| SOUMETTRE, verbe trans. [Les indices 1, 2, 3, 4 qui marquent les suj. ou compl. de soumettre dans les schémas syntaxiques renvoient respectivement: 1 à ce, celle, celui qui soumet (agent); 2 à ce, celle, celui qui est soumis (patient); 3 à ce à qui, à quoi se trouve soumis le patient; 4 à l'instrument, au moyen du procès concerné] I. − Empl. trans. A. − Soumettre 1. Imposer dépendance, obéissance, par la contrainte, par la force, à quelqu'un. Synon. assujettir. a) Qqn1soumet qqn2.Un autre comte de Hollande, Guillaume IV (...) avait aussi tenté de soumettre les Frisons. Son entreprise fut plus malheureuse encore (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 161): 1. ... le 24 septembre 1791, la Constituante avait de nouveau abandonné aux assemblées coloniales le soin de régler la condition des hommes de couleur, le maintien de l'esclavage restant hors de conteste; mais ses commissaires ne réussirent pas à rétablir l'ordre, ni à soumettre les noirs révoltés. Les Girondins reconnurent aux hommes de couleur et aux noirs libres la pleine condition de citoyens...
Lefebvre, Révol. fr., 1963, p. 427. − Empl. abs. Qqn1soumet.Cette doctrine de soumission, ceux qui soumettent s'en emparent par un abominable abus. La religion est mauvaise parce qu'en désarmant l'opprimé elle le livre à l'oppresseur (Gide, Journal, 1932, p. 1125). − [P. méton.] C'est la sauvage intolérance du Moyen Âge: soumettre les hérésies (Michelet, Journal, 1849, p. 10).Lorsque César eut soumis l'Égypte, il imposa les joyaux de verre comme tribut de guerre (Cl. Duval, Verre, 1966, p. 6). b) Qqn1/qqc.1soumet qqn2à qqn3ou qqc.3(au moyen de qqc.4).Pour soumettre un peuple au joug d'un maître infâme, Il faut de l'eau du vice empoisonner son âme! (Lamart., Chute, 1838, p. 930). − [P. méton.] Les calculs de l'ambition et de l'avidité n'auraient pas suffi pour soumettre la France à Bonaparte; il faut quelque chose de grand pour remuer les masses, et c'était la gloire militaire qui enivrait la nation (Staël, Consid. Révol. fr., t. 2, 1817, p. 88). − En partic. [Chez les animaux, pendant la période du rut; le compl. d'obj. dir. désigne la femelle] Couvrir. (Dict. xxes.). 2. Qqn1soumet qqn2(au moyen de qqc.4)Imposer sa volonté par la contrainte psychologique, la persuasion, à quelqu'un. Par l'épée de la parole je soumettrai tous les ennemis de mon Dieu, je les lierai, et je les empêcherai de faire de la peine à mon Dieu (Saint-Martin, Homme désir, 1790, p. 7).Elle pensait qu'au lieu de calmer ces accès d'irritation maladive, ma mère, excitant trop ma sensibilité, me soumettait sans me corriger (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 284). 3. Qqn1soumet qqc.2.Diriger, dominer. Souvent elle devenait une fée qui me soumettait la nature (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 126).Mort de ma mère. Après de tels chocs, on se rallie à la thèse catholique: il faut dompter, soumettre nos passions (Barrès, Cahiers, t. 5, 1906, p. 249). B. − Soumettre à 1. Contraindre à. a) Qqn1soumet qqn2à qqc.3.Le docteur augmenta à plaisir l'indisposition de la grande dame, il la rendit folle de douleur, il est vrai que tous les jours, pendant une heure, il la soumettait à l'horrible magnétisme de son éloquence infernale (Stendhal, Lamiel, 1842, p. 76).V. bourrage ex. 2. − Soumettre à la question V. question2.Quelques hommes de race gauloise et d'un rang inférieur furent arrêtés comme suspects, et soumis à la question (Thierry, Récits mérov., t. 2, 1840, p. 185). b) Qqn1soumet qqc.2à qqc.3[Qqc.2désigne un attribut de la pers., un affect]Je ne pensais pas soumettre ta constance à une pareille épreuve (Gide, Symph. pastor., 1919, p. 883). − En partic. Soumettre à l'impôt, à une taxe. Assujettir à l'impôt, à une taxe. Il est inique de soumettre toutes les terres à une taxe, qui s'applique dans une proportion invariable au revenu le plus faible, comme au revenu le plus élevé (Monopole et impôt sel, 1833, p. 24). 2. Présenter à l'avis, au jugement, à la décision (de quelqu'un dont on reconnaît l'autorité). Soumettre un article, un manuscrit, une observation, une option, un programme, un projet, une proposition, une question au conseil, au comité. a) Qqn1soumet qqc.2à qqn3.Bouvard l'épia, - et, l'ayant arrêté, dit qu'il voulait lui soumettre un point curieux d'anthropologie (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 97).Gallimard m'offrit de lire mon roman et de le soumettre à l'aréopage de la N.R.F.; spécifiant bien que ce n'était rien de plus qu'une chance qu'il m'aidait à courir (Martin du G., Souv. autobiogr., 1955, p. lviii). b) Qqn1soumet qqc.2à qqc.3Louis XII, surnommé le Père du peuple, soumit à la décision des états généraux le mariage du comte d'Angoulême (Staël, Consid. Révol. fr., t. 1, 1817, p. 22). − Au part. passé. [Dans une constr. passive] Nul supplice cependant n'égalait pour elle celui de voir à chaque repas la nourriture soumise au jugement du Survenant (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 46). 3. Qqn1/qqc.1soumet qqc.2à qqc.3 a) Rendre dépendant de. Si, demain, résolvant d'une façon aussi limpide les antinomies du travail, nous parvenions (...) à soumettre pour jamais le capital au travail, n'aurions-nous pas singulièrement avancé la solution du problème de notre époque (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 2, 1846, p. 70).En tout cas, et je m'empresse de le dire tout de suite, un théâtre qui soumet la mise en scène et la réalisation, c'est-à-dire tout ce qu'il y a en lui de spécifiquement théâtral, au texte, est un théâtre d'idiot, de fou, d'inverti, de grammairien, d'épicier, d'anti-poète et de positiviste, c'est-à-dire d'occidental (Artaud, Théâtre et son double, 1938, p. 50). − Au passif. Madame de Mortsauf voulait habituer ses enfants aux choses de la vie, et leur donner connaissance des pénibles labeurs par lesquels s'obtient l'argent; elle leur avait donc constitué des revenus soumis aux chances de l'agriculture (Balzac, Lys, 1836, p. 128). b) Exposer à, appliquer à. Soumettre au calcul, à l'analyse, à la critique, à l'épreuve.
α) [Qqc.2désigne un concept, une activité intellectuelle] Si Kant eût entrepris de soumettre à l'analyse cette donnée de la raison (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p. 589).Son argument-massue est que la science avance par l'« intuition », laquelle n'est pas rationnelle. Il oublie qu'elle n'est science que si elle soumet l'intuition à la vérification, opération éminemment rationnelle (Benda, Fr. byz., 1945, p. 38).
β) [Qqc.2désigne une action] La forme de ces dents influe elle-même beaucoup sur la nature des corps que l'animal peut soumettre à sa mastication (Cuvier, Anat. comp., t. 1, 1805, p. 39).Christine soumit la salle à manger à un balayage rapide (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 291). − Au passif. Il est très vraisemblable que chaque étoile a des planètes soumises à son attraction (Bern. de St-P., Harm. nat., 1814, p. 367). II. − Empl. pronom. A. − Empl. pronom. réfl. dir. 1. Qqn1se soumet.[Corresp. à soumettre I A] Céder, obéir à un principe supérieur ou par contrainte, ne pas offrir de résistance, se résigner. Se soumettre de bonne, de mauvaise grâce, sans murmure, sans résistance. Comme elle refusait de le suivre dans la chambre, il la renversa brutalement au bord de la table; et elle se soumit, il la posséda, entre l'assiette oubliée et le roman (Zola, Pot-Bouille, 1882, p. 76).De semblables discussions étaient soulevées parfois au sujet de l'obéissance, ma mère restant d'avis que l'enfant doit se soumettre sans chercher à comprendre, mon père gardant toujours une tendance à tout m'expliquer (Gide, Si le grain, 1924, p. 354). ♦ P. allus. hist. Se soumettre ou se démettre*. − Domaine milit.Se rendre parce que l'on est vaincu. De vos douze tribus les chefs se sont soumis, Ils se sont fait chrétiens (Bornier, Fille Rol., 1875, i, 3, p. 22).Aussitôt le dauphin commença l'investissement de Paris, Étienne Marcel ayant refusé de se soumettre. C'était la guerre civile, la dispute pour le pouvoir (Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 99). 2. Qqn1se soumet à qqn3/qqc.3[Corresp. à soumettre I B; qqn3/qqc.3désigne une pers., un coll., un inanimé abstr.]Céder, obéir de manière volontaire ou parce que l'on y est contraint, à quelqu'un ou quelque chose dont on reconnaît la force, l'autorité, la nécessité. Se soumettre aux conditions, aux lois, au jugement, aux règles, à une simple formalité. J'ai senti qu'on pouvait en même temps aimer un autre que soi, au point de se soumettre à lui et s'aimer soi-même, au point de ressentir de la haine contre celui qui nous subjugue (Sand, Lélia, 1833, p. 172): 2. ... mais il faut bien, si nous voulons trouver cette architecture de notre époque tant réclamée, que nous la cherchions non plus en mêlant tous les styles passés, mais en nous appuyant sur des principes de structure nouveaux. On ne fait une architecture qu'à la condition de se soumettre à des nécessités nouvelles avec une rigueur inflexible, en se servant des progrès déjà obtenus ou tout au moins en ne les dédaignant pas.
Viollet-Le-Duc, Archit., 1872, p. 61. − Rare, littér. [Qqc.3désigne un inanimé concr.] Le forgeron se soumet au fer; le marin se soumet au vent, au courant et à la houle (Alain, Propos, 1921, p. 343). 3. Qqn1se soumet à qqc.3[Qqc.3est un inf.]S'engager, se plier à. Je vais vous parler le cœur sur la main, monseigneur: voulez-vous vous soumettre à manger votre dîner froid tous les jours? (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 331).Son père et sa mère l'ayant apparemment violentée pour se marier, elle ne voulut pas se soumettre à cohabiter avec son mari (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, 1859, p. 413). 4. Qqc.1se soumet à qqc.3.Des rinceaux qui n'offriraient pas quelque régularité, dont le tracé ne se soumettrait pas à quelque loi mathématique simple et saisissable (...) n'éveilleraient aucun sentiment de beauté (Hamelin, Élém. princ. représ., 1907, p. 448). B. − Empl. pronom. réfl. indir. Qqn1/qqc.1se soumet qqn2/qqc.2(au moyen de qqc.4).Soumettre à soi-même. De son incomparable intelligence il se sert pour se soumettre les bêtes dont il a besoin (France, Vie fleur, 1922, p. 498).Il faut alors se demander (...) si, du fait que la moitié environ des ressources de la presse proviennent des annonces, les publicitaires ne se soumettent pas les journaux (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p. 143). − En partic. [Chez les animaux, pendant la période du rut] Se soumettre une femelle. Couvrir. (Ds Rob., Lar. Lang. fr.). Prononc. et Orth.: [sumεtʀ], (il) soumet [-mε]. Ac. 1694, 1718: sous-; 1740: soû-; dep. 1762: sou-. Étymol. et Hist. 1. 1remoit. xiies. suzmetre « mettre dans un état de dépendance (par la force) » (Psautier Oxford, éd. Fr. Michel, LIX, 9, p. 78); 2. ca 1190 soi suzmetre a « se mettre dans l'obligation d'obéir à » (Guernes de Pont-Sainte-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 4809); 1828-29 fille soumise « prostituée » (Raban, Marco Saint-Hilaire, Mém. forçat, t. 1, p. 194); 3. 1580 soubmettre « présenter à l'examen » (Montaigne, Essais, I, 56, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 317); 4. 1625 soubsmettre « faire subir une opération » (A. d'Aubigné, Lettre, 17 febvrier, éd. E. Réaume et F. de Caussade, t. 1, p. 315). Du lat. submittere « envoyer dessous, placer sous » (cf. le m. fr. submettre « placer sous l'autorité » 1431, P. Champion, Procès de condamnation de Jeanne d'Arc, I, 268 ds Fonds Barbier: qu'elle ne se submecte point a l'eglise − 1521, Pap. de Granvelle, I, 235, ibid.: Aussi n'est ne coustume de tellement submectre par compromis les differentz des royaumes; et dès le xiiies. le part. passé subst. submis « subordonné » ds Gdf., s.v. submettre), dér. de mittere, v. mettre, préf. sub- marquant la position inférieure, d'apr. la prép. corresp. sous*. Fréq. abs. littér. : 2 703. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 5 072, b) 2 864; xxes.: a) 3 165, b) 3 726. Bbg. Clédat (L.). Contribution à un nouv. dict. hist. et « de l'usage ». R. Philol. fr. 1915-16, t. 39, pp. 180-181. − Evenou (J.). La Sixième demande du Notre Père... Foi Lang. 1977, n o3, pp. 181-186. |