| SYNCRÉTISME, subst. masc. PHILOS., RELIG. A. − 1. Fusion de différents cultes ou de doctrines religieuses; en partic., tentative de conciliation des différentes croyances en une nouvelle qui en ferait la synthèse. Synon.
œcuménisme.La croyance des Druses n'est qu'un syncrétisme de toutes les religions et de toutes les philosophies antérieures (Nerval, Voy. Orient, t. 2, 1851, p. 151).Le syncrétisme fleurit au Brésil, où Roger Bastide a décrit les survivances islamiques et fétichistes, dans un peuple officiellement chrétien (Philos., Relig., 1957, p. 44-7). 2. [Notamment dans l'Antiquité gréco-romaine] Combinaison plus ou moins harmonieuse d'éléments hétérogènes issus de différentes doctrines philosophiques ou visions du monde. Anton. éclectisme.Ce syncrétisme aveugle qui perdit l'école d'Alexandrie, et tentait de rapprocher forcément des systèmes contraires (Cousin, Vrai, 1836, p. 10). 3. P. anal., notamment dans le domaine de la sociol., de l'anthropol. culturelle.Mélange, fusion d'éléments de plusieurs cultures ou de différents systèmes sociaux. Ce vaste état de syncrétisme auquel, pour son malheur, l'américaniste semble toujours condamné à se heurter, dans sa recherche des antécédents historiques de tel ou tel phénomène particulier (Lévi-Strauss, Anthropol. struct., 1958, p. 299).Loin de moi, l'idée que les structures sociales soient analogues de part et d'autre [en Russie et aux États-Unis], et que les systèmes doivent se réconcilier dans une sorte de syncrétisme où leurs ressorts propres s'affaibliraient (Univers écon. et soc., 1960, p. 69). B. − P. anal. Confusion, rencontre fortuite d'idées, d'actes, union indéfinie de l'homme avec le monde. Les livres où l'auteur de Bacchus cherche des évocations étranges, des rapprochements inattendus, des syncrétismes hardis? (Tharaud, Maîtr. serv., 1911, p. 11).L'Orient oppose à nos désirs de clairvoyance, d'individualisme, de réconciliation avec le monde à travers la personnalité, un syncrétisme, une indétermination, un débrouillage insuffisant des individualités dans la masse amorphe de ce qui est (Barrès, Cahiers, t. 13, 1921, p. 153). − P. méton. ♦ Être ou objet qui résulte de cette rencontre, de cette union. L'homme, syncrétisme de la création, point d'union de toutes les virtualités physiques, organiques, intellectuelles et morales manifestées par la création (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 351).Sans l'Europe et ses instruments d'orchestre l'Amérique du Nord n'eût pas non plus vu naître le jazz, cet étrange syncrétisme entre des mains plus ou moins noires des « mélodies » du monde moderne (Schaeffner, Orig. instrum. mus., 1936, p. 353). ♦ Rare. Pouvoir d'unir, de rassembler des êtres et des objets. V. agglomérer ex. 21. C. − [Chez Renan] Première vue générale, compréhensive, obscure de la vie dans sa complexité, sa confusion, caractéristique de la vision de l'homme primitif ou de celle de l'enfant. La loi régulière du progrès, prenant son point de départ dans le syncrétisme, pour arriver à travers l'analyse, qui seule est la méthode légitime, à la synthèse, qui seule a une valeur philosophique (Renan, Avenir sc., 1890, p. 159). − PSYCHOL. [Chez E. Claparède, H. Wallon, J. Piaget] Stade primitif de la vision enfantine caractérisé par une appréhension globale, indifférenciée, du monde extérieur et de ses relations avec lui. Il y a donc, [dans la pensée de l'enfant] non déduction, mais juxtaposition et syncrétisme, avec absence de multiplications et d'additions logiques systématiques (J. Piaget, La Causalité physique chez l'enfant, Paris, Alcan, 1927, p. 329). D. − LING. ,,Identité de procédé formel pour des unités linguistiques fonctionnellement différentes`` (Mounin 1974). Il y a syncrétisme des formes de datif et d'ablatif latin en combinaison avec le pluriel (A. Martinet, Neutralisation et syncrétismeds Linguistique. Paris, 1968, no1, p. 10). REM. Syncrétiser, verbe trans.,rare. a) [À la forme passive; le suj. désigne un courant philos. ou relig.] Former avec d'autres courants, un tout, une synthèse. [L'humanisme des Italiens de la Renaissance] marquait la synthèse des trois courants traditionnels: celui de l'antiquité, syncrétisé par les influences néo-alexandrines et gnostiques; celui de l'église chrétienne; celui des initiés hermétistes (Naudon, Franc-maçonn., 1963, p. 79).b) [Le suj. désigne une pers.] Faire cohabiter des éléments abstraits disparates. Écolier sublime de ses propres tortures, il avait syncrétisé, en une algèbre à faire éclater les intelligences, l'universelle totalité des douleurs (Bloy, Désesp., 1886, p. 140).c) Empl. adj. [En parlant d'un religieux] Dont les convictions ont subi et intégré les influences d'autres religions. Un juif de la diaspora, pharisien hellénisé et syncrétisé (Philos., Relig., 1957, p. 34-3). Prononc. et Orth.: [sε
̃kʀetism̭]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1. 1611 « union de deux anciens ennemis contre une troisième personne » (Cotgr.); 2. a) 1687 « tentative pour fondre ensemble divers cultes, diverses doctrines religieuses » (Nouvelles de la République des Lettres, juill., art. 9 ds Trév. 1752); b) 1765 « tentative de réunion, de synthèse de plusieurs doctrines philosophiques » (Encyclop., s.v. syncrétiste); 3. psychol. a) 1890 « appréhension globale et plus ou moins confuse d'un tout » (Renan, Avenir sc., p. 301); b) 1909 « appréhension globale et indifférenciée qui précède la perception et la pensée par objets nettement distincts les uns des autres » (E. Claparède, Psychol. de l'enfant et pédag. exp., p. 154); 4. 1933 ling. (Mar. Lex.). Empr. au gr.
σ
υ
γ
κ
ρ
η
τ
ι
σ
μ
ο
́
ς « union de deux Crétois » ce qui signifie, étant donnée la mauvaise réputation de ceux-ci (cf.
κ
ρ
η
τ
ι
́
ζ
ω « agir ou parler en fourbe »; κ
ρ
η
τ
ι
σ
μ
ο
́
ς « fourberie »; v. Bailly), « union de deux fourbes contre une victime de leur choix » ou bien, plutôt « accord momentané de deux partis opposés contre un ennemi commun » (Lal. 1968). Fréq. abs. littér.: 29. DÉR. Syncrétiste, subst. masc. et adj.[Corresp. à supra A] a) Subst. masc. Celui qui cherche à concilier, mêler différentes religions ou différentes philosophies. (Dict. xixeet xxes.). b) Adj. Qui constitue un syncrétisme. Seule la situation culturelle où il [le christianisme] a pris corps est syncrétiste. Comme foi religieuse, comme structure d'existence, il garde toute son unité (Philos., Relig., 1957, p. 38-11).− [sε
̃kʀetist]. − 1resattest. a) ca 1703 « partisan du syncrétisme » (Leibniz, Nouv. essais sur l'entendement humain, IV, ch. 16, p. 410 ds Quem. DDL t. 26), b) 1875 « qui a rapport au syncrétisme » (Lar. 19e); de syncrétisme, suff. -iste*. |