| SINON, conj. I. − [Exprime l'exception hypothétique] A. − [En phrase positive, avec idée de gradation ou de concession] Synon. si ce n'est. 1. [Type A sinon B] a) [Sinon oppose à un terme A un terme B d'intensité plus forte ou de caractère absolu; l'effet de sens est celui d'une gradation; la quasi-certitude de B rend A incontestable: c'est fort probable sinon certain « ... et peut-être même certain, pour ne pas dire certain »] Je me laisse aller à rire, à tolérer sinon à approuver le massacre (Gide,Journal, 1910, p. 290).Il s'habillait avec recherche sinon avec préciosité (Simenon,Vac. Maigret, 1948, p. 24).Il n'a pas dit trois mots qu'elle hausse les épaules, indulgente sinon complice (A. Stil,Une Histoire pour chaque matin, Paris, Grasset, 1986, p. 30). − [Fréq., la gradation est créée par le recours à des quantificateurs, au compar. ou au superl.] Si l'orgueil avait de bonnes raisons à mettre en avant, l'égoïsme en avait dans son sac d'aussi bonnes, sinon de meilleures (Sandeau,Mllede La Seiglière, 1848, p. 231).Beaucoup [de sentiments], sinon la plupart, dérivent de tout autres causes (Durkheim,Divis. trav., 1893, p. 48).Se refuser le plus longtemps possible, sinon tout à fait, aux actes qui vous sont désagréables (Montherl.,Célibataires, 1934, p. 775). b) [Sinon concède l'absence de B] Je suis pianiste de cœur, sinon de fait (Jacob,Cornet dés, 1923, p. 29).J'ai rempli tous les miens [mes devoirs] avec exactitude, sinon avec enthousiasme (Bernanos,Imposture, 1927, p. 354). − Sinon sans. Même si ce n'est pas sans. Lorsqu'elle [la révolte] fait avancer l'histoire et soulage la douleur des hommes, elle le fait sans terreur, sinon sans violence (Camus,Homme rév., 1951, p. 368). 2. [Type sinon A du moins B; en récusant A, possible mais excessif, on renforce B] J'avais contracté une liaison, sinon intime, du moins assez familière, avec ce jeune homme mélancolique (Sainte-Beuve,Volupté, t. 2, 1834, p. 227).Mais Françoise me regarda avec un air, sinon d'incrédulité, du moins de doute (Proust,Fugit., 1922, p. 442).C'est cela qui peut soulager les hommes et, sinon les sauver, du moins leur faire le moins de mal possible et même parfois un peu de bien (Camus,Peste, 1947, p. 1423). − [Moins fréq., au lieu du corrél. du moins, on trouve au moins, en tout cas] Joubert, effrayé de cette envie de mourir qui tourmentait Mmede Beaumont, lui adressait ces paroles dans ses Pensées: « Aimez et respectez la vie, sinon pour elle, au moins pour vos amis (Chateaubr.,Mém., t. 2, 1848, p. 100).Je compris qu'une séparation tuerait, sinon le corps, au moins l'âme de cette femme sensible (Adam,Enf. Aust., 1902, p. 309).Il faut en particulier que le niveau et la structure des prix à l'intérieur du pays soient sinon identiques, en tout cas proches de ceux en vigueur dans les autres pays (Le Monde, 10 oct. 1988, p. 1, col. 1). − Rare. [Sans corrél.] À propos, je pense partir, sinon dimanche, au plus tard lundi (Rivière,Corresp.[avec Alain-Fournier], 1907, p. 253).Dans son incurable optimisme, il s'efforçait de croire qu'il trouverait un moyen de réparer, sinon ses pertes, celles qu'il avait fait subir à ses clients (Rolland,J.-Chr., Antoinette, 1908, p. 849). B. − [Dans une prop. nég., sinon signifie que qqc. est excepté de la portée de la nég.] 1. [La nég. porte sur un groupe nom. ou pronom.; sinon est suivi d'un groupe nom. ou pronom. désignant ce qui est excepté] Point de femmes, sinon quelques paysannes qui viennent vendre leurs denrées (Mérimée,Colomba, 1840, p. 26).Dès le lendemain matin il n'y coulait plus d'eau [aux robinets], sinon un maigre filet spasmodique (Ambrière,Gdes vac., 1946, p. 305).Le rire décroissait, mais je l'entendais encore distinctement derrière moi, venu de nulle part, sinon des eaux (Camus,Chute, 1956, p. 1493). − [Opposé à un pron. nég.] Rien n'interrompait le silence de ce cloître, sinon les cris d'un triangle de cigognes qui labouraient la nue (Bertrand,Gaspard, 1841, p. 158).Nul, sinon moi, n'y pénètre (Barrès,Cahiers, t. 1, 1896, p. 120). − [Sinon est suivi d'une complét.] Les deux femmes n'obtinrent rien de lui, sinon qu'il s'en allât (Boylesve,Leçon d'amour, 1902, p. 104).Mais je n'ai pu me souvenir de ce que je venais de rêver, sinon que j'étais mort et que j'errais dans une région obscure et froide (Green,Journal, 1934, p. 245). − [Sinon est suivi d'un inf.] Ces énoncés ont une obscure apparence théorique et je n'y vois aucun remède sinon de dire: « il en faut saisir le sens du dedans » (G. Bataille,Exp. int., 1943, p. 24). 2. [La nég. porte sur le verbe ou les adv. qui le modifient] a) [Sinon introd. un compl. cir.] Défense est faite de se laver, sinon tous les mois, le corps (Huysmans,En route, t. 1, 1895, p. 193).Un examen superficiel ne suffisait pas pour établir l'heure de la mort, sinon très approximativement (Simenon,Vac. Maigret, 1948, p. 98).Le phénomène ne saurait plus jamais (sinon peut-être artificiellement) se reproduire (Teilhard de Ch.,Phénom. hum., 1955, p. 106). − [Après un adj. nég.] Pour les jeunes filles, même celles du peuple, il n'y faut pas penser. Elles sont inaccessibles, sinon par le chemin du mariage (T'Serstevens,Itinér. esp., 1963, p. 149). − [Après des verbes modifiés par un adv. exprimant la faible quantité] Les changements de paysage (...) sont très lents à se produire; sinon à l'approche du moindre cours d'eau, marigots, dévalements, où reparaissent soudain les très grands arbres à empattements, à racines aériennes (Gide,Voy. Congo, 1927, p. 731).L'amour dont elles [les femmes] ne sont point la cause les touche rarement, sinon d'une pitié tout extérieure (Gourmont,Lettres à l'Amazone, Paris, Mercure de France, 1988 [1915], p. 27). b) [Sinon est suivi d'un compl. à l'inf.] Aimé ne lui parlait plus, sinon pour lui dire bonjour et bonsoir, l'évitant plutôt quand il le pouvait (Ramuz,A. Pache, 1911, p. 271).Les Allemands demeurèrent quelques jours sans s'occuper de nous, sinon pour se livrer à ces dénombrements quotidiens dont nous avions déjà pris amplement l'habitude (Ambrière,Gdes vac., 1946, p. 46). c) [Sinon est suivi d'une prop. sub.] Jamais le capitaine d'un bâtiment ne sera obligé d'être un bourreau, sinon quand viendront des gouvernements d'assassins et de voleurs (Vigny,Serv. et grand. milit., 1835, p. 53). C. − [Dans une question rhét. sinon présente le terme qu'il introd. comme la seule réponse possible] − [Sinon introd. un groupe nom. ayant la fonction de suj. ou d'obj.] Quelle protection a-t-il contre eux, sinon ses cartouches? (Mérimée,Colomba, 1840, p. 75).Qui, sinon Quesnel, aurait le pouvoir de mettre en branle (...) sans histoires, la police (...)? (Aragon,Beaux quart., 1936, p. 459). − [Sinon est suivi d'un compl. circ. déterminé par la nature de l'interr.] À qui/à quoi..., sinon...; comment..., sinon avec, en, par...; où..., sinon à, chez, dans...; quand..., sinon + compl. circ. de temps À quoi eût servi d'avertir leur père (...) sinon à se faire moquer ou rabrouer? (Aymé,Jument, 1933, p. 109): Car ces ténèbres secrètes qui l'attirent, où peut-il les trouver, les scruter, sinon en lui-même ou chez les quelques personnes de son entourage qu'il croit très bien connaître et auxquelles il s'imagine ressembler?
Sarraute,Ère soupçon, 1956, p. 86. − [Sinon est suivi d'un inf.] Que veut-il, que peut-il, sinon... Or, celui qui dérobe, qui pille, que fait-il, sinon abolir, autant qu'il est en lui, le droit même de propriété? (Lamennais,Paroles croyant, 1834, p. 125). − [Sinon est suivi d'une complét.] Qu'est-ce que cela veut dire, sinon que...; qu'ajouter, sinon que... Le rapport qu'ils jugent décisif a été rédigé en octobre ou novembre 1897 (...). Que signifie un pareil document, sinon que l'état-major lui-même a dû reconnaître que le premier était sans valeur? (Clemenceau,Iniquité, 1899, p. 428). − [Sinon est suivi d'une sub.] Pourquoi cette précision, sinon parce que des doutes ont surgi durant les jours précédents? (L'Est Républicain, 25 juin 1989, p. 29, col. 4). Rem. Le tour est souvent utilisé pour présenter comme allant de soi, qqc. de paradoxal ou d'inattendu: Qu'est-ce, par exemple, que la donation, sinon un échange sans obligations réciproques? (Durkheim, Divis. trav., 1893, p. 93). Qu'est-ce qu'un orchestre, sinon une cohorte d'individualistes forcenés menés toutefois à la baguette? (Schaeffer, Rech. mus. concr., 1952, p. 198). II. − [Sinon représente l'alternative nég. d'un énoncé précédent; il signifie « si ce n'est pas le cas »] A. − [Sinon est la reprise inversée d'un énoncé positif indépendant] Eh bien, j'arrive. Retiens-moi un trou quelconque: sinon j'irai à Portrieux au couvent (Villiers de L'I.-A.,Corresp., 1873, p. 174).Sans doute était-ce impossible, pour une raison ou pour une autre; sinon, c'eût été fait (Malraux,Espoir, 1937, p. 484). − [Associé à ou] Et la première façon de vous rendre utile dans ces terribles circonstances, c'est de bien faire votre travail. Ou sinon, le reste ne sert à rien (Camus,Peste, 1947, p. 1328). − Sinon, non. [Sinon et non représentent respectivement deux énoncés liés par un rapport de conséquence] C'est pour des réformes étendues, claires et immédiatement réalisables qu'elle [la classe ouvrière] lutte. Alors, le signal donné par les organisations ouvrières sera suivi; sinon, non (Jaurès,Ét. soc., 1901, p. 101). Rem. On relève parfois un énoncé précédent nég.: Valentine, dit-il, chère amie, ce n'est point ainsi qu'il faut me parler, ou sinon il faut me laisser mourir (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 183). B. − [Sinon est la reprise inversée d'une première prop. hyp.] S'il voulait revenir, il reviendrait. Sinon, − eh bien! on s'en passerait (Rolland,J.-Chr., Révolte, 1907, p. 432).Faites ranger les hommes par dix. Un chef par rang; militant s'il y en a, sinon le premier du rang (Malraux,Conquér., 1928, p. 89). − Sinon, non. Si les marchands accordent ça, nous rentrons tous au bois; sinon, non. Il nous faut la justice, qu'on a chassée de la forêt (R. Bazin,Blé, 1907, p. 78).Si le S.R.L. se tient à sa place, on reste amis; sinon, non. C'est logique (Beauvoir,Mandarins, 1954, p. 144). Prononc. et Orth.: [sinɔ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Prép. ou adv. 1. ca 1350 se non (Gilles Le Muisit, Poésies, I, 296 ds T.-L., s.v. se); 1580 sinon (Montaigne, Essais, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, I, 26, p. 151); 2. déb. xves. senon « si ce n'est, sauf, excepté » (Journ. d'un bourg. de Paris, éd. A. Tuetey, p. 194); ca 1500 sinon (Philippe de Commynes, Mémoires, éd. J. Calmette, Prologue, t. I, p. 1); 3. 1580 introduisant une concession, souvent en corrélation avec au moins (Montaigne, op. cit., I 14, p. 156: sinon de l'anéantir, au moins de l'amoindrir); 4. 1588 [éd.] « et peut-être même, voire » (Id., ibid., III, 9, p. 999: me voicy comme j'y entray, sinon un peu mieux). II. Loc. conj. déb. xives. [ms.] senon que « à moins que » (Psaut., Richel. 1761, f o58c ds Gdf.); ca 1500 sinon que (Philippe de Commynes, op. cit., t. I, p. 91); ca 1430 sinon que « si ce n'est que, sauf que » (Le Roman de Troïlus ds Nouvelles fr. du XIVes., éd. L. Moland et Ch. d'Héricault, p. 184); 1567 [éd.] ne ... autre chose sinon que (Amyot, Vies, Theseus ds Gdf.). Réunion de l'expr. a. fr. se ... nun « excepté » dep. Roland, éd. J. Bédier, 3681, comp. de si1* et de non*; 1 est la continuation de l'expr. si (se) ... ce ... non, bien att. en a. fr. ca 1245 (Philippe Mousket, Chron., 4086 ds T.-L., s.v. se). Fréq. abs. littér.: 4 499. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4 091, b) 4 556; xxes.: a) 6 233, b) 9 453. Bbg. Hanse Nouv. 1983. − Moignet (G.). Les Signes de l'exception dans l'hist. du fr. Paris, 1973, passim. − Mourin (Louis). L'Exception et la restr. dans les lang. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1980, t. 18, n o1, pp. 173-195. |