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TROTTER, verbe
A. − Empl. intrans.
1. [Le suj. désigne le cheval ou une espèce voisine] Aller au trot, avancer à l'allure du trot. Poulain, jument, âne, mule qui trotte. Un cheval barbe vaut un cheval arabe. Le mien gravit les montagnes au grand galop sans mouiller son poil, et trotte d'un pied sûr le long des précipices (Balzac, Méd. camp., 1833, p. 105).
SYNT. Trotter menu, d'un pas rapide, d'un trot lent, rapide, réglé; trotter allégrement, doucement, gaiement, lourdement, vivement; trotter par les routes, les rues, la ville; trotter sous la pluie, sur le chemin; trotter en tête, côte à côte; trotter d'un bon train; faire trotter sa monture.
[P. méton. du suj.] Trotter sur son cheval, sur sa mule. Nous avons plusieurs fois rencontré Quichotte et Sancho, sous les espèces d'un cavalier maigre monté sur un grand cheval et que suivait un gros homme trottant sur un baudet (T'Serstevens, Itinér. esp., 1933, p. 22).Absol. Couchez-vous! ce n'est rien. Quelque chien Aboyant à la lune, un enfant qui sanglote Ou bien Un cavalier au loin qui trotte (Apoll., Casanova, 1918, i, 6, p. 978).
En partic. [Le suj. désigne un attelage] Aller au trot, allure habituelle des bêtes attelées. Les chevaux trottaient et secouaient leurs grelots en cadence (Gobineau, Pléiades, 1874, p. 11).Un brave cheval noir et ramassé qui trottait, tirait courageusement sa voiture (Barrès, Cahiers, t. 6, 1908, p. 339).
[P. méton. du suj.] Le fiacre sortit des grilles, et bientôt, arrivé sur le cours, trotta doucement, au milieu des grands ormes (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 89).Quelque part une cloche tintait; des voitures nous dépassèrent en trottant (Maurois, Climats, 1928, p. 33).
HIPPISME
MAN. Trotter à la longe. V. longe1A ex. de Chateaubriand.Trotter à l'anglaise. V. anglais III B 2.
COURSES. [Le suj. désigne un trotteur] Adopter l'allure réglementaire des courses de trot (attelé ou monté). L'indulgence envers un trotteur qui ne trotte pas (mais galope) signifie injustice à l'égard de son suivant, si celui-ci trotte (France-soir, 28 déc. 1970ds Petiot 1982).
2. [Le suj. désigne d'autres animaux] Avancer à petits pas rapides. Dame souris trotte Noire dans le gris du soir (Verlaine, Œuvres compl., t. 2, Parall., 1889, p. 150).On aperçoit de temps en temps un renard, qui trotte très loin, très vite, la queue entre les pattes (H. Bazin, Vipère, 1948, p. 67).
[Dans une tournure factitive] Il marchait (...) derrière la jeune fille qui hâtait le pas et faisait trotter sa jolie chèvre (Hugo, N.-D. Paris, 1832, p. 86).
Expr. [Pour évoquer une idée de grand silence] On entendrait trotter une souris. Synon. de on entendrait une mouche* voler.Il était atterré. Manette le regardait en tremblant de tous ses membres, et dans la cuisine on aurait entendu trotter une souris (Theuriet, Mariage Gérard, 1875, p. 178).
Part. prés. en empl. adj. Ses bêtes trottantes et bêlantes (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Lapin, 1887, p. 245).
CHASSE. [Le suj. désigne le petit gibier d'eau] Marcher rapidement, à petits pas. La bécassine trotte (Lar. Lang. fr.).
3. P. anal.
a) [Le suj. désigne une pers.] Marcher à petits pas rapides. Trotter à petits pas, d'un pas menu. Le petit garçon mangeait un gâteau, et trottait tout barbouillé de confitures (Mussetds Le Temps, 1831, p. 84).Les ouvrières passaient, trottant, se dépêchant, pour rattraper le temps perdu aux étalages (Zola, Assommoir, 1877, p. 766).
P. compar. Trotter comme une souris. [Les enfants] trottent devant vous comme des petits chiens. Ils avancent, ils reculent. Ils vont, ils viennent (Péguy, Porche Myst., 1911, p. 284).Monsieur va rudement mieux, dit l'homme. Dans six semaines, deux mois, monsieur trottera comme un lapin, c'est couru (Bernanos, Imposture, 1927, p. 431).
[Empl. comme substitut expressif de marcher ou courir] Sylvie (...) doit déjà trotter toute seule (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 329).
Trotter menu. Marcher à tout petits pas. Petit Pierre prend les devants, sur les bras de la vieille au nez d'oiseau, qui trotte vite et menu, avec un déhanchement bizarre comme les vieilles fées (Loti, Mon frère Yves, 1883, p. 195).Un petit vieillard (...) appuyé sur une canne, trotta menu jusqu'à Monseigneur (Fabre, Lucifer, 1884, p. 263).
P. métaph. Il avait une certaine culture, mais elle s'effacera sous la routine des affaires qui trottent menu, car il n'a pas les reins ni la hardiesse d'un spéculateur (Barb. d'Aurev., Memor. 1, 1837, p. 115).
b) Aller et venir sans cesse, s'activer d'une manière inlassable. Trotter pendant des heures, inlassablement. Toute la nuit, sa mère exténuée trotte de la chambre à la cuisine, le parquet grince, l'eau siffle dans la bouilloire, les verres tintent (Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1353).Elle ne s'est jamais remise de ses dernières couches, ce qui ne l'empêche pas de trotter du matin au soir... C'est une grande nerveuse, toujours tendue, toujours en émoi (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 90).
En partic. Faire des allées et venues, de nombreuses démarches pour rendre service ou plaire à quelqu'un. Quand j'en veux tirer quelque service [de mes parents], je leur mande que je vais mourir; je fais mon testament, et aussitôt ils trottent (Courier, Lettres Fr. et Ital., 1807, p. 750):
Les femmes croient les gens quand ils farcissent leurs phrases du mot amour. Alors elles trottent, elles vont, elles se mettent en quatre, elles intriguent, elles affirment les faits, elles font le diable pour celui qui leur plaît. Balzac, Chabert, 1832, p. 50.
Au fig. Faire trotter qqn. Manœuvrer quelqu'un à sa guise. Synon. faire courir, marcher qqn.Je ne suis point coquette avec toi (...) moi, si impérieuse, si fière ailleurs, moi qui faisais trotter des ducs, des princes (...) je te traite en enfant gâté (Balzac, Prince Bohême, 1840, p. 377).
c) [Le suj. désigne une chose] Madame Volant et les autres mamans étaient là à côté de leurs filles, avec un crayon et des cahiers pour prendre des notes; et vite, vite, vite, les doigts trottaient comme des chevaux de course. Elles écrivaient tout (Taine, Notes Paris, 1867, p. 90).
[Dans une tournure factitive] Faire trotter ses doigts. Je ne voudrais pas (...) causer à Madame la châtelaine de Fougères la peine de faire trotter une plume d'oie (Balzac, Corresp., 1829, p. 387).
[Le suj. désigne le cœur] Synon. de battre1.Le soir, quand elle montait, mon cœur ne trottait plus si vite (A. Daudet, Pt Chose, 1868, p. 197).
4. Au fig.
a) [Le suj. désigne une idée, une pensée, une affaire] Trotter dans/par la cervelle, dans/par la tête de qqn. Venir et revenir à l'esprit, être sans cesse présent à l'esprit de quelqu'un. Toutes les histoires de voleurs et de revenants qui m'ont trotté par la cervelle depuis cinq ou six jours me revinrent à l'esprit (Sand, Jacques, 1834, p. 164).Le souvenir de ce gamin me poursuit, me trotte par la tête, souvent. Parmi tant de figures, la sienne est une de celles qui me reviennent le plus à l'esprit (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 227).[Sans compl. prép.] Vous ne savez pas s'ils vous opéreront, s'ils ne vous opéreront pas: ça ne fait rien; votre tête travaille, ça vous trotte, l'idée vous entre (Goncourt, Sœur Philom., 1861, p. 224).Cette affaire m'a trotté toute la nuit (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1918, p. 463).Plus rarement. [Le suj. désigne une pers.] Mon cher ami, si vous saviez comme votre nièce me trotte par la tête! (Duranty, Malh. H. Gérard, 1860, p. 163).[Sans compl. prép.] Voui, je sais, c'est le délégué cantonal qui te trotte (Colette, Cl. école, 1900, p. 84).
b) [Le suj. désigne la pensée, l'imagination] Aller çà et là, vagabonder, courir. Sa pensée trottait. Elle avait imaginé, bien sûr, qu'elle sortirait ainsi un jour avec le jeune homme, mais mise en ses plus jolis atours (Roy, Bonheur occas., 1945, p. 93).
c) Fam. Agacer, importuner. Synon. courir.Tu me trottes, il me trotte, vous me trottez sur la ciboule, le ciboulot, etc. Tu nous trottes avec tes boniments (Bruant 1901, s.v. importuner). Vous, Monsieur, vous me trottez sur le sternum (L. Daudet, Phryné, 1937, p. 70).
B. − Empl. pronom., fam. [Le suj. désigne une pers.] S'en aller vivement, se sauver, partir. Le lendemain, en s'éveillant, les voisins de chambre de Laigrepin virent que sa charge avait été vidée et ils en conclurent aussitôt qu'il était parti dans la nuit.Tiens, dirent-ils, il s'est trotté, ce veinard-là! (Courteline, Gaîtés esc., Coupe nouv., 1885, iv, p. 225).J'ai attendu juste deux minutes, et puis j'ai dit: s'il préfère rester, moi je n'ai pas à l'attendre plus longtemps. Alors je me suis trotté et plus vite que ça, jusqu'à la frontière (Gide, Journal, 1914, p. 503).
C. − Empl. trans.
1. [Le suj. désigne un cheval, un âne, un mulet, etc.] Trotter l'amble. Adopter une allure proche du trot en levant à la fois et alternativement les deux jambes du même côté. Les deux bêtes, côte à côte, trottaient l'amble en enfonçant leurs pieds dans le sable muet (Flaub., Salammbô, t. 2, 1863, p. 33).
2. HIPP., empl. factitif. Trotter (un cheval). Le faire trotter pour l'entraînement, pour la course. Trotter un poulain; trotter un cheval à la longe. On allait trotter les chevaux l'hiver (De Neuter, Mém. d'un entraîneur, 1924ds Petiot 1982).
REM. 1.
Trottable, adj.Où l'on peut aisément trotter. Chemin, sentier trottable. Paris était trottable [vers 1900]; on y circulait partout à pied, même au centre (Morand, Eau sous ponts, 1954, p. 32).
2.
Trottement, subst. masc.,hapax. Les moutons eux-mêmes étaient rentrés, avec un trottement de pattes sèches (Peyré, Matterhorn, 1939, p. 31).
3.
Trottiller, verbe intrans.Trottiner, avancer à petits pas. Nous sommes la lumière de la maison et la joie du regard et nous trottillons en chantant comme un colibri familier (Amiel, Journal, 1866, p. 246).
4.
Trottis, subst. masc.Synon. de trottinement (dér. s.v. trottiner).Qui sait même s'il ne serait pas resté ainsi jusqu'au soir, les paupières closes, s'il n'avait senti enfin sur sa main gauche le trottis infime d'un être vivant? (Estaunié, Vie secrète, 1908, p. 140).
5.
Trotton, subst. masc.Synon. de trot.Les rosses bretonnes (...) prirent le grand trotton, battant le traquenard du derrière (Richepin, Glu, 1881, p. 140).[La laie] monta à petit trotton vers le plateau, se dégageant des arbres (Giono, Eau vive, 1943, p. 267).
Prononc. et Orth.: [tʀ ɔte], (il) trotte [tʀ ɔt]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1160 « faire aller son cheval au trot (dans une équivoque obscène) » (Eneas, 8594 ds T.-L.); déb. du xiiies. en parlant d'un cavalier (Lai du trot, 162 ds Lais anonymes, éd. P. M. O'Hara Tobin, p. 342); b) 1181-90 « aller au trot (en parlant du cheval) » (Chrétien de Troyes, Conte du Graal, éd. F. Lecoy, 6913); 2. a) 1178 « (en parlant de personnes) marcher beaucoup, faire de longs déplacements à pied » (Renart, éd. M. Roques, II, 3372); b) 1456 se trotter « partir, s'en aller vivement, précipitamment, s'enfuir » (Villon, Testament, éd. J. Rychner et A. Henry, 953); c) av. 1550 trotter menu (Frère Guillebert, 420 ds Recueil de farces, éd. A. Tissier, t. 6, p. 253); d) 1666 « aller et venir hâtivement, faire de nombreuses courses ou démarches, se démener » (La Fontaine, Contes, II, 7 ds Œuvres, éd. H. Régnier, t. 4, p. 309); 3. a) 1546 au fig. « aller, agir vivement, se porter rapidement un peu partout (en parlant de choses) » (Rabelais, Tiers Livre, VII, éd. M. A. Screech, p. 67); b) 1698 « venir et revenir à l'esprit (en parlant des pensées) » (Dancourt, Le Mari retrouvé, 5 ds Littré). De l'a. b. fr. *trottôn « courir », cf. l'a. h. all. trottōn « aller », m. h. all. trotten « courir ». Fréq. abs. littér.: 535. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 426, b) 872; xxes.: a) 1 045, b) 812. Bbg. Baldinger (K.). Z. rom. Philol. 1984, t. 100, pp. 733-734 (s.v. trottable). − Chautard Vie étrange Argot 1931, p. 338. − Gohin 1903, p. 231. − Meier (H.). Nostalgische Etymologien. Rom. Jahrb. 1980, t. 31, pp. 23-26.