| TÉMOIN, subst. masc. A. − [À propos d'une pers.] 1. Personne qui certifie ou qui peut certifier ce qu'elle a vu ou entendu. Témoin auriculaire, oculaire, direct, indirect; témoin digne de foi, fidèle, impartial; parler sans témoin. C'est pour cette raison que je désire, comme témoin de ces événements, vous les faire connaître en toute sincérité, convaincu que si des Anglais approuvent la violence et l'oppression ce n'est que parce que la vérité leur est encore inconnue (Tocqueville, Corresp.[avec H. Reeve], 1851, p. 119): Photos des murs de prison où ils ont gravé mon nom pendant leur ultime veillée; dernières lettres écrites aux leurs et m'invoquant comme leur chef; récits de témoins qui, avant le feu du peloton d'exécution, ont recueilli leur cri: « Vive la France! Vive de Gaulle! » Ceux-là me dictent mon devoir au moment même où j'en ai le plus besoin.
De Gaulle, Mém. guerre, 1956, p. 172. ♦ Prendre qqn à témoin. Invoquer le témoignage de. Il s'agitait comme une flamme, se contournait, prenant à témoin de son amour la foule, semblait-il, tant son regard défiait les hommes assez hardis pour contempler ses parents étendus sur le satin jaune de la calèche (Adam,Enf. Aust., 1902, p. 390).Comme je ne lui promettais rien, elle changea de manière, gémit, pleura, prit Dieu à témoin de ses malheurs et de ses vertus (France,Vie fleur, 1922, p. 305). ♦ Dieu, le ciel m'est témoin que. Attester le ciel, Dieu, de la véracité de ses dires. Je crains les regards de mon mari, de cet ami que j'aime, et que mon cœur n'a pas trahi; car le ciel m'est témoin que l'amitié seule m'intéresse au sort de Frédéric (Cottin,Cl. d'Albe, 1799, p. 137).Ah Zeus, Zeus, roi du ciel, je me suis rarement tourné vers toi, et tu ne m'as guère été favorable, mais tu m'es témoin que je n'ai jamais voulu que le bien (Sartre,Mouches, 1943, ii, 1ertabl. 4, p. 62). − ETHNOGRAPHIE, LING. Personne interrogée par un enquêteur ou au cours d'enquêtes ethnographiques, linguistiques. Synon. informateur.Aucun autre effort n'était demandé au témoin que de dire le vrai nom patois de ces objets qu'il touchait en nous répondant (Fr. mod., t. 19, 1951, p. 1319). 2. DROIT a) Personne qui dépose en justice. Témoin judiciaire; appel, assignation, audition, comparution, confrontation, déposition, interrogatoire de(s) témoin(s); au banc des témoins, la barre des témoins; témoin gênant, récusable; faux témoin; témoin à charge, à décharge; suborner un témoin. La loi décide que le parricidium, en ce mot comprend tous les crimes capitaux, ne pourra être jugé que par le peuple dans les comices de centuries. Le juge suborné est puni de mort, le faux témoin précipité de la roche tarpéienne (Michelet,Hist. romaine, t. 1, 1831, p. 125).Après que l'accusée ait été condamnée, pensez-vous que le principal témoin de l'accusation, de l'accusation, entendez-vous, puisse reparaître pour dire qu'il y a erreur et qu'il faut annuler le procès? (Camus, Requiem, 1956, 1repart., 3etabl., p. 847). b) [Dans l'établissment de certains actes officiels] Personne qui certifie l'exactitude, l'authenticité des identités, des déclarations. Témoin certificateur; servir de témoin; en présence de x témoins; parler devant témoin, sans témoin. Drumont a eu beau dire que j'avais déshonoré mes cheveux blancs en étant le témoin du mariage de Daudet et de la jeune Hugo, je ne peux m'empêcher de reconnaître que dans ce syndicat du mensonge qui est partout, il est le seul journaliste qui ait le courage de dire la vérité (Goncourt,Journal, 1983, p. 398).Nous comprenons mieux aujourd'hui cet avocat d'Arras un peu gourmé, que Camille Desmoulins et sa Lucile avaient choisi pour témoin de leur bonheur menacé (Mauriac,Bâillon dén., 1945, p. 419). ♦ Témoin de moralité. ,,Témoin qui ne dépose pas sur un fait précis, mais sur le caractère et les mœurs d'une personne qu'il connaît`` (Lar. encyclop.). ♦ Témoin instrumentaire*. − En partic. Autrefois, personne qui réglait les modalités d'un duel. Eh bien! Avant d'envoyer vos témoins à Beauchamp, informez-vous (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 288).Quand les deux adversaires se furent salués, ils se retirèrent chacun à l'écart, et les témoins demeurèrent seuls en présence (Ponson du Terr.,Rocambole, t. 3, 1859, p. 401). 3. Personne qui assiste à un événement sans qu'elle soit amenée à en témoigner. Synon. assistant, spectateur.Avoir été le témoin d'un fait; les témoins du drame. J'ai déjà dit à notre ami Fabrice que j'ai retrouvé tous les témoins de son action belle et courageuse; ce fut évidemment ce Giletti qui voulut l'assassiner (Stendhal,Chartreuse, 1839, p. 415).La sœur Marguerite était à ce moment couchée sur un tapis, les bras en croix, devant tout le chapitre assemblé; son corps devint lumineux, et les sœurs, témoins de ce prodige, jugèrent que Dieu opérait dans l'âme de sa servante des merveilles dont elles se réservèrent d'éprouver la vertu (Bremond,Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 543). 4. Personne qui, par ses paroles, ses actes, son existence même, porte témoignage d'une pensée philosophique, religieuse. Naturellement, il s'agit toujours d'exterminer le pauvre − le pauvre est le témoin de Jésus-Christ, l'héritier du peuple juif, quoi! (Bernanos,Journal curé camp., 1936, p. 1069).Et pourtant, Mozart a exprimé notre cœur le plus secret, il l'a mis à nu. Bien plus; il a atteint, sans le vouloir, le but qu'a manqué Rousseau; il fut, à son insu peut-être, un témoin de Dieu dans ce monde condamné (Mauriac,Journal 2, 1937, p. 138). − Adepte d'une secte religieuse. Témoin du Christ, de Jehovah. (Ds Rob. 1985). − En partic. Créateur qui, par son œuvre, donne de l'époque où il a vécu une image particulière. Tous les deux, Pascal et Molière, nous apparaissent aujourd'hui comme les plus formidables témoins de la société de leur temps (Sainte-Beuve,Portr. littér., t. 2, 1835, p. 9). B. − [À propos d'une chose] 1. Preuve matérielle, indice, pièce à conviction. Le lieu où telle catastrophe s'est passée en devient un témoin terrible et inséparable (Hugo, Préf. Cromwell, 1827, p. 21).Les cathédrales sont des témoins de la piété de nos aïeux! (Lar. Lang. fr.). − Inv. [En tête de phrase pour indiquer la chose qui sert à prouver ce qu'on affirme] Aussi savant qu'il était grand poète [Milton], on a vu qu'il écrivait en latin comme en anglais; il faisait des vers grecs, témoin quelques-uns de ses opuscules (Chateaubr.,Litt. angl., t. 2, 1836, p. 75). Rem. L'empl. inv. n'est pas gén.: Je suis bien plus coupable encore; je joins l'hérésie au philosophisme, témoins ces mots: Je suis chrétien (Id., Mél. pol., t. 1, 1828, p. VIII). 2. P. anal. Témoin muet. Objet, lieu qui porte témoignage. La baronne, obligée de meubler son salon, sa chambre et la salle à manger avec les reliques de sa splendeur, avait pris le meilleur dans les débris de l'hôtel, rue de l'Université. La pauvre femme aimait d'ailleurs ces muets témoins de son bonheur qui, pour elle, avaient une éloquence quasi consolante (Balzac,Cous. Bette, 1846, p. 155).Tu n'auras que les arbres et les fleurs pour témoins muets de tes paroles (Camus,Dév. croix, 1953, 3ejournée, p. 576). 3. Spéc. Chose qui permet de constater, de vérifier. Synon. marque, repère. a) AGRIC. ,,Lot ou parcelle d'une expérience ne comportant aucun traitement`` (Agric. 1977). On constitue un lot témoin avec des pois ayant germé dans les mêmes conditions (Plantefol,Bot. et biol. végét., t. 1, 1931, p. 291). b) ARCHIT. ,,Petite plaque de plâtre, portant la date de création, posée sur une lézarde pour surveiller son évolution`` (Nér. Hist. Art 1985). c) CIN. ,,Bouts de films visionnés aussitôt après leurs enregistrements`` (Coissac, Les Couloirs du cinéma, 1929, p. 127 ds Giraud 1956). d) GRAV. ,,Partie d'une épreuve de gravure en taille douce qui n'a pas été écrasée par la pression sur la plaque de cuivre; bord irrégulier d'un papier à la forme`` (Comte-Pern. 1963). Feuillets non atteints par la rognure. Tout livre bien relié doit posséder en queue et sur les marges extérieures au moins quelques témoins (Maire,Manuel biblioth., 1896, p. 396). e) MAR. ,,Bouts de toron effilés et séparés que les cordiers laissent à chaque bout d'une pièce de cordage`` (Gruss 1978). f) SC. Tout ce qui, dans une expérience scientifique, peut servir de base de comparaison par rapport à des sujets que l'on soumet à des traitements particuliers. Cet échantillon [des terrains traversés par un sondage] se nomme la carotte ou témoin (J. Cahen, Bruet,Carrières, 1926, p. 44).Petit a noté [dans le procédé Wahl] une stabilité [de la bière] diminuée par rapport au témoin sans addition de levain lactique (Boullanger,Malt., brass., 1934, p. 291). Rem. Dans ce cas le témoin peut être un être vivant ou un objet. g) SPORTS. Bâton que se transmettent les coureurs dans une course de relais. Je vis dans ses yeux (avec un tel épuisement) une telle soif de victoire que je compris qu'il tomberait évanoui plutôt que de passer le témoin au suivant avec une seconde de retard (Morand,Champions du monde, 1930, p. 9).P. métaph. « Il faut que je vive encore quinze jours », pensa-t-il. Le temps qu'il fallait pour voir, pour apercevoir son enfant, pour lui passer le témoin dans cette course de relais où le père et le fils courent contre le temps (Morand,, Homme pressé, 1941, p. 327). h) SYLVIC. ,,Arbres de lisière et autres qu'il est défendu d'abattre dans les ventes`` (Chesn. t. 2 1858). i) TRAV. PUBL. ,,Élévation de terre qu'on laisse subsister, pour faire connaître quelle était l'élévation des terres qu'on a enlevées tout autour`` (Chesn. t. 2 1858). REM. -témoin, élém. de compos.entrant dans la constr. de subst. désignant une chose, un élément, une institution qui sert de référence.V. lampe-témoin et aussi:a) Appartement-témoin, subst. masc.Vous vous ferez une opinion en venant visiter l'appartement-témoin (Le Monde, 19 juill. 1969ds Gilb. 1971). b) Butte-témoin, subst. fém.,géogr. Butte représentant, sur une plate-forme démantelée par l'érosion, les restes du relief ancien. (Ds Rob. 1985). c) Lapin-témoin, subst. masc.Sur des textiles divers, comme sur la peau des lapins-témoins, une simple application (...) a eu les mêmes résultats: les poux placés sur ces zones traitées étaient pris d'une sorte de danse du feu qui se terminait toujours par leur mort (Le Point, 13 nov. 1978, p. 140, col. 3). d) Maison-témoin, subst. fém.Visite tous les jours de la maison-témoin (Le Monde, 29 juin 1966ds Gilb. 1971). e) Projet-témoin, subst. masc.Un projet-témoin prenait pour cible (l'aménagement d'un parc naturel) une forêt de 5 000 hectares (Le Monde, 5 oct. 1966ds Gilb. 1971). Prononc. et Orth.: [temwε
̃]. Att. ds Ac. dep. 1740. Étymol. et Hist. I. A. 1. Ca 1165 « ce qui sert de preuve, document » (Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 16: Qui les estoires d'Engleterre Vauroit bien cerkier et enquerre [...] On troveroit a saint Esmoing [monastère de Suffolk]; Se nus en demande tesmoing, La le voise querre s'il veult); 1176-81 « preuve matérielle » (Chrétien de Troyes, Chevalier au lion, éd. M. Roques, 1349: S'il n'en a tesmoing et garant Que mostrer puisse a parlement); 2. ca 1170 « ce qui sert de preuve, témoignage » a tesmoing de (aucun) « au témoignage de » (Id., Erec, éd. M. Roques, 5854); 1174-84 p. ell. tesmoing [aucune rien] « à preuve..., comme en témoigne... » (Id., Perceval, éd. F. Lecoy, 7429: tuit li gon et les verdeles Furent d'or fin, tesmoing l'estoire); 1176-81 porter le faus tesmoing (Id., Chevalier au lion, 4398); ca 1220 traire aucun a tesmon (Comte de Poitiers, 424 ds T.-L.); 1222-23 terme de chancellerie (doc. éd. M. Gysseling ds Scriptorium t. 3, 1949, p. 200: El tesmoig de mes homes ki i furent [énumération]). B. 1. 1260 « échantillon d'une marchandise » (Étienne Boileau, Métiers, éd. G. B. Depping, p. 22: un borgois [...] livre le tesmoing de son grain pour vendre); 2. 1676 « élévation de terre qu'on laisse pour indiquer la hauteur des terres enlevées tout autour » (Félibien, p. 749); 3. 1690 terme de relieur (Fur.); 4. id. « marque laissée par un arpenteur sous les bornes d'une terre pour s'assurer par la suite qu'elles n'ont pas été déplacées » (ibid.); 5. 1803 « défaut de la tonte d'un drap » (Boiste); 6. 1884 biol.; empl. en appos. chien témoin [dans des expériences sur la rage] (Année sc. et industr., 1885, p. 409 d'apr. Rob. 1985); 7. 1935 archit. (Ac.). II. 1. 1176 « personne qui a vu, entendu quelque chose et peut le certifier » (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 6594: Car de chose qui ne fust voire Et que il de fi ne seüst Tesmoing ne messagiers ne fust); 2. 1erquart xiiies. « celui qui est appelé à témoigner en justice » (Renclus de Molliens, Carité, 138, 6 ds T.-L.: Chou est assés selonc le loi [cf. Deut. XVII, 6; Matth. XVIII, 16] Ki dous tesmoins o soi amaine); 1283 faus tesmoins (Philippe de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 869); 3. 1543 « celui qui voit quelque chose, en est spectateur » (Cl. Marot, trad. Ovide, Métamorphoses, II, 850 ds
Œuvres, éd. C. A. Mayer, t. 6, p. 194: loing de nous [...] Sont à présent regardeurs et tesmoings; Je suis d'advis [...] Qu'en ce beau lieu nous baignons toutes nues); 4. 1667 « celui qui se trouve là où se passe quelque chose » (Racine, Andromaque, IV, 6). Du lat. testimonium « témoignage, déposition, attestation; preuve, témoignage » à l'époque class.: à basse époque « témoin » (fin ives. Peregr. Aetheriae, 45, 4: si quis autem peregrinus est, nisi testimonia habuerit qui eum noverint...), v. Löfstedt, p. 332. Cf. l'empr. a. fr. testimonie « témoignage, preuve » (1remoit. xiies., Psautier d'Oxford, 118, 88 ds T.-L.), testemoingne « réputation » (1160-74, Wace, Rou, éd. A. J. Holden, II, 836). Fréq. abs. littér.: 4 466. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7 948, b) 6 461; xxes.: a) 6 721, b) 4 705. Bbg. Spitzer (L.). Témoin. Archivum Romanicum 1938, t. 22, pp. 372-375. − Quem. DDL t. 31, 34, 40. − Wartburg (W. von). Z. rom. Philol. 1940, t. 60, p. 533. |