curtius, I, III, 1, p. 9); 3. 1601 « représentation imaginaire » (P. Charron, De la sagesse, l. 1, chap. 18, pp. 123-124); 4. 1657-59 « idée folle, extravagante » (Tallemant Des Reaux, Historiettes, éd. Mongrédien, I, 210); 5. 1610 avoir des visions (en dormant) (Beroalde de Verville, Le Moyen de parvenir, éd. H. Moreau, A. Tournon, p. 235); 1680 avoir des visions « avoir des chimères dans l'esprit » (Rich.). B. 1. 1269-78 « action de voir » (Jean de Meung, Rose, éd. F. Lecoy, 8892); 2. a) 1561 « mécanisme physiologique par lequel les stimuli lumineux donnent naissance à des sensations » (Paré, Introd. à la chirurgie ds
Œuvres, éd. J.-Fr. Malgaigne, t. 1, p. 57); b) 1863 vision binoculaire (Littré, s.v. binoculaire); c) 1919 cin. première vision « première projection publique d'un film » (C.F., 12 avr. ds Giraud 1956); 3. 1515 théol. cath. « manière de voir ou de connaître Dieu » (Jean Marot, Epistre des dames de Paris au roy François ds
Œuvres, t. 4, p. 220, éd. de 1731); 1690 vision béatifique, vision intuitive (Fur., s.v. béatifique et intuitif); 4. 1834 « façon de voir, de concevoir un ensemble de choses complexes » (Balzac, Rech. absolu, p. 540); 1841 vision de l'avenir (Id., U. Mirouët, p. 147). Empr. au lat.visio « action de voir, vue », « ce qui se présente à la vue, image, simulacre des choses », « action de voir par l'esprit, de concevoir », « idée perçue, conception, point de vue ». Fréq. abs. littér.: 3 448. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2 093, b) 3 842; xxes.: a) 7 583, b) 6 258. Bbg. Lucius (H.). La Litt. visionnaire en France... Thèse, Paris, 1970, p. 21-25, 43-53, 111-117, 139-156; 185-194, 221-226. − Mat. 16e1988, p. 231. − Merk (G.). Les Héritiers et les substituts du suff. lat. -tione en Gallo-Romania. Thèse, Strasbourg, 1978, pp. 177-179, 1325; Mots fantômes ou obscurs: dat. douteuses. R. Ling. rom. 1980, t. 44, p. 268. − Quem. DDL t. 25. |