| SUAVE, adj. A. − Dont l'extrême douceur produit une impression subtile et agréable sur l'un des cinq sens. 1. [L'impression s'exerce sur le sens de la vue] Synon. gracieux, mignon, ravissant; anton. contrasté, disgracieux, heurté, laid. a) [En parlant (d'un aspect) de la nature] Lumière suave. Rien n'est comparable pour la beauté aux lignes de l'horizon romain, à la douce inclinaison des plans, aux contours suaves et fuyants des montagnes qui le terminent (Chateaubr., Voy. Amér. et Ital., t. 2, 1827, p. 238): 1. Coucher de soleil: L'œil se caressait « à le regarder, c'était une couleur si douce, si suave! C'était un mélange de lumière, d'opale et d'azur, tout cela mêlé et fondu si doucement que cela formait une nuance d'un charme inexprimable »...
Chenedollé, Journal, 1817, p. 87. − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Le golfe s'ouvre sur la rade de Toulon, encadrée de ses hautes montagnes pelées, d'un gris rosé (...). Tout cela est d'un pittoresque, d'un déchiré, d'un doux, d'un brusque, d'un suave (Sand, Corresp., t. 4, 1861, p. 233). b) [En parlant (de l'aspect extérieur) d'une pers.] Elle avait des cheveux soyeux et abondants, une grâce remarquable, des poses naturelles et nonchalantes, quelque chose de suave dans les contours et de si attrayant, que les yeux (...) ne pouvaient s'en détourner (Karr, Sous tilleuls, 1832, p. 208).Le mari de cet être suave au profil fin et pâle, aux formes dégagées et pleines d'une statuette de Tanagra (A. Daudet, Rois en exil, 1879, p. 170). − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Le cou, le peu qu'on voyait de sa délicate poitrine étaient d'un doux, d'un suave, d'un pur que je n'ai trouvé en nul objet mortel. Elle était si blanche (Michelet, Journal, 1861, p. 591). c) [En parlant (d'un aspect) d'une œuvre d'art plastique] Un beau et suave Murillo, suave et pourtant sévère, sans fadeur, sans rose (...): un bel ange svelte et grave, tunique jaune et (...) une âpre figure d'évêque (Michelet, Journal, 1842, p. 1441).Albert Lebourg (...) peint dans des colorations suaves et poétiques, avec des bleus et des verts d'une tendresse particulière (Mauclair, Maîtres impressionn., 1923, p. 160). − [P. méton.;] [en parlant d'un artiste] Qui a le goût, l'art de combiner les lignes déliées, les contours fondus, les nuances harmonieuses. La main du peintre le plus suave ne dessinerait pas des contours plus arrondis, plus indécis (...) que ceux que la main créatrice a donnés à ces eaux et à ces montagnes (Lamart., Voy. orient, t. 1, 1835, p. 334). 2. [L'impression s'exerce sur le toucher] Synon. moelleux, mou, onctueux, satiné, soyeux, velouté; anton. dur, raboteux, râpeux, rude, rugueux.Jamais plus (...) elle n'offrirait à ma caresse ce grand corps blanc, d'une élasticité lascive et pleine de fermeté, de mollesse, de douceur, de suave et compacte étendue (Carco, Rien qu'une femme, 1924, p. 93).L'air est suave, agité doucement; sa fuite vous caresse (Gide, Voy. Congo, 1927, p. 801). 3. [L'impression s'exerce sur l'odorat] Synon. enivrant, parfumé; anton. écœurant, empesté, fétide, infect, malodorant, nauséabond.Parfum, senteur suave. Cette suave liqueur, cette huile odoriférante vient proclamer la sainteté de celle qui (...) dans toute sa vie a répandu un si riche et si fragrant parfum (Montalembert, Ste Élisabeth, 1836, p. 317).La touffe du chèvrefeuille qui, dès la tombée du soir, exhalait une odeur plus suave que la plus suave des musiques, (...) l'ineffable parfum de la nuit (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 257). 4. [L'impression s'exerce sur le goût] Synon. délectable, exquis; anton. acide, âcre, aigre, âpre, amer.Fruit suave. Cette liqueur [le lait] qui, par la qualité suave de sa couleur et de son goût, paraît contenir l'antidote naturel de l'amertume (M. de Guérin, Corresp., 1837, p. 311).Un vin (...) est (...) suave, quand il produit une impression douce et dégage un charme irrésistible (Ali-Bab, Gastr. prat., 1907, p. 131). − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Juger qu'un munster distille une perle trop liquide qui promet l'âcreté prématurée, le mordant plutôt que le suave (Colette, Pays. et portr., 1954, p. 175). 5. [L'impression s'exerce sur l'ouïe] Synon. caressant, harmonieux; anton. criard, déchirant, discordant, rauque. a) [En parlant (de la qualité) d'un chant, d'une pièce musicale, d'un instrument, etc.] Chant, harmonie, musique suave. La cloche de la chapelle a sonné (...). Les sons suaves, transparents, se répandaient sur le jardin (Noailles, Visage émerv., 1904, p. 96).La plus suave mélodie, indéfiniment répétée, devient une ritournelle agaçante (Beauvoir, Pyrrhus, 1944, p. 22). b) [En parlant (de la qualité) d'une voix] Ses yeux doux et purs (...), sa voix suave et chantante (Soulié, Mém. diable, t. 1, 1837, p. 277).La voix des femmes qui sont belles (...) peut seule avoir cette abondance d'inflexions heureuses et ce son argentin (...). De la bouche d'une laide coulera, peut-être, une parole plus suave et plus mélodieuse, mais non point certes aussi vive (A. France, Bonnard, 1881, p. 305). − [P. méton.;] [en parlant d'une pers.] Qui a la voix très douce ou qui affecte par ironie des intonations très douces. Synon. péj. doucereux, melliflue, mielleux.Madame, − déclara-t-il, aussi suave qu'il avait été acide l'instant d'avant (Farrère,Homme qui assass.,1907,p. 91).− (...) c'est l'armée qui sauvera la République et le prolétariat. − Moi, dit Shade, suave, (...) je m'en fous (Malraux, Espoir, 1937, p. 604). B. − Au fig. 1. [En parlant d'une pers., de son caractère ou de son état d'esprit] Qui se caractérise par une très grande douceur morale, qui est empreint d'amour, de bonté, d'amabilité, de délicatesse. Synon. affable, affectueux, aimable, amène, courtois, gentil; anton. agressif, brutal, cruel, désobligeant, détestable, dur, grossier, indélicat, méchant.Lorsque je reçois le baiser d'un enfant, Il me semble qu'un lis s'est penché sur ma joue, Que j'ai tout le visage embaumé d'innocence, Que tout mon être enfin devient suave et pur. Ineffable plaisir, céleste jouissance! (E. de Guérin, Journal, 1835, p. 34): 2. ... vous n'avez rien dans l'âme que de tendre et de clément, vous êtes rayonnante de la plus belle douceur, vous êtes tout entière suave, bonne, miséricordieuse et charmante. Hélas! vous n'avez de méchanceté que pour moi seul!
Hugo, N.-D. Paris, 1832, p. 535. − Empl. subst. Les diables (...) ramassaient à la fourche toutes les femmes (...), les affichées (...) et les fleurs discrètes (...)! Des suaves et des altières (...), des langoureuses et des intrépides (Arnoux, Rhône, 1944, p. 173). − [P. méton.;] [en parlant (d'un aspect) du comportement] Qui exprime une grande douceur de caractère, d'impression, une disposition aimante, aimable. Jeanneton (...) l'accable d'amour, de caresses (...); n'écoutons pas la scène d'amour la plus suave, la plus délicate et les plus généreux propos (Balzac, Annette, t. 3, 1824, p. 183).Ce que songe et sent ton amante, que cela demeure un mystère! Borne-toi à t'enivrer de cette suave expression d'extase (Barrès, Cahiers, t. 13, 1921, p. 149). − Domaine relig.Marie entre un lis et une quenouille, Marie portant l'enfant (...), Marie couronnée d'étoiles. C'était pour lui une famille de belles jeunes filles, ayant une ressemblance de grâce, le même air de bonté, le même visage suave (Zola, Faute Abbé Mouret, 1875, p. 1287).Le mendiant était parvenu dans la grâce. (...) il siégeait avec les doux dans un Royaume Suave comme un cœur d'où découle tout baume (Jammes, Géorgiques, Chant 7, 1912, p. 78). 2. [En parlant d'une chose abstr., d'un sentiment] Qui impressionne moralement de manière très douce, qui enchante le cœur, l'esprit. Synon. agréable, enchanteur, plaisant; anton. déplaisant, désagréable.Ce moment leur était doux. La suave quiétude qui suit les bons repas reposait les esprits. Une forteresse de bien-être isolait ces gens (...). Dans aucune tête n'habitait l'idée de la souffrance du monde (Hamp, Marée, 1908, p. 74).Elle frôle constamment la tentation la plus poignante, la plus suave, la plus parée de tous les attraits: celle de se venger (Colette, Vagab., 1910, p. 39). − Avec une nuance iron. L'obscur et délicieusement perfide article des Débats où M. S. discerne avec bien du goût mon Narcisse (...) et me donne de si suaves conseils atténués ou empoisonnés par le sourire universitaire (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1891, p. 79). − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Talma a été sublime [dans Rodogune] (...) Il a supérieurement rendu tout le suave de l'amitié (Stendhal, Journal, t. 1, 1804, p. 126). − En partic. [En parlant d'un moyen d'expr. orale ou écrite] Synon. flatteur.Mot suave. Telle suave parole du poète, qui éveillait jusqu'au fond de son être des frémissements passionnés (Rolland, J.-Chr., Matin, 1904, p. 188).Il brossa un tableau idyllique de la situation, libérant toute une bergerie d'adjectifs suaves, décrivant les « provinces odorantes », les « sujets zélés » (Morand, Flagell. Séville, 1951, p. 258). ♦ Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. La déclaration amoureuse qu'il [Tartufe] lui fait en langage dévot (...) cette déclaration confite, toute pétrie de benin et de suave (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 218). ♦ [P. méton.;] [en parlant d'un écrivain] Qui s'exprime dans un style très harmonieux. Fénelon, si suave et si plein d'onction dans les méditations chrétiennes (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 119). REM. Suave mari magno, loc. subst.[P. allus. à Lucrèce, De natura rerum, livre II, 1] Très doux sentiment de quiétude, de délectation que l'on éprouve lorsqu'on se sent à l'abri de l'agitation, d'un ennui, d'un danger. Tous les dimanches soirs nous entendions, à peu de distance, le bruit (...) du bal des Marronniers. J'aimais assez cela; c'était un plaisir dans le genre du Suave mari magno (Michelet, Memor., 1822, p. 208).Le suave mari magno que nous éprouvons, au milieu d'un bon dîner, à nous souvenir d'aussi terribles soirées (Proust, Guermantes 1, 1920, p. 490). Prononc. et Orth.: [sɥa:v]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1490 « doux, qui enchante les sens et l'esprit » lenguaige suave (Martial d'Auvergne, Matines de la Vierge, éd. Y. Le Hir, 384); cf. 1505 [plat] ... suave ne plaisant a menger (Desdier Christol, Platine en françoys, 80 vob ds Mél. Séguy (J.), p. 81). Empr. au lat. class.suavis « doux, agréable », suave a supplanté souef, söef (1remoit. xiies., Psautier Oxford, 108, 20 ds T.-L.), forme pop. usuelle jusqu'au XVIIes. (Fur. 1690), et qui a donné naissance au dér. souefete, soueveté, v. suavité. Fréq. abs. littér.: 703. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 475, b) 1 063; xxes.: a) 918, b) 608. DÉR. Suavement, adv.De manière suave. a)
α) [Corresp. à supra A 1] Synon. délicatement, gracieusement, mignonnement; anton. laidement.Des globes de nuances finement roses, suavement vertes, à peine bleues, distribuaient un jour de féerie (Bourget, Profils perdus, 1884, p. 267).V. montrer I B 4 ex. de Gide.
β) [Corresp. à supra A 2] Synon. doucement, moelleusement, onctueusement, soyeusement; anton. âprement, durement, rudement, rugueusement.Il y a des sources sulfureuses (...), lorsqu'on s'y baigne, la peau devient si suavement douce, qu'après elle est encore plus délicieuse à toucher (Gide, Nourr. terr., 1897, p. 216).
γ) [Corresp. à supra A 3] Le corset tiède encore et suavement embaumé de cette Roset (Arène, J. des Figues, 1870, p. 105).V. jardin ex. de Coppée.
δ) [Corresp. à supra A 5; à propos d'une sonorité, d'une musique] Synon. harmonieusement, mélodieusement.Quel air divin que la cavatine du second acte! Comme il est suavement mélancolique et tendre! Comme l'accompagnement, si fondu, si doux, s'enroule autour de la mélodie! (Taine, Notes Paris, 1867, p. 160).
ε) [Corresp. à supra A 5; à propos d'une voix, d'une intonation, etc.] Parfois avec une nuance iron. Synon. doucereusement, mielleusement; anton. aigrement.Dire qqc. suavement. Un extraordinaire fantôme de voix flûtée, qui nuançait suavement des banalités (Gide, Si le grain, 1924, p. 546).b)
α) [Corresp. à supra B 1] Synon. affablement, aimablement, bonnement, courtoisement, gentiment; anton. brutalement, cruellement, détestablement, durement, grossièrement, méchamment.Je me suis montré, dans cet entretien, hypocrite et suavement cruel. (...) aimable dans ma sollicitude (...), ai montré ce que le monde dirait de ce mariage (Barb. d'Aurev., Memor. 2, 1838, p. 304).
β) [Corresp. à supra B 2] Synon. agréablement, plaisamment; anton. désagréablement.Quant à Racine, il a usé du vocabulaire le plus harmonieux, le plus suavement sentimental, interrompu de quelques cris déchirants, pour exprimer la sensualité la plus aiguë (L. Daudet, Idées esthét., 1939, p. 165).−[sɥavmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1878. −1reattest. 1534 [éd.] (Le Guidon en francoys, 165b ds Rom. Forsch. t. 32, p. 167); de suave, suff. -ment2*. − Fréq. abs. littér.: 42. BBG. − Baldensperger (F.). Notes lexicol. R. de Philol. fr. et de Litt. 1927, t. 39, p. 62. − Quem. DDL t. 10. |