| SAVATE, subst. fém. A. − 1. Chaussure, pantoufle usée. Vieilles savates; savates de cuir, de lisière; être en savates, les pieds nus dans des savates. [Germinie] portait des robes tachées de graisse et déchirées sous les bras, des tabliers en loques, des bas troués dans des savates avachies (Goncourt, G. Lacerteux, 1864, p. 173).Des locataires, en savates, en peignoirs, l'un d'eux sans veston ni gilet et les pieds nus dans des souliers non lacés, s'interrogeaient avidement (Arland, Ordre, 1929, p. 431).V. avachi II A ex. 1. − Locutions ♦ Traîner la savate, ses savates. Marcher lentement, dans une attitude de laisser-aller. Sur le carreau, glissèrent des pas mous: un élève, hirsute, débraillé, traînant la savate et balançant un litre au bout de son bras, dévisagea Antoine et passa (Martin du G., Thib., Sorell., 1928, p. 1163).Au fig. Mener une vie de vagabondage et, p. méton., une vie misérable, médiocre. Moi, jusqu'à trente-huit ans, j'ai traîné mes savates de petit avocat, au fond de ma province (Zola, E. Rougon, 1876, p. 77).Nos curés de campagne, réduits pour vivre à exercer les plus vils métiers, traînent la savate et mangent des rognons (France, Île ping., 1908, p. 392). ♦ Traîner, mettre sa/la savate dans un lieu. Aller dans un lieu, le fréquenter. Synon. mettre les pieds (v. pied), traîner ses guêtres (v. guêtre).De ma vie je n'avais mis la savate là-dedans (...). Il y avait des équipages devant la porte et, dans le gaz bleu, la salle miroitante où nous entrâmes était toute en battements d'éventails (Giono, Roi sans divertiss., 1947, p. 315).Voir Delvau 1866, p. 382. − Anciennement. Jeu de la savate. ,,Amusement populaire qui consiste à faire passer une savate de main en main dans un cercle de joueurs, tandis qu'une personne placée au milieu s'efforce de la saisir`` (Ac. 1878). 2. P. anal. Chaussure sans quartier ou dont le quartier est rabattu. Synon. babouche.Mettre ses souliers en savate(s). En jupe et en peignoir, bras nus, avec des cheveux noirs à la diable sur la nuque, chaussées de savates orientales à broderies d'or, qui montraient les chevilles et les bas de soie, elles avaient l'air (...) des figures immorales d'une peinture symbolique (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Marquis de F., 1886, p. 69).Il marche sur le contrefort de ses chaussures. Il transforme tout de suite un chausson en savate, en babouche (Duhamel, Désert Bièvres, 1937, p. 234).V. maillot B 2 b ex. de Bourget. 3. P. anal. ou au fig., fam., péj. a) Personne maladroite ou incapable; imbécile, nullité. M. Marc Ribert m'enseignait que Racine était une perruque et une vieille savate (France, Vie fleur, 1922, p. 374).Finalement, le gentilhomme quitta le restaurant en traitant Bigne de vieille savate (Aymé, Puits, 1932, p. 80).V. pantoufle B 1 ex. de Duhamel. − (Faire qqc.) comme une savate. Très mal. Synon. comme un pied, comme un sabot.Il paraît que je joue comme une savate, et M. Arrow, qui ne badine pas avec le bridge, ne me l'a pas envoyé dire (Hermant, M. de Courpière, 1907, 3, V, p. 24).Le grand Fred, l'illustre, le fameux, l'immense Fred... l'unique Fred raisonne comme une savate!... (G. Leroux, Myst. ch. jaune, 1907, p. 47). b) ,,Ouvrage mal fait, chose abîmée, gâchée`` (Delvau 1883). C'est de la savate. Cet ouvrage est de la vraie savate (Besch. 1845-46). B. − P. méton. 1. Vx., arg. des Postes. ,,Facteur de campagne`` (Raymond 1832; dict. xixes.). Les savates s'appellent aujourd'hui Piétons (Ac.1835, 1878). 2. SPORTS. Lutte à coups de pied en vogue surtout au xviiies. et au début du xixes. Tirer la savate; tireur de savate. Il était toujours souple, adroit, possédait les mêmes nerfs d'acier, et n'avait point oublié, en apprenant l'escrime, l'art de la savate, qui est la véritable escrime du gamin de Paris (Ponson du Terr., Rocambole, t. 2, 1859, p. 135).Les principaux coups de la savate furent au milieu du siècle [le XIXes.], adoptés par la boxe française, qui les combinait avec les coups de poing (Petiot1982).V. boxe ex. de Cladel et chausson A 2 ex. de Van der Meersch. − P. métaph. L'attention, les oreilles, les âmes, l'abonné, la société, tombèrent aux cancans, aux médisances, aux calomnies, à la curée des basses anecdotes, à la savate des personnalités, aux lessives de linge sale, à la guerre servile de l'envie (Goncourt, Ch. Demailly, 1860, p. 23). 3. Châtiment infligé autrefois à un soldat (ou, p. ext., à un confrère de certaines corporations), par ses camarades qui, à tour de rôle, appliquaient sur les fesses dénudées de la victime un coup de soulier ferré. Passer à la savate, recevoir la savate. Il fut reconduit au régiment où la savate lui fut administrée avec tant d'énergie, qu'il passa immédiatement du lieu de l'exécution à l'hôpital (Raban, Marco Saint-Hilaire, Mém. forçat, t. 1, 1828-29, p. 29).Déjà les voleurs se rapprochaient d'Andrea; les uns se disaient: − La savate! la savate! Cruelle opération qui consiste à rouer de coups non pas de savate, mais de soulier ferré, un confrère tombé dans la disgrâce de ces messieurs (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 644). C. − P. anal., MAR. 1. ,,Pièce de bois sur laquelle repose le navire au moment de son lancement`` (Gruss 1952). La savate coulisse dans le chemin de glissement et est suffisamment lestée pour se détacher de la quille et couler lorsque le bâtiment flotte (Gruss1952). 2. Morceau de bois dur et plat, excavé sur l'une de ses faces, destiné à recevoir le bec d'une ancre pour le garantir quand il repose sur un quai ou pour l'empêcher de percer quand l'ancre repose sur le bordage ou sur le pont du navire (d'apr. Will. 1831 et Jal1). Synon. semelle. Prononc. et Orth.: [savat]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1200 chavate « vieille chaussure » (Aiol, éd. J. Normand et G. Raynaud, 2766); ca 1225 çavate (G. de Coincy, Miracles de Nostre Dame, éd. V. F. Koenig, t. 4, p. 203, 44 [II Mir. 23]); xives. savate (Dit Robert le Diable, éd. K. Breul, 588 ds T.-L., s.v. çavate); b) 1748 traîner la savate « vivre misérablement » (Caylus, Mém. de l'Ac. des colporteurs, Hist. de C. Cuisson, p. 87: à traîner la savate et à courir les ruës); 2. a) 1508 terme de dédain (E. d'Amerval, Diablerie, éd. Ch.-F. Ward, f o31a: Tous ces beaulx escumeurs de mer, Qui ne vallent pas deux savates); b) 1640 fig. savatte « personne maladroite » (Oudin Curiositez); 3. a) 1808 se battre à coups de savatte « se battre à coups de pied » (Hautel); b) 1828-29 « forme de lutte » (Vidocq, Mém., t. 1, p. 206: le célébre Jean Goupil, le Saint-Georges de la savatte); 1828-29 (Id., ibid., t. 3, p. 374: la savate); 4. 1842 « chaussure neuve ou vieille dont le quartier est rabattu » (Ac. Compl.). B. 1. 1617 savatte mar. « morceau de bois sur lequel on fait reposer le bec d'une ancre posée à terre (déf. FEW t. 21, p. 536a) » (De Beaurepaire, La Vicomté de l'eau de Rouen, p. 380 ds Romania t. 35, p. 397: les banquarts, savattes et cordages servants au dit poids); 1831 savate (Will.); 2. 1871 « pièce de bois placée sous la quille d'un navire qu'on veut lancer » (Littré). Orig. obsc. (FEW t. 21, pp. 535-538; Baldinger Etymol. 1 1988, n o1916). Fréq. abs. littér.: 220. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 79, b) 508; xxes.: a) 558, b) 259. Bbg. Charencey (De). Romanica. B. Soc. Ling. 1901-1903, t. 12, p. CXXJ. − Meier (H.). Lateinisch-romanische Etymologien. Wiesbaden, 1981, p. 47. − Quem. DDL t. 9, 19, 28 (s.v. tireur de savate). − Sain. Arg. 1972 [1907] p. 257. |