| TROMPER, verbe trans. A. − Empl. trans. 1. Qqn trompe qqn a) Donner volontairement une idée erronée de la réalité, induire en erreur en usant de mensonges, de dissimulation, de ruse. Synon. abuser, baiser1(arg.), berner, duper, mystifier, posséder (fam.).Tromper qqn avec de belles paroles; tromper un expert; tromper qqn dans un marché; tromper l'ennemi. Dans le commencement de mon veuvage, je faisais de véritables folies: on était obligé de me tromper pour me faire prendre quelques alimens (Leclercq, Prov. dram., MmeSorbet, 1835, 6, p. 145).D'ailleurs vous êtes des menteurs. On m'avait dit qu'il y aurait une dizaine de réfractaires, et vous êtes plus de quatre-vingts. Vous m'avez trompé! Vous avez trompé mes officiers! (Ambrière, Gdes vac., 1946, p. 293). ♦ Empl. abs. [Méphistophélès] a (...) quelque chose de doucereux auprès des femmes, parce que, dans cette seule circonstance, il a besoin de tromper pour séduire (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 74). ♦ Empl. pronom. réfl. Se mentir (à soi-même). Il ne faut jamais chercher la confirmation de son idée ou de sa théorie parce qu'alors on cherche à se tromper et par suite on trompe les autres (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 251).Vous ne reviendrez pas, vous ne reviendrez jamais, si vous nous quittez aujourd'hui. N'essayez pas de me tromper. N'essayez pas de vous tromper vous-même (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 253). ♦ Empl. pronom. réciproque. Se mentir l'un à l'autre. Ils se trompaient donc l'un l'autre, triste fatalité de leur mutuelle situation, et ils s'écrivaient comme si de rien n'était (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 90).D'ailleurs, Andrée, inutile de nous tromper l'un l'autre. J'ai trouvé un papier, un matin, dans la chambre d'Albertine (Proust, Fugit., 1922, p. 618). − Loc. Tromper le/son monde. Faire illusion auprès des autres sur ses qualités, sa personnalité. N'est-ce pas vous (...) qui, pour mieux tromper le monde, revêtez comme votre tunique la blonde candeur de la science allemande? (Quinet, All. et Ital., 1836, p. 109).Je me donne un air absorbé, pour tromper mon monde, mais j'écoute hypocritement le marchand de chevaux qui parle toujours (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 82). − Tromper qqn sur qqc.Faire prendre à quelqu'un une chose pour ce qu'elle n'est pas. Tromper qqn sur la marchandise, sur la qualité d'un produit. On avait trompé le maréchal de Bellune sur des amas de vivres et de fourrages (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 194).Nos opérations de droite et du centre (...) contribueraient peut-être à tromper l'ennemi sur nos intentions véritables (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 243). b) En partic. Tromper qqn (avec qqn).Être infidèle à quelqu'un; avoir une aventure (avec quelqu'un). Synon. trahir.Nana trompait Satin comme elle trompait le comte, s'enrageant dans des toquades monstrueuses, ramassant des filles au coin des bornes (Zola, Nana, 1880, p. 1453).Il ne se disait pas: « Je vais tromper Anne. Cela implique que je l'aime moins », mais: « C'est ennuyeux, cette envie que j'ai d'Elsa! Il faudra que ça se fasse vite, ou je vais avoir des complications avec Anne » (Sagan, Bonjour tristesse, 1954, p. 163). c) [Le suj., le compl. d'obj. dir. désignent une pers. ou un animal] Induire en erreur par des ruses, des faux-semblants (pour échapper à une poursuite, déjouer une surveillance). Synon. donner le change* à.Prisonnier qui trompe son gardien. Cette manœuvre (...) propre au cerf traqué (...) a, entre autres avantages, celui de tromper les chasseurs et les chiens (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 536).Il attendait le taureau et le trompa au dernier moment par un écart, dans un tonnerre d'applaudissements (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 557). − P. méton. [Le compl. d'obj. dir. désigne un inanimé abstr.] Se soustraire (à l'attention de quelqu'un). Tromper les regards de qqn. Un ancien forçat (...) était parvenu à tromper la vigilance de la police; il avait changé de nom et avait réussi à se faire nommer maire d'une de nos petites villes du Nord (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 435).Je ne me rappelais même plus comment j'avais trompé la surveillance du poinçonneur, mais j'admettais que je m'étais introduit frauduleusement dans le wagon (Sartre, Mots, 1964, p. 90). 2. Qqc. trompe qqn.Présenter à l'esprit une idée trompeuse; provoquer une erreur de jugement, d'appréciation. Synon. abuser. a) [Le suj. désigne un inanimé concr.] Le brouillard trompe les conducteurs. La vraie mer est froide et noire, pleine de bêtes; elle rampe sous cette mince pellicule verte qui est faite pour tromper les gens (Sartre, Nausée, 1938, p. 159). b) [Le suj. désigne un inanimé abstr.] Témoignage qui trompe les jurés. C'est là encore une des causes nombreuses qui peuvent tromper le médecin (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 250). ♦ Empl. abs. La mémoire, les sens trompent parfois. Les pensées trompent et mentent (Mauriac, Journal 2, 1937, p. 176). − Locutions ♦ C'est ce qui/voilà ce qui vous trompe. C'est en cela que vous faites erreur. − Il est donc riche, votre comte? − Ma foi! je le crois. − Mais cela doit se voir, ce me semble? − Voilà ce qui vous trompe (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 580).Siegfried: Mademoiselle Éva n'a rien à voir entre nous. Zelten: C'est ce qui vous trompe, elle a beaucoup à voir (Giraudoux, Siegfried, 1928, iii, 2, p. 116). ♦ Cela/telle chose ne trompe personne. Cela/telle chose ne fait illusion à personne. Mais en parlant de morale, comment ne rien dire des religions? Ce serait une affectation déplacée: elle ne tromperait personne (Senancour, Obermann, t. 2, 1840, p. 181).Nos mensonges ne trompent personne. Si, parfois, nous embellissons le vrai, c'est parce qu'il n'était pas assez bien, c'est parce que le manioc sans sel n'a pas de saveur (Maran, Batouala, 1921, p. 75). ♦ Ne pas tromper. Être un indice sûr (de quelque chose). Je réponds de la petite. Deux grands yeux languissants, cela ne trompe pas (Musset, Lorenzaccio, 1834, i, 1, p. 83).Certaines grâces vous sont prodiguées comme avec excès, sans mesure (...). Pour moi, ce signe ne peut tromper: le diable est entré dans votre vie (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 221). 3. Qqc./qqn trompe qqc. a) Ne pas correspondre à ce qu'on pouvait attendre ou souhaiter de positif. Synon. décevoir.Ce résultat médiocre a trompé notre attente; cet enfant a trompé les espoirs de ses parents. Ce dénouement trompe nécessairement la curiosité. Peut-être en est-il ainsi de tous les dénouements vrais (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 265).On n'aime point tromper la confiance vraie (Alain, Propos, 1921, p. 199). b) Calmer par une satisfaction illusoire ou momentanée; faire diversion à une situation désagréable. Synon. apaiser.Tromper sa faim, sa soif (avec /par qqc.); divertissement propre à tromper l'ennui. Le moment du dîner amena d'autres conversations et trompa son chagrin; la gaieté prit le dessus (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 241).J'étais dans le grand salon noir occupé à fumer une cigarette, pour tromper ma fièvre (Jouve, Scène capit., 1935, p. 211). − Loc. Tromper le temps, les heures, les dernières minutes. S'occuper pour ne pas trouver le temps trop long. Ils cherchaient à tromper les heures en mille sortes d'occupations, et, continuellement pressés par l'inquiétude qui les dévorait, se répandaient de tous côtés, au bois, aux courses, dans les sociétés (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 133). B. − Empl. pronom. 1. Commettre une erreur. Synon. pop., fam. se gourer, se planter.Se tromper de beaucoup, grossièrement, lourdement. Quand un acteur se trompe, le public souligne, quelquefois gentiment, comme pour dire: « Nous sommes là » (Renard, Journal, 1901, p. 658).Une face de bon facteur qui arrive, à force de suivre son nez, à finir sa tournée sans se tromper une fois (Aymé, Jument, 1933, p. 294). − Locutions ♦ Tout le monde peut se tromper. [Pour reconnaître une erreur et la minimiser] Je puis vous assurer que personne au ministère n'a défendu vos dépêches télégraphiques avec plus de suite (...). Mais enfin, tout le monde peut se tromper (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 199).« Cette... méfiance, à l'égard de ton père... » − « Tout le monde peut se tromper. La preuve! » (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 722). ♦ Ou je me trompe fort (ou...) [Pour indiquer la quasi-certitude qu'on a de qqc.] Un cavas est accroupi, un cavas rouge et or, à bonnet pointu et à grand cimeterre; − livrée anglaise, ou je me trompe fort (Farrère, Homme qui assass., 1907, p. 81).Ou je me trompe fort, ou Marc et Philippe vont faire une maladie, tellement ils sont jaloux (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 238). ♦ Si je ne me trompe. [Pour atténuer ou, p. iron., renforcer une affirmation] Sauf erreur de ma part. Platon (...) dans son traité de la République (...) amène sur la scène, je ne sais trop comment, un certain Lévantin (Arménien, si je ne me trompe) (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 300).J'en pourrais citer beaucoup d'exemples. En voici un qui remonte, si je ne me trompe, aux premiers temps de Justine dans notre maison (A. France, Pt Pierre, 1918, p. 219). 2. [Avec un compl. prép.] Se tromper dans ses prévisions, en telle matière. [Le] pardon misérable que vous ne manquez pas d'accorder à celui qui se trompe en ses calculs (Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p. 151).Il lui faisait remonter tout exprès, les cinq étages sur la cour pour lui répéter une fois de plus (...) qu'il se trompait dans toutes les adresses (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 467). − En partic. ♦ Se tromper à qqc.Être victime d'une illusion, se méprendre, en considérant quelque chose. Synon. se laisser prendre*.Ne vous y trompez pas! Qu'on ne s'y trompe pas! On pourrait se tromper à son air innocent; impossible de se tromper à ces paroles. Ce n'est pas assez de vouloir du bien à ceux qu'on aime, il faut qu'ils ne puissent pas s'y tromper un instant (Amiel, Journal, 1866, p. 183): Quelles que soient les variétés d'espèces qui cohabitent, quelles que soient même les différences extérieures des procédés d'adaptation dont elles usent, il y a dans toute cette population végétale un signalement commun, auquel ne se trompe pas un œil exercé.
Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p. 7. Loc. C'est à s'y tromper; on s'y tromperait; on peut, on pourrait s'y tromper. Les apparences sont telles qu'une méprise est possible. Je m'étonne (...) que vous n'ayez pas compris plus tôt que vous aviez affaire à un homme de génie. (...) On peut s'y tromper, en effet (Larbaud, F. Marquez, 1911, p. 157).Par les seules ressources d'une peinture monochrome, il a provoqué l'illusion parfaite d'une statue équestre appliquée avec son socle contre la paroi (...). Virtuosité du réalisme! On pourrait s'y tromper (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 170).À s'y tromper. À tel point qu'une méprise est possible. Il lui ressemble à s'y tromper. Une habile combinaison d'émail imitait à s'y tromper le plumage ocellé de l'oiseau (Gautier, Rom. momie, 1858, p. 197).♦ Se tromper de + nombre.Faire une erreur numérique de. Se tromper d'un franc en rendant la monnaie. Maheu avait une montre qu'il ne regarda même pas. (...) jamais il ne se trompait de cinq minutes (Zola, Germinal, 1885, p. 1169).Almagro, tu t'es trompé de cent ans. Dans cent ans il sera temps de prendre la charrue, maintenant c'est avec le glaive que nous devons labourer (Claudel, Soulier, 1944, 2epart., 2, p. 1048). ♦ Dans le domaine concr.Se tromper de + subst. sans art.Prendre une chose, une personne pour une autre; faire une confusion concernant telle chose, telle personne. Se tromper de chapeau, de chemin, de direction, d'étage, de jour, de mot, de saison; se tromper d'interlocuteur. Très-peu sensible aux choses qui nous entouraient (...), assez indifférent au cours des saisons pour se tromper de mois comme il se serait trompé d'heure (Fromentin, Dominique, 1863, p. 53).Je n'osais plus m'enchanter de ma geste future mais dans le fond j'étais terrorisé: on avait dû se tromper d'enfant ou de vocation (Sartre, Mots, 1964, p. 135).Loc. fig., fam. Se tromper d'adresse, de porte. V. adresse1I A 2, porte1I A 2 a γ. ♦ Dans le domaine intellectuel.Se tromper sur qqc./qqn.Faire une erreur de jugement, d'appréciation au sujet de quelque chose, de quelqu'un. Synon. s'illusionner.Vous vous trompez également sur les chiffres (Hugo, Corresp., 1862, p. 419).Dois-je vous dire, monsieur, lui répondit le directeur, parfait gentleman, que pas un de nous ne s'est trompé un seul instant sur votre personnalité (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 231). REM. 1. Trompable, adj.,rare. [En parlant d'une pers., d'un ensemble de pers.] Qui peut être trompé, trahi. Le pouvoir de la société en France, le plus indépendant et le plus frondeur des pouvoirs, a été remplacé par le pouvoir de l'opinion publique, le plus trompable et le plus servile (Goncourt, Journal, 1862, p. 1014). 2. Trompailler, verbe trans.,péj., fam. Trompailler qqn (avec qqn). Être infidèle à quelqu'un, avoir une aventure (avec quelqu'un). Elle me donne tous les jours de tels maux de tête que je suis obligée de prendre chaque fois un cachet de pyramidon. Et tout cela parce qu'il a plu à Basin pendant un an de me trompailler avec elle (Proust, Guermantes 2, 1921, p. 493). Prononc. et Orth.: [tʀ
ɔ
̃pe], (il) trompe [tʀ
ɔ
̃:p]. Homon. de formes conjuguées: trompe. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1352-1356 se trouver trompé « être dans une situation délicate » (Jean le Bel, Chronique, éd. J. Viard et E. Déprez, t. 1, p. 209); b) 1388 se tromper de qqn « se jouer de quelqu'un » (Arch., JJ 135, pièce 135 ds Gdf.); c) 1396 trans. « se moquer de quelqu'un » (Manière de lang., éd. J. Gessler, p. 81); 2. a) 1420 « donner volontairement à quelqu'un une idée erronée de la réalité, de la vérité » (Rel. de la Loy, A. Tournai ds Gdf. Compl.); ca 1456-69 empl. abs. (Pathelin, éd. R. T. Holbrook, 44); 1534 pronom. (Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder et M. A. Screech, XXIX, p. 186); 1633 si je ne me trompe (Peiresc, Lettr., IV, 89 ds Quem. DDL t. 19); 1812 se tromper de + subst. sans art. « faire une confusion concernant telle chose, prendre une chose pour une autre » (Mozin-Biber); b) 1667 « être infidèle aux engagements sentimentaux ou conjugaux pris envers quelqu'un » (Molière, Le Misanthrope, IV, 2 ds
Œuvres, éd. E. Despois et P. Mesnard, t. 5, p. 519); c) 1672 tromper les regards « échapper aux regards » (Racine, Bajazet, I, 1 ds
Œuvres, éd. P. Mesnard, t. 2, p. 500); 1718 « se soustraire habilement à l'attention de quelqu'un » (Ac.); d) 1673 « induire (une personne ou un animal) en erreur par des faux-semblants de façon à déjouer une surveillance, à échapper à une poursuite » (Racine, Mithridate, III, 1 ds
Œuvres, t. 3, p. 56); 3. a) 1552 « calmer par une satisfaction illusoire, une diversion momentanée » (Rabelais, Quart Livre, éd. R. Marichal, p. 3); b) 1558 tromper le temps « s'occuper, faire quelque chose pour ne pas trouver le temps trop long » (B. Des Périers, Nouv. récréations et joyeux devis, 1, éd. Kr. Kasprzyk, p. 13); 4. en parlant de choses a) 1553 « présenter à l'esprit une idée, une représentation trompeuse » (La Bible, s.l., impr. J. Gerard, Ps. 78 d'apr. FEW t. 17, p. 378a); b) 1580 « ne pas correspondre à ce que l'on attendait, à ce que l'on espérait » (Montaigne, Essais, I, 26, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 164). Empl. fig. de tromper « jouer de la trompe » (ca 1195, Ambroise, Guerre sainte, 2339 ds T.-L.), dér. de trompe*, dés. -er. Fréq. abs. littér.: 11 289. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 18 721, b) 15 777; xxes.: a) 14 651, b) 14 825. Bbg. Dane (J.A.). Linguistic trumpery. Rom. R. 1980, t. 71, pp. 114-121. − Goug. Mots t. 1 1962, pp. 136-137. − Guiraud (P.). Le Ch. morpho-sém. du mot tromper. B. Soc. Ling. 1968, t. 63, pp. 96-109. − Posner (R.). Lexical gaps and how to plug them. Mél. Ullmann (S.). Leeds, 1981, p. 129. |