| TARIR, verbe A. − Empl. trans. 1. [Le compl. d'obj. dir. désigne une réserve d'eau, de liquide] Mettre à sec, faire cesser de couler. Synon. assécher, dessécher, épuiser.Tarir un étang, un puits; la fontaine, la source est tarie. Et la mare d'Auteuil est à demi tarie par les brebis (Goncourt, Journal, 1870, p. 586).La lampe dont l'huile est tarie (Gide, Journal, 1943, p. 113). − Littéraire ♦ Tarir les pleurs, les larmes. Faire cesser de couler, épuiser les larmes. Personne ne pleurait: dix ans de mort tarissent toutes les larmes (Nizan, Conspir., 1938, p. 38). ♦ Tarir les pleurs, les larmes de qqn. Consoler quelqu'un, apaiser son chagrin. Je vais donc lui parler, le voir, tarir ses larmes, Partager son bonheur! (Delavigne, Louis XI, 1832, iii, 7, p. 132).Tous ceux [les miracles] qui lui succédèrent ont été effectués (...) dans le but d'opérer des guérisons, d'alléger les douleurs, de tarir des larmes (Huysmans, Oblat, t. 1, 1903, p. 287). − [Le compl. d'obj. dir. désigne un écoulement, une sécrétion] Faire cesser de couler. Tarir une hémorragie. Vous avez été obligée de prendre une nourrice, le chagrin vous a tari votre lait (Balzac, Illus. perdues, 1843, p. 605). ♦ ZOOTECHN. [P. méton.;] [le compl. d'obj. dir. désigne une femelle de mammifère] Faire cesser les sécrétions lactées de. On a l'habitude de tarir (...) les vaches (...) avant leur accouchement afin qu'elles ne soient pas obligées de prendre sur leurs réserves pour nourrir le fœtus (Lar. agric.1981). 2. P. métaph. ou au fig. Épuiser ce qui constitue une réserve, une source. Synon. anéantir, consumer, épuiser. a) [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose concr.] Tarir les ressources d'un pays. Le recrutement sacerdotal est presque tari dans nos villages (Bernanos, Journal curé camp., 1936, p. 1084): 1. À force de les fouiller [les terrains aurifères], on en trouvait le fond. Et comment n'eût-on pas tari ces trésors accumulés par la nature, puisque, de 1852 à 1858, les mineurs ont arraché au sol de Victoria soixante-trois millions cent sept mille quatre cent soixante-dix-huit livres sterling?
Verne, Enf. cap. Grant, t. 2, 1868, p. 147. b) [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose abstr.] Que ne puis-je tarir le flot de mes pensées, Et dans l'abîme noir et vengeur de l'oubli Noyer le souvenir des ivresses passées! (Leconte de Lisle, Poèmes barb., 1878, p. 241).L'humanisme dévot (...) n'a pas réussi à créer (...) une France puritaine, mais il a tari pour longtemps la sève mystique de notre pays (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 305). B. − Empl. intrans. et pronom. 1. [Le suj. désigne une réserve d'eau, de liquide] Cesser d'être alimenté, de couler; s'épuiser. Fontaine qui tarit; l'étang a tari, s'est tari. Les fleuves (...) seraient réduits en ruisseaux marécageux et tariraient dans leurs lits sablonneux (Vigny, Mém. inéd., 1863, p. 155).Voilà qu'en juillet le puits a tari: les vaches n'avaient plus d'eau à leur soif et elles ont quasiment arrêté de donner du lait (Hémon, M. Chapdelaine, 1916, p. 234): 2. Rentre en toi-même, Oreste: l'univers te donne tort (...). Ou redoute que la mer ne se retire devant toi, que les sources ne se tarissent sur ton chemin, (...) que la terre ne s'effrite sous tes pas.
Sartre, Mouches, 1943, III, 2, p. 99. − Littér. Larmes qui tarissent, qui se tarissent. Larmes qui s'arrêtent de couler. Insensiblement, les larmes de la souffrance tarissent pour laisser couler celles de l'extase (Taine, Notes Paris, 1867, p. 330).Le catholique pratiquant sent ses larmes se tarir brusquement (Prévert, Paroles, 1946, p. 137). − [Le suj. désigne un écoulement, une sécrétion] Devenir de moins en moins abondant, s'épuiser. Eve fut obligée de prendre une nourrice, son lait tarissait (Balzac, Illus. perdues, 1843, p. 575).Les mamelles sont des organes (...) entrant en pleine activité après la mise bas. Leur sécrétion diminue peu à peu et se tarit à la fin de l'allaitement normal (Garcin, Guide vétér., 1944, p. 123). 2. P. métaph. ou au fig. S'affaiblir, disparaître progressivement. Synon. s'effacer, disparaître. a) [Le suj. désigne une chose concr.] La suie noire contre un pan de briques autrefois crépi marquait encore la place du foyer où cette famille de montagnards avait vécu, aimé, tari (Lamart., Tailleur pierre, 1851, p. 410).[Les] vaisseaux désertèrent un à un une mer secondaire où le trafic tarissait insensiblement (Gracq, Syrtes, 1951, p. 14). b) [Le suj. désigne une chose abstr.] Son inspiration a tari. La source de la sensibilité se tarit chez ces gens-là (Stendhal, Amour, 1822, p. 175).Je regardais le paysage tyrolien, dans son cadre, ce paysage de montagnes où les meilleurs rêves de mon enfance se sont consumés, taris (Duhamel, Confess. min., 1920, p. 42). − En partic., loc. La conversation, l'entretien, etc. tarit. On ne trouve plus rien à se dire. Les paroles vaines que l'on s'adresse le matin sur la santé, sur la beauté de la journée, tarirent à la fois chez tous les deux (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 70). C. − Part. passé en empl. adj. [Corresp. à supra A et B] 1. [En parlant d'une réserve d'eau, de liquide] À sec, épuisé. Rivière, source tarie; puits de pétrole tari. Cette fontaine profonde et tarie couverte d'un grillage, enfouie sous tant d'herbes folles (Alain-Fournier, Meaulnes, 1913, p. 186). − [En parlant d'un écoulement, d'une sécrétion, des pleurs, p. méton. d'un organe qui les produit] Son enfant altéré qui (...) presse vainement sa mamelle tarie (Lamart., Chute, 1838, p. 1005).Les trop vieilles grand'mères n'ont plus de larmes dans leurs yeux taris (Loti, Pêch. Isl., 1886, p. 171). 2. P. métaph. ou au fig. [En parlant de ce qui constitue une réserve] Épuisé. Imagination tarie. Les troupes mal payées, le commerce dépérissant, les finances taries à force d'exactions (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 37). D. − Empl. intrans. [Dans des tournures nég.; le suj. désigne une pers.] Ne pas tarir sur, au sujet de, à propos de qqn ou qqc. Ne pas cesser de parler de, être inépuisable sur quelqu'un ou quelque chose. Albert ne tarissait pas sur le bonheur que lui et Franz avaient eu de rencontrer un pareil homme (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 527).Les vieux qui l'ont connu ici enfant ne tarissent pas sur son compte (Bernanos, Journal curé camp., 1936, p. 1210). ♦ [P. méton.;] [le suj. désigne les propos tenus par une/des pers.] Les conversations au sujet du drame de Whymper n'avaient pas tari autour des tables de thé et de bridge (Peyré, Matterhorn, 1939, p. 143). ♦ [P. ell. du compl. d'obj. indir.] Il ne tarit plus. Mais la grosse dame ne tarissait pas, racontait comment, ayant quitté sa boutique l'avant-veille, après l'avoir fermée, elle avait eu le tort d'y laisser des valeurs, cachées dans un mur (Zola, Débâcle, 1892, p. 607).Son extraordinaire mère (...) nous a raconté sans tarir des histoires abracadabrantes (Rivière, Corresp.[avec Alain-Fournier], 1913, p. 343). − Ne pas tarir à (+ inf.), ne pas tarir de/en qqc. Ne pas cesser de tenir telle ou telle sorte de propos. Ne pas tarir d'admiration, d'éloges, de sarcasmes; ne pas tarir en plaisanteries, en détails. Partant d'un nom, il ne tarissait plus d'anecdotes (Péladan, Vice supr., 1884, p. 13).Il ne tarissait pas en grosses plaisanteries sur les femmes qui portent culotte (Rolland, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1304).Il racontait ce qu'eût pu être leur vie, ce qu'avait été celle, exemplaire, de Saint-Preux et de Julie, ce « commerce de bonnes gens ». Il ne tarissait pas à peindre leur bonheur (Guéhenno, Jean-Jacques, 1950, p. 275). REM. Tarisseur, subst. masc.,rare, plais. Celui qui vide, en buvant, le contenu de quelque chose. Un avocat, Rabagas!... Jovial, bon garçon, et grand tarisseur de chopes (Sardou, Rabagas, 1872, I, 10, p. 31).Par Bacchus, doux patron des tarisseurs de pots! (Courteline, Conv. Alceste, Prem. pas, 1931, p. 270). Prononc. et Orth.: [taʀi:ʀ], (il) tarit [-ʀi]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Intrans. 1. a) 1176-81 « cesser de couler, s'épuiser » (Chrétien de Troyes, Chevalier charrette, éd. M. Roques, 3316); b) fig. 1260-70 « s'affaiblir, disparaître » (Rutebeuf, Miracle de Théophile, éd. Gr. Frank, 459: ja mes n'ert tarie Ma dolors, ne garie); 1568 les pleurs n'ont point tary (Garnier, Porcie, V, 1838 ds Tragédies, éd. W. Foerster, t. 1, p. 73); 2. a) 1694 il ne tarit point sur ces sujets là (Ac.); b) 1761 la conversation [...] tarit (Rousseau, La Nouvelle Héloïse, 5epartie, 3 ds
Œuvres, éd. B. Gagnebin et M. Raymond, p. 558). B. Trans. 1. fin du xives. « faire disparaître (un mal) » (Miracles ND par personnages, éd. G. Paris et U. Robert, XXV, 636); 2. a) 1549 « mettre à sec » (Est.); b) 1574 tarir les pleurs (Garnier, Cornelie, II, 225-26 ds Tragédies, éd. W. Foerster, t. 1, p. 93); 3. 1964 zootechnie (Lar. encyclop.; att. comme verbe intrans. d'abord en parlant des seins d'une femme: 1316-28, Ovide moralisé, éd. C. de Boer, livre IX, 1240: les mameles [...] que l'enfes suçoit, si tarirent; puis en 1753: Buffon, Hist. nat., t. 4, p. 453: aussi y a-t-il des vaches dont le lait tarit absolument [...] avant qu'elles mettent bas). C. Pronom. 1. 1569 [éd.] « avoir de moins en moins d'eau » (Du Bellay, Recueil de poesie presente a tres illustre princesse Madame Marguerite, Paris, F. Morel, fo74 ro); 2. 1678 fig. (La Rochefoucauld, Réflexions ou sentences et Maximes morales, réflexions diverses, éd. D. Scoutan,233, p. 91: Il y a encore une autre espèce de larmes qui n'ont que de petites sources, qui coulent et se tarissent facilement). Empr. à l'a. b. frq. * tharrjan « sécher »; cf. l'a. h. all. therren « id. », m. h. all. derren « id. », v. FEW t. 17, p. 393b. Fréq. abs. littér.: 886. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 628, b) 1 412; xxes.: a) 1 349, b) 807. DÉR. 1. Tarissable, adj.,rare. Qui peut être tari, se tarir (supra A et B). Source tarissable. Vous n'avez plus connu que des puits tarissables, Et sur de maigres champs de plus maigres labours (Péguy, Ève, 1913, p. 717).Au fig. L'Éternel ne communique pas une vie tarissable: l'humanité est son œuvre (Ozanam, Philos. Dante, 1838, p. 132).− [taʀisabl̥]. Att. ds Ac. dep. 1718. − 1reattest. 1572 (G. Du Bellay, Mémoires, fo206 vods Gdf. Compl.); de tarir, suff. -able*. 2. Tarissement, subst. masc.a) Fait de tarir, état de ce qui est tari. Synon. assèchement, dessèchement, épuisement.Tarissement d'un puits, d'une source; tarissement d'un gisement pétrolifère. La vallée du Gotha formait un fjord de la mer occidentale au moment du tarissement du Svea et c'est seulement plus tard qu'il fut soulevé au-dessus de la mer (Rothé, Géophys., 1943, p. 139).Spéc.
α) Hydrol. Décroissance des débits d'un cours d'eau correspondant à la vidange des nappes (d'apr. Hydrol. 1978).
β) Physiol. Arrêt spontané ou provoqué d'une sécrétion. Si on enlève l'hypophyse chez un animal femelle qui allaite, il se produit immédiatement un tarissement de la sécrétion lactée (Quillet Méd.1965, p. 501).b) P. métaph. ou au fig. [En parlant d'une chose concr. ou abstr.] Diminution progressive jusqu'à épuisement. Tarissement des ressources minières. Ce monarque [Louis XIV] (...) fixait sans doute [ses yeux] sur ce conducteur des eaux déjà abandonné depuis quarante ans; grandes ruines, images des ruines du grand Roi, elles semblaient lui prédire le tarissement de sa race (Chateaubr., Mém., t. 4, 1848, p. 493).Le déclin de notre pays tient d'abord à ce tarissement de la source paysanne d'où sortait Proudhon et d'où nous venons tous (Mauriac, Mém. int., 1959, p. 116).− [taʀismɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. − 1resattest. a) 1585 [éd.] tarissement de l'humeur (Dampmartin, De la Connaissance et merveilles du monde et de l'homme, Paris, Th. Perier, fo72 ro), b) 1848 fig. (Chateaubr., loc. cit.); de tarir, suff. -ment1*. |