| SPIRITUEL, -ELLE, adj. et subst. I. − (Ce) qui est de l'ordre de l'esprit ou de l'âme, qui concerne sa vie, ses manifestations, qui est du domaine des valeurs morales et intellectuelles; (personne) qui étudie ce domaine. A. − Adjectif 1. [Corresp. à esprit 1reSection III, en tant que principe immatériel] PHILOS., RELIG. Synon. immatériel. a) Qui est esprit, qui n'a pas de corps. Synon. incorporel; anton. corporel, organique, matériel.Être spirituel. Dans ces cercles qui mutuellement s'attiraient vers leur centre, il reconnut les neuf ordres de créatures spirituelles qui, entraînées par l'amour, entraînent elles-mêmes le monde entier. C'étaient les anges (Ozanam, Philos. Dante, 1838, p. 210). b) Qui est de l'ordre de l'esprit (considéré comme un principe indépendant), qui concerne l'esprit; dont l'origine n'est pas matérielle. Nature spirituelle de l'âme; partie spirituelle de l'être. Quel avantage avons-nous à soutenir ou à croire que l'univers est plutôt spirituel que matériel? (Maeterl., Av. gd sil., 1934, p. 110).Si les admirables Rêveries ne nous réconcilient pas avec l'homme, elles accroissent notre pitié pour ce grand malade. Sa maladie est surtout spirituelle: étrange délire obsidional (Mauriac, Trois gds hommes dev. Dieu, 1947, p. 128). 2. [Corresp. à esprit 2eSection I et II, en tant que principe de la pensée, de l'activité réfléchie de l'homme, de l'affectivité] a) Qui se rapporte au domaine de l'esprit, de la pensée, de l'activité intellectuelle.
α) [En parlant d'un inanimé abstr.] [Le mort] agit même plus qu'un vivant parce que, la véritable réalité n'étant dégagée que par l'esprit, étant l'objet d'une opération spirituelle, nous ne connaissons vraiment que ce que nous sommes obligés de recréer par la pensée, ce que nous cache la vie de tous les jours (Proust, Sodome, 1922, p. 770).Il est donc naturel quand on parle des affaires spirituelles, (en appelant spirituel tout ce qui est science, art, philosophie, etc.), il est donc naturel, parlant de nos affaires spirituelles et de nos affaires d'ordre pratique, qu'il existe entre elles un parallélisme remarquable, qu'on puisse observer ce parallélisme, et parfois en déduire quelque enseignement (Valéry, Regards sur monde act., 1931, p. 226). − [Fonctionne souvent comme quasi-synon. de imaginaire, intellectuel, mental ou a tendance à former avec eux un couple synon.] Activité mentale et spirituelle. Le théâtre comme l'alchimie est, quand on le considère dans son principe et souterrainement, attaché à un certain nombre de bases, qui sont les mêmes pour tous les arts, et qui visent dans le domaine spirituel et imaginaire à une efficacité analogue à celle qui, dans le domaine physique, permet de faire réellement de l'or (Artaud, Théâtre et son double, 1938, p. 58).
β) [En parlant de relations entre plusieurs pers.] − [En parlant d'un inanimé abstr.] Qui se situe au niveau de l'esprit, de la pensée, des valeurs intellectuelles. Synon. intellectuel, mental.Il n'y eut peut-être jamais d'autre lien spirituel entre nous que notre tendresse profonde pour la musique (Milosz, Amour. init., 1910, p. 166).Il y a, en revanche, des cas où l'on croit sentir sinon la collaboration effective, du moins l'influence spirituelle et prépondérante du plus grand des Le Nain, Louis (Jamot, Les Le Nain, 1929, p. 72). − [En parlant de pers.] Qui manifeste une parenté, une filiation dans l'ordre de l'esprit, de l'intelligence. Frère spirituel. Le théoricien de la volonté, ce jumeau spirituel de Louis Lambert, consentant à perdre une parcelle de cette précieuse substance (Baudel., Paradis artif., 1860, p. 384).Ce qui est commun à tous les Français d'une certaine famille spirituelle, qu'ils appartiennent à la descendance de Pascal, ou qu'ils soient fils de Diderot et de Voltaire, n'est-ce pas, aujourd'hui, le dégoût? (Mauriac, Bâillon dén., 1945, p. 418). ♦ Fils, fille spirituel(le). V. fils I B 1 c.Quelque princesse d'amour de Porto-Riche? Quelque fille spirituelle du malicieux et tendre théâtre de Maurice Donnay? (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 185).
γ) [En parlant d'une pers.] Préoccupé des choses de l'esprit plus que des biens matériels. Synon. idéaliste; anton. matérialiste, terre à terre.Reconnaissons-le: il existe des variétés dans la femme comme dans l'homme (...) Certes, il y a (...) des femmes purement spirituelles ou purement matérielles (Balzac, Employés, 1837, p. 11). − Empl. subst. masc., rare. Personne qui a une vie intellectuelle intense, qui est préoccupée des choses de l'esprit; philosophe qui professe le spiritualisme. Ce n'est pas l'homme qui a le moins d'esprit qui vit le moins par l'esprit. Le pauvre d'esprit créa l'Esprit, création des pauvres d'esprit. Et ce furent des « spirituels » qui créèrent ce qu'ils nommèrent la Chair (Valéry, Tel quel I, 1941, p. 63). b) [Corresp. à esprit en tant que principe de la vie psychique, en partic. des facultés affectives; en parlant d'un affect, d'un sentiment, d'un lien entre plusieurs pers.] Qui se situe au niveau de l'âme, de l'esprit, de la vie psychique, sans rien de sensuel; qui a rapport à la vie intérieure de l'âme dégagée des sens, aux fonctions supérieures de l'esprit. Anton. charnel, physique2, sensuel.Bonheur corporel et spirituel; plaisir spirituel; union spirituelle. Voulez-vous de mon dévouement, de mon amour spirituel? (Adam, Enf. Aust., 1902, p. 220). 3. RELIG. Qui n'appartient pas au monde physique mais au monde de l'esprit, de l'âme, à la vie religieuse, au domaine moral distinct des réalités du monde sensible et de la vie pratique. Anton. mondain, séculier, temporel.Administration, autorité, bien, puissance, règlement, royaume spirituel(le). Chaque bourgade étoit gouvernée par deux missionnaires, qui dirigeoient toutes les affaires spirituelles et temporelles des petites républiques (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 433). ♦ Chef, père spirituel. Responsable au point de vue religieux. Le tsar est le chef et le père spirituel de cent cinquante millions d'hommes. Responsabilité effroyable qui n'est qu'apparente. Peut-être n'a-t-il réellement à sa charge, devant Dieu, que deux ou trois êtres humains (Bloy,Journal,1894,p. 150).L'évêque étant le chef spirituel de son diocèse, nul autre que le pape, duquel il tenait son autorité, n'avait qualité pour lui demander des comptes et se prononcer sur eux (Billy, Introïbo, 1939, p. 104). ♦ Gouvernement spirituel. V. gouvernement B 2 a. ♦ Pouvoir spirituel. V. pouvoir2I D 2 a. B. − Subst. masc. sing. à valeur de neutre 1. Ce qui appartient au domaine de l'esprit, de la pensée, de l'âme. L'esprit est tout. Le matériel est esclave du spirituel (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 615): 1. ... quelques hommes donnent l'idée, − ou l'illusion, − de ce que le monde, et particulièrement l'Europe, eût pu devenir, si la puissance politique et la puissance de l'esprit eussent pu se pénétrer l'une l'autre, ou, du moins, entretenir des rapports moins incertains. Le réel eût assagi les idées; le spirituel eût, peut-être, ennobli les actes...
Valéry, Variété IV, 1938, p. 95. 2. Anton. charnel, sensuel.Il y avait en lui une souplesse et une diversité essentielles. Il y avait du spirituel et du sensuel, du détachement et du désir (Valéry, Variété IV, 1938, p. 26).V. corporel A 2 ex. de Péguy. 3. Anton. de mondain, séculier, temporel.Je n'ai rapporté l'histoire de l'ange et de l'ermite que pour montrer l'abîme qui sépare le temporel du spirituel (A. France, Opin. J. Coignard, 1893, p. 275).La ligne à suivre est bien simple: s'occuper (...) de la situation matérielle, faire face aux multiples travaux non choisis qui m'incombent, et pour le reste − tant sur le plan religieux que sur celui du posthume − veiller à ce que jamais le temporel ne vienne à refluer ainsi sur le spirituel (Du Bos, Journal, 1927, p. 187). II. − (Ce/personne) qui concerne, étudie la vie de l'âme en tant qu'émanation et reflet d'un principe supérieur; qui est relatif à la pratique ou à la vie religieuse, à la spiritualité, à la religion. A. − Adjectif 1. Relatif à la vie religieuse. Synon. religieux.Doctrine, discipline spirituelle. À cette époque les fondations de sa vie intérieure [de la Mère Agnès] étaient assurées, son pli spirituel était pris et la courbe de son ascension nettement tracée (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 212). 2. Relatif à la pratique de la méditation et de l'union mystique avec Dieu, aux moyens pour y parvenir. Communion spirituelle. Ce n'étoit plus eux [les grands et les riches], ni leurs femmes, ni leurs enfans, qui venoient à leur tour dans les paroisses de Paris (...) présenter le pain bénit, en signe d'alliance spirituelle avec Jésus-Christ et avec tous les fidèles de son Église (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 200). ♦ Vie spirituelle. Vie de l'âme qui tend à l'union avec Dieu; vie religieuse. Chez les Dominicains je suis témoin d'une vie spirituelle très intense, très prenante. Les Pères sont des hommes remarquables par leur science et leur forte piété (Billy, Introïbo, 1939, p. 164). − [En parlant de moyens] ♦ [En parlant d'un inanimé abstr.] Combat spirituel; gymnastique spirituelle. Elle avait requis l'aide spirituelle de son directeur contre des tentations, des troubles dont elle ne précisa pas la nature (Mauriac, Baiser Lépreux, 1922, p. 188).Nicolas Machiavel (...), étranger non seulement à tout mysticisme, mais encore au christianisme (je veux dire à ce qui, dans la religion, est pour un chrétien nourriture spirituelle) (L. Febvre, Leur hist. et la nôtre, [1938] ds Combats, 1953, p. 281).Bouquet spirituel. V. bouquet1D 2 b.Exercice spirituel. V. exercice A 2 b.C'étaient des Chadelya, disciples du vieux Cheikh et Ghazouani, qui se livraient à leurs exercices spirituels (Psichari, Voy. centur., 1914, p. 39).La discipline des Renseignements Généraux, se dit-il, vaut bien celle des Exercices spirituels de Saint-Ignace (Nizan, Conspir., 1938, p. 214). − [En parlant d'une pers.] Directeur, guide spirituel; médecin spirituel (vx). Synon. de confesseur, directeur (de conscience).Mais les fêtes d'Esther et cet éclat mondain jeté sur des pensionnaires élevées dans la piété avaient blessé les directeurs spirituels de Mmede Maintenon (A. France, Génie lat., 1909, p. 161).− Vous avez l'air d'un vrai prêtre, vous! Je veux me confesser à vous. Je l'écoutai donc et pus constater quelles ascensions merveilleuses Dieu avait réalisées dans cette âme, si difficile sur le choix d'un guide spirituel (Billy, Introïbo, 1939, p. 197). 3. Fondé sur l'Église, organisé sur des bases religieuses. Monarchie, puissance spirituelle. Pour réaliser ce grand dessein de miséricorde et d'amour, conçu de toute éternité dans la pensée de son Père, le Fils de Dieu forma une société spirituelle destinée à recueillir ceux qui croiroient en lui, et il institua pour la gouverner un sacerdoce nouveau, un corps de pasteurs chargés de répandre sa parole et d'administrer ses sacrements (Lamennais, Religion, 1826, p. 53).Catholique, il [Napoléon] l'est devenu lorsqu'il eut commencé à se bercer de l'illusion que le pape pourrait devenir, entre ses mains, le plus diligent des préfets, et, le Saint-Siège, le ministère de la police spirituelle (J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p. 257). 4. Rempli, pénétré de spiritualité; de spiritualité. a) [En parlant d'une pers.] Qui fait preuve d'une grande spiritualité. Synon. mystique, religieux.Par la pénitence, le renoncement, la méditation, développons en nous l'homme spirituel [déclare le christianisme] (Taine, Philos. art, t. 2, 1865, p. 145). b) [En parlant d'un inanimé abstr.] De spiritualité. École spirituelle. Il est certain que le domaine de l'âme s'étend chaque jour davantage (...). On dirait que nous approchons d'une période spirituelle (Maeterl., Trésor humbles, 1896, p. 29). ♦ Lecture spirituelle. La lecture spirituelle de six heures et demie du soir consiste en une pieuse lecture que, sur l'indication du supérieur, font à haute voix les meilleurs lecteurs, dans la salle des exercices, soit en une causerie du supérieur sur la vie sacerdotale (Billy, Introïbo, 1939, p. 80). − LITT. Livre, ouvrage spirituel; littérature spirituelle. Qui traite de religion, de spiritualité. Ses livres spirituels [de l'Église russe] présentent à cet égard [de la suprématie du Pape] des confessions si claires, si expresses, si puissantes qu'on a peine à comprendre comment la science qui consent à les prononcer, refuse de s'y rendre (J. de Maistre, Pape, 1819, p. 60).Le P. Guilloré reste un des classiques de la littérature spirituelle. Le Traité de l'oraison − le second acte du long drame dont nous suivons présentement les péripéties − (...) est une façon de chef-d'œuvre (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 478). − MUSIQUE ♦ Chant spirituel, musique spirituelle. Chant religieux; musique religieuse, sacrée. Au moyen âge, Peire d'Alverne (fin XIIes.), pour la langue d'oc, et Gauthier de Coincy (✝ 1236), pour la langue d'oïl, ont employé pour ces chants [les chants dits spirituels, c'est-à-dire d'une qualité religieuse] en langue vulgaire le titre de chanson pieuse (...). Au XVIes., a prévalu le terme de spirituel (BrenetMus.1926, p. 419).Ce fut aussi l'époque d'une autre forme de la musique, purement religieuse ou « spirituelle » (Gastoué, Vie mus. église, 1929, p. 37). ♦ Concert spirituel. Concert où l'on exécute une musique à caractère religieux. Le soir, Concert spirituel à la Madeleine (Stabat Mater de Rossini, Les Sept Paroles de Haydn, Ave verum de Mozart, etc.) (Amiel, Journal, 1866, p. 197): 2. ... l'histoire de la musique, qui pour la plus grande partie avait été depuis saint Grégoire l'histoire de la musique religieuse, sera surtout celle de la symphonie, du théâtre, de la musique de chambre, et aussi du concert spirituel, issu sans doute de la musique d'église, mais devenu un genre, comme les autres, de musique personnelle.
Potiron, Mus. église, 1945, p. 69. 5. Vx. [En parlant de l'interprétation des livres révélés] Allégorique, figuré, mystique. Anton. littéral.Signification spirituelle. Il est nécessaire (...) de distinguer soigneusement les sens spirituels certains, voulus par le Saint-Esprit, acteur principal de l'Écriture, et exprimés médiatement sous le sens littéral, des interprétations spirituelles, proposées avec plus ou moins de fondement par les Pères et les exégètes catholiques (Bouyer1963). B. − Subst. masc. 1. Subst. masc. sing. à valeur de neutre. Mysticisme, ce qui touche à la religion, à Dieu. En réalité, toute l'éducation moderne tend à nous armer contre le spirituel. Pour avoir la paix, pour établir un équilibre durable (...) on nous apprend à déjouer toutes les ruses de ce perpétuel assiégeant qui est Dieu. On lui oppose une invincible tiédeur (...) c'est le ciel tout entier avec ses gouffres et ses millions d'astres qui se rue sur nous (Green, Journal, 1942, p. 220). 2. Subst. masc. Personne faisant preuve d'une grande spiritualité, servant de modèle ou de référence à ceux qui cherchent à développer leur vie spirituelle; mystique, religieux. Au premier rang des spirituels, il [Fumet] met les chartreux, puis les carmes. Il me dit que sur cent vocations de chartreux, il n'y en a que dix qui « tiennent » (Green, Journal, 1945, p. 259).Beaucoup de penseurs et de spirituels de l'Inde moderne − tels Tilak et Gandhi − éveillés à l'urgence des réformes sociales et politiques réclamées par leur temps, attachent à cette « voie de la délivrance » une valeur privilégiée (Philos., Relig., 1957, p. 52-11). − HIST. RELIG. ♦ ,,Nom qui fut donné, dans le treizième siècle, à des membres de l'ordre des frères mineurs de Saint-François qui firent schisme dans cet ordre, sous prétexte d'observance exacte de la règle`` (Ac. Compl. 1842). ♦ Quiétiste au XVIIes. Il semble, écrit un (...) spirituel, que « l'âme devrait avoir inclination à l'oraison de repos », et néanmoins, il n'est pas de violence qu'elle ne se fasse, pour se maintenir en état d'activité. C'est que le démon d'abord lui persuade qu'elle perdra son temps à ne plus agir. Comme il appréhende qu'elle ne surgisse à bon port au havre de l'oraison de quiétude (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 538). III. − [Corresp. à esprit 2eSection I D 2 b, en tant que forme d'intelligence aiguë, vive et mordante] A. − Adjectif 1. Courant a) [En parlant d'une pers.] Qui a de l'esprit, qui manifeste une forme d'intelligence vive et mordante, qui excelle dans l'art d'opérer des rapprochements drôles ou de manier les idées et les mots avec une verve fine et piquante. Synon. brillant1, intelligent; anton. lourd, plat1, sot.Elle était assez spirituelle pour comprendre parfaitement que s'écarter ainsi de la foule, ce n'est pas se cacher, mais annoncer que l'on ne veut pas être vu (Karr, Sous tilleuls, 1832, p. 216).Un petit homme au regard pétillant de sottise (...) Il n'en est pas moins convaincu qu'il est spirituel et fort intelligent (Green, Journal, 1956, p. 163). − [P. méton.] ♦ [En parlant des traits ou de l'expression du visage] Qui annonce, dénote de l'esprit, une intelligence fine et piquante. Anton. sot, stupide.Air, minois, nez, regard spirituel; physionomie spirituelle. Il faut aller vous coucher, reprit-elle avec cet air ironique si bien fait pour sa tête fine et spirituelle (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 132).Une verrue dans le sourcil gauche qui lui donnait l'œil spirituel, d'autant qu'il en clignait (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 233). ♦ [En parlant d'une attitude, d'un comportement hum.] Espiègle, fin, malicieux. Méchanceté, vivacité spirituelle. La voix enrouée, mate et spirituelle de Préault, qui fait tomber dans mon oreille des histoires, des anecdotes, des mots (Goncourt, Journal,1865, p. 160).Malgré l'empâtement des traits, la lèvre supérieure se retroussait toujours de même, vers la gauche, de biais, avec une spirituelle lenteur, tandis qu'une lueur malicieuse s'allumait insensiblement entre les paupières plissées (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 827). ♦ [En parlant d'un produit de l'esprit, d'une action] Qui est plein d'esprit, d'intelligence; qui manifeste du piquant; en partic., qui amuse, fait rire. Synon. amusant, brillant1, fin, malicieux, plaisant ;Anton. plat1, sot, stupide.Argument, article, écrit, mot spirituel; histoire, parole, phrase, plaisanterie, réponse spirituelle. Le style pathétique, élevé, harmonieux, et propre à l'éloquence de la tribune, était aussi facile à un Grec ou à un Romain, que le style spirituel et poli, vif et court, badin et flatteur, est facile à un Français (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 412).Le genre de réflexions spirituelles qu'il faut savoir garder pour soi (Butor, Passage Milan, 1954, p. 80). ♦ [En parlant d'une manière d'écrire] Reprendre, nous l'espérons tous, cette plume spirituelle qui se rouille (Colette, Vagab., 1910, p. 206). − P. antiphr. Ne pas être intelligent, malin. Ah! c'est malin, c'est spirituel (Rob. 1985). − Loc. Trouver spirituel de + inf. Trouver amusant, intelligent, malin de. Trouver spirituel de dire, de faire qqc. Elle chercha de la main la clef ordinairement sur la serrure et la chercha vainement. La veuve Fipart avait trouvé spirituel de l'emporter (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 480). b) Littér. [En parlant d'une chose concr.] − Fin. Il arrosait, ce vin, le plus spirituel des déjeuners. Peu de viandes, à la vérité, mais toutes remarquablement épicées. Beaucoup de gâteaux, crêpes au miel, beignets aromatisés (Benoit, Atlant., 1919, p. 135). − Alerte, vif. Le silence, ici, c'est (...) le trot d'un cheval du pays aux petits sabots spirituels, des trompes d'automobiles (Colette, Entrave, 1913, p. 12). 2. Domaine artist. a) BEAUX-ARTS (dessin, peint.). [En parlant d'une œuvre d'art, d'une représentation picturale] Bien rendu, vivant. Dessin, tableau spirituel; caricature spirituelle. Toujours ces mains spirituelles, contournées de vermillon, aux demi-teintes bleues, où sur la pleine pâte, le courant de la chair serpente; ces mains vivantes, ces anatomies spirituelles, où la tache de vermillon et de bleu, posée comme au hasard du pinceau, mais posée juste, les fait vivre et remuer avec la transparence d'une chair vénitienne (Goncourt, Journal, 1860, p. 805). − [P. méton.] ♦ [En parlant de la manière de peindre] Qui exprime le caractère des objets, qui donne de la vie. Touche spirituelle. Sa couleur [de M. Blin] est faible, mais sa brosse est légère, facile, spirituelle; son dessin est entendu; ses tons sont très harmonieux (Castagnary, Salons, t. 1, 1859, p. 92). ♦ [En parlant d'un artiste] Parfois péj. Dont l'art est vivant. Un peintre spirituel, enlevant chaque année quelques succès faciles au moyen de petits tableaux anecdotiques lestement troussés (Castagnary, Salons, t. 2, 1878, p. 324). b) MUS. [En parlant d'un air, d'une note] Au caractère alerte, vif. Sa musique, mélodique, spirituelle, bien écrite et facilement conçue l'a placé [Auber] comme chef d'école dans l'opéra-comique français au XIXesiècle (Rougon1935, p. 311). B. − Subst. masc. 1. Subst. masc. sing. à valeur de neutre a) Finesse d'esprit; caractère amusant, plaisant. [La duchesse de Maufrigneuse] ne connaissait pas le cabaret: d'Esgrignon lui arrangea une charmante partie au Rocher de Cancale avec la société des aimables roués qu'elle pratiquait en les moralisant, et qui fut d'une gaieté, d'un spirituel, d'un amusant égal au prix du souper (Balzac, Cabinet ant., 1839, p. 72). b) Le genre spirituel. La personne en cause [celle de qui on rit] (...) n'est pas toujours celle qui parle. Il y aurait ici une importante distinction à faire entre le spirituel et le comique. Peut-être trouverait-on qu'un mot est dit comique quand il nous fait rire de celui qui le prononce, et spirituel quand il nous fait rire d'un tiers ou rire de nous. Mais, le plus souvent, nous ne saurions décider si le mot est comique ou spirituel. Il est risible simplement (Bergson, Le Rire, Paris, P.U.F., 1950 [1900], pp. 79-80). c) Domaine artist. (beaux-arts).Caractère véridique, vivant d'une œuvre d'art. Ce qui est inestimable dans ces planches, c'est la mise dans l'air de ces personnages, le spirituel de ces figures, l'expert de ces regards, la réalité de ces postures (Huysmans, Art mod., 1883, p. 218). 2. Subst. masc., vx. Personne d'esprit. Cet ouvrage spirituel [Les Folies de Regnard] (...) est original par l'esprit qui y est à chaque vers, et jusque dans les situations, mais généralement froid (...) Il doit enchanter les spirituels-froids qui fourmillent dans le monde (Stendhal, Journal, t. 1, 1805, p. 259). − Loc., péj. Faire le spirituel. Chercher avec affectation à faire preuve d'esprit. Synon. faire le bel esprit*.Bah! reprit un autre, qui voulait faire le spirituel, tous ces nobles de la ville haute sont les mêmes, ils portent le deuil de leur garde-robe et de leurs espérances (Theuriet, Mariage Gérard, 1875, p. 14). REM. Spirituellerie, subst. fém.,hapax. Raffinement subtil. [Au Salon, au Palais de l'Industrie] De l'esprit non pas même de touche, mais de sujet; de la littérature de pinceau, avec deux idéals menant tout cela. L'un est je ne sais quelle poussière d'idées anacréontiques; des énigmes effleurées sur la toile, de la poudre de l'aile d'un papillon gris; l'antiquité et la mythologie par le petit et par le menu, par une spirituellerie morale qu'elle n'a jamais connue: des hannetons attachés par la patte, que des grands enfants s'amusent à faire cogner contre les murs de marbre du Parthénon (Goncourt, Journal, 1857, p. 379). Prononc. et Orth.: [spiʀitɥ
εl]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 2emoit. xes. esperitiel « de nature immatérielle, de l'ordre de l'esprit » (St Léger, éd. J. Linskill, 172); b) ca 1165 « surnaturel » (Benoît de Ste-Maure, Troie, 24002 ds T.-L.); c) ca 1190 (Chanson d'Aspremont, 1875, ibid.: Dex, dist Richiers, bials pere esperital); d) xiiies. (Sermons poitevins, 15, ibid.: Hom qui est de .II.natures, de nature corporau et de nature esperitau); e) ca 1485 (Mystère Viel Testament, éd. J. de Rothschild, t. 4, p. 366: Qui met [...] zizanie entre les fréres Tant charnelz que esperituelz); f) 1672 subst. (Mmede Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 1, p. 500); 2. a) 2emoit. xes. « relatif à l'âme de l'homme » (St Léger, 215); b) 1174-76 « (d'une personne) pieux, religieux » (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 569); c) ca 1200 vie spiritueile (Dialogue Grégoire, éd. W. Foerster, p. 102); d) xiiies. (Sermons poitevins, loc. cit.: Hom [...] a mester de doble pain, dau pain corporau au cors, e dau pain esperitau a l'arme); e) 1316-28 (Ovide Moralisé, éd. C. de Boer, t. 1, p. 145: Adont l'aime Dieus per amours, Si li porte comme a s'amie Spirituele compagnie); f) 1376 lumiere esperituele, mort esperituele (Modus et Ratio, éd. G. Tilander, t. 1, p. 146); g) 1508 pasture spirituelle (du pasteur envers ses ouailles) (Éloy d'Amerval, Livre de la diablerie, éd. Ch.-F. Ward, p. 220b); 3. a) 1247 « qui appartient à l'Église » (Charte ds Du Cange, s.v. spiritualia: esperitues choses); b) 1283 (Philippe de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon, t. 1, p. 153: justice esperituel); c) 1511 subst. (Gringore, Jeu du Prince des Sotz ds
Œuvres, éd. Ch. d'Héricault et A. de Montaiglon, t. 1, p. 229: Mais gardons l'esperituel, Du temporel ne nous meslons); 4. a) 1509 « relatif à la pensée, à l'intellect » (Jean Lemaire de Belges, Illustr., Œuvr., I, 248, Stecher ds Gdf. Compl.: laboriosité spirituelle); b) 1571 enfant spirituel (en parlant d'un livre) (La Porte, Epith. Avert., ibid.); c) 1573 « qui montre de la finesse d'esprit » (Guill. Paradin, Hist. de Lyon, III, XXIX, ibid.: L'autre dame estoit nommee Pernette du Guillet, toute spirituelle, gentille et tres chaste, laquelle a vescu en grand renom de tout meslé savoir); d) 1769 domaine artist. (Diderot, Salons, p. 328: touche spirituelle; p. 423: un faire très-spirituel). Empr. au b. lat.spiritalis, spiritualis dér. de spiritus « esprit », littéral. « propre au souffle, au principe vital » (sens représenté dep. le xvies. par spiritueux*), surtout att. chez les Pères de l'Église qui l'empl. p. oppos. à « corporel, charnel, matériel », pour qualifier ce qui se rapporte à l'âme, à l'Esprit divin, au Saint-Esprit, d'où « symbolique, mystique » et « du domaine de l'intelligence spirituelle » [c'est-à-dire « qui n'est pas victime de la lettre »], v. Blaise Lat. chrét.; le double domaine sém. du mot, théologico-mystique et ressortissant à la philos. de la nature, explique les empl. de spirituel (et de ses dér.) dans les différents champs de la philos., la théol. et la psychol. aussi bien que son empl. dans la terminol. jur. eccl. (sens 3) ou l'affaiblissement de sens que représente le sens 4 c (v. FEW t. 12, pp. 190-191). L'a. fr. empl. indifféremment les quatre formes spirit-, espirit-, sperit-, esperit- corresp. aux formes de esprit*, la 1reéliminant les autres au xvies. Fréq. abs. littér.: 5 500. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 6 647, b) 5 271; xxes.: a) 5 781, b) 11 418. Bbg. Gorcy (G.). Cf. bbg. spiritualité. − Gordon (W. T.). A. History of semantics. Amsterdam; Philadelphia, 1982, pp. 53-471. |