| SERVITEUR, subst. masc. A. − 1. Celui qui a des devoirs, des obligations envers un souverain, un État, une collectivité, qui est à leur service. Dautry, avec une largeur de vues caractéristique de ce grand serviteur de l'État, comprend l'importance du problème et donne à Joliot des facilités exceptionnelles: crédits illimités, possibilité de rappeler des armées tout collaborateur qui lui serait nécessaire (Goldschmidt,Avent. atom., 1962, p. 28): − Son Excellence peut compter sur moi, s'écria le préfet. J'ai déjà mes hommes; il y a un pharmacien à Péronne, un marchand de drap et un fabricant de papier à Doullens; quant aux avocats, ils ne manquent pas, c'est une peste... Oh! j'assure à Son Excellence que je trouverai les douze... Je suis un vieux serviteur de l'Empire.
Zola,E. Rougon, 1876, p. 243. ♦ Serviteur de Dieu. Celui qui a voué sa vie au service de Dieu (prêtre, religieux, etc.). Serviteur de Yahvé; serviteur inutile; serviteur vigilant. Ainsi escortés, nous arrivâmes jusqu'au pied d'une grande croix, qui se trouvoit sur le chemin. C'étoit là que le serviteur de Dieu avoit accoutumé de célébrer les mystères de sa religion (Chateaubr.,Génie, t. 2, 1803, p. 230).Je ne suis, en effet, qu'un humble serviteur de Dieu, bien infirme, bien privé peut-être de lumières propres, bien indigne peut-être. Mais, le service que je fais, je le fais selon ma conscience, et je le fais d'une force inébranlable, parce que c'est l'unique vérité que je sers (Montherl.,Port-Royal, 1954, p. 1043). ♦ Serviteur des serviteurs (de Dieu). [Formule appliquée aux Papes] Allez à Rome, vous y verrez son vicaire, le serviteur des serviteurs de Dieu, et il vous fera baiser sa pantoufle (L. Ménard,Rêv. païen, 1876, p. 49).Le Frère Mineur: C'est du Pape en effet qu'il est écrit qu'il est le Serviteur des serviteurs. Le Pape Pie: Telle est la place qui est par excellence la Nôtre, la plus basse entre tous les hommes (Claudel,Père humil., 1920, ii, 1, p. 517). ♦ Serviteur de la loi. Magistrat. Le Juge: Je suis le serviteur de la loi, je ne puis t'accueillir ici. Diego: Tu servais l'ancienne loi. Tu n'as rien à faire avec la nouvelle. Le Juge: Je ne sers pas la loi pour ce qu'elle dit, mais parce qu'elle est la loi (Camus,État de siège, 1948, 2epart., p. 251). − P. anal. Le serviteur d'une dame. Son chevalier servant. − Qui êtes-vous donc, vous? − Juan Moreno, ancien lieutenant aux chasseurs de Ségovie, aujourd'hui cornette aux dragons d'Imérétie, grand serviteur des dames, mais assez entêté (Gobineau,Nouv. asiat., 1876, p. 66). 2. Celui qui engage toute son activité, son énergie, sa passion au service d'un idéal, d'une noble cause, d'une œuvre, etc. Les idées ne sont rien que des faits généralisés. Si elles sont justes, les événements sont tenus de s'y adapter, et le serviteur de l'idée devient ainsi − quel qu'il soit − un serviteur de l'humanité elle-même (Clemenceau,Vers réparation, 1899, p. 535). B. − Vieilli. Employé attaché à la personne ou à la maison de son employeur. Synon. domestique.Le premier soin de Raphaël, en recueillant l'immense succession de son oncle, avait été de découvrir où vivait le vieux serviteur dévoué sur l'affection duquel il pouvait compter (Balzac,Peau chagr., 1831, p. 198).Le suicide est la forme de mort qui, plus que tout autre, donne à l'entourage le sentiment de culpabilité. Et tout le monde dans l'hôtel, maîtres et serviteurs, avait un air coupable. Même les enfants se demandaient si leur jeu de l'autre jour n'avait pas attiré la punition du Bon Dieu (Druon,Gdes fam., t. 2, 1948, p. 122). − P. anal. ou avec une nuance péj. Celui qui a l'esprit servile ou qui n'appartient pas à la classe dominante. La haine de l'université contre Jeanne d'Arc est la même qui avait associé les docteurs aux bouchers, les intellectuels aux cabochiens. L'odieux du procès et de la condamnation doit équitablement se partager entre les Anglais et leurs serviteurs français, du parti bourguignon, le parti de l'Angleterre, le parti de l'étranger (Bainville,Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 122).Dans un monde brutalement divisé en maîtres et en serviteurs, il faut enfin avouer publiquement une alliance longtemps cachée avec les maîtres, ou proclamer le ralliement au parti des serviteurs. Aucune place n'est laissée à l'impartialité des clercs (Nizan,Chiens garde, 1932, p. 239). − P. métaph. Dumas fils disait: « L'argent est un bon serviteur et un mauvais maître ». Ne pas se subordonner à l'argent. Il est magnifique de l'avoir et d'en user; il est détestable de vivre pour l'avoir (Barrès,Cahiers, t. 11, 1917, p. 308). C. − Vx. [Dans des formules de politesse ou pour prendre congé] J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur. Ma femme, Monsieur, me charge de vous dire de sa part mille choses obligeantes (Courier,Lettres Fr. et Ital., 1821, p. 901).Vos trois hôtes vous renouvellent leurs remerciements et vous prient de faire accepter leurs hommages à Mmede La Morvonnais. Votre dévoué serviteur et ami respectueux (M. de Guérin,Corresp., 1833, p. 98). ♦ Serviteur! [Interjection exprimant un départ précipité] Quand on fut sorti de la charmille, Bouvard, pour étonner son monde avec l'écho, cria de toutes ses forces: − « Serviteur! Mesdames! » Rien! Pas d'écho (Flaub.,Bouvard, t. 1, 1880, p. 51).Oui! Je comprends, Colonel. Je comprends tout, j'arrangerai. Pas la peine d'expliquer. Je suis maître de la situation. Serviteur! Il raccroche (Ghelderode,Pantagleize, 1934, ii, 5etabl., p. 94). ♦ Vx. Faire un serviteur (à qqn). Faire la révérence. Les enfants mêmes, sur le trottoir, autrefois dressés à lui faire « un beau serviteur », se sauvèrent d'elle (Goncourt,G. Lacerteux, 1864, p. 99). Prononc. et Orth.: [sε
ʀvitœ:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1050 servitor « celui qui sert Dieu » (Alexis, éd. Chr. Storey, 169); 2. gén. 1155 servitur « celui qui est au service de qqn » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 10458); 3. 1564 formule de politesse (à la fin des lettres) votre tres humble et tres obéissant serviteur (Thierry d'apr. FEW t. 11, p. 547a); 1608-13 formule de civilité (Régnier, Sat., III ds Littré); 4. 1680 (Rich.: Serviteur. Ce mot se dit en parlant à de petis enfans et veut dire révérence [Faites serviteur à Monsieur, C'est à dire, baisez la main et faites lui la révérance]); faites serviteur qualifié de « vieille loc. » dep. Lar. 19e. Empr. au b. lat. des inscriptionsservitor, -oris « serviteur de Dieu », « fidèle serviteur d'un saint; desservant d'une église », et « servant (à table dans un monastère) » ca 530 ds Blaise Lat. chrét., formé sur le supin servitum de servire, v. servir. Fréq. abs. littér.: 2 626. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 5 446, b) 4 120; xxes.: a) 3 357, b) 2 293. Bbg. Richard (W.) 1959, p. 116, 118, 120. − Vardar Soc. pol. 1973 [1970], p. 306. |