| TERREUR, subst. fém. A. − 1. [À propos d'un individu] Peur extrême, angoisse profonde, très forte appréhension saisissant quelqu'un en présence d'un danger réel ou imaginaire. Frisson, instant, mouvement de terreur; fausse, grande, vaine terreur; terreur indicible, inexprimable, profonde, religieuse, sacrée, subite; fou de terreur; défaillir, être saisi, mourir de terreur; inspirer, semer la terreur. Elle reconnut la voix qui répondait: « Je vous remercie. » Alors, prise de terreur, elle revint en courant vers le fond de la pièce, s'assit à la table, chercha une contenance (Montherl., Songe, 1922, p. 203).C'est ainsi que l'on apprend à sentir, jusqu'à donner un nom à la terreur et à l'horreur, qui, dans un drame réel, n'ont point de nom ni de forme. On sait bien que, dans les terreurs paniques, ceux qui fuient ne savent pas qu'ils fuient ni qu'ils ont peur; c'est qu'ils ne sont plus du tout au spectacle (Alain, Propos, 1929, p. 844). ♦ Terreur panique*. − PSYCH. Terreurs nocturnes. Cauchemars nocturnes intenses surtout chez l'enfant. La grande personne pleine d'expérience qui rassure les terreurs nocturnes du petit garçon n'a pas d'inflexions plus ironiques ni plus bienveillantes (J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p. 195). − Terreur de + nom de la pers. ou de la chose qui inspire la terreur, ou + inf.Quand on a un amant plus âgé, on vit dans la terreur de sa mort. Et quand il est jeune, dans la terreur des autres femmes (Druon, Gdes fam., t. 1, 1948, p. 157): Songez à ce qu'il [Stendhal] a le plus haï en ce monde, à la petitesse, à l'économie (...) à toutes les vertus antipassionnelles, − (terreur de l'opinion, terreur de la dépense, terreur d'aimer ce que l'on aime), − qu'il avait observées de près, subies, blasphémées dans son enfance, qui lui avaient rendu Grenoble et toute la province française odieuses.
Valéry, Variété II, 1929, p. 97. − HIST. DE LA LITT. La terreur et la pitié. Les deux émotions tragiques selon Aristote et les théoriciens du théâtre classique. Quel que soit le drame (...) qu'il contienne avant tout la nature et l'humanité (...). Ayez la terreur, mais ayez la pitié (Hugo, Les Burgravesds Théâtre complet, Paris, Gallimard, t. 2, 1964 [1843], p. 18). 2. [À propos d'un groupe de pers.] Peur collective qu'on fait régner dans une population, un groupe de personnes, dans le but de briser sa résistance. L'ordre matériel exige, de toute nécessité, ou l'usage de la terreur, ou le recours à la corruption (Comte, Philos. posit., t. 4, 1893 [1839], p. 116). − HIST. Régime politique, mode de gouvernement fondé sur cette grande peur généralement entretenue par des mesures despotiques et par des violences. Jamais Robespierre, Collot ou Barrère, ne pensèrent à établir le gouvernement révolutionnaire et le régime de la terreur; ils furent conduits insensiblement par les circonstances (J. de Maistre, Consid. sur Fr., 1796, p. 5).Déjà même, il n'en était plus à la république théorique et sage, il versait dans les violences révolutionnaires, croyait à la nécessité de la terreur, pour balayer les incapables et les traîtres, en train d'égorger la patrie (Zola, Débâcle, 1892, p. 572).[En France] Terreur blanche. Terreur que firent régner les royalistes dans le Sud-Est au printemps et en été 1795; représailles exercées par les royalistes pendant l'été de 1815 contre les bonapartistes et les républicains. Je pense que si trois terreurs se succédaient coup sur coup en un mois, terreur rouge, blanche et tricolore, la même justice siègerait, jugerait, condamnerait; et s'il y avait des affaires qui traînaient, elle condamnerait sous la terreur blanche au nom de la terreur rouge, et sous la terreur tricolore, au nom de la terreur blanche! (Goncourt, Journal, 1861, p. 986).[En Union Soviétique] Terreur rouge. La terreur rouge [en U.R.S.S.] dont parlent les témoignages extraordinaires rassemblés dans le livre de Jacques Baynac ne désigne pas cet ensemble de mesures répressives (...) Ce qui est ici analysé, c'est la naissance d'un véritable système de terreur d'État, méthodique, rationnel, qui soudain s'emballe, prend l'habitude du sang et n'en finit plus de reproduire ses terroristes et ses terrorisés comme pour se légitimer lui-même (Le Nouvel Observateur, 12 janv. 1976, p. 59, col. 3). ♦ Équilibre de la terreur. ,,Menace de l'arme nucléaire qui, en réponse à une hégémonie impérialiste, remplace la paix`` (Graw. 1981). Faute de pouvoir être totale, la paix dégénère en guerre froide et l'ampleur démesurée des moyens de destruction fonde le nouvel ordre mondial sur l'équilibre de la terreur (Chazelle, Diplom., 1962, p. 39). ♦ P. méton. La Terreur. Période de la Révolution française comprise entre juin 1793 et juillet 1794 pendant laquelle des mesures d'exception furent prises contraignant les citoyens à obtempérer aux ordres du gouvernement révolutionnaire. La conduite de l'armée française pendant le temps de la Terreur a été vraiment patriotique (Staël, Consid. Révol. fr., t. 1, 1817, p. 439).Au plus fort de la Terreur, MlleClairon était retirée à Saint-Germain, et dans le dernier besoin (Delacroix, Journal, 1847, p. 192). − HIST. DE LA LITT. ,,Idéologie littéraire fondée sur le refus de la rhétorique et l'occultation du travail de l'écriture par les écrivains modernes`` (Angenot 1979). Il est à la terreur je ne sais quoi de flatteur et d'avantageux. Qui prononce qu'un écrivain a cédé aux mots et aux phrases, se sent lui-même meilleur. (« C'était bon à la rhétorique, dit-il, de nous piper à ses fleurs et à ses règles. Mais l'essentiel... ») (Paulhan, Fleurs Tarbes, 1941, p. 121).C'est [la littérature] un métier austère qui s'adresse à une clientèle déterminée, tâche à l'éclairer sur ses besoins et s'efforce de les satisfaire; elle est terreur, elle est rhétorique (Sartre, Sit. II, 1948, p. 238).V. terroriste II C ex. de Paulhan. B. − P. méton. Tout ce qui inspire une grande peur. 1. Empl. abs. a) Arg., pop. [À propos d'une pers.] Les souteneurs, les rôdeurs (...) ont des chefs (...) Ce sont les terreurs. Il y en a dans chaque quartier (Grison, Paris, 1882, p. 185).Jouer les terreurs. ,,Chercher à impressionner un adversaire par l'exhibition agressive de sa force`` (Cellard 1982). − P. ext. Individu dangereux ou impressionnant. Personne ne résistait au rire d'Antoinette l'orpheline, même pas le terrible père François qui passait pour une terreur (Cendrars, Homme foudr., 1945, p. 190).Mon interlocuteur (...) est placé et renommé pour connaître toutes les ficelles de la droite et de la gauche (...). C'est une puissance, ou, plus exactement, c'est une « terreur » (Giono, Voy. Ital., 1953, p. 251). b) [À propos d'une chose] Objet de ce qui suscite la terreur. Tout ce que les couleuvres, les chauve-souris, les gros insectes des marais, les lézards ont de plus horrible, était réuni dans ce monstre [par Léonard de Vinci] (...). Ce qu'il y a de mieux, c'est que toute cette terreur avait été réunie par une longue observation de la nature (Stendhal, Hist. peint. Ital., t. 1, 1817, p. 183). 2. Terreur de + subst. a) [À propos d'une pers.] Mon père était la terreur des domestiques, ma mère le fléau (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 33).Du fond de ces désolantes ténèbres, tous ces gens-là, « terreurs » du boulevard extérieur, ou « terreurs » du Parlement, cambrioleurs et concussionnaires, ne présentaient plus à Sturel les profils qu'un lecteur honnête leur voit en lisant la Gazette des Tribunaux (Barrès, Leurs fig., 1901, p. 195). Rem. Dans le lang. arg., terreur déterminé ou non par un nom est toujours précédé de la pour constituer un surnom: Jojo la terreur. Dédé Bénard, la Terreur-de-Montreuil, habitait [vers 1930] sur la zone dans deux roulottes (Trignol, Pantruche, 1946, p. 95). b) [À propos d'un animal] À l'est de Domremy, s'élevait une colline couverte d'un bois épais où l'on ne s'aventurait guère de peur des sangliers et des loups. Les loups étaient la terreur du pays (A. France, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 11). Prononc. et Orth.: [tε
ʀ
œ:ʀ]. Barbeau-Rodhe 1930, Warn. 1968 aussi [tε
rr
œ:ʀ] (par gémination expr.). Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1375 « crainte violente ressentie » sing. et plur. (Bersuire, Tit. Liv., Bibl. nat. 20312 ter, fol. 59 voet 36 ds Littré); ca 1590 suivi d'un déterm. introd. par de [génitif objectif] (Montaigne, Essais, II, 12, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 445); 2. 1587 « ce qui inspire une grande peur » ici, en parlant de pers. (Lanoue, Discours pol. et milit., Basle, Fr. Forest, p. 238: s'appelans [les nobles] les bras de patrie, les gardiens des armes, et la terreur des ennemis); 3. 1749 p. ext. « individu dangereux qui sème la peur » (lang. poissard d'apr. Esn.). B. Terme pol. 1. 1748 « principe gouvernemental du despotisme » (Montesquieu, Esprit des lois, VI, 9 d'apr. G. Van den Heuvel ds Actes 2ecolloque de lexicol. pol. 1980, t. 3, 1982, p. 894: le gouvernement despotique, dont le principe est la terreur); 1789, 1ermars terme crit. utilisé dans les pamphlets contre le despotisme (L'Aristocratie enchaînée, p. 14, ibid., p. 895 et note 20: Louis XI et Richelieu [...] substituèrent la terreur à la confiance); 2. a) 1789, 11 nov. désigne un moyen d'atteindre un but pol. [l'ordre social fondé sur l'égalité] par la résistance et l'émeute (Marat ds L'Ami du peuple d'apr. G. Van den Heuvel, ibid. et note 23: ce sont elles [les émeutes] qui l'ont rappelée [la faction aristocratique des États généraux], par la terreur, au devoir), cf. H. Kessler, Terreur. Ideologie und Nomenklatur, Munich, 1973, p. 9 sqq. et 68 sqq.; b) 1793, 30 août empl. du concept de terreur lié aux exigences de l',,armée révolutionnaire`` (Royer à la séance des Jacobins d'apr. G. Van den Heuvel, ibid., p. 898 et note 35: Plaçons la terreur à l'ordre du jour), cf. A. Geffroi ds Mél. Guilbert (L.), pp. 125-126; formule souvent mythifiée: 1793, nov. sainte terreur (Musset et Delacroix au Comité de Salut public d'apr. G. Van den Heuvel, ibid., p. 899 et note 42); 1794, 5 févr.(Robespierre, ibid. et note 45: la terreur n'est autre chose que la justice promte, sévère, inflexible [...] elle est une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux pressants besoins de la patrie), cf. H. Kessler, op. cit., p. 159 sqq.; c) 1795, 3 juill. désigne l'époque où fut appliqué ce mode de gouvernement (ds R. Cobb, Armée révolutionnaire, t. 2, 1963, p. 725 d'apr. G. Van den Heuvel, ibid., p. 902 et note 68: pendant la Terreur), cf. H. Kessler, op. cit., p. 179. Empr. au lat.terror « terreur, épouvante » [terrorem inferre; terror belli]; « objet qui inspire la terreur ». Cf. l'a. prov. terror « menace grave, intimidation » terme de dr. 1254 doc. Arch. Narbonne ds Levy (E.) Prov. Fréq. abs. littér.: 4 351. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7 564, b) 7 271; xxes.: a) 6 113, b) 4 475. Bbg. Dub. Pol. 1962, p. 428. − Faye (J.-P.). Dict. pol. portatif en cinq mots: démagogie, terreur, tolérance, répression, violence. Paris, 1982, p. 274 p. |