| TENTER, verbe trans. I. − Qqn tente qqn.[Dans un cont. relig. ou moral] A. − 1. [Le suj. désigne Dieu] Mettre à l'épreuve. Synon. éprouver.Dieu avait bien tenté Abraham! (Flaub., Tentation, 1849, p. 364).Dieu, qui ne tente personne au delà de ses forces, peut mettre tout à coup n'importe quel chrétien en demeure d'agir héroïquement (Maritain, Primauté spirit., 1927, p. 79). − [P. méton.; le compl. désigne une faculté hum. liée à la foi relig.] Tenter la foi, la fidélité de qqn. Ma raison est appelée à honorer Dieu comme tout le reste de mon être (...) Et c'est ma raison que Dieu tente; c'est sa façon de lui parler. Si elle n'était plus tentée, il semblerait pour elle que Dieu se taise; dans l'horreur de l'inaction elle s'ingénierait à se tenter elle-même (Gide, Journal, 1894, p. 54). ♦ Empl. pronom. réfl. V. supra ex. de Gide. 2. [Le suj. désigne un être hum.] a) Tenter Dieu − [Dans un cont. théol.] Exiger de Dieu des miracles, des preuves de sa toute-puissance, pour sa satisfaction personnelle. Le diable le prend [Jésus] avec lui (...) et le plaça sur le pinacle du Temple et lui dit: « Si tu es fils de Dieu, jette-toi en bas (...) » Jésus lui dit: « Il est encore écrit: Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu » (La Bible de Jérusalem, Matth., IV, 7, Paris, éd. du Cerf, 1974, p. 1419). − Littéraire ♦ Entreprendre une action périlleuse se situant au delà des forces humaines. Voilà à quoi on s'expose lorsqu'étant heureux on veut changer de place. On tente Dieu en allant chercher des périls, en courant au devant des maux que Dieu vous aurait épargnés si vous étiez resté au foyer domestique (Chênedollé, Journal, 1832, p. 147).Christophe Colomb I: Et que disent les commandants et les anciens? Le Délégué: Ils disent qu'il ne faut pas tenter Dieu. Ils disent qu'il faut revenir. (...) Christophe Colomb I: Depuis hier, la boussole s'est affolée, elle tourne comme un toton, il n'y a plus de Nord pour elle (Claudel, Chr. Colomb, 1929, 1repart., p. 1167). ♦ S'exposer à la punition divine en accomplissant des actions mauvaises. [Le Général Quesnel] répond qu'il est royaliste: alors chacun se regarde; on lui fait faire serment, il le fait, mais de si mauvaise grâce vraiment, que c'était tenter Dieu que de jurer ainsi (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 132).N'employez pas ce mot, je vous en conjure, mon ami, s'écria le prélat qui rougit, vous frisez le sacrilège, vous tentez Dieu (Arnoux, Juif Errant, 1931, p. 120). b) Tenter le diable. Courir des risques en se mettant dans une situation dangereuse. Supposons alors qu'Irène est un expérimentateur intrépide que la chance d'une explosion même n'intimiderait pas (...). Mon cher Henri, ce que les uns appellent un goût ingénu de l'expérience, d'autres l'ont appelé parfois, « tenter le diable » (Gracq, Beau tén., 1945, p. 90). c) Par personnification. [Le compl. désigne une force surnaturelle ou métaphys.] Tenter la destinée, le hasard, la providence, la mort, le sort. Les défier en entreprenant des actions périlleuses. Je vous en supplie, mon ami, ne tentez pas la destinée. Vous allez et venez continuellement, comme si cette proclamation de mort n'existait pas contre vous (Musset, Lorenzaccio, 1834, v, 7, p. 268). B. − Entraîner au mal, au péché. 1. [Le suj. désigne Satan] a) THÉOL. [Le compl. désigne Jésus] Alors Jésus fut emmené au désert par l'Esprit, pour être tenté par le diable (La Bible de Jérusalem,Matth., IV, 7, Paris, éd. du Cerf, 1974, p. 1418). b) [Le compl. désigne un être hum.] Long lézard sans pattes (...) le serpent étant un animal tout à fait inconnu en Polynésie, la métis qui avait éduqué Rarahu, pour lui expliquer sous quelle forme le diable avait tenté la première femme, avait eu recours à cette périphrase (Loti, Mariage, 1882, p. 69).Mon confesseur (...) avait coutume de me préconiser, lorsque le diable me tenterait, la prière (Verlaine,
Œuvres compl., t. 5, Confess., 1895, p. 73). − Vieilli. Tenter de + subst.Un solitaire « à qui on avait apporté dès le point du jour une grappe de raisin, ne vit pas plutôt partir celui qui la lui avait donnée, qu'il la dévora tout d'un coup avec une extrême avidité, mais qui n'était qu'apparente, affectant par là de passer pour intempérant aux yeux des démons » qui trompés sans doute par cette « adresse sainte » cesseraient de le tenter de gourmandise (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 251). 2. P. anal. [Le suj. désigne une pers. habitée par l'esprit du mal] Pourquoi avez-vous fait cela? Pourquoi êtes-vous venu vous mettre entre nous, séparant le mari de la femme? Est-ce que cela est bien? (...) Pourquoi êtes-vous venu le tenter dans sa faiblesse et dans sa pauvreté (Claudel, Échange, 1894, iii, p. 714): 1. Que se passa-t-il alors entre cette femme, en l'âme de qui subsistait un dernier sentiment de pudeur, et cet homme à l'infernal génie, qui semblait être la vivante incarnation du mal? Par quels arguments irrésistibles, par quelles promesses vertigineuses Satan parvint-il à tenter cette fille d'Ève? Nul ne le sut jamais.
Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 162. C. − P. ext. Attirer, en proposant des conditions séduisantes. Synon. allécher.Par bonheur, les coalisés hésitèrent. Louis XI profita de ce moment d'hésitation pour tenter les princes. Places fortes, provinces, argent: il leur offrit beaucoup (Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 129).Camille, comme la plupart des esprits paresseux et sensuels, ne recherche pas l'argent mais si on lui en met sous le nez, il le prend, (...). Il fallait donc tenter Camille, en lui ménageant des emprunts (Drieu La Roch., Rêv. bourg., 1937, p. 197). − Tenter qqn à + inf.Inciter, pousser. Toutefois elle l'entoura de soins, cherchant à le tenter à prendre un peu de nourriture (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 116). II. − Qqc. tente qqn A. − Éveiller le désir, l'envie de. Les richesses, le luxe, l'ambition, l'aventure, les voyages, le théâtre, cette profession, ce bijou, cette maison, cette voiture, ce vêtement me tentent. Plutôt que de conserver d'importantes liquidités qui pourraient tenter les malfaiteurs, les banques préfèrent demeurer largement créditrices auprès de cette institution (Baudhuin, Crédit et banque, 1945, p. 170): 2. ... j'aperçus chez un marchand d'antiquités un meuble italien du xviiesiècle. Il était fort beau, fort rare (...). Puis je passai (...) Je m'arrêtai de nouveau devant le magasin pour le revoir, et je sentis qu'il me tentait. Quelle singulière chose que la tentation! On regarde un objet et, peu à peu, il vous séduit, vous trouble, vous envahit comme ferait un visage de femme.
Maupass., Contes et nouv., t. 2, Chevelure, 1884, p. 937. − Vieilli. Tenter qqn à + inf.Que ferai-je maintenant dans les soirées de cet automne? Ce 4 octobre 1811, anniversaire de ma fête et de mon entrée à Jérusalem, me tente à commencer l'histoire de ma vie (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 15).[En empl. impers. suivi d'un inf.] Il vous tente d'être indulgent à l'objet de tant de cris, de haine (Verlaine,
Œuvres compl., t. 4, Mém. veuf, 1886, p. 259). − [Avec un sens passif] Se laisser tenter. Se laisser gagner par le désir, succomber. Il avait mis les siennes [ses économies] dans son grenier. Un voisin, (...) se laissa tenter, grimpa la nuit par les toits, pénétra par une lucarne et s'empara du trésor de M. l'abbé (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 356).Je lui fis espérer des plaisirs raffinés, à Naples (...) et il se laissa tenter (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Sœurs R., 1884, p. 1256). ♦ Se laisser tenter par + subst.Ne pas trop se laisser tenter par les modèles spéciaux [de lessiveuse] (...) car tout cela est inutilement compliqué et cher (Lar. mén.1926, p. 193). ♦ Se laisser tenter à + inf. (vieilli).Il ne me souciait pas de rester à Marseille ou à Lyon. Je me suis laissé tenter à rentrer dans cette Italie qui est à un jour d'ici (Ampère, Corresp., 1834, p. 66). − [Le compl. désigne un penchant, un défaut] Éveiller, exciter, séduire. Je n'ai trouvé qu'au prix de toutes les offres qui peuvent tenter l'avarice, quelques hommes, quelques prêtres, qui voulussent accompagner ce convoi (Latouche, L'Héritier, Lettres amans, 1821, p. 109).La possession d'un or superflu ne tente pas mon ambition (Nodier, Fée Miettes, 1831, p. 154). B. − Éveiller, aiguiser les plaisirs des sens. On venait de tirer de la broche un magnifique dindon, beau, bien fait, doré, cuit à point, et dont le fumet aurait tenté un saint (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 64).Daï-Natha lui était apparue quelques jours auparavant, vêtue à l'européenne et belle à tenter un anachorète (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 261). C. − Au passif. Être tenté de + inf.Ressentir le désir, le besoin de. Être tenté de dire, de parler, d'interpréter, de penser (que), de supposer (que). On était en effet tenté de croire que, par le seul jeu de blocus économique sans avoir recours à des actions militaires, il serait possible d'obtenir la victoire (Joffre, Mém., t. 2, 1931, p. 195).Le papier-monnaie peut être émis dans des proportions très variables, suivant les besoins de la vie économique. Cet avantage implique aussi un danger, car on peut être tenté d'émettre trop de billets (Lesourd, Gérard, Hist. écon., 1968, p. 47). − Vieilli. Être tenté de + subst.Ressentir un penchant, une tendance pour. Il arrivera des temps de sécheresse et de peine, où vous serez tentée de découragement (Lamennais, Lettres Cottu, 1818, p. 7).Je n'étais que trop tenté de dégoût vis-à-vis de ma propre personne, et je sais le danger d'un tel sentiment qui finirait par m'enlever tout courage (Bernanos, Journal curé camp., 1936, p. 1244). III. − Qqn tente qqc. A. − [Suivi d'un subst.] Entreprendre, avec l'espoir de la réussir, une action qui présente un caractère difficile ou périlleux. Synon. essayer, risquer.Tenter une expérience, une aventure, une affaire, un dernier effort, un projet; tenter l'impossible, le tout pour le tout; il faut tout tenter pour; qui ne tente rien n'a rien (proverbe). Ulrich Gunther (...) et Alphonse Stegmann (...) s'étaient encore égarés en tentant l'escalade de la montagne du Néron (Barrès, Cahiers, t. 10, 1913, p. 90).Les Allemands avaient retiré du front de l'Yser leurs meilleures unités et nous pouvions, dans ces conditions, tenter l'entreprise, même avec des troupes incomplètement réorganisées (Foch, Mém., t. 1, 1929, p. 236). ♦ Tenter qqc. sur qqn.Faire un essai thérapeutique sur quelqu'un. Il faut donc arriver à la prophylaxie de la rage après morsure. Je n'ai rien osé tenter jusqu'ici sur l'homme, malgré ma confiance dans le résultat (Pasteur, Corresp., 1884, p. 438). ♦ Absol. [Les Goncourt] marchent hors rang, courageux et unis, à leurs risques et périls, se tenant par goût aux avant-postes de l'art; ils tentent constamment, ils cherchent sans cesse (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 10, 1866, p. 416). ♦ Vieilli. Tenter de + subst.J'ai tenté de tous les moyens et de toutes les explications pour me faire pardonner cette méprise (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Fen., 1883, p. 888). ♦ Rare, empl. pronom. à sens passif. Ce don [de critique] devient même du génie lorsqu'au milieu des révolutions du goût, entre les ruines d'un vieux genre qui s'écroule et les innovations qui se tentent, il s'agit de discerner avec netteté (...) ce qui est bon et ce qui vivra (Sainte-Beuve, Chateaubr., t. 2, 1860, p. 116). − En partic. Tenter une carrière, un métier. Lorrain racontait que son père, étant armateur, avait voulu un moment tenter l'élevage des bestiaux (Goncourt, Journal, 1892, p. 268).Le professeur de rhétorique (...) a dit à mes parents que, si j'étais son fils, il me laisserait avec confiance tenter la carrière des lettres (Barrès, Cahiers, t. 14, 1923, p. 272). − Loc. Tenter sa (la) chance, tenter (la) fortune. Entreprendre une action en comptant beaucoup sur la chance pour réussir. Après quelques hésitations, tous résolurent à l'unanimité de tenter la fortune et de courir la chance de la peste, plutôt que de renoncer à voir Jérusalem (Lamart., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 391).Les enfants ne restent plus immuablement attachés au pays de leurs parents, mais s'en vont tenter fortune dans toutes les directions (Durkheim, Divis. trav., 1893, p. 278).J'avais tenté ma chance dans les affaires mais la fortune ne m'a pas souri (Jeux et sports, 1967, p. 444). B. − Tenter de + inf.Essayer. Il me fallait naturellement reconstituer l'affaire en deux phases (...): la première phase pendant laquelle on avait réellement tenté d'assassiner MlleStangerson, tentative qu'elle avait dissimulée (G. Leroux, Myst. ch. jaune, 1907, p. 143).Pour que cette branche de la linguistique puisse donner son plein enseignement, il est indispensable que l'on en connaisse les méthodes et qu'on les applique avec rigueur. C'est ce que nous avons tenté de montrer au long du présent chapitre (L'Hist. et ses méth., 1961, p. 721). REM. 1. Tentatif, -ive, adj.,vx. Qui tente, éveille le désir. Synon. tentant.Qu'y avait-il de plus naturel par exemple et de plus tentatif pour la nature humaine, que de se réserver une portion des provinces conquises par les Sarrazins (J. de Maistre, Pape, 1819, p. 150).Cet autre appétit de luxe qu'on est obligé de solliciter par tout ce que l'art a de plus raffiné et le changement de plus tentatif (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 222). 2. Tentement, subst. masc.,escr. Mouvement qui consiste à battre deux fois le fer de l'adversaire. (Dict. xixeet xxes.). 3. Tenter, verbe intrans.,escr. Faire un tentement (Dict. xixeet xxes.). Prononc. et Orth.: [tɑ
̃te], (il) tente [tɑ
̃:t]. Homon. tante, tente. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1remoit. xiies. tempter Deu « demander à Dieu des effets de sa toute puissance, sans nécessité » (Psautier d'Oxford, 77, 21, éd. Fr. Michel, p. 106); 2. a) ca 1125 « solliciter (quelqu'un) à une chose défendue » (Voyage de St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 201); b) fin xiies. « mettre à l'épreuve la fidélité de quelqu'un » (en parlant de Dieu) (Herman de Valenciennes, Li Romanz de Dieu et de sa mère, éd. I. Spiele, 1957); ca 1355 « mettre à l'épreuve quelqu'un » (Bersuire, fo28 verso ds Littré); c) ca 1275 « inspirer le désir de faire quelque chose » (Jean de Meun, Roman de la Rose, éd. F. Lecoy, 14067); 1625 tenter qqn de + inf. (J.-P. Camus, Palombe ou la femme honnorable, 191); 3. mil. xiiies. « faire l'essai de quelque chose » (Chevalier au Barisel, éd. F. Lecoy, 763); 1559 tenter la fortune (Amyot, Cor., 35 ds Littré); 4. a) 1316-28 « exciter le désir » (Métamorphoses d'Ovide, IV, 2360, éd. G. De Boer, t. 2, p. 62); b) mil. xves. « chercher à séduire » (Charles d'Orléans, Rondeaux, éd. P. Champion, p. 343); 5. 1550 « essayer de mener à bien quelque chose » (Ronsard, Odes, I, 10, éd. P. Laumonier, t. 1, p. 112); 6. 1623 estre tenté de + inf. « avoir tendance de » (Le Père Garasse, Doctrine Curieuse Beaux Espr., 529). B. 1704 terme d'escr. (Trév.). Du lat. temptare « toucher, tâter; faire l'essai ou l'épreuve de; essayer », écrit parfois tentare, graph. due sans doute à une prononc. pop., d'où la confusion entre les deux verbes temptare et tentare, fréquent. intensif de tendere « tendre ». Fréq. abs. littér.: 6 465. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 8 655, b) 7 596; xxes.: a) 8 947, b) 10 647. Bbg. Gohin 1903, p. 278 (s.v. tentatif). − Quem. DDL t. 27. |