| TEXTE, subst. masc. A. − 1. Suite de signes linguistiques constituant un écrit ou une œuvre. Texte corrompu, incomplet, interpolé, mutilé; texte autographe, imprimé, manuscrit, polycopié; texte primitif; texte d'une conférence, d'un discours; altération, interpolation, lacune d'un texte; variantes d'un texte; écrire, éditer, revoir, taper un texte; corriger, retaper un texte; se reporter au texte; étude, critique d'un texte; citer, communiquer, connaître un texte. Je revis le texte si particulier de cette offre d'emploi: « Personne jeune... bonne éducation... célibataire... envoyer photographie » (Duhamel, Confess. min., 1920, p. 127).Les diseurs de profession presque toujours me sont insupportables, qui prétendent faire valoir, interpréter, quand ils surchargent, débauchent les intentions, altèrent les harmonies d'un texte (Valéry, Variété II, 1929, p. 177). − [P. oppos. à traduction] Dans le texte. Dans l'original, dans les termes employés par un auteur dans sa langue. Passé la nuit à lire le Corsaire dans le texte anglais; belle et fière chose que cette poésie! (Barb. d'Aurev., Memor. 2, 1838, p. 236).Le Buch der Lieder de Henri Heine, que je lisais dans le texte, à présent (Gide, Si le grain, 1924, p. 501). − [P. oppos. à notes, commentaire] V. édition B ex. de Claudel. − [P. oppos. à musique] Paroles d'une œuvre musicale. Texte d'un opéra, d'une chanson. Le texte du motet consiste en une citation, ordinairement assez courte, de paroles latines tirées d'un office ou d'une pièce connue (D'Indy, Compos. mus., t. 1, 1897-1900, p. 147).Il crevait de musique, et bien plus qu'au texte il songeait à sa musique. Le texte lui était un lit où épancher le flot de ses passions. Il était aussi loin que possible de l'état d'abnégation et d'impersonnalité intelligente, qui convient au traducteur musical d'une œuvre poétique (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 486). 2. En partic. Écrit considéré dans ses termes exacts, originaux et authentiques. Texte d'un acte, d'un arrêté, d'une loi, d'une ordonnance; textes juridiques, législatifs, religieux; édition critique d'un texte; littéralité du texte; solliciter les textes; établir, restituer un texte; collationner, conférer un texte; remonter au plus ancien texte. Le 4 novembre (...), le texte définitif de l'armistice était arrêté par les chefs des gouvernements alliés et câblé aussitôt au président Wilson (Foch, Mém., t. 2, 1929, p. 288).Érasme proteste, au nom de l'humanisme, contre la contamination de l'Évangile par la philosophie du moyen âge; il veut nous ramener, par delà Duns Scot, saint Thomas et saint Bonaventure, à la lettre du texte sacré (Gilson, Espr. philos. médiév., 1932, p. 215). 3. SÉMIOTIQUE a) SÉMIOT. STRUCT. Réalisation discursive d'un système de signes ou d'un système de significations. Soit un texte donné, un conte par exemple. Nous avons ici une « histoire » exprimée dans telle langue naturelle: il s'agit d'un ensemble signifiant (ou signe linguistique), c'est-à-dire constitué par la réunion d'un signifiant (= la forme linguistique) et d'un signifié (= l'histoire qui y est racontée) (J. Courtés, Introd. à la sémiot. narrative et discursive, Paris, Hachette, 1976, p. 38). b) SÉMIOT. POST-STRUCT. Production signifiante résultant d'un travail d'écriture sur la langue qui constitue un engendrement du sens modifiant à la fois les signes et les jugements: Le texte redistribue la langue (il est le champ de cette redistribution). L'une des voies de cette déconstruction-reconstruction est de permuter des textes, des lambeaux de textes qui ont existé ou existent autour du texte considéré, et finalement en lui: tout texte est un intertexte; d'autres textes sont présents en lui, à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables: les textes de la culture antérieure et ceux de la culture environnante; tout texte est un tissu nouveau de citations révolues. Passent dans le texte, redistribués en lui, des morceaux de codes, des formules, des modèles rythmiques, des fragments de langages sociaux, etc., car il y a toujours du langage avant le texte et autour de lui.
R. Barthes, Théorie du texteds Encyclop. univ. t. 15 1973, p. 1015. − En compos. Intertexte. V. inter- II B 3 et supra ex. de R. Barthes. 4. TYPOGRAPHIE a) Partie de la page recouverte de caractères composant un écrit. Les marges et le texte; illustration dans le texte; calibrer, composer, saisir un texte. L'attention rivée à quelque citation puérile sur la marge ou dans le texte d'un livre (Baudel., Paradis artif., 1860, p. 373).C'est imprimé sur beau papier. Le texte est plein de majuscules (Guéhenno, Journal homme 40 ans, 1934, p. 227). b) Vx. Caractère d'imprimerie. Gros texte. Corps de quatorze points. (Dict. xixeet xxes.). Petit texte. Corps de sept points et demi. Je prie Monsieur Barbier de composer ceci en petit texte ou en mignonne (Balzac, Corresp., 1834, p. 450). Rem. On relève un empl. de texte au sens de « suite des signes et des notations musicales constituant une œuvre »: Dans le texte définitif, le chant sort des profondeurs et se maintient à mi-hauteur, jusqu'à la modulation de sol dièze à sol naturel (Rolland, Beethoven, t. 1, 1937, p. 259). B. − 1.
Œuvre littéraire, œuvre ou document authentique considéré comme référence ou servant de base à une culture ou une discipline. Les textes classiques. Seul à seul maintenant avec les grands textes, ce furent d'abord des lectures sans fin (Bremond, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 307).Toujours donc revenir aux grands textes; n'en point vouloir d'extraits; les extraits ne peuvent servir qu'à nous renvoyer à l'œuvre (Alain, Propos, 1921, p. 221). − En partic. ♦ Écrit d'un auteur. Soumettre un texte à un éditeur. Je mettais en même temps à sa disposition quelques textes inédits que je possède (A. France, Bonnard, 1881, p. 297).J'emportais une dizaine d'exemplaires de mon texte (Abellio, Pacifiques, 1946, p. 152). ♦ Fragment, morceau choisi d'une œuvre (considéré comme caractéristique de la pensée ou du style d'un auteur); passage d'une œuvre. Choix de textes; explication de texte; commentaire de texte. Le Manuel de MM. Hesse et Gleyze, les textes choisis de M. Bouglé, me semblent beaucoup moins inoffensifs que les secrètes pensées de M. Gabriel Marcel (Nizan, Chiens garde, 1932, p. 191).Quelques textes essentiels de Breton, tirés du Manifeste de 1924 et des Vases communicants de 1932, et rapprochés ici, peuvent suffire à évoquer ce climat spirituel très particulier, qui demeure le plus profond message de la secte surréaliste (Béguin, Âme romant., 1939, p. 390). ♦ Passage de l'Écriture sainte qu'un prédicateur cite au début d'un sermon et qu'il prend pour sujet. Le révérend père Douillard, prenant pour texte Deposuit potentes de sede, établit que toute puissance temporelle a Dieu pour principe et pour fin (A. France, Île ping., 1908, p. 306).Le pasteur de Montmollin avait prêché le matin. Il avait pris pour texte un verset des Proverbes: « Le sacrifice des méchants est en abomination à l'Éternel, mais la requête des hommes droits lui est agréable » (Guéhenno, Jean-Jacques, 1952, p. 176). 2. a) Vieilli. Thème, sujet (d'un entretien, d'un discours, d'une méditation). Tels sont les faits qui, commentés, exagérés de vingt façons différentes, agitaient depuis deux jours toutes les passions haineuses de la petite ville de Verrières. Dans ce moment, ils servaient de texte à la petite discussion que M. de Rênal avait avec sa femme (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 11).Je pensais que le seul cercle des choses qu'embrassait mon regard depuis un coude de la route, au-dessus du village, était un petit monde, et que la seule connaissance de tout ce qui était compris dans cet horizon ferait une vaste érudition et pourrait servir de texte à toutes les pensées (Amiel, Journal, 1866, p. 363). − Loc., vieilli ♦ Revenir à son texte. Revenir à son sujet, reprendre un sujet de discussion. Cela dit en passant, j'en reviens à mon texte (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 105). ♦ Prendre texte. Prendre prétexte. Déjà le même défaut de tenue m'avait choqué chez ma maîtresse, et je pris texte de l'occasion pour faire une courte morale (Barrès, Homme libre, 1889, p. 8).M. de Terremondre (...) prit texte de ces observations pour accuser Zola d'avoir ignominieusement calomnié les paysans dans la Terre (A. France, Orme, 1897, p. 140). b) Sujet (d'un travail donné à des élèves). Texte d'un devoir, d'une dissertation, d'un problème. (Dict. xxes.). ♦ Texte libre. ,,Par définition, est texte libre tout écrit rédigé par l'enfant quand il le veut, où il le veut, dans la forme et sur le sujet qu'il choisit``(M.-J. Denis, Cahiers pédag., mai 1967, p. 48 ds Foulq. 1971). ♦ Cahier de textes. Cahier où l'élève note les sujets des devoirs, les exercices et les leçons donnés pour les jours ou les semaines suivants. B. m'a offert de tenir le cahier des textes (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1905, p. 143). Rem. En compos. Vidéotexte*. REM. Textologie, subst. fém.Textologie: science du texte. La textologie étudie les conditions générales d'existence des textes. (...) La textologie s'efforce d'assurer la bonne transmission de certains messages (R.Laufer, Introd. à la textologie, Paris, Larousse, 1972, p. 5). Prononc. et Orth.: [tεkst]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Déb. xiies. tiste « volume qui contient les évangiles » (Benoît, Voyage de St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 677); 1704 terme de liturg. texte « livre d'évangiles porté, aux grand'messes, par le diacre qui le donne à baiser à l'officiant » (Trév.); 2. a) ca 1220 teustes de saint Pierre « passage authentique d'un livre saint par opposition à la glose » (Gui de Cambrai, Barlaam et Josaphat, éd. C. Appel, 2552); b) 1269-78 nomer par plain texte « paroles authentiques d'un auteur » (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 6928); 1370 « termes employés par un auteur dans sa langue par opposition à la traduction » (Oresme, Ethiques, Prologue, éd. A. D. Menut, p. 101); c) 1636 « d'une manière générale, passage d'un livre que l'on cite, que l'on allègue » (Monet); d) 1734 restituer le texte (J.-B. Dubos, Hist. Crit. Monarchie Franc., p. 316); 3. 1520 impr. texte « caractère de seize points » (Inventaire de Didier Maheu, 204 ds Wolf (L.) Buchdruck, p. 114); 1556 id. petit texte « caractère de sept points et demi » (Inventaire Beringhen, 35, ibid., p. 104); id. gros texte « caractère de quatorze points » (ibid., p. 115); 4. 1670 « passage singulier choisi par un orateur pour être le sujet d'un discours » (Bossuet, Duchesse d'Orléans ds Littré); 5. 1705 mus. (Brossard); 6. 1813 « écrit d'un auteur » (Jouy, Hermite, t. 3, p. 336: Le texte d'une correspondance que j'entretiens, depuis vingt ans). Empr. au lat.textus « tissu, trame »; « enchaînement d'un récit »; « texte, récit » dès le ixes., désigna l'évangile dans la liturgie (v. FEW t. 13, p. 296), dér. de texere « tisser ». Fréq. abs. littér.: 3 330. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2 322, b) 2 468; xxes.: a) 4 785, b) 7 981. Bbg. Barberis (J.-M.). Cah. de praxématique. 1984, no3, p. 91. − Barthes (R.). Critique et vérité. Paris, 1966, 80 p. − Clément (C.-B.). De la méconnaissance: fantasme, texte, scène. Langages. Paris. 1973, no31, p. 52. − Ducrot-Tod. 1972, pp. 443-448. − Froger (J.). La Critique des textes... Paris, 1968, 280 p. − Hénault (A.). Les Enjeux de la sémiot. gén. Paris, 1979, p. 185. − Kerbrat-Orecchioni (C.). L'Énonciation et la subjectivité ds le lang. Paris, 1980, passim. − Kristeva (J.). Rech. pour une sémanalyse. Paris, 1969, 384 p.; Le Texte du roman. La Haye-Paris, 1970, 209 p. − Kristeva (J.), Coquet (J.-C.). Sémanalyse. Semiotica 1972, no4. − Lundquist (L.). La Cohérence textuelle. Kobenhavn, 1980, pp. 7-16. − Sollers (Ph.). Logiques. Paris, 1968, passim. − Vašák (P.). Textologie et modèles de communication. Revue 1979, no4, pp. 31-44. − Zurowski (M.). L'Intertextualité, ses antécédents... Kwart. neofilol. 1983, t. 30, no2, pp. 111-125. |