| TORT, subst. masc. A. − 1. État, fait d'une personne qui se trouve dans une situation ou une position contraire à la vérité, à la raison, au droit ou à l'équité; acte contraire au droit ou à la raison et responsabilité ainsi encourue. Avoir tous les torts, les premiers torts, les torts de son côté. Tout le tort est du côté de la nature ou de la fortune, et toute la gloire du côté des mœurs [dans La Princesse de Clèves] (Marmontel, Essai sur rom., 1799, p. 310). 2. Loc. verb. a) Avoir tort. Ne pas avoir le droit, la raison de son côté; être dans l'erreur. Les révolutionnaires ont tort; car, s'ils voient le mal, ils n'ont pas plus que les autres l'idée organisatrice. Or il est absurde de détruire, quand on n'a rien à mettre en place (Renan, Avenir sc., 1890, p. 374).De toute évidence, il en devait être un qui avait raison, et l'autre tort (Saint-Exup., Citad., 1944, p. 562). − [Le suj. de la loc. désigne une chose] Le mécanisme spontané des passions, démontrant (...) que la morale a tort en tout et partout où elle s'oppose à la nature (Fourier, Nouv. monde industr., 1830, p. 79). − Expr. proverbiales ♦ Les absents ont toujours tort. V. absent I B.P. allus. Il a toujours suffi qu'un être adoré vive à nos côtés, pour qu'il nous devienne moins cher. Ce sont les présents qui ont tort (Mauriac, Genitrix, 1923, p. 377). ♦ Les morts ont toujours tort, le mort a toujours tort. V. mort2III A 1 b. ♦ Qui doit a tort. V. devoir1I A 1 a β. b) Avoir tort de + inf.Se tromper, faire une erreur en agissant de telle façon, ne pas avoir de raisons valables pour faire telle chose. Anton. avoir raison* de.Avoir tort de dire, de faire, de vouloir qqc.; ne pas avoir tout à fait tort de. Voyez, messieurs, comme on a tort de gâter ses enfants; ce petit gamin fait la caricature de son père (Becque, Corbeaux, 1882, i, 12, p. 97): Comme celui-là qui vient avec ses pauvres mots montrer à l'autre qu'il a tort d'être triste, et où voyez-vous que l'autre est changé? Ou qu'il a tort d'être jaloux ou tort d'aimer? Et où voyez-vous que l'autre guérit de l'amour?
Saint-Exup., Citad., 1944, p. 580. c) Donner tort à qqn. Déclarer que quelqu'un est dans l'erreur, qu'il n'est pas dans son bon droit, qu'on le désapprouve. Anton. donner raison*.Je me retirais. La mère me retint, et faisant le bon soldat, elle donna tort à sa fille (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p. 152).Nous obéirons tous deux au même sentiment (...). J'aurai donc mauvaise grâce à te donner tort, chère tête, et je me donne raison (A. France, Thaïs, 1890, p. 239). ♦ Se donner tort. Plus tard, je me fusse senti coupable; un orphelin conscient se donne tort; offusqués par sa vue, ses parents se sont retirés dans leurs appartements du ciel (Sartre, Mots, 1964, p. 11). − [Le suj. de la loc. désigne une chose] Aller à l'encontre de, démentir. Sous l'influence d'un préjugé métaphysique, on avance que le principe de la conservation de la force s'appliquera à la totalité des phénomènes tant que les faits psychologiques ne lui auront pas donné tort [à cette proposition] (Bergson, Essai donn. imm., 1889, p. 124). d) Être dans son tort, en tort. Être dans une situation où l'on n'a pas le droit pour soi; être fautif. Si en effet je vous avais dit qu'il ne fallait pas m'écrire sans que je vous eusse indiqué mon adresse, je suis au plus haut degré dans mon tort (Tocqueville, Corresp.[avec Gobineau], 1859, p. 298).Comme j'estime qu'ils [les chefs de province] sont dans leur tort, j'entrepris de faire partager cette conviction au capitaine Gillmann (Mille, Barnavaux, 1908, p. 175).Vous êtes en tort et passible d'une amende (Rob.1985). e) Mettre qqn dans son tort. Agir de telle façon que quelqu'un paraisse être responsable d'un acte répréhensible ou critiquable. J'aurais voulu, méchamment, le mettre dans son tort, et qu'un mot inconsidéré ou insultant de sa part servît de justification à la déloyauté que je méditais (Vigny, Serv. et grand. milit., 1835, p. 186). ♦ Se mettre dans son tort. Commettre une infraction, une faute, une erreur. Moments très purs, très riches de résolutions strictes et serrées, de la décision de ne jamais se mettre dans son tort (Du Bos, Journal, 1927, p. 209). 3. Loc. adv. a) À tort. Sans raison valable ou pour des raisons fallacieuses; de façon erronée. Synon. faussement, indûment, injustement; anton. à/avec raison, justement, à bon droit (v. droit3I C 2), à juste* titre.Accuser, soupçonner qqn à tort; croire à tort à qqc. Je ne sépare point dans mes réflexions les exils d'avec les arrestations et les emprisonnements arbitraires. Car c'est à tort que l'on considère l'exil comme une peine plus douce (Constant, Princ. pol., 1815, p. 152).Bien à tort, on assimile parfois l'Égypte à une longue oasis (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p. 51). b) À tort et à droit, à tort ou à droit (vx). Sans examiner si la chose est juste ou injuste. Il veut ce qu'il veut, à tort et à droit ; à tort ou à droit, il se prétend lésé (Ac. 1798-1878). c) À tort ou à raison (vx). À juste titre ou injustement, avec ou sans raison valable. Un homme fut traité dans la rue, d'espion de la police, à tort ou à raison, par un autre qui avait à se plaindre de lui, ou qui lui en voulait (Sénac de Meilhan, Émigré, 1797, p. 1585).Il ne s'agit plus d'animaux ou d'insectes auxquels nous attribuons une volonté intelligente et particulière grâce à laquelle ils survivent. À tort ou à raison nous ne leur en accordons aucune [à nos fleurs] (Maeterl., Vie abeilles, 1901, p. 205). d) À tort et à travers. De façon inconsidérée, sans discernement. Synon. à la légère, inconsidérément, n'importe comment (v. importer1).Parler, dépenser à tort et à travers. Avec quel sublime aveuglement distribuent-elles [des institutrices] la pâture uniforme, à tort et à travers! (Frapié, Maternelle, 1904, p. 202).Il n'y a aucune preuve que le vieux ait donné Rosa, dit Henri. Cesse donc de juger les gens à tort et à travers (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 256). B. − 1. Souvent au plur. Action, comportement blâmable. Synon. erreur(s), faute(s).Tort grave, considérable, involontaire, irréparable; avoir des torts envers, vis-à-vis de qqn; avoir tous les torts, les premiers torts; avoir les torts de son côté; avouer, reconnaître, expier, réparer ses torts; n'avoir aucun tort. Des torts, parbleu! il en comptait dans son existence, comme tout un chacun, beaucoup de torts envers beaucoup de gens (...) mais en somme des torts très réparables (Verlaine,
Œuvres posth., t. 1 Histoires comme ça, 1896, p. 347).Cette pauvre femme (...) a pu avoir certains torts à votre égard... elle est un peu vive (Flers, Caillavet, M. Brotonneau, 1923, ii, 5, p. 16). − DR. Aux torts de qqn. En cas de divorce, les mêmes avantages [qu'en cas de veuvage] seront alloués à la femme non remariée quand le divorce aura été prononcé aux torts exclusifs du mari (J.O., Loi sur retraites ouvr. et pays., 1910, p. 2999).En matière de divorce ou de séparation de corps, le jugement est prononcé aux torts réciproques lorsque les conjoints sont l'un et l'autre reconnus coupables (cida1973). 2. Manière d'agir, attitude considérée comme une erreur, une faute que l'on blâme. Synon. faute, défaut, travers.Causer des torts à qqn; prévenir, réparer ses torts. La recette a été mauvaise c'est de ma faute tous les torts sont de mon côté j'aurais dû vous écouter (Prévert, Paroles, 1946, p. 82).À mon avis le seul tort de Perron et de Luc c'est de s'être entêtés à travailler avec des moyens financiers trop limités (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 209). ♦ [À propos d'une chose] Ô qui dira les torts de la Rime? Quel enfant sourd ou quel nègre fou Nous a forgé ce bijou d'un sou Qui sonne creux et faux sous la lime? (Verlaine,
Œuvres poét. compl., Jadis, 1962 [1884], p. 327). ♦ Avoir le tort de + inf.Ayant quitté sa boutique l'avant-veille, après l'avoir fermée, elle avait eu le tort d'y laisser des valeurs, cachées dans un mur (Zola, Débâcle, 1892, p. 607).Combattre la paresse de son intestin. M. de Saint-Papoul a peut-être eu le tort de concentrer de bonne heure son attention sur cette infirmité banale (Romains, Hommes bonne vol., 1932, p. 43).[À propos d'une chose] Défaut, inconvénient. Pour vos échéances, elles ont le tort d'être trimestrielles, dans un climat où le client est annuel (Romains, Knock, 1923, i, p. 4). − C'est un tort. C'est une erreur, une faute. Tristesse de ma pauvre tête et de mon pénible et infructueux travail. C'est un tort. Il ne faut pas vouloir tout emporter d'un assaut, et agir comme si je pouvais tout (Dupanloup, Journal, 1853, p. 168). ♦ C'est un tort de + inf.Puis de Manon et de Marguerite ma pensée se reportait sur celles que je connaissais et que je voyais s'acheminer en chantant vers une mort presque toujours invariable. Pauvres créatures! Si c'est un tort de les aimer, c'est bien le moins qu'on les plaigne (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 23). − Se donner des torts (vx). Commettre des actions blâmables. Mais en même temps, il faut me plier à des sacrifices pour éviter des scènes dans lesquelles je me donne toujours des torts de parole (Constant, Journaux, 1803, p. 48). 3. Préjudice matériel ou moral causé à quelqu'un. Synon. dommage, lésion, mal3, outrage.Demander réparation d'un tort; réparer le tort qu'on a causé; causer des torts à qqn. On doit réparation d'un tort. M. Cavaignac serait désolé d'avoir porté dommage à un de ses officiers dont la réputation dans le monde n'est plus à faire (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 91).Redresser les torts. V. redresser I B 4.Redresseur de torts. V. redresseur I A 2 b. − Loc. verb. ♦ Faire tort à (qqn/qqc.) (vieilli ou littér.). Nuire à (quelqu'un, quelque chose). Il ne faut pas faire tort à son prochain. Les gens que vous fréquentez vous font tort, font tort à votre réputation (Ac.1835, 1878).Ce Christel m'a fait tort, il m'a causé des pertes, il m'a empêché de gagner dans telle circonstance (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 139).[Le suj. de la loc. désigne une chose] Les livres de morale profitent à l'amitié, mais font tort aux amis. Il est si commode de trouver dans sa bibliothèque un ami sensible, éclairé, discret, toujours disposé à nous parler, et d'humeur toujours égale, que cela fait négliger les amis du dehors (Bern. de St.-P., Harm. nat., 1814, p. 309). ♦ Faire tort à qqn de qqc. (vieilli). Priver injustement quelqu'un de quelque chose, faire perdre quelque chose à quelqu'un. Laurency: Il n'y a guère d'affection entre cette femme et moi... Il n'y a qu'un lourd devoir, une cruelle habitude. Clotilde: Alors, elle ne me fera pas tort de ma part de tendresse? (Lenormand, Simoun, 1921, 4etabl., p. 42). ♦ Faire du tort à (qqn, qqc.). Nuire, porter préjudice à quelqu'un, à quelque chose. L'intrusion d'un certain moralisme et l'attribution intempestive aux indices caractérologiques de coefficients péjoratifs ou mélioratifs feraient le plus grand tort à leur étude positive (Mounier, Traité caract., 1946, p. 60).Se faire du tort; se faire tort (vieilli). Je lui parlai des vingt mille francs, et je lui demandai si elle croyait pouvoir les accepter, sans se faire tort (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p. 29).La science et la foi sont hétérogènes: elles ne peuvent mutuellement ni se prêter secours ni se faire tort (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 96). ♦ Porter tort à (qqn, qqc.). Porter préjudice à (quelqu'un, quelque chose). Le cinéma porte tort au théâtre dans la mesure où il confisque à son profit les meilleurs interprètes (Mauriac, Journal 3, 1940, p. 258).V. porter11reSection II C 2 a β ex. de Vialar. − Expr. fam. Cela/ça ne fait de/du tort à personne. Cela ne porte pas à conséquence, ne peut avoir de conséquences fâcheuses. On se doit des honnêtetés entre camarades, quand on n'est pas des sauvages, et un petit verre par-ci par-là, ça ne fait de tort à personne (Bloy, Femme pauvre, 1897, p. 27). Prononc. et Orth.: [tɔ:ʀ]. Homon. taure, tore, tors et formes de tordre. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. En loc. 1. Fin xes. a tort « pour des raisons contraires au droit » (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 290: El mort a tort, ren non forsfist; mais nos a dreit per colpas granz esmes oidi en cest ahanz); 1100 ne a droit ne a tort (Roland, éd. J. Bédier, 2293); 1121-34 seit a tort u a droit (Philippe de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 1640); 2. ca 1165 parler en tort e en travers (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. E. Constans, 19710); ca 1200 venir de tors et de travers (Escoufle, 6227 ds T.-L.); 1remoit. xiiies. [ms.] de tort et de travers (Première Continuation de Perceval, 4288, éd. W. Roach, t. 2, p. 128); 1316 a tort et a travers (Geffroy de Paris, La Chronique Métrique, éd. A. Diverrès, 2763); 3. 2emoit. xiiies. [ms.] tors ou raison (Première Continuation de Perceval, 1544, t. 1, p. 42: mais or ne me soit pas noïe De vostre voie l'achoison, que que ce soit, tors ou raison); 1770 à tort ou à raison (P.-H. d'Holbach, Système de la nature, p. 235). B. 1. a) 1100 « attitude d'une personne qui a causé une faute au détriment du droit » (Roland, 1015: Paien unt tort e chrestien unt dreit); b) id. « action, attitude qui constitue une erreur, une faute que l'on blâme » (ibid., 833: Tort fait kil me demandet);
α) 1remoit. xiiies. (se mettre) an son tort (Première Continuation de Perceval, 14138, t. 2, p. 425);
β) 1580 avoir grand tort de + inf. (Montaigne, Essais, I, 26, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 160);
γ) 1601 donner le tort à qqn (A. de Montchrestien, La Reine d'Écosse, éd. J. D. Crivelli, p. 88); 1643 donner le tort à qqn de qqc. (F. Tristan L'Hermite, Le Page disgracié, p. 186); 1783 donner tort à (L. Mercier, Tableau de Paris, t. 5, p. 166: je hais ceux dont le zèle extrême donne tort au bon droit); 2. a) 1174-76 faire tort « nuire » (Guernes de Pont-Sainte-Maxence, Vie St Thomas, éd. E. Walberg, 668); b) fin xiies.-déb. xiiies. « dommage causé indûment à quelqu'un, préjudice » (Gace Brulé, Chansons, X, 31, éd. H. Petersen Dyggue, p. 224); 1610 faire du tort à (H. d'Urfé, L'Astrée, t. 2, p. 80); 1634 avec un nom de chose comme suj. (N. de Peiresc, Lettres, t. 3, p. 66). Du lat. pop. tortum (Edit de Charles le Chauve ds FEW t. 13, 2, p. 98b), neutre subst. de tortus, part. passé de torquere « tordre », propr. « ce qui est tordu », d'où « action contraire au droit ». Fréq. abs. littér.: 6 451. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 9 911, b) 10 137; xxes.: a) 8 064, b) 8 695. |