| TORTILLER, verbe A. − Empl. trans. 1. Tordre une chose souple plusieurs fois et de façon plus ou moins régulière. Tortiller du fil, de la ficelle, un mouchoir, un ruban, ses cheveux. Laurence, assise sur le tabouret du piano, tortillait nerveusement une rose entre ses doigts (Theuriet, Mais. deux barbeaux, 1879, p. 64).M. Guérou prit un journal sur la table, en fit une espèce de torche, qu'il acheva de tortiller soigneusement, l'alluma, saisit la liasse et jeta le tout, pêle-mêle, dans la cheminée (Bernanos, Imposture, 1927, p. 433). − Empl. pronom. réfl. indir. L'officier se tortille la barbiche, l'impériale (Arnoux, Paris, 1939, p. 328). a) Spécialement
α) MENUIS. Tortiller une mortaise. ,,L'ouvrir avec un laceret ou une tarière`` (Barb.-Cad. 1971).
β) RELIURE, vieilli. ,,Tordre les ficelles du dos d'un livre quand elles ont été mises à la colle`` (Chesn. t. 2 1858). b) Tortiller ses/les doigts, ses/les oreilles (de qqn). Les tordre, les tourner et les retourner. − Petit drôle, dit l'abbé souriant et prenant l'oreille de Lucien pour la lui tortiller avec une familiarité quasi royale (Balzac, Illus. perdues, 1843, p. 712).Des petites filles en costumes locaux s'approchèrent de nos tables. (...) Au moindre geste, (...) elles tressaillaient, tortillaient leurs doigts, cachaient leurs cheveux (Barrès, Voy. Sparte, 1906, p. 41). 2. Remuer en ondulant. ♦ Pop., fam. Tortiller ses fesses, son derrière, sa croupe. Leur imprimer un mouvement exagéré de balancement. Il pleuvait drôlement sur sa mercerie, à cette belle blonde (...) qui tortillait tant son derrière, autrefois, dans sa belle boutique bleue (Zola, Assommoir, 1877, p. 701). − Empl. pronom. Se tordre, se tourner de côté et d'autre, se trémousser. Dans les réunions publiques, il lui arrivait, en fin de séance, après être demeuré deux heures à se tortiller sur son banc, de bondir tout à coup à la tribune (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 42).Le café des Deux Magots (...) est un établissement assez prétentieux (...) où des Américaines (...), viennent bâiller et se tortiller devant les derniers surréalistes (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 158). ♦ Se tortiller comme un ver. Gesticuler de tous côtés. [Flore] se tortillera comme un ver, elle jappera, elle fondra en larmes (Balzac, Rabouill., 1842, p. 517). 3. Arg. ou pop. a) Manger. Monsieur confesse qu'à vrai dire il tortillerait volontiers quelque chose. On se met à table (Courteline, Vie mén., Retour du territ., 1927, p. 212). − Absol. J'avais une si belle faim, que je fis l'admiration de la troupe. « À la bonne heure! dit Biboche (...) c'est plaisir d'inviter des amis qui tortillent comme çà » (Malot, R. Kalbris, 1869, p. 191). b) Vaincre, battre quelqu'un (dans un jeu ou un combat). − Salut, Pépito, qu'est-ce que tu racontes à ce damier? [demanda Bernard] − J'm'exerce pour battre Jacquot. Cette petite rosse m'a tortillé comme un bleu, l'autre soir qu'il est venu (Fallet, Banl. Sud-Est, 1947, p. 207). c) Tuer, faire mourir. Elle raconta l'agonie de Madame Bijard (...) Le ventre a enflé. Sans doute, il lui avait cassé quelque chose à l'intérieur. Mon dieu! en trois jours, elle a été tortillée (Zola, Assommoir, 1877, p. 614): ... Nicolo disait au serrurier: − Vois-tu, l'enfant, pour tortiller proprement un homme, ce n'est pas plus malin que ça... On lui prend le cou entre ses dix doigts, et puis on appuie le pouce juste sur la pomme d'Adam, tu sais? On appuye un coup sec, bien fort... Et v'là tout, l'homme est flambé!
Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 546. 4. Au fig., fam. Rendre plus compliqué en prenant des détours. Tortiller sa pensée, ses idées. Ils ont fourré des participes, tendu des embûches de pluriels équivoques, dans cette dictée qui arrive à n'avoir plus aucun sens, tant ils ont tortillé et hérissé toutes les phrases (Colette, Cl. école, 1900, p. 195). B. − Empl. intrans. 1. Tortiller des hanches, des fesses, de la croupe. Se déplacer avec un déhanchement exagéré. Chemin faisant, à la recherche d'un gîte, nous apercevons deux petites femmes qui tortillent des hanches; nous les suivons (Huysmans, Soir. Médan, Sac au dos, 1880, p. 134). − Empl. pronom. Se tordre avec des mouvements répétés. C'était un gamin de quatorze ans que les gardes-marine avaient découvert à fond de cale et amené au patron de la barque. − Vingt coups de garcette, s'était écrié le capitaine, et flanquez-le-moi par-dessus bord! Le pauvre gosse se tortillait de la croupe, hurlait, invoquait la sainte Vierge (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 11). 2. Vx, pop. Tortiller de l'œil. Mourir. Synon. tourner de l'œil*.Mon cher Monsieur Eugène, répondit-elle, vous savez tout comme moi que le père Goriot n'a plus le sou. Donner des draps à un homme en train de tortiller de l'œil, c'est les perdre, d'autant qu'il faudra bien en sacrifier un pour le linceul (Balzac, Goriot, 1835, p. 300). 3. Au fig. a) Pop., fam. User de détours, de subterfuges. Synon. hésiter, louvoyer, tergiverser.− Carabin, répliquait une voix de femme, parlez-moi avec la franchise de votre âge. Je veux sauver mon Jérôme, voyez-vous. Si vous n'êtes pas de force, avouez-le sans tortiller. J'irai chercher M. Dupeytrin, s'il le faut. Il en coûtera ce qu'il en coûtera (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 40). − Locutions (Il n')y a pas à tortiller (pop., fam.). Il n'y a pas à hésiter. − Il n'y a plus à tortiller, s'écria Pierrefonds: Notre argent, nos papiers, et bon voyage. Vous voyez vous-même comme ça chauffe, Monsieur Maurice (Gozlan, Notaire, 1836, p. 261).Voici mon plan de campagne. Demain, Ferdinand, tu t'arranges pour que maman t'accompagne à Paris. Pas à tortiller. Le prétexte est simple (Duhamel, Terre promise, 1934, p. 190). ♦ Y a pas à tortiller du cul (pour chier droit) (vulg.). − S'il avait été tué, on lui aurait trouvé son corps, on l'aurait eu vu d'l'observatoire. Y a pas à tortiller du cul et des fesses (Barbusse, Feu, 1916, p. 255). b) Arg. Avouer. Synon. se mettre à table*.Sur quatre que vous étiez [pour ce vol], il y en a un qui a tortillé (Vidocq, Mém., t. 3, 1828-29, p. 202). C. − Empl. pronom. 1. Se tortiller + compl. prép. a) S'enrouler sur soi ou autour de quelque chose. Quelques vignes maigres se tortillent autour de leurs échalas (Hugo, Rhin, 1842, p. 135).Ses petits cheveux, frisés en toison, des cheveux de soie fine et d'or pâle (...) se tortillaient sur sa tête en mille boucles (Goncourt, Man. Salomon, 1867, p. 351). b) Effectuer un parcours sinueux ou en spirale; tourner. Une petite route se tortillait de plaisir entre des boqueteaux et des prairies (Romains, Copains, 1913, p. 126).Tous ces escaliers suivis de rampes noires, qui mènent en se tortillant dans les étages et les caves (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 182). 2. [Sans compl. prép.] a) Adopter une forme enroulée; s'enrouler sur soi-même. Les balcons, les grilles, les frises, rien n'est droit, tout se tortille, se contourne, s'épanouit en fleurons, en volutes, en chicorées (Gautier, Tra los montes, 1843, p. 301). b) Au fig. User de complications, faire des efforts désespérés pour. Quand je vois que nos artistes se tortillent à chercher du nouveau et de l'inouï, je me permets de rire (Alain, Propos, 1921, p. 226). − Empl. pronom. réfl. indir. Et voilà cette poseuse à se tortiller (...) l'esprit à l'effet de nous étonner par l'originalité de ses idées (Goncourt, Journal, 1894, p. 602). REM. Tortillé, -ée, part. passé en empl. adj.,hérald. [En parlant de la tête de Maure] Dont le tortil est d'un autre émail qu'argent (d'apr. Crayencour Hérald. 1985). Prononc. et Orth.: [tɔ
ʀtije], (il) tortille [tɔ
ʀtij]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Verbe trans. 1. ca 1200 tortoiller « tordre serré » (Roman de Renart, éd. M. Roques, branche V, 12799); 1752 tortiller une mortoise (Trév. Suppl.); 1858 tortiller les ficelles (Chesn. t. 2); 2. 1360-70 « tourner de çà de là à plusieurs reprises » (Baudoin de Sebourc, XVII, 138 ds Gdf. Compl.); 1573 se tortiller la queue (Larivey, Nuits de Strapar., t. I, p. 93, ibid.); 3. 1821 « manger » (Ansiaume, Bagne Brest, fo35, ro,435). B. Verbe intrans. 1. 1640 tortiller des fesses (Oudin Curiositez); 1690 tortiller du cul (Fur.); 1783 tortiller des hanches (Beaumarchais, Mariage de Figaro, III, 5); 2. 1669 « chercher des détours, des subterfuges » (Widerhold Fr.-all.); 1723 il n'y a pas à tortiller (Guy, Voyage Littérature de la Grèce, p. 199); 3. 1808 tortiller de l'œil (Hautel t. 2). C. Verbe pronom. 1. 1768 « se tordre avec des mouvements répétés » (Diderot, Salon de 1767, p. 186); 2. 1842 « être disposé en spirale » (Hugo, loc. cit.); 3. 1842 « faire des efforts en vue de quelque chose » (Sue, Myst. Paris, t. 3, p. 29). Dér. régr. de entortiller* plutôt qu'issu d'un lat. pop. *tortiliare, dont l'existence n'est appuyée par aucune forme rom. (FEW t. 4, p. 771). Fréq. abs. littér.: 263. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 163, b) 555; xxes.: a) 423, b) 420. Bbg. Quem. DDL t. 19, 32. |