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TRISTE, adj.
A. − [En parlant d'une pers., de son état et, p. méton., d'un de ses attributs; l'adj. généralement postposé caractérise uniquement le subst. sur lequel il porte]
1. Qui est dans un état d'abattement, qui ne peut éprouver de gaieté, de joie en raison d'une douleur particulière, d'une peine, d'une préoccupation. Synon. abattu, affligé, découragé, désespéré, malheureux; anton. gai, réjoui.Tu me racontes qu'à ce bal tu as ri, ri comme une folle. Et tu te plains que tes paroles aient l'air de me faire du mal. Je voudrais ne pas sembler triste, mais j'ai du chagrin, oui, c'est vrai (...). Cette peine que j'ai, méchante, tes yeux la guettaient dans mes yeux (Géraldy, Toi et moi, 1913, p. 65).Ah! mes enfants! le vieux pommier va mourir. C'est même pour cela que je suis triste à pleurer (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 199).
Être triste de. Être affligé, désolé du fait de. Je suis triste de votre ennui. Avec tant de moyens pour passer votre temps agréablement dans ce monde, vous ne jouissez pas des avantages que vous avez sous la main (Delacroix, Journal, 1851, p. 440).
Loc. Être triste comme un lendemain* de fête. Être triste comme une porte de prison. V. porte1II A 2 b.Être triste comme la mort. V. mort1.
2. Qui présente les caractères de cet état, qui paraît sombre, morose. Synon. mélancolique, taciturne; anton. enjoué, gai, joyeux.Il est né triste; on le voit toujours triste; elle est triste de son naturel. Devenu tout à fait un fêtard (...) [il déclare] que les artistes (...) sont des êtres mélancolieux, tristes, embêtants et n'apportant dans leurs relations que du noir, et qu'il veut maintenant autour de lui de la gaîté, de la joie! (Goncourt, Journal, 1894, p. 533).Je n'éprouvais qu'un médiocre plaisir à me trouver avec eux (...). Je devenais triste, maussade et ne fréquentais mes camarades que parce que je ne pouvais faire autrement (Gide, Si le grain, 1924, p. 421).
3. P. méton.
a) [En parlant d'un attribut de la pers.] Qui exprime cet état. Anton. gai, jovial.Avoir l'air triste; avoir un caractère triste; avoir un regard, un sourire, un visage, une figure, une mine triste. Madame Berthereau (...) avait des traits meurtris et tristes, des yeux de soumission, une bouche lasse où passait parfois le secret désespoir du bonheur perdu (Zola, Vérité, 1902, p. 3).La stupeur quitta son visage, où montèrent l'expression de la sévérité, une grimace amère et triste qui n'avait point d'âge (Colette, Blé en herbe, 1923, p. 132).
[Antéposé] Le Chevalier à/de la Triste figure*.
b) En partic. [Parfois antéposé; en parlant de sentiments, d'idées inspirés par cet état] Qui est marqué par cet état. Cœur lourd et triste; idées tristes; tristes propos; avoir la triste impression de vieillir, d'être inutile; abîmé/plongé dans de tristes pensées; se livrer à de tristes réflexions; tomber dans une triste et profonde rêverie. Je suis né (...) au bord d'une mer sombre (...). Les nuages y paraissent sans couleur, et la joie même y est un peu triste (Renan, Souv. enf., 1883, p. 63).On parle de son métier, de ses amours, de ses affaires, avec de la gaieté partout. (...) sans vouloir mentir, on brode un peu: il y a si peu de choses dans notre passé naissant de jeunes gens. Les moins gais n'ont jamais de souvenirs tristes à raconter (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 125).
Loc. verb., au fig. Avoir le vin* triste.
4. Empl. subst. Personne dont la tristesse est un trait dominant de caractère. Jean avoua très simplement l'impression que lui avait faite le suicide d'Alice Doré. « Mais ce n'est pas la même chose dit Caoudal vivement (...). Celle-là, c'était une triste, une molle aux mains tombantes... » (A. Daudet, Sapho, 1884, p. 263).Il me semble, à moi, que vous n'êtes pas un triste: vous n'êtes qu'un homme qui souffre (R. Bazin, Blé, 1907, p. 144).
Au plur. En bon égoïste, il n'aime pas les tristes, et la vue de ce petit visage aminci et sans sourire l'offusquait (Gyp, Passionn., 1891, p. 132).
5. P. anal. [En parlant d'un animal] Les carrioles sales, aux rideaux flottants, accompagnées d'un chien triste, allant, tête basse, entre les roues, s'étaient arrêtées l'une après l'autre (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Père Amable, 1886, p. 230).[P. méton.] [Le poney] qui a le sentiment inné des convenances, ne fringuait plus, allongeait un sabot triste (Arnoux, Solde, 1958, p. 146).
B. − [En parlant d'un inanimé; l'adj. caractérise uniquement le subst. sur lequel il porte; l'antéposition constatée dans certains cas est littér. ou arch.]
1. Qui répand cet état, qui rend triste. Synon. austère, lugubre, morne1, sinistre1.Air tendre et triste; chanson mélancolique et triste; note monotone et triste; tristes accents (d'une élé-gie); couleur triste; automne pluvieux et triste; temps triste et gris; triste journée sans soleil; tristes ténèbres; paysage désertique et triste; lieu triste et solitaire; quartier triste; tristes rues de province; ville industrielle sale et triste; bâtiments nus et tristes; masures tristes et délabrées; uniforme/robe triste et sombre. Comme mes lauriers n'ont jamais empêché personne de dormir, des chœurs pourront chanter pendant la triste cérémonie (...) l'ode célèbre (Verlaine, Œuvres compl., t. 4, Mém. veuf, 1886, p. 223).Le vent soufflait de l'est et chassait devant lui une armée de nuages tristes chargés de neige (Hémon, M. Chapdelaine, 1916, p. 183).
Empl. attribut, fam. (C'est) pas triste. (C'est) très amusant. La créativité de la gauche, en ce moment, c'est pas triste! (Le Point, 3 oct. 1977, p. 105, col. 2).
Empl. adv., notamment dans le lang. public. D'une manière triste, dans la tristesse. Hier encore, rouler diesel c'était rouler triste. Mais c'était économique (Le Point, 24 nov. 1980, p. 20, col. 1).La vie est trop courte pour s'habiller triste (Le Nouvel Observateur, 23 mars 1981, p. 16).
Il fait triste. Il fait gris et sombre. Il faisait triste dans cette cave, triste comme dans un tombeau (Maupass., Bel-Ami, 1885, p. 158).
Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre, littér. Quelque chose de triste, un je ne sais quoi de triste. Solitude où quelques passants (...); Couleur de demi-deuil planant sur les dimanches, Avec de la fumée en lentes vapeurs blanches Et du triste dans l'air comme un jour de Toussaint. Silence des quartiers monotones (Rodenbach, Règne sil., 1891, p. 198).
2. [L'adj. caractérise non seulement un subst. de l'inanimé, parfois abstr., mais l'effet qu'il produit sur autrui; il est souvent antéposé et en fonction d'épithète]
a) Qui engendre la tristesse, qui est dur à supporter, qui fait souffrir. Synon. affligeant, attristant, cruel, douloureux, grave, pénible, tragique.Triste devoir; faire une triste expérience; c'est une triste compensation; triste accident; quelle triste chose! La guerre a le triste privilège de brasser les hommes et aussi de les forcer à réfléchir à leurs problèmes communs (Cacérès, Hist. éduc. pop., 1964, p. 73):
Les regards (...) revinrent vers la malade. Une femme forte et courageuse, qui avait toute sa santé et toute sa connaissance cinq jours plus tôt... Sûrement elle n'allait pas mourir aussi vite que cela... Mais, maintenant qu'ils savaient l'issue triste et inévitable, chaque coup d'œil révélait un changement subtil. Hémon, M. Chapdelaine, 1916, p. 223.
b) [En fonction d'épithète d'un subst. exprimant la durée, le temps témoin de cet état] Où l'on souffre, où l'on a souffert. Synon. calamiteux, difficile, douloureux, tragique.Évoquer les jours tristes de la guerre, de l'occupation; époques tristes de l'histoire; mener une existence triste et monotone, une vie triste et sans histoires. Les jours furent bien tristes qui suivirent, ces jours mornes dans une maison qui semble vide par l'absence de l'être familier disparu pour toujours (Maupass., Une vie, 1883, p. 175).L'année dernière, le 6 octobre, de même que tous les ans à cette triste date, j'allai déposer des fleurs sur la tombe de M. Georges (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 154).
C. − [L'adj. est antéposé]
1. [En parlant d'un animé]
a) Qui suscite des pensées pénibles, qui fait pitié. Synon. malheureux, pauvre.Triste moribond; tristes enfants du Tiers-Monde; tristes familles désunies; tristes victimes du nazisme, de l'Inquisition. Je vois la triste Phèdre, innocente et coupable (Moréas, Ériphyle, 1894, p. 211).Je suis sûre qu'elle se trouve poétiquement malheureuse, triste fiancée abandonnée, et qu'elle se plaît, toute seule, à prendre des poses nostalgiques (Colette, Cl. école, 1900, p. 244).
b) [Avec une connot. nettement péj., en raison de l'inconduite, des défauts de la pers.] Qui est affligeant, attristant. Synon. médiocre, méprisable, sinistre1.Triste auteur, individu, sire, sujet; tristes petits bourgeois. Ah! le triste chef de famille, sans force pour garder ou défendre le bonheur des siens (A. Daudet, Nabab, 1877, p. 102).Mes études, sous mes ternes et tristes maîtres, m'avaient fait croire que la science n'est pas amour, que ses fruits sont peut-être utiles, mais son feuillage très épineux, son écorce affreusement rude (Valéry, Variété[I], 1924, p. 125).
2. [En parlant d'un inanimé]
a) Qui suscite des jugements pénibles, qui afflige. Synon. attristant, déplorable, lamentable.Avoir une bien triste fin; triste époque; triste humanité; malade dans un triste état; (avoir une) triste figure/mine (fam.). Au lieu de rechercher l'amour immortel dans les jardins pleins de fleurs, de soleil et de voix, je dirigeais ma course fastidieuse vers les plus tristes lieux de ce monde; vers les forêts croupissantes des contrées baltiques; (...) vers les petits ports anglais, stagnants et crépusculaires; vers certains villages d'Italie, vieux et vides (Milosz, Amour. init., 1910, p. 35).
Loc. verb.
Faire une triste figure. Avoir l'air gêné, se trouver déplacé, mal à l'aise. Je ne reconnaissais personne dans ce bal, j'y faisais une triste figure (Ac.1935).
Faire triste mine. Avoir la mine chagrine. Il venait de perdre beaucoup d'argent, il faisait triste mine (Ac.1935).
Faire triste mine (visage/figure) à qqn/qqc. (Lui) faire mauvais accueil, le recevoir froidement. Tous ces timides qui font voir à l'occasion tant de résolution et de fureur, tous ces gens polis et inquiets feraient triste visage aux coups de poing (Alain, Propos, 1921, p. 255).Essayer sans foi et dire après l'échec; « Je l'aurais parié; c'est bien ma chance ». (...) S'appliquer à déplaire et s'étonner de ne pas plaire. (...) Douter de toute joie; faire à tout triste figure et objection à tout. De l'humeur faire humeur. En cet état, se juger soi-même. (...) Se faire bien laid et se regarder dans la glace. Tels sont les pièges de l'humeur (Alain, Propos, 1921, p. 347).
Empl. attribut. [Dans une tournure impers.] C'est bien triste. C'est dommage. Il est triste de (+ inf.).Il est pénible, fâcheux de. Il est triste de devoir se quitter; il est triste de se voir accusé quand on est innocent, se voir traité de la sorte. [Avec ell. de il est] Si loin que nous fussions des lieux de chute des bombes, la maison en était secouée. (...) j'imagine que la pauvre Chacha a dû croire sa dernière heure sonnée. Triste d'avoir dû l'abandonner dans cette épreuve (Gide, Journal, 1943, p. 227).
b) [Avec une nette connot. péj.] Dont la médiocrité afflige, suscite la réprobation. Synon. déplorable, lamentable, piètre, misérable, mauvais, médiocre, regrettable.Jouer un triste personnage/rôle (dans une affaire); avoir une triste opinion de qqn; avoir une triste réputation; tristes plaisirs de l'ivresse; triste affaire; tristes astuces; c'est la triste vérité. Triste besoin d'injurier, de ravilir son adversaire; besoin commun également aux deux partis et qui fait que j'écoute parfois si péniblement les émissions de la radio, tant celles de Londres et de l'Amérique que de Berlin ou de Paris-Vichy (Gide, Journal, 1943, p. 190).
Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Le triste de l'aventure, le plus triste c'est que... Timbre mouillé qui charme autant qu'il interloque, Son bizarre d'un triste à vous faire pleurer; Voix de surnaturelle amante ventriloque (Rollinat, Névroses, 1883, p. 75).
REM. 1.
Tristolet, -ette, adj.,fam. Qui est un peu triste. Mine, moue (un peu) tristolette; habit tristolet. Et l'on décréta le départ de Marie Mancini (...). On l'enverrait à Brouage, petite ville tristolette (La Varende, Anne d'Autr., 1938, p. 260).
2.
Tristouillet, -ette. -V. -et E 6.
3.
Tristoune, adj.,var. fam. Ils s'en vont et ils nous quittent mais ils reviendront. On est tristounes on est déprimes (Le Nouvel Observateur, 2 août 1976, p. 45, col. 1).
4.
Tristounet, -ette, adj.,var. fam. La grande Chine entretient aussi des tas d'emporia (grands magasins) à Hongkong. On y vend des vêtements un peu tristounets, mais à des prix sans concurrence (Le Monde, 28 août 1979, p. 2, col. 4).
Prononc. et Orth.: [tʀist]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 2emoit. xes. trist (Saint-Léger, éd. J. Linskill, 143); ca 1145 triste (Wace, Conception ND, éd. W. R. Ashford, 469); 1611 Triste comme un bonnet de nuict sans coiffe (Cotgr.); b) 1213 « qui exprime la tristesse » (Vocab. Fet des Romains, éd. L.-F. Flutre et K. Sneyders de Vogel, p. 624, 11: Ele se fist mate chiere et triste au plus qu'ele pot); 1690 faire une triste mine « avoir la mine chagrine » (Fur.); 1694 faire triste mine à qqn « lui faire mauvais accueil » (Ac.); 2. ca 1150 tristre (mangier) « misérable, piètre (repas) » (Conte de Floire et Blancheflor, éd. J.-L. Leclanche, 984); 1683 « qui est insuffisant, médiocre, au-dessous de ce qu'on attend » (Boileau, Lutrin, VI, 175 ds Œuvres compl., éd. Ch.-H. Boudhors, p. 165: Il hesite, il begaye, et le triste Orateur Demeure enfin muet aux yeux du Spectateur); 1879 triste sire « individu de peu de valeur » (Cladel, Ompdrailles, p. 103); 3. ca 1160 « qui inspire la tristesse » tristes pensanz « soucieux, qui a des idées tristes » (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 5260). Empr. au lat.tristis « affligé, chagrin » et « fâcheux ». Fréq. abs. littér.: 13 324. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 22 509, b) 23 418; xxes.: a) 20 412, b) 12 631. Bbg. Gamill-scheg (E.). Etymologische Miszellen. Rom. Jahrb. 1950, t. 3, p. 296-297. − Kleiber (G.). Le Mot ire en ac. fr. Paris, 1978, pp. 214-217.