| VICTIME, subst. fém. A. − RELIGION 1. ANTIQ. Animal ou être humain offert en sacrifice à une divinité. Alors à Romulus, pour le rendre propice, Le prêtre quirinal offrit un sacrifice. La victime choisie était devant l'autel, Le poil déjà couvert de farine et de sel (Ponsard,Lucrèce,1843, IV, 1, p. 71).Cette jeune victime aisément égorgée Dont le sang pur coula pour qu'Hellas fût vengée (Leconte de Lisle, Poèmes trag., 1886, p. 179).V. autel ex. 1. SYNT. Victime expiatoire, propitiatoire; victime humaine; victime innocente, résignée, triste; pure, touchante victime; victime choisie, couronnée, désignée, marquée, pure et sans tache; cri, sang de la victime; égorger, frapper, immoler, offrir, sacrifier une victime; examiner les entrailles de la victime. − P. métaph. La fille méprisée et perdue, c'est l'argile docile au doigt du potier divin; c'est la victime expiatoire et l'autel de l'holocauste (A. France, Lys rouge, 1894, p. 202). 2. RELIG. CHRÉT. Jésus-Christ offert en sacrifice sur la croix et présent par l'eucharistie dans le sacrifice de la messe. Victime parfaite; Jésus-Christ prêtre et victime. Pendant la messe elle cherchait à témoigner par des actes d'humilité extérieure la tendre reconnaissance que lui inspirait le sacrifice toujours renouvelé de la Victime innocente et suprême (Montalembert, Ste Élisabeth, 1836, p. 66).V. sacrifice ex. 1. − P. anal. Personne qui s'offre à Dieu dans le martyre, dans une vie religieuse de renoncement, d'expiation. Mon père, me sentant pressée d'un ardent désir de me sacrifier à Dieu, en qualité de victime en union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ (...), je vous demande humblement la grâce du saint habit (Huysmans, En route, t. 1, 1895, p. 204). B. − P. ext. [Souvent sans art. et en appos. ou en empl. adj. attribut] Personne qui est sacrifiée ou qui se sacrifie. Pauvre, pitoyable victime. Le prêtre n'eut plus de pitié pour le bourreau, pour Lucien, il frémit en devinant tous les supplices subis par les victimes (Balzac, Illus. perdues, 1843, p. 647). − P. anal. [Désigne des animaux] Le lion s'élance sur sa victime. Un Hyménoptère paralyseur va frapper sa victime aux points précis où se trouvent des centres nerveux (Bergson, Évol. créatr., 1907, p. 147). 1. Victime de qqn.Personne qui souffre du fait de quelqu'un, qui subit la méchanceté, l'injustice, la haine de quelqu'un. Victime d'un banquier frauduleux, d'un escroc, d'un homme vil, de la société, d'un tyran. Paul vaincu par Dargelos, Paul victime de Dargelos, n'était pas le Paul dont Gérard était l'esclave (Cocteau, Enfants, 1929, p. 33).V. bourreau2ex. 2. 2. Victime de qqc. a) Personne qui subit les conséquences fâcheuses ou funestes de quelque chose, des événements, des agissements d'autrui. Si Dreyfus était la victime d'une erreur judiciaire, on en a, dans ces derniers temps, relevé assez d'autres pour qu'il n'y eût pas lieu de s'étonner (Clemenceau, Iniquité, 1899, p. 95).Vous dites qu'il n'y a pas de mal. Il y a pourtant celui qu'on subit, celui dont on est victime. − Ceux qui sont victimes ont-ils su vraiment faire ce qu'il fallait pour ne pas l'être? (Daniel-Rops, Mort, 1934, p. 152). SYNT. Victime d'un abus, des circonstances, du chômage, d'une calomnie, du despotisme, de la fatalité, d'une méchanceté, d'une méprise, de privations, du progrès, de sévices, du sort; (être) victime d'une attaque, d'une injustice, d'une machination, d'un malaise, d'une violation des droits de l'homme, d'un vol. b) Personne qui subit les conséquences fâcheuses de ses actes, de sa propre nature ou de ses propres passions. (Être) victime d'une hallucination, d'une illusion, de son imprudence, d'une passion; (être) victime de sa charité, de sa douceur, de sa bonne foi, de sa sensibilité. Un de mes grands-pères mourut victime de son dévouement dans la maladie épidémique qui désola Lyon en 1748 (Duras, Édouard, 1825, p. 107).Si vous n'arrivez pas à vous acquitter envers moi, eh bien!... ce ne sera point la première fois que j'aurai été victime de mon bon cœur (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 213). c) Personne qui est sacrifiée ou qui se sacrifie à une cause, à un idéal, à un intérêt supérieur. Synon. martyr.Victime de la science. « Les Anglais, » écrit-il [Stendhal], « sont victimes du travail... Ce malheureux ouvrier, ce paysan qui travaille, n'ont pour eux que le dimanche (...) » (Bourget, Essais psychol., 1883, p. 238). ♦ Victime du devoir. Personne qui périt dans l'exercice de ses fonctions, en accomplissant son devoir. Gendarme, pompier victime du devoir. La presse, elle aussi, compte ses héros, victimes du devoir: le devoir professionnel, le premier de tous les devoirs (G. Leroux, Myst. ch. jaune, 1907, p. 125). 3. Personne soumise à des vexations; personne en butte à l'hostilité réelle ou supposée de quelqu'un. Synon. souffre-douleur.Éternelle victime; victime complaisante, éplorée; rôle, vocation de victime; être la victime et le jouet de qqn; avoir l'air d'une victime; prendre un air de victime; jouer à la victime; poser qqn en victime; prendre qqn pour victime. Au XIXesiècle, la femme est une victime. Elle est méconnue, elle est martyre (Goncourt, Ch. Demailly, 1860, p. 251).[Cathie] s'entoura d'hommes pour se prouver qu'elle était femme et désirable... Il lui fallait à tout prix des amoureux, des victimes (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 162). ♦ Se poser en victime (fam.). Se prétendre traité avec injustice. V. poser I D 1 ex. de Duhamel. C. − 1. Personne qui a péri, a été tuée ou blessée dans des circonstances exceptionnelles. Faire une, des victime(s); sauver des victimes. a) [Par violence, sévices, assassinat] Victime d'un crime, d'un guet-apens, d'un meurtre, d'un viol; corps de la victime; examen médical, témoignage de la victime. La face de sa victime était verdâtre et convulsionnée, telle qu'il l'avait aperçue sur une dalle de la morgue (Zola, Th. Raquin, 1867, p. 140).Un valet la souilla (...). Un épouvantable procès eut lieu et révéla que depuis trois mois la pauvre martyre était victime des honteuses pratiques de cette brute (Maupass., Contes et nouv., t. 2, MmeBaptiste, 1882, p. 355).V. blesser ex. 2. b) [Par accident, catastrophe, épidémie] Victime d'un accident de la circulation, de la route, du travail, d'une explosion, d'un incendie, d'un naufrage, d'un sinistre, d'un tremblement de terre; liste, nom des victimes; dégager, délivrer, désincarcérer les victimes; déplorer de nombreuses victimes; il n'y a pas eu de victime. Le déblaiement commençait à peine, on ramassait une nouvelle victime sous chaque décombre (Zola, Bête hum., 1890, p. 228).La peste mettait les bouchées doubles, portant à cinq cents le nombre moyen des victimes par semaine (Camus, Peste, 1947, p. 1289). − Empl. adj. attribut ou en appos. Être victime d'un accident. Robert vient d'être victime d'un accident d'auto; « sans gravité », dit la dépêche (Gide, École femmes, 1929, p. 1290). c) [Par faits de guerre, émeute] Victime politique; victime d'un bombardement, d'une insurrection populaire; victime tombée sous les balles; victimes du Champ-de-Mars, de la Commune, de la Révolution, du nazisme. On pleurait sur les victimes restées sur le champ de bataille (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 723).Viennent de mourir, du fait de l'ennemi, 635 000 Français, dont (...) 150 000 victimes des sévices des camps de déportation (De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p. 235). ♦ Victime de guerre. Personne qui a subi des dommages du fait de la guerre. Le droit à pension des victimes de guerre a été défini par la loi de 1919 (Bariéty, Coury, Hist. méd., 1963, p. 797). 2. HIST. DU COST. (à Paris, après le 9 Thermidor). À la victime − Loc. adj. Qui rappelle la toilette des condamnés à mort ou la marque sanglante du couperet de la guillotine. Cheveux, coiffure, ceinture, costume à la victime. Depuis l'an 3 de la république (...) les habitans de la vieille rue du Temple voyoient passer l'honnête sous-chef (...) portant un chapeau à la victime et un gilet jaune (Balzac, Annette, t. 1, 1824, p. 20).V. sacrifier ex. 3. − Loc. adv. D'une manière qui rappelle la toilette des condamnés à mort. Vous rencontriez des muscadins jusqu'à Phalsbourg, des imbéciles habillés à la victime, la cravate blanche en entonnoir jusqu'au nez, un crêpe à leur chapeau (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 367). Prononc. et Orth.: [viktim]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Ca 1485 p. méton. « sacrifice » (Mistere du Viel Testament, éd. J. de Rothschild, 10129: [Isaac à son père Abraham] Et qu'on sacrifie autrement Que par victime si terrible?), attest. isolée dans ce sens. B. 1. a) α) 1495 « créature vivante offerte en sacrifice au(x) dieu(x), à Dieu » (Jean de Vignay, Miroir historial, IX, 98, éd. 1531 ds Delb. Notes mss: quant ilz vouloient offrir olocaustes et victimes a icelluy dieu incongneu);
β) 1667 victime de propitiation, v. propitiation; 1718 victime propitiatoire (Ac.);
γ) 1684 victime expiatoire (J. Abbadie, Traité de la vérité de la relig. chrét., t. 1, p. 470); b) 1552 fig. (Ronsard, Amours ds
Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 4, p. 80: s'il te plaist de souffrir Qu'en l'immolant de victime il [ce cœur] te serve); c) 1642 en parlant de Jésus-Christ (Corneille, Polyeucte, V, 3, vers 1662); 2. 1604 « personne tuée ou blessée (par accident, crime, cataclysme, guerre, etc.) » (Montchrestien, David, éd. L. Petit de Julleville, p. 217: victime de la guerre il tombe sur le sable); 1870 (Hugo, Corresp., p. 270: pour les victimes de la guerre); [1884-85 victimes du devoir (d'apr. Lar. encyclop., date de la fondation par la presse parisienne d'une œuvre philanthropique appelée caisse des victimes du devoir)] 1894 (Goncourt, Journal, p. 590: Les Victimes du Devoir [tableau de Detaille exaltant l'héroïsme des sapeurs-pompiers de Paris]); 3. a) 1606 « personne qui subit la haine, les tourments, les injustices de quelqu'un » (J. Bertaut, Rec. de quelques vers amoureux, éd. L. Terreaux, p. 11: De ton adorateur ne fay point ta victime); b) 1625 « personne qui souffre des agissements d'autrui, ou de choses, d'événements néfastes » (J. P. Camus, Palombe, p. 412: les rendans victimes de la pauvreté). Empr. au lat.victima « victime, animal destiné au sacrifice », lat. chrét., p. méton. « égorgement, immolation; sacrifice » (Blaise Lat. chrét.), d'où le sens A. Fréq. abs. littér.: 3 827. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 6 917, b) 5 136; xxes.: a) 5 074, b) 4 569. DÉR. Victimal, -ale, -aux, adj.De victime. Richard II dépouille en même temps que sa couronne la robe blanche d'une royauté sans ombre pour revêtir une robe aux plis identiques, royale elle aussi, mais rouge cette fois, déjà victimale (Serrière, T.N.P., 1959, p. 118).− [viktimal], plur. masc. [-o]. − 1resattest. 1520 (G. Michel de Tours, trad. Suetone Tranquile, l. IV, fo119 vo: le victimeur cest a scavoir celluy qui debvoit tuer la beste victimalle), 1540 (Id., Comment. sur la 1eéglogue de Virgile, 3 ro, éd. 1540 ds Delb. Notes mss: purpural sang du victimal aignel); de victime, suff. -al*. BBG. − Gohin 1903, p. 340. |