| SINGULIER, -IÈRE, adj. et subst. masc. I. − Adj. et subst. masc., LING., GRAMM. Anton. de pluriel. A. − Adj. Qui indique la singularité; qui est au singulier (infra B). Nombre singulier (v. nombre C 1 a). On forme (...) beaucoup de nouveaux mots en faisant suivre d'un nom un verbe à l'impératif singulier ou un substantif verbal (Gourmont,Esthét. lang. fr., 1899, p. 33).Une polysémie interne (syncrétisme fonctionnel) est celle de désinences comme latin -ae: génitif-singulier, datif-singulier, nominatif-pluriel, vocatif-pluriel (Pottierds Langage, 1968, p. 306). ♦ Première, deuxième, troisième personne singulière (vieilli). Synon. mod. première, deuxième, troisième personne du singulier.[La lettre s ne se prononce] point dans le monosyllabe est, troisième personne singulière du verbe substantif (J. de Maistre,Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 125). B. − Subst. masc. 1. a) Catégorie grammaticale traduisant la singularité dans les noms comptables (table opposé à tables), la pluralité dans les noms collectifs (chênaie opposé à chêne) ou la généralité comme le générique, l'homme dans l'homme est mortel, (singulier d'espèce), l'absence de toute opposition de nombre dans les noms non comptables (le beau, le bien, le blanc) (d'apr. Ling. 1972). L'objet de l'histoire est par nature l'homme. Disons mieux: les hommes. Plutôt que le singulier, favorable à l'abstraction, le pluriel, qui est le mode grammatical de la relativité, convient à une science du divers (M. Bloch,Apol. pour hist., 1944, p. 4): 1. ... la distribution du nombre en deux catégories seulement, le singulier et le pluriel, nous paraît volontiers une chose simple et innée. Elle est pourtant le fruit d'un long cheminement de l'esprit. Le grec classique distingue encore trois nombres, selon qu'il s'agit d'un, de deux, ou de plus de deux personnes (ou choses), et ce vestige d'une mentalité archaïque a mis longtemps à s'effacer dans les langues des civilisés.
Arts et litt., 1935, p. 50-10. ♦ Loc. adv. Au singulier. Pas une fois il n'hésita, ne trébucha en s'adressant à moi au singulier, tout en lisant un texte rédigé au pluriel, ce qui indiquait, on en conviendra, une présence d'esprit singulièrement forte et soutenue (Billy,Introïbo, 1939, p. 143).L'e d'armoire est si muet qu'aucun poète ne voudrait le faire sonner. C'est peut-être pourquoi, en poésie, le mot est toujours employé au singulier. Au pluriel, la moindre liaison lui donnerait trois syllabes (Bachelard,Poét. espace, 1957, p. 83).V. genre ex. 11. − P. méton. Forme que prend un mot dans cette catégorie. Quel est le singulier de: gens de métier; homme de métier? Il est peu probable que cette expression s'impose jamais (Robert,Artis., 1966, p. 86). b) Cette catégorie en tant que concept. − Unique dans sa substance, la puissance, la sagesse, et l'amour revêtent en lui [Dieu] une triple personnalité, en sorte que le singulier et le pluriel lui appartiennent dans les langues des hommes (Ozanam,Philos. Dante, 1838, p. 195).[Le raisonnement mathématique] ne connaît que l'universel, qu'il ne distingue pas du singulier. « Le triangle » c'est « tout triangle » (Gds cour. pensée math., 1948, p. 372). 2. Emploi de cette catégorie. En dehors de ces trois gammes, d'autres ont été conçues (...). Ces recherches, quoique très intéressantes n'ont pas détrôné les gammes types qui restent les seules employées: ce pluriel, comme nous l'avons vu, est pratiquement un singulier et la gamme de Bach n'est, en fait, que la fille de la gamme grecque avec laquelle elle s'identifie pratiquement (Gds cour. pensée math., 1948, p. 496).V. pluriel II B ex. de Gide. 3. Mot qui est au singulier. Comparons pour pouvoir, en connaissance de cause, substituer des pluriels à ces singuliers. Pour pouvoir dire, s'il m'est permis de choisir un exemple familier: non plus la réforme, mais les réformes du XVIesiècle − en montrant comment elles se sont opérées différemment dans les divers milieux, nationaux ou sociaux, en réponse aux « sommations » du monde médiéval décomposé (L. Febvre,De Spengler à Toynbee, [1936] ds Combats, 1953, p. 140). II. − Adj. Qui est seul; qui est à part. A. − [L'aspect quantitatif est prédominant] 1. a) Qui est unique. L'intercesseur se distingue-t-il du médiateur? Pour qui raisonne à l'intérieur du christianisme, la tentation est de les opposer comme les saints et le Christ. En réalité, l'intercesseur n'est pas toujours pluriel, ni le médiateur singulier. Tout comme la médiation, l'intercession est une attribution de Jésus (Philos., Relig., 1957, p. 36-2). b)
α) Qui est pris isolément, indépendamment des autres éléments du groupe auquel il appartient. En chaque écrivain singulier se reflètent les grands mythes collectifs (Beauvoir,Deux. sexe, t. 1, 1949, p. 378): 2. [Les] disciplines spécialisées qu'on appelle les sciences auxiliaires de l'histoire (archéologie, numismatique, épigraphie, paléographie, diplomatique, sigillographie...) (...) reposent sur la comparaison systématique d'une certaine catégorie de documents, observent les constantes en matière d'analogie et formulent des règles, ou mieux des lois qui reposent sur cet élément de généralité que présentent les cas singuliers ainsi rapprochés.
Marrou,Connaiss. hist., 1954, p. 112.
β) Qui, parmi d'autres possibles, est isolé, choisi pour illustrer une thèse ou faire l'objet d'une analyse. [Locke] aura beaucoup regardé, si l'on veut, mais peu vu. Toujours il s'arrête au premier aperçu; et dès qu'il s'agit d'examiner des idées abstraites, sa vue se trouble. Je puis encore vous en donner un exemple singulier qui se présente à moi dans ce moment (J. de Maistre,Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 480).Les causes profondes de la défaite et les incidents fortuits qui leur ont permis de jouer étaient, dans l'événement singulier de Waterloo, déterminants au même titre, et (...) l'historien replace l'événement singulier dans la ligne générale du déclin de l'Empire (Merleau-Ponty,Phénoménol. perception, 1945, p. 416). 2. P. méton. Qui concerne un seul; qui s'adresse à un seul; qui prend en compte ce qui est un. a) Que l'on doit affronter seul. On brave le danger à la tête d'un escadron tout brillant d'acier, mais le danger solitaire, singulier, imprévu, vraiment laid? (Stendhal,Rouge et Noir, 1830, p. 327). − En partic. Combat singulier. V. combat I A.Défier, provoquer, vaincre un adversaire en combat singulier. Un cri horrible se fit entendre! Cri de guerre, cri de mort, et qui annonçait qu'un combat singulier se livrait entre l'homme et la bête (La Hêtraie,Chasse, vén., fauconn., 1945, p. 187). ♦ Var. Dans le bas Moyen Âge, rappelle Huizinga, il était fréquent que deux seigneurs s'affrontassent en tournoi singulier pour « éviter effusion de sang chrestien et la destruction du peuple » (Jeux et sports, 1967, p. 775). ♦ P. anal. [Un contrat tacite lie le médecin] à son malade sur la base de la confiance mutuelle issue d'un « colloque singulier » (Bariéty, Coury,Hist. méd., 1963, p. 817). b) [P. oppos. à collectif, général, universel]
α) Qui concerne un seul cas, qui s'applique à un seul objet. L'on nous pardonnera de prendre nos exemples dans les parties les plus diverses du trésor expressif, d'accoupler même, au nom de principes généraux, des faits qui n'ont pas l'habitude de voisiner. Notre excuse est que nous n'envisageons ni les motifs qui déclenchent l'expressivité, ni les effets qui peuvent en résulter; ceci est affaire de circonstances singulières à analyser singulièrement (Bally,Lang. et vie, 1952, p. 83).V. nécessité ex. 6, pluralité A 2 ex. de J. Vuillemin: 3. [Il faut préciser] une notion demeurée jusqu'ici plutôt polémique, celle de l'histoire comme connaissance du singulier. Oui, sans doute, la connaissance historique aspire à saisir « ce que jamais on ne verra deux fois » (...). [Mais il faut bien souligner] que cette compréhension du singulier, de l'autre en tant que tel, est une connaissance de type analogique construite à partir d'éléments sinon universels du moins généraux.
Marrou,Connaiss. hist., 1954, pp. 110-111. ♦ Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Grand ou petit, important ou non, ce qui est propre est propre, et c'est une étrange illusion, à bien y regarder, que la tendance pourtant si commune à croire que l'essence du singulier peut s'expliquer par l'essence de l'universel (Renouvier,Essais crit. gén., 3eessai, 1864, p. 144).
β) Qui concerne un individu particulier; qui émane d'un seul. Ces revendications [du prolétariat] sont homogènes à celles que pose l'art d'écrire conçu comme phénomène historique et concret, c'est-à-dire comme l'appel singulier et daté qu'un homme, en acceptant de s'historialiser, lance à propos de l'homme tout entier à tous les hommes de son époque (Sartre,Sit. II, 1948, p. 164).
γ) Qui est propre à chacun pris isolément. Synon. individuel, personnel.Robespierre est abattu par la révolution de Thermidor, mais Robespierre et Thermidor ensemble se retrouvent dans Bonaparte. En réalisant son destin historique et singulier, chaque homme peut donc trouver sa place au cœur de l'universel (Beauvoir,Pyrrhus, 1944, p. 55).L'universel n'est jamais obtenu par généralisation du particulier, mais c'est dans une expérience singulière qu'il nous faut l'entrevoir (Lacroix,Marxisme, existent., personn., 1949, p. 106). c) Spécialement
α) LOG. CLASS. [P. oppos. à particulier et à général] Jugement singulier, proposition singulière. Jugement, proposition dont le sujet est singulier. Considérés sous le point de vue de la quantité, les jugements sont ou généraux, ou particuliers, ou singuliers (Cousin,Philos. Kant, 1857, p. 104).La proposition singulière ne concerne qu'un sujet déterminé; si le sujet est unique mais indéterminé (« un arbre pousse dans le jardin »), elle était dite par la scolastique « particulière » (Legrand1972). − P. ext. Kardiner élabore le concept de personnalité de base que l'on peut définir comme « une configuration psychologique particulière, propre aux membres d'une société donnée, et qui se manifeste par un certain style de vie sur lequel les individus brodent leurs variantes singulières » (M. Dufrenne, La personnalité de base. Un concept sociologique, Paris, 1953) (Hist. sc., 1957, p. 1531). ♦ Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Une bonne classification ne doit pas être un simple catalogue de faits ou d'événements; elle est un instrument de recherche. Base fondamentale de tout travail théorique permettant de s'élever du singulier au particulier et du particulier au général, elle relie ces divers moments de la connaissance des choses fondées sur le concept d'espèce (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 361).
β) LING. (gramm. générative). [P. oppos. à généralisé] Transformation singulière. ,,Transformation qui opère sur une seule suite générée par la base.`` (Ling. 1972) Les transformations passive, négative, interrogative et emphatique sont des transformations singulières, par opposition aux transformations qui portent sur au moins deux phrases, comme les transformations relative et complétive, qui sont dites transformations généralisées (Ling.1972).Synon. transformation singulaire*. B. − [L'aspect qualitatif est prédominant] 1. a) Qui se distingue des autres; qui est unique en son genre; qui est à part avec ses caractéristiques propres, avec ses différences. Synon. particulier, spécial, remarquable, exceptionnel, hors du commun (v. hors II B 2 d).
α) [En parlant d'une pers.] Mallarmé ne devait pas avoir d'influence: c'est une proposition qui peut se démontrer. Influence, c'est imitation ou continuation. Imiter un être si singulier, c'est crier qu'on imite (Valéry,Lettres à qq.-uns, 1945, p. 98).V. étrange I B 2 a ex. de Gautier: 4. Lorsque Fabrice eut fait sa première communion, elle obtint du marquis, toujours exilé volontaire, la permission de le faire sortir quelquefois de son collège. Elle le trouva singulier, spirituel, fort sérieux, mais joli garçon, et ne déparant point trop le salon d'une femme à la mode...
Stendhal,Chartreuse, 1839, p. 13. − Empl. subst. V. bizarre A ex. de Valéry, particulier B ex. de Valéry.
β) [En parlant d'un comportement, d'un geste destiné à une pers. en partic.] Quoi! ce soir, pas un mot particulier à moi adressé [par Frédérique], pas un regard même dérobé, aucune marque singulière! Ne m'aime-t-elle donc pas? (Sainte-Beuve,Poisons, 1869, p. 8).Mon grand-père (...) prit le parti de me considérer comme une faveur singulière du destin, comme un don gratuit et toujours révocable; qu'eût-il exigé de moi? Je le comblais par ma seule présence (Sartre,Mots, 1964, p. 15).
γ) [En parlant d'une réalité concr.] M. Jules Noël a fait une fort belle marine, d'une belle et claire couleur, rayonnante et gaie. Une grande felouque, aux couleurs et aux formes singulières, se repose dans un grand port, où circule et nage toute la lumière de l'Orient (Baudel.,Salon, 1846, p. 185).[L'église San Vitale de Ravenne] est une construction singulière, et il y a là un type nouveau d'architecture aussi éloigné des idées grecques que des idées gothiques (Taine,Voy. Ital., t. 2, 1866, p. 221). ♦ [Avec compl. prép. désignant la caractéristique concernée] Les muscles dont nous parlons sont confondus dans le dauphin en un seul muscle impair, singulier par sa largeur et par son épaisseur (Cuvier,Anat. comp., t. 3, 1805, p. 239). − Empl. subst. [Avec connotation méliorative] Connaissez-vous Venise la Belle, la Tendre, la Singulière, Monsieur le chevalier? (Milosz,Amour. init., 1910, p. 30).
δ) [En parlant d'un fait ou d'un ensemble de faits] La leçon de Rimbaud, pourtant, c'est que chaque destinée est singulière. Il n'est pas deux feuilles semblables dans la nature, ni deux regards, ni deux visions (Mauriac,Écrits intimes, Journal d'un homme de trente ans, 1948, p. 185).Dès le début de ce siècle, une protestation, un doute au moins s'élevait contre une histoire restreinte aux événements singuliers, et de ce fait prestigieux, à cette histoire « linéaire », « éventuelle », événémentielle, finira par dire Paul Lacombe (Traité sociol., 1967, introd., p. 86). ♦ [P. oppos. à banal] Combien je regrette de n'avoir pas mieux tenu mon journal quand j'étais plus jeune! Je l'ai toujours écrit un peu à la diable, crainte d'oublier quelque chose de curieux, j'aurais dû entrer plus avant dans le détail de tout, même ce qui me paraissait banal car avec le temps, ce qui paraissait banal devient singulier (Green,Journal, 1952, p. 176). − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. [Cette vie intellectuelle] s'embarrassait du problème le plus étrange que l'on puisse jamais se proposer (...), et qui consiste simplement dans la possibilité des autres intelligences, dans la pluralité du singulier, dans la coexistence contradictoire de durées indépendantes entre elles (Valéry,Variété [I], 1924, p. 216).V. pluraliste ex. 1.
ε) [En parlant d'un trait caractéristique d'une pers. ou d'une chose] Sa robe était bleue et si simple, que vous ne l'eussiez pas distinguée sur tant d'autres robes bleues qui passaient; ni moi non plus, n'était que je lui trouvais une grâce toute singulière à flotter autour de cette jeune taille (Toepffer,Nouv. genev., 1839, p. 141).Elle proclamait volontiers dans ses livres l'infériorité de son sexe; elle s'en évadait, pensait-elle, par la virilité de son talent; et elle surpassait aussi les hommes puisque douée des mêmes qualités qu'eux elle avait en outre le mérite singulier et charmant d'être une femme (Beauvoir,Mandarins, 1954, p. 182).V. présence ex. 20. ♦ Synon. de spécifique.Évolution singulière d'une faune; structure singulière d'un noyau cellulaire. L'espèce des philosophes paraît revêtue de caractères singuliers, encore que cette singularité ne soit peut-être rien d'autre qu'une absence de caractères. Elle forme un groupe humain étalé, dilué dans l'étendue, dans le souvenir de l'histoire, qui n'entre point en relations avec les autres groupes humains, comme celui des seigneurs, des clercs d'église, des marchands, des bourgeois, des artisans, des soldats (Nizan,Chiens garde, 1932, p. 31). b) En partic. Point singulier. Ces points singuliers que sont les grands événements de l'histoire dans tous les domaines de la pensée et de la vie sociale (Civilis. écr., 1939, p. 22-8).Les choses évoluent, parcourent des cycles, recommencent ensuite. Mais ce ne sont pas les choses qui se répètent alors, ce sont les cycles. Il importe donc de savoir où l'on en est du cycle, si l'on se trouve au beau milieu de son processus, ou précisément au « point singulier » où il se renouvelle (Schaeffer,Rech. mus. concr., 1952, p. 135). − ANTHROPOL. Au point de vue anthropologique, on désigne les différents points singuliers ou points de repère du crâne par des noms particuliers (G. Gérard,Anat. hum., 1912, p. 78). − GÉOL. Je rappelle que les points singuliers, qualifiés de fonds durs, non recouverts par les dépôts en voie de formation, se rencontrent dans le domaine des sédiments terrigènes et pélagiques, et qu'ils s'échelonnent entre 155 et 2 011 mètres (Cayeux,Causes anc. et act. géol., 1941, p. 52): 5. Alors que la carte topographique exprime les formes du terrain, la carte géologique est l'expression graphique de la connaissance de l'âge et de la nature des roches. Des teintes diverses montrent l'extension des formations et de nombreux signes indiquent les points singuliers (gisements fossilifères, carrières, mines, etc.).
Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 384. − MATH. Un point où une fonction F (Z) n'est pas monogène est appelé point singulier essentiel. Il est isolé si, dans un cercle assez petit ayant ce point pour centre, il n'y a pas d'autre point singulier. Sinon, il appartient à un ensemble de points singuliers. Cet ensemble est fermé car, un point régulier étant entouré de points réguliers, tout point limite de points singuliers est singulier (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 45). ♦ [P. méton.] Ligne singulière. D. Pompeiu a construit une fonction continue admettant un ensemble parfait discontinu de points singuliers. Les points singuliers peuvent former des lignes, dites lignes singulières, où des régions appelées espaces lacunaires (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 45). 2. a) Qui, parce qu'il sort de la norme, étonne, surprend et, parfois dérange. Synon. curieux, bizarre, étrange, extraordinaire, surprenant.
α) [En parlant d'une pers.] Synon. de excentrique, original (v. original1B 2 b).À ce moment, s'approcha de nous un Don Quichotte chevelu et édenté, un singulier gaillard tout couvert de taches de rousseur (Fargue,Piéton Paris, 1939, p. 152): 6. Que Racine se soit tu après Phèdre (...) et Rimbaud après Une saison en enfer, je m'étonne qu'on y ait vu un si grand mystère. Des gens qui se taisent s'ils n'ont plus rien à dire que ce qu'ils ont déjà dit, cela devrait nous sembler la chose du monde la plus raisonnable (...) ils sont, au contraire, à nos yeux, des personnages très singuliers, des espèces de monstres.
Mauriac,Mém. intér., 1959, p. 102. ♦ Synon. de insolite.On chuchotait un peu dans les couloirs sur ce couple singulier qui semblait mimer une histoire d'Edgar Poe (Fargue,Piéton Paris, 1939, p. 214). − [En parlant d'un trait caractéristique d'une pers. ou d'une collectivité] Ils avancèrent silencieusement, le comte guidant Franz comme s'il avait eu cette singulière faculté de voir dans les ténèbres (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 545).Est-ce de ses avatars antérieurs qu'il [le Japon] a acquis sa singulière aptitude à s'approprier la science européenne, à s'assimiler ce qui lui a paru essentiel dans les civilisations extérieures (...) (Vidal de La Bl.,Princ. géogr. hum., 1921, p. 209). − [En parlant d'une manière d'être ou de faire] Malgré tant de bonté, Julien se sentit bientôt parfaitement isolé au milieu de cette famille. Tous les usages lui semblaient singuliers, et il manquait à tous. Ses bévues faisaient la joie des valets de chambre (Stendhal,Rouge et Noir, 1830, p. 249): 7. ... c'est un état d'esprit singulier que celui d'un homme qui fait la bête pour ne pas se supprimer. Trop à part pour être aimé, privé d'ailleurs du bénéfice physique même d'un désir, ma confiance dans l'avenir n'était qu'une façon d'en appeler spontanément au miracle. Et je n'ai pas été étonné quand le miracle s'est produit.
J. Bousquet,Trad. du sil., 1936, p. 115. ♦ [Avec connotation péj.] Je vous le disais bien, que vous me faisiez jouer un singulier rôle pour un républicain (Dumas père, Chev. Maison-Rouge, 1847, i, 1ertabl., 5, p. 16).Quelle singulière idée de nous donner pour maître un homme au visage pâle et à demi scalpé (Prévert,Paroles, 1946, p. 37). − [En parlant d'une manifestation de l'activité intellectuelle] Tous ces rapprochements singuliers d'idées ou de mots (...) c'est presque toujours la rime qui les suggère (Lemaitre,Contemp., 1885, p. 14).La classification, singulière au premier abord entre chiens continentaux et chiens anglais, est juste et répond en effet aux conceptions différentes de la chasse en Grande-Bretagne et dans le reste de l'Europe (Vidron,Chasse, 1945, p. 115).
β) [En parlant d'un animal] Des formes entièrement nouvelles: (...) reptiles volants; oiseaux singuliers de la fin des temps crétacés; mammifères aux caractères étranges du jurassique et du crétacé; mammifères du début de l'ère tertiaire [marquent] les premiers stades du remarquable épanouissement de cette classe de vertébrés (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 520).
γ) [En parlant d'une chose concr.] À travers la rêverie où il était tombé, il entendait depuis quelque temps un bruit singulier. C'était comme un grelot qu'on agitait (Hugo,Misér., t. 1, 1862, p. 556).Le baron avait (...) un habillement assez singulier à la fois pour son âge, pour son état, et pour la saison (Montherl.,Célibataires, 1934, p. 769).
δ) [En parlant d'un état, d'un fait, d'un phénomène] Connaître un singulier destin; subir une mésaventure singulière; (par) un hasard singulier, une coïncidence singulière. Les heures passent et − fait singulier − j'oublie la réalité, par longs intervalles: l'échéance de demain sort totalement de ma pensée (Frapié,Maternelle, 1904, p. 287).La prévision d'un événement singulier, inévitable, l'agitait d'une attente dont chaque minute augmentait l'anxiété (Bernanos,Soleil Satan, 1926, p. 126).V. étrangeté B ex.
ε) [En parlant d'une fraction de la durée quant aux événements qui s'y produisent] Il posa la lettre sur un coin de la cheminée, et il dit: Tiens, en voilà une drôle d'histoire que je ne t'ai jamais racontée, une histoire sentimentale pourtant et qui m'est arrivée! Oh! ce fut un singulier jour de l'an, cette année-là (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Épave, 1886, p. 716). ♦ Synon. de indu, suspect, compromettant.Un matin qu'il vit sortir Foucarmont de chez elle, à une heure singulière, il lui fit une scène. Du coup, elle se fâcha, fatiguée de sa jalousie (Zola,Nana, 1880, p. 1448).
ζ) [En parlant de l'effet produit/du sentiment inspiré par qqc.] Cette promenade par un temps orageux avait un parfum singulier de solitude non amère, ce qui est rare. J'avais les miens avec moi (Michelet,Journal, 1834, p. 119).Ce n'est rien de lire ce qui s'imprime sur votre compte auprès de cette sensation singulière de s'entendre commenter à l'université, devant le tableau noir, tout comme un auteur mort (Valéry,Variété III, 1936, p. 57). ♦ Synon. de saisissant.Ces cris formaient un contraste singulier avec le silence que toutes les personnes placées sur le talus observaient (Delécluze,Journal, 1827, p. 439). b) Loc. impers.
α) Il est singulier que, c'est singulier que. On trouve ici la première ébauche de mon plan pour l'entreprise d'Espagne, tel que je l'avais à peu près tracé à Londres et envoyé à M. de Montmorency. Il est singulier que ce plan soit précisément celui que proposait au gouvernement actuel M. Thiers (Chateaubr.,Mém., t. 3, 1848, p. 146): 8. ... ces menaces n'eurent pas de suite. Je me suis souvent demandé pourquoi. Il est pour le moins singulier que les Allemands aient reculé devant l'usage de la force pour nous contraindre à sortir du statut légal derrière quoi nous nous abritions, alors que dans les camps de concentration ils faisaient si bon compte de la simple humanité.
Ambrière,Gdes vac., 1946, p. 341. − [En incise] Au dessert, Gautier dit: « C'est singulier, je ne me sens pas père du tout. Je suis bon pour mes enfants, je les aime, mais pas du tout comme mes enfants. Ils sont là auprès de moi, ils sont dans mes branches, voilà tout (...) » (Goncourt,Journal, 1864, p. 28).
β) Trouver singulier que. Cette affaire est si importante pour nous que je pense que vous ne trouverez pas singulier que je vous supplie de me donner quelques détails sur les espérances que vous m'avez permis de concevoir (Stendhal,L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 320). c)
α) Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. V. étrange II ex. de Montesquiou. − Dans une loc. impers. Pour ne pas expliquer tout le présent, faut-il croire que le passé soit inutile à son explication? Le singulier est que la question, aujourd'hui, puisse se poser (M. Bloch,Apol. pour hist., 1944, p. 9).
β) Le singulier de qqc. Caractère singulier de quelque chose, ce que quelque chose a de singulier. − (...) Maman, dit un jour Mina à sa mère, m'accorderais-tu d'aller passer trois mois à Paris dans une sorte d'incognito? − Nous partirons quand tu voudras, ma fille, et je prendrai sur moi le singulier de cette résolution (Stendhal,Nouv. inéd., 1842, pp. 39-40): 9. Mon singulier compagnon m'inspirait l'intérêt le plus vif. (...) Celui-là, pensai-je, s'aime trop pour ne m'apparaître pas tel que la vie l'a fait. (...) Le singulier de son esprit me rappelait la grâce fascinante et répulsive du serpent; mais l'ensemble de sa personne me faisait surtout songer à ces grands corbeaux de mon pays qui sont ensemble hideux et beaux, comiques et sinistres.
Milosz,Amour. init., 1910, p. 14. 3. [Avec une simple valeur intensive; en parlant d'un attribut d'une pers. ou d'une chose] Qui est particulièrement important, particulièrement marqué. La singulière acuité d'une question; des yeux d'une singulière douceur; remarquer la pâleur singulière de qqn; éprouver un bonheur, un plaisir singulier. Une immense aurore rose avait envahi le ciel nocturne d'un bleu tendre et le dôme de Saint Paul se découpait au loin sur ce reflet de feu. L'effet était d'une singulière beauté (Valéry,Entret. avec F. Lefèvre, 1926, p. 14).Je me sens pourri, chaque chose que je touche est pourrie. Il faut un courage singulier pour ne pas succomber à la dépression et continuer − au nom de quoi? Pourtant je continue, dans mon obscurité: l'homme continue en moi (G. Bataille,Exp. int., 1943, p. 58). Prononc. et Orth.: [sε
̃gylje], fém. [-jε:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1174-76 singuler subst. gramm. (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 2260: singuler e plurel aveit tut parigal); 1377 singulier subst. gramm. (Gace de La Buigne, Deduis, éd. Å. Blomqvist, 11417); xives. (Traité de gramm. ds Thurot, p. 169: li singulier et le plurier); 2emoit. xiiies. singuler adj. gramm. (Donat B, 6 ds Städtler Gramm. 1988, p. 86); 1677 nombre singulier (Miege); 2. fin xiies. singuleir « unique, seul, isolé » (Sermons St Bernard, éd. W. Foerster, p. 38: cele singuleir diviniteit [...] oyvre mervillouse et singulers); 3. a) 1282 singuler « qui n'appartient qu'à un seul » (Chapit. Noyon, Vatompré, Arch. Oise G. 1937 ds Gdf.: les choses toutes et singulers); b) ca 1345 singuler subst. « ce qui ne s'adresse qu'à un seul » (Isopet-Avionnet, éd. J. Bastin, t. 2, p. 328); 4. 1512 bataille singuliere (J. Lemaire de Belges, Illustrations de Gaule, II, 16, éd. J. Stecher, t. 2, p. 152); 1579 combat singulier (P. de Larivey, Jaloux, III, 5 ds Anc. Théâtre fr., t. 6, p. 54); 5. 1662 log. proposition singulière, sujet singulier (A. Arnauld, P. Nicole, Log. de Port-Royal, II, 1, p. 126). B. 1. 2emoit. xives. « qui se distingue des autres » (Miracle de la fille du Roy de Hongrie, 201 ds Mir. N.D. par personnages, éd. G. Paris et U. Robert, t. 5, p. 9: un homme singulier); ca 1393 (Ménagier, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, p. 22: estre singulier en diz et en faiz); 1553 subst. « ce qui est singulier, rare, remarquable » (Magny, Amours, p. 38: le singulier de tes rares Espritz); 2. 1742 péj. « étrange au point d'être contraire à ce qu'il devrait être » (Crébillon fils, Sopha, éd. 1881, p. 229: de singuliers propos); 3. 1754 géom. points singuliers (d'une courbe) (Encyclop. t. 4, p. 386, s.v. courbe). Empr. au lat.singularis « unique, seul, isolé, solitaire; qui se rapporte à un seul, particulier, propre; singulier (gramm.); unique en son genre, singulier, exceptionnel, extraordinaire, rare »; dér. de singuli « un par un; chacun un; chacun en particulier ». Fréq. abs. littér.: 6 676. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 11 292, b) 11 090; xxes.: a) 8 813, b) 7 513. Bbg. Gohin 1903, p. 230. |