| TELLEMENT, adv. A. − [Signifie qu'une qualité ou qu'une action sont portées à un degré tel, que celui-ci implique une conséquence] 1. [La conséquence est exprimée ou non] a) [La conséquence est exprimée par une prop. corrél.] Tellement... que. Ces cadres bizarres sont tellement malaisés à remplir qu'on permet au rimeur d'y mettre n'importe quoi (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 18).Il trouvait tellement que l'honneur était pour elle qu'il ne pouvait s'empêcher de sourire tout en faisant une figure de circonstance (Proust, Guermantes 1, 1920, p. 338).Je me suis tellement ennuyée que je suis partie (Bourdet, Sexe faible, 1931, II, p. 382).Il est tellement fatigué, qu'il s'est endormi tout habillé (Pagnol, Fanny, 1932, III, 6, p. 191). Rem. Après tellement... que, on emploie l'ind. ou le cond.: On pourrait tellement préparer l'éducation de l'homme que tous ses préjugés seraient des vérités, et tous ses sentiments des vertus (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 446). Le subj. peut être utilisé en phrase hyp. interr. ou nég.: En sortant, nous passâmes un autre petit pont et admirâmes une charmante petite chute d'eau, qui n'est pas tellement rapide que trois arbres n'aient pu croître sur l'arête même d'où elle se précipite (Michelet, Journal, 1835, p. 178). De même que les doctrines et les philosophies qui se proposent sans preuves trouvent dans la suite des temps plus de mal à se faire croire, et suscitent plus d'objections, tellement qu'à la fin on ne retienne plus pour vrai que ce qui est véritable, ainsi va-t-il dans l'ordre des arts (Valéry, Variété IV, 1938, p. 45). Le subj. s'impose quand le verbe que modifie tellement est lui-même au subj.: Mais en supposant que les Espagnols ne se relâchent point de leurs sévères conditions, et qu'ils soient tellement liés par leur traité de 1776 avec les North-Américains, qu'ils n'aient que ces nouvelles limites à nous donner, nous posséderons beaucoup plus de terres qu'auparavant (Baudry des Loz., Voy. Louisiane, 1802, p. 227). b) [La conséquence n'est pas exprimée par une prop. corrél.; tellement possède alors une valeur qui peut paraître purement intensive; il entre dans une phrase ell. ou exclam.] . Je suis tellement sûr que ça te plaira! (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1170).Mais pourquoi faire? Tout était tellement vain (Malraux, Cond. hum., 1933, p. 213). 2. [Tellement modifie] a) [un adj. ou un part. passé empl. comme adj.] Sa peur devint alors tellement intense qu'elle ne put remuer son cou qui se pétrifia (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 4).Un veston d'intérieur tellement élimé sur le devant qu'à cet endroit il y avait comme une large plaque blanchâtre (Montherl., Célibataires, 1934, p. 741). b) [un subst. empl. comme adj.] Je suis tellement gosse que je me suis amusé de ça un quart d'heure (Rivière, Corresp.[avec Alain-Fournier], 1907, p. 317). c) [un pron. représentant une pers. considérée selon certains de ces traits caractéristiques] À vêpres, respexit humilitatem m'a bien touché et saisi... C'est tellement moi! (Dupanloup, Journal, 1866, p. 271). d) [un adv.] On obtient tellement davantage par la persuasion! (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 687). e) [un compar.] Il est tellement plus vieux que son âge! (Bourdet, Sexe faible, 1931, p. 354).La résistance du corps au couteau l'obsédait, tellement plus grande que celle de son bras (Malraux, Cond. hum., 1933, p. 187). f) [un syntagme prép.] Si c'est là le consolateur, on le voit tellement au-dessous du malheur même, que la misère épouvantable du Christ ressemble aussitôt, par comparaison, à de la magnificence (Bloy, Journal, 1894, p. 107). g) [une loc. verb.] J'ai tellement besoin de silence... (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1247).J'ai tellement confiance en elle que je ne le croirai jamais (Pagnol, Fanny,1932,I, 2etabl., 4, p. 85). h) [un verbe] Ses sales maladies reparaissaient et le faisaient tellement souffrir, qu'il n'était plus bon à prendre avec des pincettes (Zola, Nana, 1880, p. 1291).Elle a tellement ennuyé mon père qu'il a fini par me renvoyer en Algérie (Lenormand, Simoun,1921, 9etabl., p. 83). i) [un compl. introd. par de (ou en qui représente un tel compl.)] Il y a eu tellement, tellement de tristesse dans ma vie! Tout n'a été que tristesse (Farrère, Homme qui assass., 1907, p. 291).Monseigneur avait tellement de soucis! (Queffélec, Recteur, 1944, p. 94).Il en avait tellement vu faire pendant qu'il était à la clinique (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 251). Rem. Si est pléonastique devant tellement: Il était si tellement méticuleux que tu l'voyais balayer l'herbe de son jardin avec un balai d'crin, ou, à genoux sur sa pelouse, couper le gazon avec une paire d'ciseaux (Barbusse, Feu, 1916, p. 178). B. − [Peut être empl. dans une phrase nég. ou interr. à la place de si ou tant (sans idée de conséquence)] Qu'a-t-il donc dit de tellement grave? (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 209).La gare des marchandises de l'ouest? − Pas tellement loin de chez moi, en somme. − Une vingtaine de minutes à pied (Romains, Hommes bonne vol., 1932, p. 250).C'était pas tellement à craindre! (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 459).S'il était si cinglé que ça tu ne serais pas tellement copain avec lui (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 271). C. − [Introd. une causale, la causalité étant suggérée par une simple juxtaposition] Je serais certain de t'y conduire les yeux fermés, tellement je connais les moindres chemins de traverse (Zola, Débâcle, 1892, p. 480).Il ne savait plus s'il existait seulement, tellement toute sa personne était supprimée (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 233). − Fam. Tellement que. Nous voilà partis en causant tous les deux, moi pas plus gêné que si je causais à Dur, ou à Corenpot, tellement qu'il sait mettre les gens à leur aise (Aymé, Jument, 1933, p. 225). D. − Vieilli ou littér. [En corrél. avec que, tellement introd. une sub. consécutive, sans idée d'intensité] Tellement... que. De telle manière que, de telle façon que. Il fait cette belle observation que les semences des plantes sont tellement disposées par leurs figures et leurs poids, qu'elles tombent toujours sur le sol dans la position où elles doivent germer (Chateaubr., Génie, t. 1, 1803, p. 165).Sa chambre à coucher devait être tellement disposée que de son lit d'empereur [Charles-Quint] pût voir le grand autel de l'église et les orangers du couvent (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 3, 1862, p. 208). − Tellement que, loc. conj. Si bien que, de telle sorte que. [Suivi de l'ind.] Le pauvre vieux roi de France restait solitaire en son hôtel Saint-Paul, délaissé de tous; tellement que le jour de Noël, où auparavant il était si solennellement entouré, il ne fut visité que par de vieux serviteurs et quelques bourgeois qui lui gardaient fidèle affection (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 330). [Suivi du subj.] Il la fallait rédiger [une lettre au Pape] tellement que la conscience des quatre évêques s'en accommodât, et qu'elle ne contînt rien que d'agréable au Pape et au roi (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 281). E. − Vieilli. Tellement quellement, loc. adv. (vieilli ou littér.). Tant bien que mal, comme on peut, vaille que vaille. Avancer qu'on n'a pas droit de se plaindre parce qu'on jouit, tellement quellement, des lois fondamentales, et qu'après tout le soleil brille et les récoltes sont abondantes, cette manière de conclure seroit étrange (Chateaubr., Mél. pol., t. 2, 1824, p. 357). Prononc. et Orth.: [tεlmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1274 telement que « de telle manière que » + prop. conséc. (Adenet le Roi, Berte, éd. A. Henry, 573: Pour ce que la vouloit telement esmaier Qu'ele ne desist mot ne que n'osast noisier); b) ca 1275 (Id., Enfances Ogier, éd. A. Henry, 798: Puisqu'il se tienent devant nous telement, Je lo k'a aus brochons isnelement); c) ca 1370 telement quelement « de manière médiocre, n'importe comment » (Nicole Oresme, Ethiques, éd. A. D. Menut, IX, 11, p. 481); 2. a) 1482 tellement que... « à tel point que » (Ferget, Mirouer de la vie humaine, fo99 vods Gdf. Compl.); b) 1549 tellement + adj. + que (Est.). Dér. de tel*; suff. -ment2*. Fréq. abs. littér.: 6 010. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7 430, b) 7 652; xxes.: a) 8 375, b) 10 082. Bbg. Bar(f.). Superl. et intensifs dans le fr. d'auj. Fr. mod. 1952, t. 20, pp. 21-25. − Lehmann (G.). L'Emploi mod. de l'adv. fr. tellement... Lund, 1959, 30 p. − Togeby (K.). Gramm. fr. Vol. 4... Copenhague, 1984, pp. 189-195. |