| SUPPLÉER, verbe trans. A. − Empl. trans. 1. Suppléer qqn a) Remplacer occasionnellement ou provisoirement une personne; tenir temporairement la place de quelqu'un; exercer ses fonctions. Les équipages étaient excédés de fatigue, et à peine, sur chaque bâtiment, se trouvait-il un seul homme qui pût travailler à la manœuvre avec les officiers, qui étaient obligés de suppléer les matelots (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. 138).Elle arrivait de Strasbourg pour soigner sa tante, la suppléer dans son service; et, sans perdre de temps, elle commença le ménage (Martin du G., Thib., Pénitenc., 1922, p. 768). b) Empl. pronom. Se remplacer l'un l'autre. Plus tard j'eus un collègue. Chacun de nous fut de service pendant six mois. Nous pouvions nous suppléer l'un l'autre au besoin (Balzac, Lys, 1836, p. 183). 2. Vieilli, littér. Suppléer qqc.Ajouter ce qui manque à une chose afin de la rendre complète. a) Mettre à la place d'une autre qui fait défaut, ou qui est insuffisante ou incomplète, une chose qui en tient lieu; remplacer. Le ciel, la mer et les rochers retentissants de la côte sont illuminés par des éclairs qui suppléent le jour, et nous montrent de temps en temps notre route (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 334). b) Ajouter ce qui manque, corriger ce qui est défectueux, pallier les inconvénients, remédier aux défauts de quelque chose; compléter. On doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d'usage, quoiqu'elles n'y soient pas exprimées (Code civil, 1804, art. 1160, p. 209).Une abondante provision de conserves de toutes sortes suppléerait les médiocres plats de l'hôtel (Gide, Immor., 1902, p. 385).
α) Domaine littér.Ajouter à une phrase ce qui y est sous entendu; combler un manque. Mmede Chateaubriand était femme à suppléer le texte et à remplir très bien la lacune; mais elle avait trop de conscience pour altérer la vérité et pour interpoler un document authentique (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 115).Dans tout vers remarquable d'un vrai poète, il y a deux ou trois fois plus que ce qui est dit: c'est au lecteur à suppléer le reste... (Vigny ds Bremond, Poés. pure, 1926, p. 128). ♦ Suppléer ce qui manque à un auteur. ,,Remplir les lacunes qui se trouvent dans ses ouvrages`` (Ac. 1835-1935).
β) RELIG. CATH. Suppléer les cérémonies du baptême. ,,Faire à l'église le supplément des prières et des cérémonies omises lors de l'ondoiement`` (Marcel 1938). c) Remplacer quelque chose d'absent; jouer le rôle de quelque chose; mettre/être mis à la place de quelque chose. Si l'ingénieur eût possédé un sextant (...) l'opération [calcul de la longitude] n'eût offert aucune difficulté. Ce soir-là, par la hauteur du pôle, le lendemain, par le passage du soleil au méridien, il aurait obtenu les coordonnées de l'île. Mais, l'appareil manquant, il fallait le suppléer (Verne, Île myst., 1874, p. 122).Hier, on transformait Société des Nations en S.D.N. Ce n'était pas assez: ces lettres qui éliminent la parole et la suppléent, on cherche à les concentrer encore davantage en une sensation auditive plus simplifiée (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 43). − Absol. À qui la couronne irait-elle? Il n'y avait pas de lois constitutives du royaume. Née de l'élection, d'une sorte de consulat à vie devenu héréditaire, la monarchie n'avait pas de statut. L'usage, le bon sens suppléaient (Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 86). B. − Empl. trans. indir. Suppléer à qqc.Remplacer une chose par une autre. Suppléer à l'insuffisance de; suppléer au défaut de; suppléer au nombre, au manque de moyens par. 1. Compenser un manque, un défaut, une insuffisance en remplaçant, en ajoutant, en pourvoyant à. a) Domaine concr.L'éléphant (...) supplée aux mains par sa trompe (Cuvier, Anat. comp., t. 1, 1805, p. 159): ... ces dames m'interrogèrent sur l'origine de l'institution des Sourds-Muets de naissance: (...). L'idée sublime de (...) suppléer par l'éducation aux organes de l'ouïe et de la parole qui leur manquent, avant d'avoir été fécondée dans la tête, ou plutôt dans le cœur de notre célèbre abbé de l'Épée, avait été entrevue à différentes époques...
Jouy, Hermite, t. 3, 1813, p. 260. b) Domaine abstr. et métaphys.Rien ne me manquera là, qu'une église, qui est trop éloignée pour des visites quotidiennes. Toujours quelque chose manque aux voyageurs; mais Dieu supplée à tout, comme me disait mon saint curé de Saint-Cyr (E. de Guérin, Lettres, 1839, p. 261).Permets qu'une nuée de sauterelles s'abatte sur un champ, et elles montreront que le nombre supplée à la force (Ménard, Rêv. païen, 1876, p. 140). 2. Utiliser à la place de; avoir recours à. Ceux que leur pauvreté empêchait de boire du vin y suppléaient par une liqueur faite d'orge fermentée, une sorte de bière, sans doute (Du Camp, Nil, 1854, p. 312).Résolutions (...) Quand je ne puis assister aux Offices les dimanches et fêtes, y suppléer par des visites au Saint-Sacrement (Dupanloup,Journal,1866,p. 272). 3. [Le suj. désigne qqc.] Se substituer à une autre chose; en tenir lieu; avoir le même rôle, la même fonction que (quelque chose). À mi-chemin le jour nous manqua: heureusement la lune y suppléa de temps en temps (Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 204).Chez certains aveugles, le toucher supplée dans une certaine mesure à la vue (Proust, Temps retr., 1922, p. 809). − Empl. pronom. réciproque. L'urine et la transpiration cutanée n'ont-elles pas de grandes ressemblances? Ne peuvent-elles pas se suppléer l'une l'autre? (Cuvier, Anat. comp., t. 5, 1805, p. 214).Les trois sortes d'activité ainsi situées et définies ne peuvent pas se suppléer les unes aux autres. Elles sont toutes les trois nécessaires, chacune à son plan (Maritain, Human. intégr., 1936, p. 319). REM. Suppléteur, subst. masc.,rare. Synon. de suppléant.Le Général Barclay avait le choix de demeurer à l'armée ou de venir reprendre le portefeuille des guerres; il a préféré conserver un commandement principal, et le portefeuille demeure à son suppléteur, le Prince Kouchagoff (J. de Maistre, Corresp., 1812, p. 209). Prononc. et Orth.: [syplee], (il) supplée [-ple]. Ac. 1694, 1718: suppleer; dep. 1740 -plé-. Étymol. et Hist. 1. a) 1280 verbe trans. souppleer « pallier (un manque, un défaut) » (Clef d'amour, 164 ds T.-L.); 1314 suploier (Henri de Mondeville, Chirurgie, éd. A. Bos,276); b) 1452 verbe trans. indir. suppleer a « remplacer » (A. Greban, Mystère de la passion, éd. O. Jodogne, 2503); 1460-83 supploier a « remédier à l'insuffisance, au défaut de quelque chose » (Jehan de Roye, Chronique scandaleuse, éd. B. Mondrot, I, 2); 2. 1320 verbe trans. soupplir « remplacer » (Arch. JJ 60, fo140 rods Gdf.); 3. déb. xives. verbe trans. soupplier « ajouter ce qui manque à » (Jehan Bras-de-Fer, Pamphile et Galatée, éd. J. Morawski, 2544); 1377 suppleer que « préciser que » (Oresme, Livre du Ciel et du Monde, éd. A. D. Menut et A. J. Denomy, 76a, pp. 19-20); 1549 « rétablir ce qui n'est pas exprimé dans un texte » (Est.); 1587 suppleer les cérémonies du baptême (Caylus,
Œuvres badines, V, p. 195); 4. a) 1557 verbe trans. « remplacer quelque chose, en tenir lieu, en parlant d'une autre chose » (R. Estienne, Gramm. franç., ap. Livet, La Gramm. franç. et les gramm., p. 410 ds Gdf. Compl.); b) 1854 verbe trans. indir. « substituer à quelque chose une autre chose qui la remplace » (Nerval, Filles feu, Isis, p. 650); 5. 1461 verbe trans. suppleer le lieu de qqn « occuper la place de quelqu'un, remplir sa fonction » (G. Chastellain, Chroniques, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 3, p. 332); 1636 verbe trans. indir. suppleer pour qqn « id. » (Monet ); 1690 verbe trans. indir. suppleer au défaut de qqn « id. » (Fur.); 1788 suppleer qqn « id. » (Fér. Crit.); 6. 1748 verbe pronom. « (d'une assemblée) se compléter quand il lui manque des membres » (Montesquieu, Esprit des lois, L. II, chap. III, éd. G. Truc, t. 1, p. 17); 1762 « être remplacé par quelque chose d'autre » (J.-J. Rousseau, Émile, I ds Littré). Empr., avec diverses tentatives de francisation au lat.supplere « compléter en ajoutant ce qui manque », « ajouter pour parfaire un tout », « suppléer, remplacer ». À côté de diverses autres formes souppleer, suploier, soupplir, etc., la forme suppléer paraît provenir d'une réfection opérée sous l'infl. conjointe du lat. supplere, de supplier* et de mots comme créer*. Fréq. abs. littér.: 696. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 808, b) 658; xxes.: a) 692, b) 646. Bbg. Gohin 1903, p. 262 (s.v. suppléteur). |