| SOIN, subst. masc. A. − Souci, préoccupation relatif à un objet, une situation, un projet auquel on s'intéresse. 1. Vieilli ou littér. a) Attachement de l'esprit, de la pensée pour quelque chose. Soins religieux; le soin de la grandeur. Le soin de la chose publique le retenait, ici, près de l'Élysée (Vallès,Réfract., 1865, p. 69): 1. Il n'est jamais sûr qu'un certain objet nous séduise (...). Cette incertitude qui déjoue tous les calculs et tous les soins, et qui permet toutes les combinaisons des ouvrages avec les individus, tous les rebuts et toutes les idolâtries, fait participer les destins des écrits aux caprices, aux passions et variations de toute personne.
Valéry,Variété III, 1936, p. 43. b) Intérêt, attention que l'on a pour quelqu'un. Tes enfants et moi, nous serons sans cesse autour de toi pour te convaincre de nos soins et de notre amour (Napoléon Ier, Lettres Joséph., 1796, p. 32).Sa fille, née en Suisse, dans le frais Appenzel, avait plus tard doré son enfance au soleil d'Espagne. Cette jeune personne qui avait atteint dix-huit ans faisait l'unique soin de sa mère (Sainte-Beuve,Portr. femmes, 1844, p. 482). 2. Absol., vx. Souci, inquiétude. Un homme de bureau (...) n'aurait pas eu le loisir de rester une saison entière à me faire la cour (...) en dispensant son temps aussi libéralement qu'un noble qui a devant lui toute une vie libre de soins (Balzac,Bal Sceaux, 1830, p. 122).Il y a des moments (...) où j'oublie que j'ai vécu depuis, qu'il m'est venu des soins plus graves, des causes de joie ou de tristesse différentes (Fromentin,Dominique, 1863, p. 47). 3. Moderne a) Premier soin. Priorité donnée à une chose par rapport à d'autres. Le premier soin de Franz fut de s'informer du comte, et d'exprimer le regret de ne l'avoir pas repris à temps (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 515).Il avait été transporté d'enthousiasme, et son premier soin avait été de télégraphier au vieux Bob que l'on avait peut-être enfin découvert à quelques kilomètres de Monte-Carlo ce qu'il cherchait (G. Leroux,Parfum, 1908, p. 63). b) Effort, mal qu'on se donne pour aboutir. En ces conjonctures, M. Bergeret redoubla d'étude et de soins pour assurer sa délivrance (France,Anneau améth., 1899, p. 3).La question, pour une jeune femme, était grave. On pouvait se marier à la légère; le choix d'un amant demandait des soins (Maurois,Byron, t. 2, 1930, p. 157). 4. Loc. verb. Veiller à. − Prendre soin de + inf.Tout en prenant soin de se distinguer clairement du communisme, la CFTC non seulement condamne à nouveau « le capitalisme », mais se prononce pour une « société sans classe » (Reynaud,Syndic. en Fr., 1963, p. 97).Littér. Prendre soin que + subj.Ma mère prenait grand soin que rien, dans les dépenses qu'elle faisait pour moi, ne me vînt avertir que notre situation de fortune était sensiblement supérieure à celle des Jardinier (Gide,Si le grain, 1924, p. 404). − Avoir soin de + inf.Pour l'établissement des alimentations, les dispositions varient essentiellement; quelle que soit celle adoptée, on doit avoir soin de ménager un nombre suffisant de portes de ramonage aux endroits les mieux choisis (Barnerias,Aciéries, 1934, p. 107). Avoir soin que + subj.Il défit sa cravate, la passa autour du corps de Cosette sous les aisselles en ayant soin qu'elle ne pût blesser l'enfant (Hugo,Misér., t. 1, 1862, p. 550).B. − 1. Occupation, responsabilité qu'une personne doit assumer. Être accablé de soins; se dérober à un soin. L'Empereur m'ayant commis ce soin, Moi, duc Nayme, prenant cette foule à témoin, Ici du dizainier je remplirai la charge (Bornier,Fille Rol., 1875, iv, 1, p. 88).Voici des fillettes, vieilles à treize ans, usées littéralement par le soin de la marmaille (Frapié,Maternelle, 1904, p. 267). 2. Loc. verb. a)
α) Laisser/confier le soin de + inf. Donner pour tâche à quelqu'un de faire quelque chose. On confiait à Dieutegard le soin de faire la lecture, et il se rendait agréable, parce que sa voix était pure et parce qu'il sentait vivement les beaux sujets (Boylesve,Leçon d'amour, 1902, p. 36).La commission peut elle-même examiner ce rapport, mais souvent laisse le soin au rapporteur de le rédiger et de le présenter (Lidderdale,Parlement fr., 1954, p. 197).
β) Littér. Remettre le soin de + subst. Imposer un devoir, confier une mission à quelqu'un. Apprends, Bougrelas, que j'ai été pendant ma vie le seigneur Mathias de Konigsberg, le premier roi et le fondateur de la maison. Je te remets le soin de notre vengeance (Jarry,Ubu, 1895, ii, 5, p. 51).Richelieu, changeant un cénacle d'écrivains en un corps de l'État, (...) décréta notre Académie et lui remit le soin de notre langue et de notre littérature (Valéry,Variété IV, 1938, p. 160).
γ) Verbe pronom. + du soin de + subst. ou inf.Se décharger sur quelqu'un d'un devoir, d'une tâche. Un tact si parfait lui conquit la confiance absolue de la marquise, voire celle de Madame de Matefelon, qui peu à peu se reposèrent entièrement sur elle du soin de Jacquette (Boylesve,Leçon d'amour, 1902, p. 72).La France libre, c'est-à-dire la France, ne consent plus à s'en remettre au commandement militaire britannique du soin d'exercer le commandement sur les troupes françaises en Orient (De Gaulle,Mém. guerre, 1954, p. 446): 2. Ainsi je traversais le fleuve pour Jacques, Pierre et Paul, et je ne l'eusse pas fait si j'avais pensé que ces grands seigneurs de la science et des lettres se déchargeaient sur des suppléants du soin d'occuper leurs chaires et de distribuer la manne de l'enseignement officiel.
Reybaud,J. Paturot, 1842, p. 278. b) Avoir soin/prendre soin de qqn ou de qqc. − S'occuper de la santé, du bien-être moral ou matériel de quelqu'un. Par Ingolphe, ce sera une chose étrange que deux évêques aient pris soin de ma vie, l'un près de mon berceau, l'autre près de mon sépulcre (Hugo,Han d'Isl., 1823, p. 515).Mais nous aurons soin de lui (...) car, après tout, il est mon neveu (...) Il a droit à la moitié de ma fortune (Labiche,Isménie, 1853, 3etabl., 18, p. 322). ♦ P. anal. Soigner un animal. Quand il avait sa tête à lui, il recommandait qu'on prît soin de son cheval, et répétait souvent qu'il paierait bien (Stendhal,Chartreuse, 1839, p. 69). − Veiller au bon état de quelque chose, entretenir quelque chose. Ma fille, vous savez que cette lampe coûte très cher, et qu'on ne peut la réparer qu'en Angleterre. Ayez-en soin, comme de la prunelle de vos yeux (Mirbeau,Journal femme ch., 1900, p. 24).[Il] fut saisi de trouver dans le jardin, en place des pelouses, les travaux en cours d'exécution d'un terrain de tennis: c'était bien la peine qu'il eût pris tant de soin de ces pelouses! (Montherl.,Célibataires, 1934, p. 876). ♦ Littér. [Dans un style soutenu] Avoir le soin de. Je dois avoir plus que personne le souci de mon honneur et le soin de ma réputation (Maupass.,Bel-Ami, 1885, p. 321). C. − Au plur. 1. Actes de sollicitude, de prévenance envers quelqu'un, actions par lesquelles on s'occupe de la santé, du bien-être physique, matériel et moral d'une personne. Soins maternels; être chargé des soins de la famille; confier un enfant aux soins de qqn; soins attentifs. Dès lors, Martinon ne le quitta plus, devint son secrétaire et l'entoura de soins filiaux (Flaub.,Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 126).Je n'eus plus qu'une pensée: sauver à force de soins intelligents, de fidélités attentives, d'ingéniosités merveilleuses, sauver M. Georges de la mort (Mirbeau,Journal femme ch., 1900, p. 133). − En partic., vx ou littér. Attention, empressement envers quelqu'un dans le but de lui être agréable, de le séduire; en partic., assiduités galantes. Combler de soins; porter ses soins à qqn. Ce qui me met dans la nécessité de faire beaucoup de frais pour être agréable, pour ne choquer personne, pour attirer à moi par un extérieur agréable, des manières prévenantes, des soins assidus (Maine de Biran,Journal, 1816, p. 198).Le jeune homme, en maintes occasions, avait rendu à l'Italienne des soins et des attentions, qui avaient été bien reçus (Bourges,Crépusc. dieux, 1884, p. 150). − Locutions ♦ Vieilli. Petits soins. Attentions délicates, menus services que l'on rend à quelqu'un pour lui être agréable. [Émilie] prodigua sincèrement à Clara ces caresses gracieuses et ces petits soins que les femmes ne se rendent ordinairement entre elles que pour exciter la jalousie des hommes (Balzac,Bal Sceaux, 1830, p. 124).Pour moi, ma chère maman, la liberté de penser et d'agir est le premier des biens. Si l'on peut y joindre les petits soins d'une famille, elle est infiniment plus douce; mais où cela se rencontre-t-il? (Sand,Corresp., t. 1, 1831, p. 180). ♦ Mod. Être aux petits soins. Cajoler, entourer quelqu'un de sollicitude. Comme j'étrenne la maison et que je suis encore seul, on est avec moi aux petits soins (Amiel,Journal, 1866, p. 205).Les dix enseignants du lycée d'été sont naturellement aux petits soins avec leurs élèves. Tout se passe comme en famille, tant les classes sont peu nombreuses (Alma, févr. 1986, p. 15, col. 1). 2. Actes par lesquels on s'occupe du bon état, du bon fonctionnement, de l'entretien de quelque chose. Troupeau, culture exigeant des soins; soins journaliers. Il avait aussi des lilas noués dans un mouchoir: il savait combien j'aimais cette fleur hâtive et douce, et ses soins en avaient obtenu quelques-unes de la saison même qui les refuse presque toujours (Krüdener,Valérie, 1803, p. 126).J'avais, pour l'été, un vieux complet noisette que j'aimais beaucoup. Les soins de ma mère lui conservaient une sorte de décence; mais il était si limé, si poli, qu'il paraissait humilié et malheureux (Duhamel,Confess. min., 1920, p. 101). − En partic. Travaux concernant l'entretien et le fonctionnement d'une maison. Soins ménagers. Augustin s'occupa lui-même d'une foule de soins domestiques et de détails de ménage, d'où je conclus que sa femme était peu servie, peut-être pas servie du tout (Fromentin,Dominique, 1863, p. 218).De cette étrangère, Châteauroux s'était résigné à ne rien savoir, les deux femmes ayant décidé très vite de renvoyer l'unique servante, et vaquant désormais elles-mêmes aux soins du ménage (Bernanos,Crime, 1935, p. 798). − Locutions ♦ Par les soins de qqn; par + adj. poss. + soins. Par l'action, la diligence d'une personne morale ou physique. D'ailleurs, des avis placardés dans tous les endroits publics par les soins des autorités nazies avertissaient la population civile qu'elle eût à tenir ses distances (Ambrière,Gdes vac., 1946, p. 186): 3. Le sire d'Offemont traita pour Saint-Riquier, et le livra à condition que le duc remettrait sans rançon Saintrailles, le sire de Conflans et le sire de Gamaches; ce fut même par leurs soins que fut conclu cet arrangement.
Barante,Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 345. ♦ Vieilli. Employer, mettre tous ses soins. Employer tous les moyens à sa disposition. Si on te découvre, un rival sanguinaire emploiera tous ses soins pour te perdre, et te perdra peut-être (Cottin,Mathilde, t. 2, 1805, p. 221).Il retourna auprès d'elle à Paris, et mit tous ses soins à lui faire oublier l'espèce d'abandon où il l'avait laissée durant une grande partie de l'hiver (Sand,Indiana, 1832, p. 102). ♦ [Dans une formule portée sur une lettre, un message] Aux bons soins de. Par l'intermédiaire de. Beautrelet (...) passa, le lendemain matin, une heure à la mairie avec l'instituteur, et revint au château. Une lettre l'y attendait « aux bons soins de M. le comte de Gesvres » (M. Leblanc,L'Aiguille creuse, Paris, Le Livre de poche, 1964 [1909], p. 77). 3. En partic. a) Ensemble d'actions, de moyens mis en œuvre pour rétablir ou entretenir l'hygiène, la propreté, l'esthétique du corps, d'une partie du corps. Soins esthétiques; soins de la peau, du visage; crème, lait de soins. Dans les métiers des soins corporels et de l'hygiène, la coiffure prédomine (Robert,Artis., 1966, p. 73).Kanebo, célèbre marque japonaise de produits de soins de beauté, a créé (...) une ligne de soins à base de composants naturels qui aident la peau à conserver l'eau (Elle, 25 mai 1981, p. 169, col. 3). b) Ensemble des pratiques et des actions d'un soigneur pour maintenir un sportif au mieux de sa forme et de ses performances. Les soins se situent à trois niveaux: avant la course (permanent), pendant la course, et après la course (SudresCycl.1984). c) Ensemble des actions et pratiques mises en œuvre pour conserver ou rétablir la santé. Soins dentaires, post-opératoires; soins médicaux; soins locaux; soins préventifs, énergiques; soins infirmiers; soins à domicile; recevoir, donner des soins. Après les soins indispensables donnés au malade, le docteur lui a expressément défendu de faire usage du dit corset (Delécluze,Journal, 1828, p. 485).Selon les déclarations du ministre, le tiers payant serait réservé aux cas d'hospitalisation et de soins en dispensaires (Réforme Sécur. Soc., 1968, p. 19). − Premiers soins. V. premier I A 5. − Dans le lang. admin. Soins de santé. Ensemble des soins administrés à chaque membre d'une collectivité en cas de maladie, et aussi en ce qui concerne la prévention, la réadaptation, l'éducation sanitaire, l'entretien de la santé (d'apr. Méd. Biol. Suppl. 1982). Afin d'éviter que le jeu combiné des remboursements de la sécurité sociale et d'une assurance complémentaire ne rende absolument gratuit et sans discrimination l'accès à tous les soins de santé (Réforme Sécur. Soc., 1968, p. 29). − Subst. (désignant un lieu, un organisme) + de soins.Local, établissement où l'on soigne. Centre, service, établissement de soins. Les chambres doivent être groupées en unités de soins de trente lits environ, disposant chacune d'installations générales qui leur sont propres (salle de jour, salle de soins, salle de garde, etc.) (Organ. hospit. Fr., 1957, p. 10). − Soins intensifs. Ensemble des pratiques et techniques mises en œuvre dans les cas d'urgence, les situations critiques; le service de l'établissement qui les assure. Etre aux soins intensifs. L'accouchement par définition « à risques », doit se faire dans une maternité convenablement équipée pour les soins intensifs aux nouveaux-nés (Le Monde, 2 juin 1976, p. 18, col. 2). D. − 1. Application, manière ordonnée, minutieuse d'effectuer une tâche. Cela se reconnaissait à divers signes, par exemple au peu d'attention qu'il accorde à la rime, au peu de soin qu'il [Maupassant] prend de la mettre en valeur (Lemaitre,Contemp., 1885, p. 304).Déjà, à cette époque, les chefs d'entreprises qui apportaient un soin jaloux à l'entretien et au nettoyage des locaux et du matériel, en retiraient des profits certains (Brunerie,Industr. alim., 1949, p. 239). ♦ Avec soin. Minutieusement, scrupuleusement. Synon. soigneusement.On sépare avec soin l'huile concrétée par le refroidissement, on la fond de nouveau et on la coule dans des moules de papier où on la laisse refroidir (Kapeler, Caventou,Manuel pharm. et drog., t. 1, 1821, p. 132): 4. Celle-ci [l'agence de presse] communique les nouvelles aux journaux, à l'aide de correspondances. Quelquefois ces correspondances sont tendancieuses, et il convient de les faire examiner avec soin, par un collaborateur réfléchi et compétent.
L. Daudet,Brév. journ., 1936, p. 23. ♦ Sans soin. Hâtivement, sans ordre. Elle alla cherchant dans les armoires, dans la huche, trouvant du lait, du pain bis, du sucre, étalant sans trop de soin sur la table les assiettes et les plats de faïence émaillés (Nerval,Fille feu, Sylvie, 1854, p. 605).Parfois, un peu en retrait de la route, quelques huttes sommaires bâties sans soin aucun; des branches feuillues tiennent lieu de porte (Gide,Voy. Congo, 1927, p. 807). 2. Propreté, ordre dont fait preuve une personne. C'est que Louise a beaucoup d'ordre et de soin. Jamais elle n'égare son mouchoir, ni ses rubans (Frapié,Maternelle, 1904, p. 119). ♦ Avec soin, avec un soin (littér.). Proprement, nettement, avec le souci du détail. Tout cela reposant sur des soubassements de pierres appareillées avec soin ou richement sculptées (Viollet-Le-Duc, Archit., 1872, p. 189).Les jours où elle devait le rencontrer, elle se maquillait avec un soin tout particulier, et quand elle rentrait elle était plus hargneuse que de coutume (Beauvoir,Mandarins, 1954, p. 162). ♦ Sans soin. Hâtivement, n'importe comment. La plupart portaient les cheveux longs flottant sur les épaules, comme le voulait la mode, mais faute d'aller assez souvent chez le coiffeur, paraissaient coiffées à la hâte, sans soin (Vailland,Drôle de jeu, 1945, p. 198). 3. Netteté, propreté personnelle. Son vêtement d'une exquise propreté révélait ce soin minutieux de la personne que les simples prêtres ne prennent pas toujours d'eux, surtout en Espagne (Balzac,Illus. perdues, 1843, p. 721). − Sans soin(s). Négligé, malpropre. Elle a dit qu'il était très malheureux pour un homme comme moi d'épouser une femme comme toi, inexacte, sans ordre, sans soins (Maupass.,Contes et nouv., t. 2, M. Parent, 1886, p. 597). ♦ Empl. subst. Personne négligée, malpropre, désordonnée. Mon Dieu! qu'il y avait donc une mauvaise odeur, dans la loge de cette sans soin de Mathilde! (Zola,Nana, 1880, p. 1338). Prononc. et Orth.: [swε
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Sing. 1. a) ca 1100 n'aveir soign de « n'avoir cure de » (Roland, éd. J. Bédier, 3250); b) α) xiiies. [ms.] n'estre en soing « n'avoir pas de souci, n'être préoccupé de rien » (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. A. Hilka, var. du v. 1944);
β) 1460-66 venir à soing « se faire du souci, être en peine » (Martial d'Auvergne, Arrêts d'amour, éd. J. Rychner, XL, 80);
γ) 1661 « effort, mal qu'on se donne pour éviter ou obtenir quelque chose » (Molière, École des maris, I, 2 ds
Œuvres, éd. E. Despois, t. 2, p. 369, 167); c) α) ca 1480 prendre soing de (suiv. de l'inf.) « veiller à faire en sorte que, s'efforcer de » (Myst. du V. Testament, éd. J. de Rothschild, 40861);
β) 1536 avoir soing de (suivi de l'inf.) « id. » (R. de Collerye, Rondeaux, LXXXXIIII ds
Œuvres, éd. Ch. d'Héricault, p. 238); 2. 1480 « exactitude qu'on apporte à faire quelque chose » (Myst. du V. Testament, 42769); 3. 1538 « charge, fonction, devoir de veiller à quelque chose » (Est. d'apr. FEW t. 17, p. 272a); 4. a) 1538 avoir, prendre soin de qqc. « veiller à ce qu'une chose se conserve, à ce qu'elle prospère » (ibid.; aussi avoir le soin à qqc. en 1503, Eglise de S. Omer, I, 69 ds IGLF); b) 1538 avoir soin de qqn « pourvoir aux besoins de » (Est. d'apr. FEW loc. cit.). B. Plur. 1. a) 1655 « assiduités galantes, marques de dévouement à la personne aimée » (Molière, L'Étourdi, I, 4, 149 ds
Œuvres, éd. E. Despois, t. 1, p. 115); b) α) 1662 petits soins « attentions délicates, petits services de la galanterie, de l'amour » (Id., École des Femmes, I, 4, 313, ibid., t. 3, p. 184); on note en 1654 « Petits soins » comme lieu de la Carte du Tendre ds la Clélie de M. de Scudéry, v. Molière,
Œuvres, t. 2, p. 64;
β) 1798 en être aux petits soins avec qqn « avoir pour quelqu'un les attentions les plus délicates » (Ac.); 1842 être aux petits soins pour qqn « id. » (Balzac, Mém. jeunes mariées, p. 283); 2. 1671 « actions par lesquelles on conserve ou on rétablit la santé » (Mmede Sévigné, Corresp., lettre du 7 juin, éd. R. Duchêne, t. 1, p. 265; on note ds Est. 1538 avoir soins de malades « soigner », v. FEW t. 17, p. 272a); 3. a) 1672 « actes par lesquels on soigne quelque chose ou quelqu'un » (Mmede Sévigné, op. cit., lettre du 3 juill., t. 1, p. 545); b) 1909 aux bons soins de (M. Leblanc, loc. cit.). Étymol. incertaine. On note à côté du subst. masc. soing, bien qu'à une époque un peu plus récente, le subst. fém. soigne « souci, peine » (ca 1180, Proverbe au vilain, 100a ds T.-L.) et le verbe soigner* que l'on rapproche respectivement du lat. médiév. sunnis, fém. « excuse légitime ou empêchement de comparaître » (vies., Lex Sal., tit. 1, § 2 ds Nierm.; ailleurs sunnia, sonia, somnis, etc.) et du lat. médiév. soniare « procurer le nécessaire, donner ou recevoir l'hospitalité » (fin viies., Formulae Andecavenses, n o58, Form., p. 25, ibid., s.v. sonniare) dans lesquels on a voulu voir un empr au frq.: d'une part au subst. fém. *sunnia « souci », d'autre part au verbe *sun(n)jôn « s'occuper de, se soucier de ». Diez 1853 (s.v. sogna) rattache le subst. frq. à l'a. nord. syn, fém. « démenti », corresp. au got. sunja « vérité », a. sax. sunnea « excuse », a. h. all. sunne « cas de force majeure » et le verbe frq. à l'a. nord. synja « dénier, refuser, acquitter », got. sunjôn « excuser, justifier ». Wartburg écarte, en raison de la différence de genre, la possibilité d'un empr. dir. du fr. soin, masc. à l'a. b. frq. *sunnia, fém. et souligne que la chronol. s'oppose à faire de soin un déverbal de soigner; il se rallie à l'hyp. de V. Günther selon laquelle le b. lat. sonium, neutre « souci » (ves., FEW t. 17, p. 279b), auquel il convient de rattacher soin, ne peut s'expliquer, de même que le lat. soniari « se faire du souci » (vies., FEW t. 17, p. 280a), que comme un empr. à un mot germ. neutre et plus précisément au subst. neutre a. b. frq. *sun(n)i « souci, peine », d'un adj. a. b. frq. *sun(n)i « soucieux » (forme non fléchie de *sunnia), d'apr. l'adj. got. sunjis « véritable, véridique »; v. FEW t. 17, pp. 279b-280b. Cette hyp. d'un empr. au germ. que la complexité phonét. et morphol. rend difficile à admettre, se heurte essentiellement à des difficultés d'ordre sém.: on ne voit pas très bien quel est le lien qui unit le fr. soin, soigner à des mots germ. tels que le got. sunja « vérité », sunjôn « excuser, justifier » ou l'a. nord. syn « démenti », synja « dénier, refuser » et l'affirmation de Wartburg (FEW t. 17, p. 279b) selon laquelle soigner serait la survivance, en tant qu'expression du souci quotidien, du frq. *sun(n)jôn (corresp. à l'a. nord. synja, got. sunjôn) paraît peu sûre. D'apr. U. Joppich-Hagemann (Rom. Forsch. t. 90 1978, pp. 35-47) songer et soigner remonteraient au même étymon lat. somniare « rêver, avoir un songe, voir en rêve, rêver que » (v. songer),qui a pu donner aussi bien songier (v. songer) que songnier (écrit tantôt -gn-, -ign-, -ng-, -ingn-) et soin, à côté de songe*, s'expliquerait comme étant directement issu du lat. so(m)nium « songe, rêve ». L'examen du passage sém. de « rêver » à « penser » du verbe songer, est à l'orig. de cette étymol. et du postulat selon lequel penser/soigner/songer s'inscrivent dans une relation ternaire où soigner joue le rôle d'intermédiaire entre penser, dont il est le quasi-synon. et songer dont il est l'équivalent phonét. Une ét. approfondie du sémantisme de songer/soigner, songe/soin et de leurs dér. et comp. a ensuite amené U. Joppich-Hagemann à énoncer l'hyp. que le sens de « penser » peut être à l'orig. des concepts de « souci » d'une part et de « tristesse », « crainte » d'autre part; hyp. qui semble renforcée par le parallélisme sém. des mots de la famille de cogitare et pensare qui ont pour sens de base celui de « penser » et dont les sens second., représentant les notions de « souci », « chagrin, tristesse », « crainte », sont ceux de la famille de songer/soigner. Fréq. abs. littér.: 8 858. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 19 131, b) 12 804; xxes.: a) 9 803, b) 8 589. Bbg. Frings (Th.). Lex salica sunnia, frz. soin. [Mél. Iordan (I.)]. Bucarest, 1958, pp. 295-301. − Pisani (V.). Scorrerie nel campo dell' etimologia romanza. Annali della Facoltà di Lettere di Cagliari. 1951, t. 18, pp. 383-390. |