| TERRITOIRE, subst. masc. I. − Partie de la surface terrestre. A. − Étendue de terre, plus ou moins nettement délimitée, qui présente généralement une certaine unité, un caractère particulier. Synon. contrée, région.La surface [de la Finlande] en est sans cesse morcelée « en une foule de petits territoires par une alternance de petites collines rocheuses, de terrains de gravier, de lacs et de champs d'argile » (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p. 190).Des territoires aujourd'hui foulés par le nomade ou envahis par les sables furent autrefois occupés par des sédentaires et consacrés à la culture (Brunhes, Géogr. hum., 1942, p. 174). SYNT. Conformation d'un territoire; vaste territoire; territoire chaotique, glacé, immense, montagneux, raboteux, volcanique, couvert de rochers; territoire de sable, boisé, fertile, inculte, vierge, riche en mines d'or; territoire de pampas; les immenses territoires du Far-West américain; explorer, reconnaître, mettre en valeur un territoire. B. − [En rapport avec une collectivité hum.] 1. Étendue de la surface terrestre où est établie une collectivité humaine. Territoire des Eskimos, des Touaregs; étendue, fertilité d'un territoire. L'homme social (...) voit (...) la famille se changer en tribu, la tribu en cité, la cité en nation; les tentes s'abritent derrière des murailles; les territoires se déterminent par des bornes (Lacord., Conf. N.-D., 1848, p. 202).Les chasseurs ont besoin de territoires plus étendus que les agriculteurs et les bergers évolués (Lowie, Anthropol. cult., trad. par E. Métraux, 1936, p. 22). 2. Espace borné par des frontières, soumis à une autorité politique qui lui est propre, considéré en droit comme un élément constitutif de l'État et comme limite de compétence des gouvernants. La législation des Visigoths n'est point personnelle, elle est fondée sur le territoire. Tous les habitans de l'Espagne, Romains ou Visigoths, sont soumis à la même loi (Guizot, Hist. civilis., leçon 3, 1828, p. 26).Juridiquement, la base de l'URSS n'est ni le territoire, ni la population. Il faut entendre par là que la Fédération est ouverte à toute République socialiste soviétique, où qu'elle soit située, qui désirerait s'y incorporer (Vedel, Dr. constit., 1949, p. 214). SYNT. Territoire national; limites, frontières, population, ressources, richesses d'un territoire; être banni, chassé, expulsé du territoire; autorisation, interdiction de sortir du territoire; chercher asile en territoire étranger; législation fondée sur le territoire; territoire allemand, belge; le territoire de la France; pays qui a un grand, un petit territoire; nation petite par le territoire; territoire bien dessiné; éparpillement du territoire. − [Avec déterm. indiquant ses parties constitutives et p. ext. les domaines où s'exerce la souveraineté de l'État] Territoire aérien. On distingue le territoire métropolitain et le territoire colonial, le territoire proprement dit et le territoire maritime (Cap.1936).Territoire maritime. Synon. de eaux territoriales (v. eau I A 2 a). − [Dans des empl. faisant réf. à son organisation] Administration, aménagement, équipement, organisation du territoire; division du territoire en cantons, en départements, en régions. Le territoire est réparti en collectivités locales mais les préfets y représentent le gouvernement (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p. 261): En même temps que la France se formait ainsi moralement, que l'esprit national se développait, en même temps elle se formait pour ainsi dire matériellement, c'est-à-dire que le territoire se réglait, s'étendait, s'affermissait. C'est le temps de l'incorporation de la plupart des provinces qui sont devenues la France.
Guizot, Hist. civilis., leçon 11, 1828, p. 10. ♦ Délégation* à l'aménagement du territoire. − [Dans des empl. faisant réf. aux conflits dont il est ou a été l'objet] Annexion, cession d'un territoire; agrandir, conquérir, consolider, démembrer, morceler, défendre, libérer, envahir, occuper, violer, évacuer un territoire; ne pas céder un pouce du territoire;pénétrer en territoire ennemi; rétablir un pays dans l'intégrité de son territoire; chef d'État garant de l'intégrité du territoire; territoire insoumis, vaincu. L'inviolabilité du territoire n'a pas été imaginée dans l'intérêt des coupables, mais seulement dans celui de l'indépendance des peuples et de la dignité du prince (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p. 384).Pour acquérir les moyens de disposer sûrement (...) des sources de matières premières et des débouchés indispensables à ses puissantes industries, l'état moderne est donc conduit à empiéter sur le territoire d'autrui, c'est-à-dire, puisque la souveraineté demeure territoriale, sur la souveraineté et l'indépendance des peuples voisins (Perroux, Écon. XXes., 1964, p. 588). ♦ Direction de la surveillance du territoire (D.S.T.). Organisme de la police nationale chargé de la recherche et de la poursuite des manœuvres d'espionnage et d'ingérence étrangère dirigées de l'extérieur contre la France (d'apr. Quid 1983, p. 1624, s.v. justice). ♦ HIST. Le libérateur du territoire. Thiers. Thiers devait rester le légendaire assassin de Paris, dans sa gloire pure de libérateur du territoire (Zola, Débâcle, 1892, p. 632). ♦ Territoire neutre. Sol d'un pays neutre. Les Allemands n'avaient pas intérêt à violer les territoires neutres de Belgique et du Luxembourg (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 137). 3. Espace géographique ne constituant pas un État souverain, mais qui forme une partie d'un tel État et jouit d'un statut particulier. a) [En rapport avec la colonisation] Territoire non métropolitain. La tendance à l'autonomie, devait aboutir à doter les territoires coloniaux de statuts particuliers (Vedel, Dr. constit., 1949, p. 567). − [Avec déterm. indiquant la puissance souveraine] Territoire de souveraineté française. Dans l'esprit des étrangers, Hongkong, port anglais, territoire de la couronne, devient un port chinois (Malraux, Conquér., 1928, p. 130). − [Avec déterm. indiquant le statut] Territoire associé*, sous mandat*, sous tutelle*, d'outre-mer*. Territoire non-autonome. Territoire qui était doté d'un statut international. Il ne serait fait aucune distinction fondée sur le statut politique, administratif ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce territoire soit indépendant, sous tutelle ou non autonome, ou subisse toute autre limitation de souveraineté (Déclar. univ. Dr. Homme, 1949, p. 5). b) Subdivision d'un pays sur laquelle s'exerce une autorité, une juridiction particulière; p. ext., espace où une personne exerce sa fonction. − [Avec déterm. indiquant la nature de cette subdivision, l'autorité ou la collectivité exerçant son pouvoir] Territoire d'un arrondissement, d'un canton, d'un département, d'une collectivité locale, d'une ville, d'une abbaye, d'une cité universitaire; territoire communal, civil, militaire; territoire d'un juge, d'un évêque. Les diocèses de Vienne, de Narbonne, de Fréjus, de Sisteron, de Reims furent remplacés par soixante nouveaux diocèses, dont le territoire fut circonscrit dans le nouveau concordat (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p. 63).Vous auriez dû lire l'avis affiché à l'entrée du pays. − La mendicité est interdite sur le territoire de la commune (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Vagabond, 1887, p. 672). ♦ Territoire de + nom propre.On a pu, plus tard, retrouver quelque trace de son passage dans l'Ain sur le territoire de Civrieux (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 513).Territoire de Belfort. Département formé de la partie du Haut-Rhin restée française en 1871. La Révolution « départit » (...) la France en 83 circonscriptions, aujourd'hui au nombre de 95 en y incluant la ville de Paris et le territoire de Belfort (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p. 267). ♦ [P. réf. au statut d'extraterritorialité attaché aux ambassades] Un de mes amis, représentant d'une grande puissance à Paris, m'avait ménagé dans son hôtel, c'est-à-dire en territoire étranger, une retraite d'où je pensais, après les premiers jours de l'occupation allemande, pouvoir quitter Paris (Barrès, Cahiers, t. 11, 1914, p. 102). − HIST., GÉOGR. ♦ HIST. (des États d'Amérique du Nord). Dans un État fédéral, contrée généralement peu peuplée, ayant un statut particulier. Les Mormons ont demandé au congrès que le pays colonisé par eux fût annexé à l'Union en qualité de territoire (Mérimée, Mél. hist. et littér., 1855, p. 54).Aux États-Unis, à l'ouest des Appalaches, les contrées progressivement peuplées devenaient des territoires avant d'être érigées en états (CabanneGéogr.1984). ♦ [Dans des noms géogr.] Les Territoires du Nord-Ouest. Partie septentrionale du Canada. Les Terr[itoires] du N.-O. et du Yukon relèvent directement du gouv[ernement] et du Parlement can[adien], chacun a un commissaire à sa tête (Quid 1983, p. 1071).Le Territoire du Nord. ,,Un des deux territoires intérieurs du Commonwealth d'Australie`` (Le Petit Robert 2, Paris, S.N.L.-Le Robert, 1974). Les Nouveaux Territoires. Partie essentiellement continentale de Hong-Kong, que la Chine a donnée en location à l'Angleterre en 1898 pour une période de 99 ans (d'apr. Le Petit Robert 2, loc. cit., s.v. Hong-Kong). 4. Région ayant un caractère propre, province. Le territoire de l'Île-de-France, de Lorraine; le territoire alsacien; les territoires de l'Est (de la France). Il a fallu à la Russie le grand effort du transsibérien pour établir, entre ses territoires, une communication qui reste (...) imparfaite (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p. 271).Ce sens religieux du patriotisme... Ça s'explique, d'ailleurs, par son origine lorraine [de Poincaré], sa jeunesse dans un territoire qui venait d'être mutilé (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 135). 5. Étendue de terre, espace où sont circonscrits une activité, un phénomène. ♦ [En rapport avec l'utilisation, l'aménagement de cet espace] Synon. terrain, terre.Territoire agricole, (non) cultivé, labourable, rural; territoire classé en parc national; territoire de parcours. Ce sont des sauvages qui l'ont trouvé (...) assommé et à demi gelé (...). Il était sur leur territoire de chasse (Hémon, M. Chapdelaine, 1916, p. 51).La ville de faculté était territoire vinicole. Ils mangèrent des ragoûts noirs dans un restaurant de marchand de vins (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 101).P. métaph. Cartes, dés, et même roulette sont le véritable territoire de chasse sur lequel braconne le tricheur (Jeux et sports, 1967, p. 485). ♦ [En rapport avec une activité écon., techn.] Territoire de pêche, de vente. La création d'un marché considérable de 150 millions d'habitants, en ce qui concerne le charbon et l'acier, nous fait faire un grand pas vers l'unification du territoire économique européen (Scelle, Fédéralisme eur., 1952, p. 50).Pour éviter des risques de brouillage d'un pays à l'autre, il faudrait (...) introduire de vastes zones de silence séparant les territoires de bonne écoute (Matras, Radiodiff. et télév., 1958, p. 26). ♦ [En rapport avec un phénomène pol., soc., culturel] Territoire de langue allemande. La révolution française n'a pas eu de territoire propre; bien plus, son effet a été d'effacer en quelque sorte de la carte toutes les anciennes frontières (Tocqueville, Anc. Rég. et Révol., 1856, p. 68).Liège sera roman parce qu'il se trouve sur territoire wallon; le français n'y est qu'une langue étrangère superposée à un dialecte de même souche (Sauss. 1916, p. 269). − P. anal. Lieu, espace où se produit quelque chose, réservé à quelque chose. Des sacripants combinaient leurs méfaits, en cuvant, avec des prostituées, les boissons de crime (...) Dans ce territoire réservé du satanisme, elle émergeait [l'église], délicate et petite (Huysmans, En route, t. 1, 1895, p. 55). 6. P. anal. ou au fig. a) Lieu, espace qu'une personne considère comme sien, où elle se sent à l'aise. Sa chambre, c'est son territoire (GDEL). Nous avions gardé la coutume de nous tenir dans la salle à manger, même entre les repas. Le salon nous semblait un territoire hors du clan, une enclave pour les étrangers, les visiteurs, les malades (Duhamel, Terre promise, 1934, p. 136).Son anticléricalisme était si déclaré que je franchissais la porte cochère avec le sentiment de pénétrer en territoire ennemi (Sartre, Mots, 1964, p. 82). b) [Dans le domaine sensible] On ne se défend pas contre un parfum. D'un seul coup nous sommes envahis, notre territoire est occupé, nous respirons l'esprit (Claudel, Poète regarde Croix, 1938, p. 274). c) Ce sur quoi porte, s'applique quelque chose, ce qui en constitue le contenu, la matière. Territoire intellectuel, moral; le territoire de l'intelligence, de l'enfance; les territoires de l'art, de l'avenir, de la conscience, de l'esprit, de la luxure, de la métaphysique, de la pensée, du passé, de la sensibilité. Une science expérimentale (...) se constitue par un laborieux enfantement et par un progrès très lent qui éclaire de proche en proche les diverses parties du territoire scientifique (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 42).Pour convertir l'homme en soi, il convient, non de l'amputer, mais de l'exprimer à lui-même, d'offrir un but à ses aspirations et un territoire à ses énergies (Saint-Exup., Pilote guerre, 1942, p. 382). d) Domaine d'intimité d'une personne.Je suis très bon enfant (...) jusqu'à une frontière (celle de ma liberté) qu'on ne passe pas. Or comme il a voulu empiéter sur mon territoire le plus personnel, je l'ai recalé dans son coin et à distance (Flaub., Corresp., 1852, p. 455). C. − ÉTHOLOGIE. Espace d'étendue variable dont un animal, un couple, un groupe interdit l'accès à ses congénères et parfois à d'autres espèces, pendant une période plus ou moins longue selon les activités qui y sont déployées. Territoire d'accouplement, de nidification, de parade, de reproduction, d'alimentation; territoire alimentaire, individuel, collectif, permanent, temporaire. Le chant des oiseaux mâles est la plus connue des émissions acoustiques servant à la défense d'un territoire (Encyclop. univ., Universalia, 1987, p. 249). II. − ANAT., PHYSIOL. A. − Région du corps, d'un organe ayant une certaine individualité; en partic., partie anatomique en liaison avec un vaisseau ou un nerf défini. Toutes les régions cutanées peuvent être atteintes [par le pityriasis], à l'exception des mains et des pieds; le territoire d'élection est le haut de la poitrine, en avant et en arrière (Quillet Méd.1965, p. 309). − [Avec déterm. indiquant la partie anat. ou + nom propre pour désigner une zone précise]Territoire cutané, cérébral, encéphalique, ganglionnaire, rétinien, occipital. Fréquentes métastases dans le territoire pelvien ou abdominal tributaire du système lymphatique testiculaire (Roussy dsNouv. Traité Méd.fasc. 5, 21929, p. 244).De même que l'aphasie est une, sa localisation est une: c'est la lésion du territoire pariéto-temporal, dit territoire de Wernicke (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946 [1943], p. 253). − [Avec déterm. désignant le vaisseau ou le nerf] Les territoires des artères cardiaques; territoire du nerf spinal. Le lupus tuberculeux de la face (...) qui occupe le territoire du trijumeau, est un véritable cancer (L. Daudet, Universaux, 1935, p. 250). B. − Territoire de régénération. Région cutanée capable de régénération. Le triton, ainsi que la plupart des Batraciens Urodèles, régénère ses appendices (pattes et queue), sa crête, son museau, ses yeux. Chaque organe ne se régénère qu'à partir de la zone entourant son point normal d'insertion, et chacune de ces zones ne reforme que l'organe qu'elle contient normalement. C'est ainsi qu'a été définie (E. Guyénot) la notion de territoire de régénération (Encyclop. univ.t. 131978, p. 1079, s.v. régénération). C. − Territoire (présomptif ou organoformateur). Zone de l'œuf fécondé dont les éléments cellulaires correspondent aux futurs organes ou système d'organe. Synon. ébauche* présomptive.Il semble prouvé que l'hétérogénéité potentielle des territoires distincts dans les œufs en mosaïque, provient de l'hétérogénéité de leur constitution chimique (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 635). Prononc. et Orth.: [teʀitwa:ʀ], [tε-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1278 « étendue de pays formant une circonscription politique » (Lett. d'Alis de Savoie, Ch. des compt. de Dole, B 870, A. Doubs ds Gdf. Compl.); b) 1680 (Rich.: Territoire [...] C'est l'étenduë de la juridiction d'un Juge); c) 1916 territoire aérien (Lar. mensuel, déc., III, p. 939a ds Quem. DDL t. 16); 2. fig. a) 1621 (Camus, Agatonphile, p. 120: territoire du vice); b) 1852 territoire ... personnel (Flaub., loc. cit.); c) 1878 anat. territoire des cellules (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., p. 273); d) 1910 territoires de l'âme (Barrès, Cahiers, t. 8, p. 165). Empr. au lat.territorium « id. », dér. de terra « terre »; v. aussi terroir, forme pop. issue de territorium. Fréq. abs. littér.: 1 931. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2 317, b) 1 119; xxes.: a) 1 194, b) 4 918. |