| SUAVITÉ, subst. fém. A. − Douceur extrême produisant une impression subtilement agréable sur l'un des cinq sens. 1. [L'impression s'exerce sur la vue] Synon. délicatesse, finesse, mignardise; anton. disgrâce, laideur. a) [À propos (d'un aspect) de la nature] Quel clair de lune! (...) le paysage simplifié par une vapeur tendre et bleuâtre, était d'une grandeur, d'une suavité, d'une majesté incomparables! (Amiel, Journal, 1866, p. 486).Il semble, à entendre Gray ou Baudelaire, que le parfum de la fleur et la suavité de ses couleurs n'aient d'autre fin que de caresser l'œil ou les narines de l'homme (Gide, Journal, 1935, p. 1240). − P. méton. Ce qui est suave par son aspect, très doux à l'œil. Les orangers, couverts de bouquets qui emplissaient l'air comme d'une suavité blanche (Loti, Vertige mond., 1917, p. 102). b) [À propos (de l'aspect extérieur) d'une pers.] Sa bouche mignonne, son menton arrondi par une courbe d'une suavité idéale (Fabre, J. Savignac, 1863, p. 163).L'éphèbe était mort (...). Adieu les pourpres et les lys des lèvres sans tache! Adieu les innocentes et fraîches suavités du sourire! (Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 189). c) [À propos (d'un aspect) d'une œuvre d'art plastique] Suavité de lignes. Fragonard, connu par la grâce et la suavité de ses compositions (Jouy,Hermite, t. 3,1813,p. 338).Deux miniatures si parfaites qu'elles font entrevoir le paradis. Quelle suavité! Ces couleurs ravies à la corolle des fleurs font un miel pour les yeux! (A. France, Bonnard, 1881, p. 320). − P. méton. Qualité d'un artiste qui compose des œuvres suaves, aux lignes déliées, fondues, aux nuances harmonieuses. La suavité monastique d'un Pérugin et la volupté presque attendrie d'un Prud'hon (Lorrain, Sens. et souv., 1895, p. 217). 2. [L'impression s'exerce sur le toucher] Synon. moelleux, mollesse, onctuosité, satiné, soyeux, velouté; anton. âpreté, dureté, rudesse, rugosité.Une dame inconnue (...) me mettait dans la bouche ses deux mamelons, (...) doux, suaves, d'une suavité de femme que je ne puis dire, sans lait, mais riches de je ne sais quelle volupté (Michelet, Journal, 1859, p. 460).On chemine ainsi pendant deux heures dans la suavité monotone et molle de l'air demi-clair, agité par la brise comme par les petits coups d'un éventail de plumes (Taine, Voy. Ital., t. 2, 1866, p. 431). 3. [L'impression s'exerce sur l'odorat] Synon. embaumement, fragrance.[Des fleurs] commençaient à mourir en suavités exquises, en parfums expirants, comme si de leurs couleurs fanées s'exhalaient leurs adieux odorants (Goncourt, MmeGervaisais, 1869, p. 33).Ces odeurs qui parlent à l'âme si directement dans les églises: cierges, dalles froides, et la suavité extraordinaire des lis dans la pénombre (Gracq, Beau tén., 1945, p. 80). 4. [L'impression s'exerce sur le goût] Synon. exquisité; anton. acidité, âcreté, amertume.Jamais votre bouche charmante n'aspira la suavité d'une meringue à la vanille ou à la rose; (...) si du moins vous aviez goûté (...) ces crèmes parfumées (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 392).Les délices de la fraise, la piquante suavité de l'ananas, la joie vineuse d'un cantaloup (Balzac,
Œuvres div., t. 2, 1832, p. 573). 5. [L'impression s'exerce sur l'ouïe] Synon. harmonie; anton. discordance. a) [À propos d'un chant, d'une pièce musicale, d'un instrument] Dans l'unisson de la flûte et du hautbois l'aigreur de celui-ci est tempérée par la suavité de celle-là (Gevaert, Orchestr., 1885, p. 116).Ce ravissant motif La Félicité (...) d'un charme pénétrant et d'une suavité idéale (Lavignac, Voy. artist. Bayreuth, 1897, p. 329). b) [À propos d'une voix] Sa voix (...) avait (...) une suavité chantante (...) et quand elle disait certains mots, elle prenait une limpidité qui émouvait étrangement les cœurs (Genevoix, Marcheloup, 1934, p. 111). − Avec une nuance iron. Douceur affectée. Il s'était mis à sourire et il disait, avec une sifflante suavité: « Les mufles! Les mufles! » (Duhamel, Notaire Havre, 1933, p. 45). B. − Au fig. 1. [À propos d'une pers., de son caractère, de son état d'esprit] Grande douceur morale, disposition à l'amour, à la bonté, à l'amabilité. Synon. affabilité, affection, aménité, bénignité, courtoisie, gentillesse, mansuétude, tendresse; anton. brutalité, cruauté, désobligeance, dureté, grossièreté, indélicatesse, méchanceté.Tu m'apparais toujours dans ma pensée avec une douceur exquise. Ton cœur est comme ta peau, d'une suavité chaude, étonnante (Flaub., Corresp., 1846, p. 266).Ce doux possède la terre. Il n'est que suavité, que componction, mais son vouloir flexible jamais ne rompt (Mauriac, Baiser Lépreux, 1922, p. 164). − P. méton. [À propos de l'aspect extérieur d'une pers., de son comportement] Qualité de ce qui exprime une grande douceur de caractère. La suavité de traits que donne la souffrance (Zola, Contes Ninon, 1864, p. 72).L'air délicat (...), en fuyant l'attention, elle la retenait par l'expression de suavité profonde de ses yeux doux fatigués et de sa petite bouche pure (Rolland, J.-Chr., Antoinette, 1908, p. 885). − Domaine relig.Méditer les douceurs, les suavités de l'Esprit-Saint, du divin amour (Dupanloup, Journal, 1853, p. 169). 2. [À propos d'une chose abstr., d'un sentiment] Qualité de ce qui impressionne moralement de manière très douce, de ce qui enchante le cœur, l'esprit. Synon. agrément.La suavité de sa peine (...) lui eût été comme un baume au parfum doux, et il se fût endormi bien des soirs (...) en souriant à des souvenirs purs et reposants (Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p. 161).Est-ce que pour le petit enfant qui repose dans son berceau (...), la vie n'est pas toute suavité, toute caresse? Elle est pourtant dure, la vie! (Bernanos, Journal curé camp., 1936, p. 1072). − En partic. [À propos d'un moyen d'expr. orale ou écrite] Anton. agressivité.L'élégance, la suavité, la rêverie, la sensibilité passionnée de ces pages offrent un mélange du génie grec et du génie germanique (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 122).J'ai lu votre ouvrage [la Porte étroite] (...). C'est un discours suave et mûr, une suavité pleine d'angoisse. Une douceur dantesque, mais avec, au-dessous, quelque chose de terriblement amer (Claudel, Corresp.[avec Gide], 1909, p. 101). ♦ Péj. Douceur excessive. Synon. afféterie, fadaise, fadeur, niaiserie.Une petite boutique de journaux le retint: c'était (...) un étalage de gravures imbéciles, des suavités de romance mêlées à des ordures de corps de garde (Zola, L'Œuvre, 1886, p. 64).Suavité des âneries de Coppée. « Je me déplais moins qu'autrefois », dit-il. Quelle belle épigraphe! (Bloy, Journal, 1903, p. 182). ♦ P. méton. Qualité d'un écrivain au style harmonieux. La douceur et la suavité tendre d'un Virgile ou d'un Tibulle (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 1, 1850, p. 365). Prononc. et Orth.: [sɥavite]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1200 « douceur qui se fait sentir à l'âme quand Dieu la favorise » la suauiteit de la contemplation (Moralités sur Job, éd. W. Foerster, p. 336, ligne 35); xiiies. [ms.] suavité (Bible, B. N. 901, fo10b ds Gdf. Compl.); 2. 1512 « qualité de ce qui est suave » (Juv. des Ursins, Charles VI, 1414 ds Littré); cf. 1512 (J. Lemaire de Belges, Les Illustrations de Gaules, I, XXIV ds
Œuvres, éd. J. Stecher, t. I, p. 174: sa douceur [d'un fruit, la lote -c.-à-d. le lotus-] et suavité est si tresespeciale). Empr. au lat. class.suavitas « douceur, qualité agréable d'une chose »; « douceur, charme, agrément pour l'esprit, l'âme »; suavité a supplanté la forme pop. souefveté att. jusqu'au xviies. (v. Gdf.), dér de souef, v. suave. Fréq. abs. littér.: 162. |