| TROUBLE1, adj. A. − [En parlant d'un milieu physique] 1. [En parlant d'un liquide] Qui n'est pas limpide, transparent, qui contient en suspension des particules, des impuretés. Boisson, bouillon trouble; eau trouble des fossés. Extrait aqueux de quinquina. Il a une couleur chocolat claire et une consistance un peu molle (...) sa solution est trouble et rouge-brune, assez semblable à une décoction (Kapeler, Caventou, Manuel pharm. et drog., t. 2, 1821, p. 605).[Le Mississipi] y reçoit ses principaux affluents, d'abord les eaux formidables du Missouri (...) dont les eaux sont si pures que dix-lieues après leur jonction on les distingue encore des eaux vaseuses, troubles, terreuses, jaunies du Mississipi (Cendrars, Or, 1925, p. 39). − En partic. [En parlant du vin, de la bière] Qui présente un état de non-limpidité provoqué par une erreur dans la fabrication (mauvaises conditions de température, d'aération, de fermentation, le plus souvent). En même temps que l'aloyau, on servit du bourgogne. Il était trouble. Bouvard, attribuant cet accident au rinçage de la bouteille, en fit goûter trois autres sans plus de succès (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 48). − Loc. fig. En eau trouble. Dans une/des situation(s) à caractère douteux. Lille manquait de tout. On exploitait effrontément. À ces « réguliers » se mêlaient une lie (...) de spéculateurs (...) tous ceux, toutes celles qui s'enrichissent en eau trouble, et que leur hardiesse, leur habitude de vivre en marge des lois, rendaient particulièrement aptes aux « affaires » de ces temps perturbés (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 83). ♦ Nager* en eau trouble. Pêcher en eau trouble. V. pêcher2. 2. [En parlant d'un corps transparent] Qui n'est plus transparent parce que sali. La cantinière dormait (...) devant sa petite table chargée de bouteilles vides et de verres troubles (A. Daudet, Contes lundi, 1873, p. 174).Berthe, assise auprès d'Hortense [dans l'omnibus], regardait à travers la vitre trouble passer des rues presque oubliées (Chardonne, Épithal., 1929, p. 37). 3. [En parlant de l'œil] Dont la couleur n'est pas bien définie, qui manque de netteté. Le roi (...) n'avait pas l'air bien triste (...) de jolis yeux un peu troubles et dans le regard quelque chose d'irrésolu (A. Daudet, Rois en exil, 1879, p. 93). − P. méton. ♦ [En parlant du regard] Qui est vague, peu expressif et, au fig., qui manque de franchise, cache des intentions équivoques. Le blessé (...) ouvrit (...) les yeux, jeta devant lui des regards troubles, hagards (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Hautot, 1889, p. 259).Sa figure est presque jolie, sous des cheveux blonds coupés en frange, mais son trouble regard mauve, errant, sournois, lit la neurasthénie aiguë, presque la démence (Colette, Vagab., 1910, p. 255). ♦ [En parlant de la vue] Qui n'est pas net, qui ne permet pas de voir distinctement. Synon. brouillé.Ce matin, ma vue est tellement trouble, si brouillardeuse, que j'ai toutes les peines du monde à écrire ce mot (Goncourt, Journal, 1889, p. 991).Empl. adv. Voir trouble. Avoir la vue brouillée, ne pas voir distinctement. J'ai commencé par voir tout bleu, puis j'ai vu trouble; au bout de cinq minutes, je ne voyais plus du tout (Fromentin, Été Sahara, 1857, p. 194). 4. [En parlant d'un élément naturel, climatique] Qui a perdu sa clarté, sa luminosité; qui est gris et nuageux. Temps trouble (vieilli). 2 octobre. Le temps fuit. Le ciel trouble s'emplit déjà d'hiver (Gide, Journal, 1905, p. 178).Il n'y avait pas de houle. Le ciel était bas, l'atmosphère trouble, nébuleuse, les nuées de plomb chargées d'éclairs de chaleur, l'eau d'étain (Cendrars, Lotiss. ciel, 1949, p. 246). 5. [En parlant d'une source lumineuse] Qui manque d'éclat, de luminosité. La petite lampe du plafond versait une lueur trouble (Carco, Équipe, 1919, p. 68). 6. [En parlant d'une couleur] Qui manque de netteté. Elles sont tantôt grises et tantôt mauves, tes prunelles. Une couleur trouble, pas franche (Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p. 971). B. − Au fig. 1. [En parlant d'une situation, d'une affaire] Qui comporte des éléments cachés, suspects. Synon. louche1.Je l'ai beaucoup intéressé [Gourmont], en lui racontant le mécanisme des affaires (...) la sorte d'affaires risquées, troubles, qu'il y aurait à faire avec certains dossiers Langlois (Léautaud, Journal littér., 1, 1906, p. 270).J'ai voulu l'aimer comme un père et j'en ai été amoureux. Nos bonnes actions sont souvent plus troubles que nos péchés (Aymé, Vogue, 1944, p. 86). 2. [En parlant d'une pers., de son caractère] Qui est difficile à cerner, à définir, et qui apparaît comme louche. De son côté, son beau-frère Coleridge, esprit désordonné, bizarre et trouble, s'abîmait dans le gouffre de la métaphysique allemande (Bourget, Ét. angl., 1888, p. 163).Des individus troubles et patibulaires, prêts à toutes besognes, dont on ne sait jamais s'ils émargent à la police ou au crime (Arnoux, Juif Errant, 1931, p. 26). 3. [En parlant d'un sentiment] Qui manque de pureté; qui est ambigu, qui contient des éléments plus ou moins avouables. Synon. équivoque.Joie, désir, pensée trouble. De ce jour, nos promenades par les bois et les rochers devinrent des promenades à trois. Je goûtai le plaisir un peu trouble de suivre chez Lucie le progrès de son désir pour Lando (Abellio, Pacifiques, 1946, p. 205). Prononc. et Orth.: [tʀubl̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) Déb. xiies. truble « se dit d'un liquide qui n'est pas limpide » (St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 646); b) 1580 cristal trouble (B. Palissy, Disc. admir., p. 363); 2. a) 1376 le tans est trouble « brumeux, nuageux » (Modus et Ratio, éd. G. Tilander, 70, 17); b) ca 1450-65 id. fig. (Charles d'Orléans, Rondel de Jehan Caillau, éd. P. Champion, t. 2, p. 306); c) 1539 voir trouble « ne pas voir distinctement » (Calvin, Institution chrétienne, éd. J. D. Benoît, L. II, chap. VIII, 4, p. 136); d) 1665 avoir la vue trouble « confuse, indistincte » (Molière, Dom Juan, II, 1). B. 1. 1150-70 « troublé, confus, inquiet (de l'esprit) » (Jeu Adam, éd. W. Noomen, 842); 2. 1283 « qui n'est pas clair, que l'esprit ne peut appréhender avec netteté ou certitude » (Philippe de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon, 1675, p. 358, var. ms. E, G, H, J, K: (paroles) troubles); 3. 1579 lieu trouble (Larivey, Jaloux, éd. Viollet-le-Duc, II, 6). Mot issu apr. métathèse du -r du lat. pop. *turbulus (cf. le lat. turbulare > fr. troubler*, le roum. turbure et des formes dial. ital.), réfection du lat. turbidus « troublé, agité, bouleversé, désemparé », d'apr. turbulentus « agité, en désordre », « turbulent, remuant, facétieux ». Fréq. abs. littér.: 924. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 375, b) 1 111; xxes.: a) 1 413, b) 1 306. |