| SOUPÇONNER, verbe trans. A. − Avoir, à tort ou à raison, une opinion, une croyance, un jugement défavorable à l'égard de quelqu'un ou de quelque chose. Synon. blâmer (v. ce mot A), suspecter. 1. Qqn soupçonne qqn.Le capitaine de la porte Saint-Martin fut soupçonné, mis en prison, et l'on mura la porte (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 388).Notre devoir et notre profession nous forcent à ne rien ignorer, à soupçonner tout le monde, car tout le monde est suspect: et nous demeurons surpris quand nous nous trouvons en face d'un homme qui a, comme l'assassin assis devant vous, la religion du respect assez puissante pour en devenir un martyr (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Assass., 1887, p. 590). − Absol. Accuser, blâmer, soupçonner, maudire, railler, condamner, voilà ce qu'il y a au bout de toute causerie politique ou littéraire (Sand, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 440).Cela aurait l'air bête d'accueillir. Il faut voir tout ce qui cloche, il faut « soupçonner ». Notre agressivité se défoule au gré des rencontres. Tout ce qui passe sous notre œil est rétréci à notre mesure (S. Rougier, Comme une flûte de roseau, 1982, p. 95). − Empl. pronom. réciproque. [Du Roy et sa femme] demeurèrent (...) les yeux dans les yeux (...) lutte intime de deux êtres qui, vivant côte à côte (...) se soupçonnent, se flairent (...) mais ne se connaissent pas jusqu'au fond vaseux de l'âme (Maupass., Bel-Ami, 1885, p. 320). − Expr. [P. réf. à la parole de César qui avait répudié sa femme Pompéia sans avoir de preuve de sa culpabilité] La femme de César ne doit pas même être soupçonnée. Quand on a une situation en vue, un rang à tenir, on ne doit même pas donner prise au soupçon. (Ds Rey-Chantr. Expr. 1979, s.v. César). 2. a) Qqn soupçonne qqn de qqc.Soupçonner qqn de complicité, de cupidité, d'erreur, d'espionnage, d'un forfait, d'intrigue, de légèreté, de meurtre, de mensonge, de trahison. On soupçonnait de machinations, de conspirations et de crimes, les personnes emprisonnées (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 3, 1821-24, p. 346).Évidemment il avait compris ce que je comprenais alors: que mon ami le soupçonnait de l'abominable attentat (G. Leroux, Myst. ch. jaune, 1907, p. 25). b) Qqn soupçonne qqn de + inf.Soupçonner qqn de conspirer, d'avoir volé. On soupçonne ces contrebandiers d'avoir, il y a quelque temps, assassiné un gendarme (Constant, Journaux, 1804, p. 169).Passive, on l'eût accusée d'être une charge: active, on la soupçonnait de vouloir régenter la maison (Sartre, Mots, 1964, p. 10). c) Qqn soupçonne que.Soupçonner qu'un rival est aimé est déjà bien cruel, mais se voir avouer en détail l'amour qu'il inspire par la femme qu'on adore est sans doute le comble des douleurs (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 350).Encore soupçonnais-je que, sur certaines questions: Syrie, Liban, Indochine, intéressant directement la France, les « trois » avaient conclu entre eux quelque arrangement incompatible avec nos intérêts (De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p. 88). 3. Qqn soupçonne qqc.Soupçonner une catastrophe, un drame, le mal, un malheur. En se séparant pour deux jours de Mathilde, Malek Adhel étoit loin de soupçonner la fuite qu'elle méditoit (Cottin, Mathilde, t. 1, 1805, p. 304).Plus ils accumulaient de belles promesses, plus les gens sérieux soupçonnaient des pièges, - en quoi ils n'avaient pas complètement tort, car les utopistes eussent mené le monde à des désastres, à la tyrannie et à la bêtise, si on les avait écoutés (Sorel, Réflex. violence, 1908, p. 201). B. − 1. Former une conjecture, une hypothèse, une supposition. Synon. imaginer. − Qqn soupçonne qqc.Il était persuadé, ce que le gros du vulgaire autour de lui était bien loin de soupçonner, que, s'il périssait, ce serait par les Bourbons (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p. 311).Il y a deux cent cinquante-huit ans, mes amis, l'Australie était encore inconnue. On soupçonnait bien l'existence d'un grand continent austral (Verne, Enf. cap. Grant, t. 2, 1868, p. 40).L'espèce [humaine] a reconnu lentement et irrégulièrement la figure superficielle de la terre (...) soupçonné et vérifié sa convexité formée (Valéry, Regards sur monde act., 1931, p. 23). − Qqn soupçonne qqc. de + inf.Il y a aussi dans la cathédrale de Burgos, une sainte Famille sans nom d'auteur que je soupçonne fort d'être d'André del Sarto (Gautier, Tra los montes, 1843, p. 49). − Qqn soupçonne que.Nous soupçonnions depuis long-temps que ce poisson venait de cette partie de la côte, mais nous n'en étions pas certains, et cette découverte satisfit notre curiosité (Voy. La Pérouse, t. 2, 1797, p. 181).Je soupçonne seulement que le feu électrique, et que tout feu en général, renferme en lui plusieurs propriétés qui nous sont inconnues (Bern. de St-P., Harm. nat., 1814, p. 157). − MÉD. Soupçonner une infection, une maladie. Je présume que le cœur était malade chez lui; j'y soupçonnais depuis longtemps une lésion (Gozlan, Notaire, 1836, p. 243). 2. P. ext. Deviner, entrevoir, suspecter. Synon. flairer (fam), pressentir; anton. ne pas avoir connaissance, ignorer. − Qqn soupçonne qqn.Minna soupçonnait le forçat de la gloire en cet homme [Wilfrid], et Séraphita le connaissait; toutes deux l'admiraient et le plaignaient. D'où leur venait cette prescience? (Balzac, Séraphita, 1835, p. 259). − [En incise] J'ai entrevu (...) M. le comte de Saurau, gouverneur de Milan. C'est un homme de beaucoup d'instruction, et, je soupçonne, d'esprit (Stendhal, Rome, Naples et Flor., t. 1, 1817, p. 76). − Qqn soupçonne qqn de + inf.Je soupçonne l'auteur, dit le bibliophile, d'avoir vécu vers la fin du règne de Louis XII (Bertrand, Gaspard, 1841, p. 111). − Qqn soupçonne qqc.Soupçonner un fait, la vérité. Ils auraient pu se marier: elle était veuve et il ne soupçonna pas cet amour, qui peut-être eût fait le bonheur de sa vie (Flaub., Bouvard, 1880, p. 137).Je ne me croyais pas prisonnier ainsi des fontaines. Je ne soupçonnais pas une aussi courte autonomie. On croit que l'homme peut s'en aller droit devant soi. On croit que l'homme est libre (Saint-Exup., Terre hommes, 1939, p. 237). − Qqn soupçonne que.Elle n'a point l'air de soupçonner que la retraite sur la Loire est décidée (France, J. d'Arc, t. 2, 1908, p. 5). − Faire soupçonner qqc. à qqn.Sans doute cette méthode se contente-t-elle de faire soupçonner à chaque instant au lecteur l'existence, la complexité et la variété des mouvements intérieurs (Sarraute, Ère soupçon, 1956, p. 123). C. − [Corresp. à soupçon B 1] Percevoir quelque chose qui est à peine discernable. Synon. deviner.L'horizon tout à coup s'ouvrait, c'était la vaste vallée d'Auge; au loin on soupçonnait la mer (Gide, Immor., 1902, p. 417).Il fait noir, on ne soupçonne pas les maisons; seules apparaissent, soulevées au-dessus de la ville, les chambres illuminées de ceux qui aiment à Paris (Giraudoux, Siegfried et Lim., 1922, p. 257). − P. anal., à valeur factitive. Qqc. ne soupçonne pas qqc.[MmeTaraval] avait une santé qui ne soupçonnait même pas la migraine, une grosse fortune, deux enfants (Bourget, Irrépar., 1884, p. 31). Prononc. et Orth.: [supsɔne], (il) soupçonne [-sɔn]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1200 souspecener « concevoir des soupçons au sujet de quelqu'un » (Auberee, p. 38 ds T.-L.); ca 1265 soupçonner que + sub. complét. (Brunet Latin, Trésor, éd. F. J. Carmody, L. 2, CXI, p. 294). Dér. de soupçon*; dés. -er. Fréq. abs. littér.: 3 022. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4 643, b) 2 936; xxes.: a) 5 066, b) 4 266. DÉR. Soupçonnable, adj.a) [En parlant d'une pers.] Qui peut être soupçonné. L'auguste assemblée (...) compte en ses rangs suffisamment de fins lettrés et de distingués penseurs peu soupçonnables de velléités antigouvernementales (L'Est Républicain, 11 déc. 1987, p. 1, col. 1).b) [En parlant d'une chose abstr.] Que l'on peut entrevoir, pressentir. Une nouvelle évolution peu soupçonnable il y a vingt ans, s'amorce, qui fera l'objet d'un développement particulier (Matras, Radiodiff. et télév., 1958, p. 55).− [supsɔnabl]. − 1resattest. xiiies. soupeçonables (Bible, Maz. 35, f o36a ds Gdf.), 1611 soupçonnable (Cotgr.); de soupçonner, suff. -able*. BBG. − Wey (F.). Soupçonner... les intentions de qqn. In: W. (F.). Rem. sur la lang. fr. 1841, t. 1, pp. 410-412. |