| SILLON, subst. masc. A. − AGRICULTURE 1. Longue tranchée ouverte dans la terre par le soc de la charrue. Creuser, ouvrir, tracer un sillon; ensemencer un sillon; sillon droit, rectiligne; ados, billon du sillon; au creux, sur le bord des sillons. Il y avait de grands labours dans les plaines. Les sillons fumaient dans le soir; et les chevaux lassés prenaient une allure plus lente (Gide, Nourr. terr., 1897, p. 209).V. ados, ex. 3, billon3ex. 2, bœuf ex. 4, laboureur ex.: Puis, il baissa la tête, il s'absorba une minute dans la vue du sillon ouvert, de la terre éventrée à ses pieds: elle était jaune et forte au fond, la motte retournée avait apporté à la lumière comme une chair rajeunie, tandis que, dessous, le fumier s'enterrait en un lit de fécondation grasse...
Zola, Terre, 1887, p. 437. ♦ Loc. fig. Creuser, faire, tracer son sillon. Accomplir avec courage et persévérance la tâche entreprise. Ainsi nous creusons péniblement notre sillon dans cet océan de misère qui se referme après nous (Duras, Édouard, 1825, p. 100).J'étais né pour tracer mon sillon en plein air, sous un ciel libre et borné seulement par quelques arbres à l'horizon (Lamennais, Lettres Cottu, 1834, p. 257). − P. méton., région. (Ouest notamment). Synon. de billon3.Il se dressa sur le sillon tout frais qui creva sous son poids (J. Yole, Les Démarqués, 1914ds Réz. Ouest 1984). − P. anal. Vague ouverte par l'étrave du bateau. Synon. sillage.Comme une fleur marine éclose en son vallon, Une voile a blanchi là-bas sur son sillon (Quinet, Napoléon, 1836, p. 294). 2. ,,Petite rigole ouverte à la binette pour semer en ligne`` (Forest. 1946). 3. Littér., au plur. Champs labourés; campagne. Le beau soleil de mai, levé sur nos climats, Féconde les sillons, rajeunit les bocages, Et de l'hiver oisif affranchit ses rivages (Michaud, Printemps proscrit, 1803, p. 44).L'épi sur les sillons mollement agité, Jaunit, et prend l'éclat des beaux jours de l'été (Michaud, Printemps proscrit, 1803, p. 92). − [P. allus. au refrain de La Marseillaise] En avant les hommes! Qu'un sang impur inonde les sillons! (Hugo, Misér., t. 2, 1862, p. 298). B. − P. anal. 1. Empreinte de longueur et de profondeur variable creusée en forme de ligne, de rayure. Tous nos pas dans cette vie ressemblent à la marche du reptile sur le sable et font un sillon! (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 108).Les tristes fenêtres où la pluie a tracé des sillons dans la poussière (Baudel., Poèmes prose, 1867, p. 28). 2. Pli ou ride creusé(e) sur la peau. Deux sillons creux et serpentant jusqu'à sa bouche attestaient que la force de l'homme s'était brisée en lui (Lamart., Confid., Graziella, 1849, p. 178).Deux tresses naissaient à la hauteur des tempes, deux autres au-dessus de la nuque, de part et d'autre d'un sillon de peau bleutée (Colette, Mais. Cl., 1922, p. 117). 3. Littér. Trace longitudinale. Sillon lumineux; sillon des roues. La lune échancrée, mais singulièrement belle et brillante, étale un large sillon d'or dans le fleuve (Fromentin, Voy. Égypte, 1869, p. 70).Une plaine basse et monotone où, par endroits, un rang de peupliers, un canal, tracent une draperie rectiligne, un sillon miroitant (Lacretelle, Hts ponts, t. 4, 1935, p. 198). C. − Spécialement 1. ANATOMIE a) ,,Enfoncement étroit et allongé, sinueux ou linéaire, à la surface d'une structure anatomique`` (Man.-Man. Méd. 1980). Sillon central, circulaire, cruciforme, diagonal, marginal, médian; sillon du cœur, du foie, de l'estomac, des intestins, des nerfs, des veines; sillon calcanéen, choroïdien, labial, lacrymal, lombaire, occipital. [Le nerf cubital] est reçu dans un sillon particulier de l'épitrochlée de l'humérus (Cuvier, Anat. comp., t. 2, 1805, p. 260).Les cordons antérieurs droit et gauche sont réunis l'un à l'autre, dans le fond du sillon antérieur, par une commissure blanche (Camefort, Gama, Sc. nat., 1960, p. 203). b) ,,Anfractuosité linéaire du cortex cérébral qui sépare deux circonvolutions d'un même lobe`` (Méd. Biol. t. 3 1972). Les faces latérales du cerveau moyen sont parcourues par un sillon oblique en avant et en dehors, appelé sillon latéral (Quillet Méd.1965, p. 320). 2. EMBRYOL. Sillon primitif. Sillon placé dans l'axe longitudinal de l'embryon. La ligne primitive (...) vers le milieu de laquelle court en gouttière le sillon primitif (E. Perrier, Zool., t. 4, 1928, p. 2898). 3. PATHOL. Sillon de la gale. ,,Lésion cutanée caractéristique de la gale, consistant en un trajet linéaire qui pénètre obliquement dans la couche épidermique, et se termine par une petite saillie`` (Garnier-Del. 1972). Les (...) sillons de gale (...) favorisent le développement du chancre simple (Demanche dsNouv. Traité Méd.fasc. 5, 11924, p. 2). 4. ZOOL. Raie, strie sur le corps de certains insectes, sur la coquille de certains mollusques. Sillon oculaire. C'est cette petite coquille à sillons profonds et rayonnants dont les valves rebondies, (...) ornent si souvent le camail grossier du pèlerin (Nodier, Fée Miettes, 1831, p. 79). 5. GÉOMORPHOLOGIE a) Dépression étroite et allongée. Sillon rhodanien; sillon de ligne de fracture ou de faille. Elle (...) me montrait la pyramide égyptienne noyée dans le sable, comme un jour le sillon armoricain caché sous la bruyère (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 130).Il s'engagea plus avant dans cette dépression du Ouadi El-Araba qui, au sud de la mer Morte, creuse son sillon longitudinal jusqu'au golfe d'Aqaba, sur la mer Rouge (Grousset, Croisades, 1939, p. 99). b) Sillon (prélittoral). ,,Dépression étroite et longue (fissure) sur la surface du plateau continental et en général perpendiculaire à la côte`` (Gruss 1978). 6. AUDIO-VISUEL. ,,Rainure en forme de spirale tracée sur un disque`` (Radio 1972). Profil du sillon; sillon de départ. Un courant électrique servit désormais d'intermédiaire entre le son et le sillon de disque sur lequel était figée la modulation (Matras, Radiodiff. et télév., 1958, p. 42). ♦ Sillon fermé. Sur un disque, sillon formé de deux spires consécutives communiquant de sorte que le lecteur ne peut plus en sortir et répète indéfiniment le segment correspondant. J'étais le prisonnier de mes sillons fermés. Une célèbre chanson d'Édith Piaf illustre le sillon fermé (Schaeffer, Rech. mus. concr., 1952, p. 39). D. − Au fig., littér. 1. Empreinte, influence profonde et durable laissée par quelqu'un ou quelque chose. Ce chef-d'œuvre [la Pietà de Delacroix] laisse dans l'esprit un sillon profond de mélancolie (Baudel., Salon, 1846, p. 122).Le petit sillon que la vue d'une aubépine ou d'une église a creusé en nous, nous trouvons trop difficile de tâcher de l'apercevoir (Proust, Temps retr., 1922, p. 891). 2. Manière exemplaire de penser ou d'agir. La psychologie qui a pris après Stendhal la suite et le sillon des analyses du XVIIIesiècle l'a fort bien étudiée (Thibaudet, Réflex. litt., 1936, p. 64). 3. Fam., vieilli. Routine, habitude de penser ou d'agir toujours de la même manière. Que voulez-vous? ma pauvre femme était une romanesque. La vie plate, dans le sillon, l'épouvantait (A. Daudet, Pte paroisse, 1895, p. 84).Roemerspacher laisse cette question (...) inopinément soulevée, et se maintient dans son sillon (Barrès, Déracinés, 1897, p. 335). REM. 1. Sillée, subst. fém.,vitic. ,,Profond sillon où l'on plante les jeunes plants de vignes`` (Fén. 1970). 2. Sillonneux, -euse, adj.Qui est creusé de sillons. Ses haras de basalte aux terrains sillonneux pour l'élève des étalons de guerre (Villiers de L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 376). Prononc. et Orth.: [sijɔ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1200 seillon de terre « mesure de terre (cinquième d'arpent) » (Renart, éd. M. Roques, 9321) [att. indirectement par seillonet « petit sillon » dès ca 1175 (Chronique Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 9991)]; 1462 sillon de terre « id. » (Villon, Testament, éd. J. Rychner et A. Henry, 1888); 2. a) 1306 seillon « tranchée qu'ouvre dans la terre le soc de la charrue » (Guillaume Guiart, Royaux Lignages, éd. Delisle et Wailly, 19637); 1558 [éd.] sillon « id. » (Du Bellay, Jeux rustiques, Chant de l'Amour et du Printemps ds
Œuvres, éd. Marty-Laveaux, t. 2, p. 314); b) av. 1778 tracer son sillon « poursuivre lentement et patiemment son œuvre » (Voltaire, Lett. en vers et en prose, 123 ds Littré); 1835 faire son sillon (Ac.); 1875 creuser son sillon (Lar. 19e); 3. a) 1571-84 sillon « pli de la peau humaine, amené par l'âge » (D'Aubigné, Le Printemps ds
Œuvres, éd. E. Réaume et De Caussade, t. 3, p. 184); b) 1765 anat. (Encyclop.); c) 1872 sillon des roues « traces que laissent les roues d'une voiture » (Littré); d) 1888 « trace produite à la surface du disque par l'enregistrement phonographique » (L'Année sc. et industr., 1889, p. 98); 4. 1611 poét. « trait de lumière » (Cotgr.). Dér. de l'anc. verbe silier (siller*); suff. -on*. La forme seillon est encore très répandue surtout au sens de « bande de terrain, planche de labour dans les parlers région. (v. FEW t. 11, p. 417; v. aussi R. Ling. rom. t. 46, pp. 232-251 et t. 47, pp. 121-128). Fréq. abs. littér.: 1 304. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2 975, b) 1 508; xxes.: a) 1 420, b) 1 344. Bbg. Baulig (H.). La « Perche » et le « sillon ». Mots et choses. Mél. Hoepffner (E.). Paris, 1949, pp. 139-149. − Fournier (P.-F.). Notes lexicol. Fr. mod. 1952, t. 20, pp. 119-120. − Jud (J.). Frz. sillon. Donum Natalicium C. Jaberg. Zürich. Leipzig, 1937, pp. 131-192. − Quem. DDL t. 18 (s.v. sillée), 27, 36. − Straka (G.). Sur les désignations rom. du sillon. R. Ling. rom. 1982, t. 46, pp. 231-251. |