| VIOLENCE, subst. fém. A. − 1. a) Force exercée par une personne ou un groupe de personnes pour soumettre, contraindre quelqu'un ou pour obtenir quelque chose. L'homme de bonne foi supporte la contradiction parce qu'elle seule fait naître l'évidence. La violence est l'argument du mensonge (Volney, Ruines, 1791, p. 112).Où commence la contrainte? Elle ne consiste pas seulement dans l'emploi direct de la violence; car la violence indirecte supprime tout aussi bien la liberté. Si l'engagement que j'ai arraché en menaçant quelqu'un de la mort, est moralement et légalement nul, comment serait-il valable si, pour l'obtenir, j'ai profité d'une situation (...) qui mettait autrui dans la nécessité de me céder ou de mourir? (Durkheim, Divis. trav., 1893, p. 376). − DR. CIVIL. Contrainte illicite exercée sur quelqu'un pour obtenir quelque chose avec son consentement. La violence est une cause de nullité du contrat (Code civil, 1804, art. 1113, p. 202). − DR. INTERNAT. Emploi de la force ou d'une contrainte menaçante exercée contre un État pour obtenir de lui un consentement, en rupture avec les principes du droit international. La manœuvre de dissuasion pourrait se jouer sur un clavier de violence plus étendu, mais la technique serait la même: menaces radicales, actions limitées destinées à prouver la détermination de faire plier l'adversaire et recherche constante du compromis (Beaufre, Dissuasion et strat., 1964, p. 78). − DR. PÉNAL. ,,Fait d'agir sans le consentement de la personne intéressée`` (Cap. 1936). Attentat à la pudeur avec violence (Cap. 1936). b) POL. Usage de la force dans la contestation sociale, dans la répression des conflits. Anton. non-violence.Tantôt on emploie les termes force et violence en parlant des actes de l'autorité, tantôt en parlant des actes de révolte. (...) il faudrait réserver le terme violence pour la deuxième acception; nous dirions donc que la force a pour objet d'imposer l'organisation d'un certain ordre social dans lequel une minorité gouverne, tandis que la violence tend à la destruction de cet ordre. La bourgeoisie a employé la force depuis le début des temps modernes, tandis que le prolétariat réagit maintenant contre elle et contre l'État par la violence (Sorel, Réflex. violence, 1908, p. 256). 2. P. méton., gén. au plur. a) Acte(s) d'agression commis volontairement à l'encontre d'autrui, sur son corps ou sur ses biens. Violences sexuelles. Bien que le Duc eût interdit les violences contre les personnes, rien ne put arrêter la rudesse des Flamands: ils enfonçaient les portes des églises où s'étaient réfugiées les femmes; ils emportaient tout dans leurs tentes et sur leurs charrettes, emmenant même des enfans pour qu'on les rachetât (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 3, 1821-24, p. 226).Rappart (...) était un individu sans éducation, violent, querelleur, ivrogne (...); il ne commettait que violences et cruautés (A. France, Pt Pierre, 1918, p. 75). − DR. PÉNAL. ,,Acte de rudesse volontairement commis aux dépens d'une personne`` (Cap. 1936). ♦ Violences graves. ,,Violences envers les personnes dont l'importance est suffisante pour faire une vive impression sur un individu, qui, sous l'influence de ces violences, est amené à commettre, sans la liberté d'esprit nécessaire pour agir avec réflexion, un meurtre ou des coups et blessures sur la personne du provocateur`` (Cap. 1936). Violences légères. ,,Violences volontaires envers les personnes, considérées comme trop peu graves pour être assimilées aux coups et blessures`` (Cap. 1936). b) POL. Ensemble des actions qui témoignent d'un conflit ouvert; émeute, guerre. M. de la Fayette ne supportait pas l'idée que l'on attribuât même les violences populaires à ce qu'on pouvait appeler une conspiration (Staël, Consid. Révol. fr., t. 1, 1817, p. 277).Une manifestation formidable est en préparation à Shanghaï et à Pékin pour la commémoration des violences injustes exercées par les impérialistes étrangers et l'affirmation de la liberté chinoise (Malraux, Conquér., 1928, p. 19). c) Ensemble d'actes, d'attitudes qui manifestent l'hostilité, l'agressivité entre des individus. Elle mit ses sabots et cria dans le vent: − Ah! Dieu de Dieu! en voilà une morveuse qui peut se flatter de nous faire tourner en bourrique! Chanteau resta paisible. Il était accoutumé aux violences de cette fille (Zola, Joie de vivre, 1884, p. 808).Laure redoutait l'époque des vacances, préférant le couvent et son calme, car, si Pierre Malaussène supportait les violences de sa femme, Laure, qui, par maints côtés, n'était pas sans ressembler à sa mère, était toujours au bord de la rébellion (Daniel-Rops, Mort, 1934, p. 9). − En partic. Violences de langage, violences verbales. Excès de langage. M. Staempfli et ses collègues ont toujours été se tempérant, se calmant et tandis que M. Druey, de son côté, désavouait à demi ou expliquait ses violences de langage, le 1erjuin finissait par arriver (Gobineau, Corresp.[avec Tocqueville], 1850, p. 142).Ses violences verbales s'accrurent. « J'étais libre et net. Je nettoierai cette glu. » La petite déesse insultée, le regarda (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 63). 3. Expressions ♦ Faire violence à qqn. Obtenir quelque chose de quelqu'un contre son gré, par la persuasion, la contrainte morale ou la force brutale. Il fallait lui faire violence pour lui faire prendre quelques aliments. Il voulait se laisser mourir de faim (Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 700).Cette publicité (...) est certainement critiquable du point de vue de la morale dans toute la mesure où elle fait violence à la personnalité du consommateur (Univers écon. et soc., 1960, p. 12-6). ♦ Faire violence à une femme (vieilli). Violer une femme. (Dict. xixeet xxes.). ♦ Se faire violence. Agir, réagir en maîtrisant ses réactions spontanées. Son mari est-il présent (...), elle craint si elle est réservée, qu'il ne suppose qu'elle se fait violence pour ne pas faire connaître ses sentimens (Sénac de Meilhan, Émigré, 1797, p. 1805).Que de fois n'ai-je pas porté mon attention, mon étude sur telle fugue de Bach, par exemple, précisément parce que d'abord elle me rebutait; par besoin de me faire violence et guidé par cet obscur sentiment que ce qui nous contrarie (...) est aussi ce qui peut le mieux nous instruire (Gide, Journal, 1928, p. 876). ♦ Faire une douce violence à qqn. Presser quelqu'un de consentir à quelque chose qu'il refuse faiblement, ou pour se faire prier. Véronique à merveille s'entend à me faire cette douce violence: « Causer » (Jouhandeau, M. Godeau, 1926, p. 208).Iron. (Se faire) une douce violence. Accepter quelque chose avec plaisir après une résistance de principe. Et le Christ cède à cette douce violence, et s'il se fait prier, (...) c'est qu'il veut enseigner ainsi que tout ce qu'il accorde, il ne l'accorde que par l'entremise de sa Mère (Huysmans, Oblat, t. 1, 1903, p. 290). ♦ Au fig. Faire violence à qqc. Forcer quelque chose. Je n'ai jamais fait violence à la liberté de personne et ne compte pas commencer ce soir (Green, Journal, 1934, p. 253).En partic. Faire violence à un texte, à une loi. Forcer le sens d'un texte, d'une loi. Synon. dénaturer, trahir.Que cette législation et cette prédication soient, dans la bible même, séparables d'une foi religieuse et d'une fidélité à une force surnaturelle, c'est ce qu'on ne peut admettre sans faire violence aux textes (Weill, Judaïsme, 1931, p. 152). ♦ Souffrir violence. Exiger beaucoup d'efforts. La liberté est comme le royaume de Dieu; elle souffre violence, et les violents la ravissent (Lamennais, Paroles croyant, 1834, p. 179). 4. Disposition d'un être humain à exprimer brutalement ses sentiments; le comportement qui la manifeste. Synon. agressivité, fougue, emportement.Violence maladive, sauvage, terrible; accès, degré, scène de violence; attaquer, battre, jeter, saisir avec violence. Beaucoup de violence dans les enfants. Ils boxent avec fureur. Un enfant bat son chien, la sœur bat sa petite sœur qu'elle porte. Population mobile, violente, minée, mais non pas gaie comme la nôtre. Il y a ici une triste ivresse pour ceux qui n'y ajoutent pas celles des liqueurs fortes (Michelet, Journal, 1834, p. 136). − Comportement brutal, emporté d'une personne. Alors, il perdit la tête, il cria, secoué de colère contenue: − Eh bien! allez en face! (...) Ce fut une stupeur. La violence du patron les avait tous saisis. Il restait lui-même effaré et tremblant de ce qu'il venait de dire (Zola, Bonh. dames, 1883, p. 609).Hormis sa folie antisémite, qui dénote, chez Joseph, une grande violence et le goût du sang, il est plutôt réservé sur toutes les autres choses de la vie (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 172). ♦ P. méton. Expression de la brutalité, d'un comportement brutal. L'art assyrien est d'une violence inouïe: ce ne sont que lions égorgés, combattant et mourant les muscles bandés, les crocs en bataille, les griffes ouvertes, têtes et mains coupées, flèches volantes, vautours sur les cadavres en lambeaux (Arts et litt., 1935, p. 64-18). − P. ext. ♦ Force et rapidité. « (...) − Si tu ne peux pas supporter la vérité, ne m'oblige pas à te la dire », dit Henri en repoussant sa chaise avec violence (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 262). Une portière ne doit pas être claquée avec violence pour fermer (Chapelain, Techn. automob., 1956, p. 361). ♦ Manière forte, agressive, provocante d'exprimer, de traduire. Violence d'un style, du débat. Je regarde cela [des albums d'obscénités japonaises] en dehors de l'obscénité, qui y est et qui semble ne pas y être (...). La violence des lignes, l'imprévu de la conjonction, l'arrangement des accessoires (Goncourt, Journal, 1863, p. 1334).Ce que New-York a de suprêmement beau, de vraiment unique, c'est sa violence. Elle l'ennoblit, elle l'excuse, elle fait oublier sa vulgarité (...). La violence de la ville est dans son rythme (Morand, New-York, 1930, p. 275). SYNT. Violence antisémite, aveugle, calculée, désespérée, insurrectionnelle, légale, populaire, prolétarienne, raciale, révolutionnaire, théorique; violence d'état; haine et violence; force et violence; l'injustice et la violence; emplis de la violence; exercer, supporter la violence; recourir à la violence. B. − Intensité d'une conviction; puissance, force d'un sentiment, d'une pulsion. Synon. véhémence.Critiquer avec violence. L'idée de me trouver seul, sans appui, sans guide dans la vie me donnait des terreurs secrètes dont la violence serait difficile à exprimer (Delécluze, Journal, 1827, p. 466).Il s'était prononcé avec violence contre toute prolongation du service militaire (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 113). − Violence de.Caractère irréversible, insurmontable de. Violence de l'amour, du désir, de la douleur, du désespoir. Il connoît Malek Adhel, l'impétuosité de son courage et la violence de ses passions (Cottin, Mathilde, t. 2, 1805, p. 173).Mon corps, à la fois objet pour autrui et sujet pour moi. La violence du plaisir sexuel ne suffirait pas à expliquer la place que tient la sexualité dans la vie humaine (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p. 195). C. − 1. Force excessive, brusque et impétueuse. Synon. fougue.Violence extraordinaire, inaccoutumée, naturelle, soudaine; grande violence; être d'une violence extrême; redoubler de violence. La fumée sortait avec violence par les deux fenêtres au-dessus de l'écurie, et le toit était couvert d'une fumée noire qui tourbillonnait (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 68).L'île de Pantelleria (dont le nom semble inventé par Rabelais) est tombée hier soir après un bombardement d'une violence inouïe (Green, Journal, 1943, p. 45). − [À propos d'un élément naturel] Violence de la tempête, du vent. En janvier, les froids revinrent avec violence. Puis la neige couvrit la terre (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Prem. neige, 1883, p. 417).Il y en a une [une énergie du passé] (...) qui travaille encore avec une force à peine amortie, c'est l'érosion. Exaspérée par la violence du climat et le bas niveau de la vallée, elle s'exerce surtout sur le flanc que lui oppose le Massif central (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr., 1908, p. 272). − Violence de.Caractère puissant et brutal de. Violence du choc, du coup, de la crise. Scolastique recula, incertaine. Sous la violence des gifles, sa coiffe s'était déplacée (Queffélec, Recteur, 1944, p. 61).On redoutait la violence de l'explosion produite par l'acétylène (Tinard, Automob., 1951, p. 362). 2. Caractère d'une matière qui produit un effet puissant, rapide et brutal. Violence d'un poison. Elle passait pour une effrontée courtisane, offrant son amour à tout venant. Mais malheur à qui l'écoutait! la violence de son parfum endormait ses amants sur son cœur, et pas un ne se réveillait (Murger, Nuits hiver, 1861, p. 204). Prononc. et Orth.: [vjɔlɑ
̃:s]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1215 [ms. xiiie-xives.] « par la force » (Recueil d'actes, Tailliar, p. 50); spéc. 1446 « viol » violences de pucelles (J. Meschinot, Les Lunettes des princes, éd. Chr. Martineau-Genieys, 1446); 2. a) 1314 « action d'une force non contenue » (Chirurgie de Henri de Mondeville, éd. Ch. Bos, § 714: que les fassies puissent estre ostees sans violence); b) 1559 « acte brutal » (Amyot, Pompée, 17 ds Littré); 3. a) 1538 faire violence à qqn « le contraindre à quelque chose en abusant de sa force » (Est., s.v. vis); 1637 se faire violance pour « se contenir » (N. Peiresc, Lettres, t. 4, p. 161); b) p. ext. 1624 (J. Du Lorens, Premieres Satires, p. 24: faire violences aux lois de la nature); 1625 (G. Naudé, Apologie pour grand hommes, p. 232: ne me semblent moins faire de violence à sa doctrine); 4. a) 1600 « force irrésistible et néfaste d'une chose » (Olivier de Serres, Théatre d'agriculture, p. 756); b) 1607 violence des vices (P. de Charron, De la Sagesse, Trois livres, p. 278); c) 1609 « expression naturelle de l'expression brutale des sentiments » (Berthelot, Satires, p. 325: avec violence, l'orateur blasme l'insolence du courtisan). Empr. au lat.violentia « caractère violent, emporté », « force violence », dér. de violentus, v. violent. Fréq. abs. littér.: 4 385. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 5 815, b) 4 731; xxes.: a) 7 237, b) 6 798. Bbg. Faye (J.-P.). Dict. pol. portatif en cinq mots. Paris, 1982, 274 p. |