| SINGULARISER, verbe trans. I. A. − [P. oppos. à généraliser] Dans un lang. spécialisé. Considérer en soi les divers éléments d'un tout, reconnaître leur spécificité, mettre en valeur leur singularité (v. ce mot I B 2). Synon. individualiser (v. ce mot B 2 en partic.).Absol. La méthode typologique (...) construit en sociologie des types qualitatifs et discontinus, mais qui peuvent cependant se répéter. (...) En construisant des types différents en fonction de la variété des cadres sociaux réels et de leurs structures, cette méthode singularise jusqu'à un certain point, mais pour mieux retrouver les cadres qui peuvent se répéter (Traité sociol., 1967, p. 23). − Part. passé en empl. adj. Qui est considéré dans sa singularité. V. prométhéen B ex. de Traité sociol. B. − 1. Donner un caractère spécifique, une originalité à quelque chose/quelqu'un, traiter de façon particulière, rendre singulier (v. ce mot II B 1 a). a) [Le suj. désigne une pers.; avec compl. prép. désignant l'agent de l'action] Attentive auprès d'un vieillard (...), une jeune personne, qui n'a singularisé son costume de soie blanche que par quelques fleurs semées à l'entour, jouit de la fête avec toute la naïveté de son âge (Gozlan,Notaire, 1836, p. 142). b) [Le suj. désigne l'agent de l'action] De grands monuments sur lesquels plane un souffle d'art singularisent aujourd'hui les contrées du limon et de la brique. Le pays toulousain s'oppose au pays bordelais, de même qu'aux marbres de l'Ardenne, aux pierres de l'Île-de-France et de la Normandie, s'oppose l'argile de Londres et des Flandres (Vidal de La Bl.,Princ. géogr. hum., 1921, p. 162).L'allure singulière d'un artiste et l'angle sous lequel il s'exprime et qui le singularise passe (...) vite aux yeux frivoles pour un procédé magique grâce auquel il évite les angoisses du travail (Cocteau,Lettre Amér., 1949, p. 69). ♦ Absol. Les premières journées s'écoulèrent (...) à parcourir la maison, suivi du fidèle Arcangeli, lequel écrivait à mesure, tout ce qui passait par l'esprit du maître, pour singulariser et embellir (Bourges,Crépusc. dieux, 1884, p. 115). ♦ Part. passé passif. Ce grand jeune homme indolent, tout couvert de taches de rousseur, le front rebelle singularisé par un épi de cheveux sauvages (...), me tenait de longs discours mythologiques auxquels je crois ne pas avoir compris grand-chose (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p. 135). − [Avec attribut du compl. d'obj.] Dans la région du Haut-Nil, Schweinfurth nous décrit des tribus que leurs longues jambes étiques et leurs attitudes d'échassiers en sentinelle au bord de l'eau, (...) singularisent (...) comme peuple de marécages (Vidal de La Bl.Princ. géogr. hum., 1921, p. 110). − [Avec compl. prép. désignant l'autre élément de la compar.] Le cheptel caprin (...) a disparu ou est en passe de disparaître des exploitations agricoles de Belgique, des Pays-Bas, du Danemark, de Finlande, de Hongrie, de Suède, de Norvège, de Suisse et du Royaume-Uni; en quinze ans les effectifs se sont effondrés de 50%, ce qui singularise cette partie de l'Europe par rapport au reste du monde où l'espèce caprine continue de prospérer (Wolkowitsch,Élev., 1966, p. 19). c) [Le processus à l'orig. de l'action est exprimé par le cont.] Part. passé passif. Placé sous tension, un conducteur se comporte pour l'électricité de la même manière qu'un radiateur branché à un circuit à température élevée, se comporte pour la chaleur: il diffuse autour de lui. (...) il en résulte une cession continue de calories ou de volts à l'espace environnant, par l'objet fortement singularisé (Matras,Radiodiff. et télév., 1958, p. 22). 2. P. ext. Faire remarquer, attirer l'attention sur quelque chose/quelqu'un. Un vélo (...) vous singularise moins qu'une voiture automobile par ces temps calamiteux (Arnoux,Rêv. policier amat., 1945, p. 155). II. − Empl. pronom. Devenir, être singulier. A. − à valeur passive. [Le suj. désigne une chose, un être vivant dans son évolution biologique] Se différencier, se distinguer (par quelque chose de spécifique). − [Avec compl. prép. désignant l'agent de l'action] Quand une femelle drosophile portant un gène léthal dans un de ses deux chromosomes X est croisée avec un mâle normal, elle produit une descendance qui se singularise par un rapport sexuel anormal, un mâle pour deux femelles (Cuénot, J. Rostand,Introd. génét., 1936, p. 45).Les jeux de compétition se singularisent donc par trois traits: ils tendent vers un résultat extérieur au joueur, dont la valeur est déterminée par une règle, enfin qui procure au gagnant une satisfaction spirituelle (Jeux et sports, 1967, p. 353). − [Avec compl. prép. désignant l'autre élément de la compar.] Ce dernier système (...) se singularise par rapport à la chromatographie classique sur papier (Privat de Garilhe,Acides nucl., 1963, p. 44). B. − à valeur réfl. 1. [Le suj. désigne une pers.] Se démarquer des autres; faire preuve d'originalité. Saint-Clair (...) conclut que la première condition pour plaire à une femme, c'est de se singulariser, d'être différent des autres (Mérimée,Mosaïque, 1833, p. 151). − [Avec compl. prép. désignant l'agent de l'action] M. S..., qui jouit en ce moment à Paris de la singulière célébrité qu'y donne une grande fortune, ne sachant par quelle spécialité se singulariser, s'est constitué le Mécène de la littérature (Balzac,
Œuvres div., t. 2, 1830, p. 217). − [Le processus à l'orig. de l'action est exprimé par le cont.] Je voudrais me singulariser un peu, ce soir, en mettant l'accent (...), non sur une mauvaise conscience, que je n'éprouve pas, mais sur les deux sentiments qu'en face et à cause même de la misère du monde, je nourris à l'égard de notre métier, c'est-à-dire la reconnaissance et la fierté (Camus,Actuelles I, 1948, p. 255). 2. P. ext., avec connotation péj. Se faire remarquer, attirer l'attention sur soi. Mon opinion sur les paysages des montagnes fit dire que je cherchais à me singulariser (Chateaubr.,Mém., t. 2, 1848, p. 194): − « Ce n'est pas possible. Vous dites ça pour vous singulariser! » − « Me singulariser? » − « Non », reprit-elle, en rougissant, « ce n'est pas ,,singulariser`` que je voulais dire... » Elle demeura songeuse quelques secondes. « Est-ce que vous n'éprouvez pas quelquefois, le besoin de... déconcerter les gens? Pas pour le plaisir de déconcerter, bien sûr... Mais, pour mieux leur échapper, peut-être... Non? »
Martin du G.,Thib., Été 14, 1936, p. 574. − [Avec compl. prép. désignant l'agent de l'action] Ceux que les troubles de la Révolution et les guerres de l'Empire avaient outrageusement enrichis pensaient, en se singularisant par le décor de leur demeure, rivaliser avec la noblesse et la vieille bourgeoisie (Viaux,Meuble Fr., 1962, p. 143).V. bizarre ex. 1. REM. 1. Singularisant, -ante, part. prés. en empl. adj.[Corresp. à supra I A] Qui singularise. La seconde méthode d'approche de la réalité sociale est individualisante ou plutôt singularisante; elle est propre à deux sciences sociales particulières, l'histoire et l'ethnographie (Traité sociol., 1967, p. 22). 2. Singularisation, subst. fém.a) Action de (se) singulariser; résultat de cette action.
α) [Corresp. à supra II A] Le psychisme individuel tend vers une différenciation et une singularisation intenses; celles-ci viennent aussi bien du corps de chaque individu que de l'unification très variée des réactions de chacun, car toute personne utilise les critères de sa propre unification suggérés par le milieu social d'une façon particulière (Traité sociol., 1968, p. 335).
β) [Corresp. à supra II B 2] Ce n'est pas non plus votre faute si Mondor est un grand homme. Vous avez en vous-même réfléchi, tendu le piège. Votre volonté de singularisation ou d'effacement − ceci parfois mène à cela − a tout envisagé (Colette,Pays connu, 1949, p. 101).b) Synon. de individualisation (v. ce mot B).[Dans les sociétés collectivistes, décentralisatrices et pluralistes] l'enracinement [de la moralité impérative] dans les phénomènes sociaux totaux sous-jacents accentuerait la singularisation des devoirs (Traité sociol., 1968, p. 171).c) Ling. Présentation d'un épisode de récit à partir d'un point de vue singulier (v. ce mot II B 2), inhabituel, par les yeux d'un tiers qui n'y comprend rien, d'un enfant, de sorte que le lecteur est amené à y voir des détails et des valeurs insolites (d'apr. Dupr. 1980). Prononc. et Orth.: [sε
̃gylaʀize], (il) singularise [-i:z]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1530 trans. « traiter dans le détail » (Palsgr., p. 713b: pour le singulariser [ce chapitre]); b) 1550 « désigner particulièrement » (La Grise, trad. A. de Guevara, L'Orloge des princes, I, 27 ds Hug.); c) 1555 « distinguer des autres par quelque chose de peu courant » (F. de Billon, Le Fort inexpugnable, 139b ds Rom. Forsch. t. 32, p. 164); 2. 1670 pronom. (Bussy-Rabutin, Lettres, Paris, t. 3, 1720, p. 179: ne continuons donc pas [...] de nous singulariser en une chose déraisonnable). Dér. sav. de singulier* d'apr. le lat. singularis; suff. -iser*. Cf. lat. chrét. singularizare « étudier dans le détail » (vies. ds Blaise Lat. chrét.). Fréq. abs. littér.: 38. Bbg. Quem. DDL t. 7. |