| SUER, verbe I. − Empl. intrans. A. − Qqn/qqc. sue 1. [Le suj. désigne un être animé] a) Éliminer de la sueur par les pores de la peau (sous l'effet de la chaleur, d'un effort physique intense, d'une émotion, d'un état morbide). Synon. transpirer.Contre la chaleur, les animaux qui ne suent pas, comme le chien par exemple et le mouton, compensent l'évaporation cutanée par une accélération du rythme des mouvements respiratoires (Garcin, Guide vétér., 1944, p. 12).V. entrefesson (sous entre-) ex. de Flaubert. ♦ Vx. Suer d'ahan. Transpirer en faisant de gros efforts. Matamore, avec des tensions de nerfs, des roulements de prunelles, des clappements de langue, semblait faire les plus prodigieux efforts pour extraire la lame rebelle de sa gaine. Il en suait d'ahan (Gautier, Fracasse, 1863, p. 119). SYNT. Suer abondamment, beaucoup, copieusement, énormément; suer avec excès, à flots, à pleine figure; suer à grosses gouttes; suer au soleil, en plein soleil; suer de chaud; suer d'angoisse, de dégoût, d'émotion, de faiblesse, de fatigue, de fièvre, de haine, de peur, de pitié; suer dans une chemise, des habits, une robe; suer sous les couvertures; suer sous le harnais; suer des aisselles, du/de tout le corps, des épaules, du front, des mains, des pieds, de la tête, du visage; suer comme un bœuf, un nègre; commencer, se mettre à suer; bête, cheval qui sue. b) P. méton. Travailler beaucoup, se donner de la peine pour accomplir une tâche, un travail; fournir de gros efforts (intellectuels ou physiques). Synon. s'échiner, s'éreinter, se fatiguer, peiner.La terre n'est à personne, les fruits sont à tout le monde... Nous ne pouvons plus souffrir que la majorité des hommes travaille et sue au service et pour le bon plaisir d'une petite minorité (Babeuf, 1794-95ds Rec. textes hist., p. 90).Quand Buffon, après avoir sué tout le jour sur une période, se mettait à table (...) on rapporte que l'écrivain si grave et si majestueux était dans ses propos d'une platitude à révolter les gens de goût (Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr., 1828, p. 163). 2. P. anal. Se couvrir d'humidité; dégager de fines gouttelettes d'humidité, une substance liquide. Synon. exsuder.Bois, bûche, fromage, fruit qui sue. L'odeur des pins était exquise. Ils avaient dû suer abondamment tout l'été et maintenant dans la fraîcheur de cette nuit d'automne leur sève donnait son parfum le plus tendre (Giono, Hussard, 1951, p. 248). − P. méton. [Le suj. désigne un liquide] S'écouler très lentement. Des fois, dit Jaume, cette eau ne fait pas de bruit. Elle sue de la terre, tout doucement, et, à la fin, ça fait pourtant des lacs (Giono, Colline, 1929, pp. 77-78). B. − Faire suer qqn/qqc. 1. Faire suer qqn a) Imposer un travail dur, pénible; p. ext., exploiter. Je me sens prendre au collet par l'autre moitié de moi-même, le monsieur actif, le producteur, l'homme qui éprouve le besoin de mettre son nom sur de petites ordures qui l'ont fait suer (Goncourt, Man. Salomon, 1867, p. 44).J'arriverai (...) avec la totalité des épreuves revues, corrigées, augmentées de trois grandes pages, capables à elles seules d'enlever un succès certain et qui m'ont fait suer jour et nuit depuis quatre jours (Villiers de L'I.-A., Corresp., 1887, p. 170). − Loc. Faire suer le burnous*. b) Ennuyer, exaspérer profondément. Synon. barber (fam.), casser* les pieds (fam.), emmerder (pop.), enquiquiner (fam.), faire chier (vulg.), raser (fam.).Faire suer le monde. L'ingénue hausse ses épaules dodues: − Une fatigue saine! vous me faites suer! Rien ne vieillit une femme comme de vivre à la campagne, c'est connu! (Colette, Music-hall, 1913, p. 8). − Empl. pronom. Se faire suer. S'ennuyer. L'édifice de ces lois [faites par les trois assemblées nationales] est une œuvre atlantique dont l'aspect étourdit. Mais l'étonnement se change tout à coup en pitié, lorsqu'on songe à la nullité de ces lois; et l'on ne voit plus que des enfants qui se font suer pour élever un grand édifice de cartes (J. de Maistre, Consid. sur Fr., 1796, p. 78). 2. Faire suer qqc. a) ART CULIN. Donner, à feu doux et en vase clos, sans addition d'eau ou de matière grasse, une première cuisson à une pièce de viande, un poisson, un légume pour faire rendre le suc ou le premier jus. Faire suer de la viande, la mirepoix; faire suer à la braise. Faites suer dans une casserole un peu de veau et jambon, tranches d'oignon dessous, zestes de carottes et panais (Gdes heures cuis. fr.,Éluard-Valette, 1964, p. 250). b) P. anal., vx. Faire suer l'argent. Prêter de l'argent pour en tirer de gros bénéfices. Faire suer les écus. Il y avait là le portier (...) engraissé par le veuvage (...) sachant faire suer son petit argent par toutes sortes de placements et de prêts sournois (Goncourt, Sœur Philom., 1861, p. 81). c) Vx, TECHNOL. Faire suer la baudruche. Débarrasser l'or des matières grasses qu'il peut contenir. (Dict. xixeet xxes.). II. − Empl. trans. A. − [Le compl. désigne un liquide] 1. [Le suj. désigne une pers., un être animé] Rendre par les pores de la peau. Synon. exsuder.Cette agonie-là dura longtemps, et plus longue et plus cruelle que celle du Christ, car elle était sans espoir (...). Lui aussi sua une sueur de sang et de larmes, et on les entendait tomber sur la terre (Flaub., Smarh, 1839, p. 107).On voyait un garçon boucher qui, penché par-dessus les autres, le cou tendu, l'œil injecté, suait de grosses gouttes, et frappait le vide de ses poings, à gestes courts et inconscients (Van der Meersch, Empreinte dieu, 1936, p. 120). − Loc. fig. Suer sang et eau, suer la/les grosse(s) goutte(s) (vieilli). Faire de grands efforts, se donner beaucoup de peine. Personne ne songerait à penser que Flaubert est un petit écrivain, s'il n'avait avoué candidement qu'il suait la grosse goutte sur ses phrases (Montherl., Démon bien, 1937, p. 1305): 1. M. Grandet était un demi-sot, lourd et assez instruit, qui chaque soir suait sang et eau pendant une heure pour se tenir au courant de notre littérature, c'était son mot. Du reste, il n'eût pas su distinguer une page de Voltaire d'une page de M. Viennet.
Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 336. − P. anal. ♦ Suer la crasse, l'huile. Elle aimait à rire avec les ouvriers comme son père, des gens propres qui ne suaient pas la graisse et le vieux oing, elle voulait un mari qui n'eût pas de taches à sa blouse, qui se lavât les pieds tous les huit jours (Huysmans, Sœurs Vatard, 1879, p. 56). ♦ Laisser suinter d'une blessure. Il avait reçu en pleine figure toute une charge de ce plomb à perdrix dont s'étaient servis les républicains, faute de balles; sa face trouée, criblée, suait le sang (Zola, Fortune Rougon, 1871, p. 288).On harponne d'abord le baleineau et la mère vient s'exposer à tous les coups. Quand elle est atteinte à mort (...) elle écume, elle sue du sang. C'est ce que nous appelions la faire « fleurir » (Cendrars, Confess. Dan Yack, 1929, p. 220). − Empl. factitif. Faire suer. Suer un cheval. Faire galoper un cheval pour provoquer une forte transpiration de façon à lui faire perdre du poids. Quand on veut suer un cheval, on commence par l'envelopper de couvertures (Nouv. Lar. ill.).Suer le fer (vx). Chauffer le fer jusqu'à la chaude suante. (Dict. xixeet xxes.). 2. [Le suj. désigne qqc.] Rendre un liquide goutte à goutte. Il y a quelques années, en face de cette marchande, se trouvait une boutique dont les boiseries d'un vert bouteille suaient l'humidité par toutes leurs fentes (Zola, Th. Raquin, 1867, p. 5).[Agathe] portait sur un plateau six écrevisses écarlates, des biscuits, quelques pêches sombres, des prunes blessées par les guêpes, une carafe suant sa buée (Mauriac, Galigaï, 1952, p. 25). B. − Au fig. [Le compl. désigne qqc. d'abstr.] 1. Dégager, donner une impression par le seul aspect, par des signes extérieurs évidents. Synon. exhaler, respirer. − [Le suj. désigne une pers.] − Laisse donc! déclara Claude avec férocité, ils ont sur la face tous les crimes de la bourgeoisie, ils suent la scrofule et la bêtise (Zola, L'Œuvre, 1886, p. 133): 2. [Le maire] hausse les épaules avec dégoût. − On appelle ça une victime. En un sens, docteur, je trouve ça peut-être plus répugnant à voir que le coupable. Un coupable c'est pareil à vous (...) Au lieu que ces macchabées, ils ont le crime au ventre, les cochons, ils suent le crime. (...) je trouve que la malice a l'air de leur sortir par tous les pores...
Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1399. SYNT. Suer l'ambition, l'angoisse, la colère, la curiosité, l'ennui, la lâcheté, la lubricité, l'orgueil, la paresse, le péché, la peur, la santé, la tristesse, le vice. − [Le suj. désigne la physionomie, le visage d'une pers.] Il y avait là, pêle-mêle avec les détenus politiques, des condamnés de droit commun, des faces bestialisées et qui suaient le crime et dont le rire, la voix, le seul regard, faisaient horreur (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 280). − [Le suj. désigne qqc.] L'immeuble où créchait Paul suait le fric (...) Ça reniflait les deux cents familles (Le Breton, Razzia, 1954, p. 29).[Le Puy-en-Velay] une de ces villes de province française qui doit suer un ennui de suie (Butor, Modif., 1957, p. 25). − [Le suj. désigne des propos oraux ou écrits] Réponses qui suent le mensonge; suer l'angoisse. Ils échangeaient des propos où aucune joie vraie et saine ne se développait, plaintes, menaces, commérages, plaisanteries qui suaient la haine, la bassesse ou la lubricité (R. Bazin, Blé, 1907, p. 175). 2. Produire quelque chose en faisant de grands efforts, en travaillant durement. Vous verrez peut-être bientôt par vous-même ce que coûte un écu quand il faut le suer (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 71).Charogne de vie qu'on passe (...) dans la fatigue, dans l'inquiétude des mauvais hasards et même dans le remords des pauvres plaisirs de la gueule pris sur le marbre gras d'un bistro galeux, quand on a fini de suer sa journée (Aymé, Rue sans nom, 1930, p. 38). 3. Pop. En suer une. Danser une danse dans un bal. Ohé! Titine! viens-tu en suer une? (VteRichard, Les Femmes des autresds Rigaud, Dict. arg. mod., 1881, p. 354). REM. Sudorifère, adj.,anat. a) Qui donne passage à la sueur. Synon. sudoripare.Pore sudorifère (Man.-Man. Méd. 1986). b) Qui produit, provoque la sueur. La plupart des visiteurs (...) courent s'emboîter les uns dans les autres dans quelque cinéma sudorifère où triomphe aujourd'hui la métaphysique du médiocre (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 126). Prononc. et Orth.: [sɥe], (il) sue [sy]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Trans. 1. a) fin xes. suder « excréter par les pores de la peau » sudor ... suder (Passion, éd. d'Arco Silvio Avalle, 126); déb. xiies. suer (St Brendan, éd. I. Short-B. Merrilees, 1292); 1588 suer sang et eau (v. sang étymol. A 4); av. 1881 pop. en suer une « danser une danse » (VteRichard, loc. cit.); b) 1783 suer le fer, suer l'acier (Buffon, Hist. nat. des minéraux, Paris, Impr. royale, t. II, p. 465: il faut de plus que l'acier cémenté soit corroyé, sué & soudé); c) 1834 « produire au prix d'un effort, en particulier en parlant de l'argent » (Balzac, loc. cit.); d) 1872 suer un cheval (Pearson, Dict. du sport fr., Paris, O. Lorenz, p. 604); 2. fin xviiies. « laisser transparaître » suer le crime (Beaumarchais ds Besch. 1845). B. Intrans. 1. ca 1155 « transpirer, rendre de la sueur par les pores de la peau » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 1134); 1648 suer à grosses gouttes ([Guez de] Balz., Le Barbon ds Littré, s.v. goutte1); en particulier a) ca 1155 « transpirer sous l'effet de la fièvre » (Wace, op. cit., 14196); b) 1160-74 « transpirer sous l'effet d'une émotion » suer d'angoisse (Id., Rou, éd. A. J. Holden, II, 623); c) ca 1393 p. anal. art culin. laisser suer (Ménagier, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, p. 235, ligne 23); 2. a) 1538 « travailler beaucoup sans venir à bout de quelque chose » (Est.); b) 1615 « exploiter, dépouiller quelqu'un » faire suer le bonhomme (arg. des soldats ds Esn. 1965); c) 1678 faire suer qqn « l'ennuyer, l'excéder » (Mmede Maintenon, Lett. à M. d'Aubigné, 28 févr. ds Littré). Du lat. class. sūdāre, intrans. « suer, être en sueur », au fig. « se donner de la peine » trans. « épancher comme une sueur », au fig. « faire avec sueur, avec peine ». Fréq. abs. littér.: 498. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 542, b) 904; xxes.: a) 848, b) 658. DÉR. Suette, subst. fém.,pathol. Suette (miliaire) ou suette picarde. Maladie fébrile contagieuse et épidémique, d'origine inconnue, caractérisée par une élévation brusque de la température, accompagnée de sueurs abondantes et excessives, d'une éruption cutanée (constituée de petites papules rouges recouvertes de petites vésicules blanchâtres), de troubles nerveux et de difficultés respiratoires. Le maître couvreur est mort de la suette il y a quelques jours. Cette suette et la pluie continuelle retardent un peu la besogne (...). C'est une épidémie qui sévit ici depuis trois mois, et qui n'attaque que les bourgeois et les bourgeoises. Les pauvres gens sont à l'abri. On sue beaucoup, on devient fort rouge et l'on crève, le tout en 24 heures (Mérimée, Lettres L. Vitet, 1845, p. 147).Suette anglaise. Maladie fébrile contagieuse qui s'est développée sous forme de violentes épidémies en Angleterre aux xveet xvies. Colin (...) évoque plusieurs affections qu'il englobe dans le même cadre (...) la suette anglaise (...) la suette picarde (Renault dsNouv. Traité Méd.fasc. 21928, p. 426).−− [sɥ
εt]. Att. ds Ac. dep. 1762. − 1reattest. 1568 (Paré, Anat., XXIV, 1 ds
Œuvres compl., éd. J.-Fr. Malgaigne, t. 3, p. 351); de suer, suff. -ette*. BBG. − Baldinger (K.). Zur Entwicklung der Tabakindustrie und ihrer Terminologie. Mél. Piel (J.-M.). Heidelberg, 1969, p. 57. − Quem. DDL t. 10, 15, 38. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 111, 126, 157, 293. |