| SATIÉTÉ, subst. fém. A. − État d'une personne dont la faim est entièrement satisfaite, qui est rassasiée jusqu'au dégoût. Synon. réplétion.Boire, manger jusqu'à satiété. Le genièvre m'écœure (...). Mon écœurement ressemble à celui de la satiété, d'une horrible satiété. L'odeur suffit. J'ai l'impression que ma langue se gonfle dans ma bouche, comme une éponge (Bernanos, Journal curé camp., 1936, p. 1196).Les cuisiniers (...) mettent à leurs préparations un art qui fait accepter quatre et cinq plats de suite, sans qu'aucun paraisse moins bon que le précédent, et sans que la satiété tue l'appétit (Faral, Vie temps st Louis, 1942, p. 174). B. − P. anal. ou au fig. 1. État d'une personne dont les désirs, les aspirations, les passions sont comblés. Ce visage d'enfant sur lequel le temps n'avait pas mordu portait le signe d'une malédiction: comme s'il n'était rien de si triste que d'être comblé de plaisirs, comme si la satiété ressemblait à une maladie (Mauriac, Journal 2, 1937, p. 187).La mort ne vient pas du manque et de la pauvreté, mais de la plénitude et de la satiété (J. Vuillemin, Essai signif. mort, 1949, p. 292). 2. État de lassitude ou de dégoût qui suit l'assouvissement d'un désir, d'une passion. Je puis dire que mon existence ne fut qu'un long désir. J'aime désirer; du désir j'aime les joies et les souffrances. Désirer avec force, c'est presque posséder. Que dis-je? C'est posséder sans dégoût et sans satiété (France, Pt Pierre, 1918, p. 273).Le jeu est activité de luxe et qui suppose des loisirs. Qui a faim ne joue pas. En second lieu (...), il reste à la merci de l'ennui, de la satiété ou d'un simple changement d'humeur (Jeux et sports, 1967, p. x). − Dans le domaine des sens.Votre adversaire vous tend le plus sournois de ses pièges. Il cherche à vous persuader que vous n'arriverez à rien, tant que vous ne vous livrerez pas aux plus répugnantes des débauches. Il tâche de vous convaincre que c'est la satiété et le dégoût seuls de ces actes qui vous ramèneront à Dieu (Huysmans,En route, t. 1, 1895, p. 135).La jeunesse se passe à aimer des êtres qu'on ne peut posséder que mal (par timidité), et l'âge mûr à posséder des êtres qu'on ne peut aimer que mal (par satiété) (Montherl., Pitié femmes, 1936, p. 1159). − [P. méton. du suj.] Pourquoi nous achetons avec un vrai transport Tant de meubles rocaille, Et pourquoi dans le lit, lorsque l'amour s'endort, La satiété bâille? (Banville, Cariat., 1842, p. 174). − En partic. Inappétence sexuelle. Je vis Hadrienne; je me persuadai (...) qu'elle me plaisait et je me forçai à l'aimer. Sa longue résistance amassa en moi une somme de désirs que sa possession mit environ une année à épuiser. La lassitude vint d'abord, puis la satiété, puis le dégoût (Du Camp, Mém. suic., 1853, p. 96).Au soir du mariage, la femme était vêtue de l'habit d'un homme, et chaque fois, ensuite, elle devait être saisie à la dérobée, par une violence furtive, tant le législateur redoutait la mollesse et la satiété (Barrès, Voy. Sparte, 1906, p. 198). 3. État d'indifférence proche du dégoût ou de l'aversion. Synon. saturation.Satiété du monde. Ce n'était plus l'ennui vague, la satiété somnolente qui attristait parfois les anciennes réunions; c'était maintenant de la férocité dans la lutte, un besoin de détruire (Zola, L'Œuvre, 1886, p. 362): Il est, dans la vie, des âges où s'opère, au fond de l'organisme, un sourd travail de transformation; alors, le corps et l'âme sont plus livrés aux atteintes du dehors; l'esprit se sent affaibli, une tristesse vague le mine, une satiété des choses, un détachement de ce qu'on fait, une incapacité de voir encore ce qu'on pourra faire d'autre.
Rolland, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1340. 4. Loc. adv. À satiété a) Jusqu'à satisfaction totale, sans restriction. Avoir d'une chose à satiété. Mais les femmes caressées à satiété n'ont besoin de rien, ne désirent rien, ne regrettent rien. Elles rêvent, tranquilles et souriantes (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Caresses, 1883, p. 624). ♦ Boire à satiété. (Ds Rob. 1985). Synon. boire tout son soûl*, jusqu'à plus soif*. b) En surabondance, à l'excès, jusqu'au dégoût. Manger à satiété. Plutôt que de reproduire jusqu'à satiété les mêmes œuvres maîtresses (...), il faut souhaiter que les éditeurs s'intéressent à des œuvres moins connues (Civilis. écr., 1939, p. 26-15).Chez Poncelet, un des procédés systématiques de démonstration, employé à satiété, consiste à ramener par projection les propriétés des coniques à celles du cercle (Bourbaki, Hist. math., 1960, p. 138). c) Répéter (ou verbe du même paradigme) à satiété. Répéter inlassablement, sans cesse, jusqu'à lasser. Il demande des capitaux pour les pauvres travailleurs, comme si la misère des travailleurs ne venait pas de la concurrence des capitaux entre eux, aussi bien que de l'opposition factice du travail et du capital (...); comme si enfin, redisons-le sans cesse, redisons-le jusqu'à satiété, il s'agissait d'autre chose désormais que d'une synthèse de tous les principes émis par la civilisation (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 256).Droit politique égal implique nécessairement un égal droit social. On a répété à satiété: « Il n'y a plus de classes; depuis 1789, tous les Français sont égaux devant la loi » (L'Opinion nationale, 17 févr. 1864ds Doc. hist. contemp., p. 23). Prononc. et Orth.: [sasjete]. Ac. 1694, 1718: satieté; dep. 1740: satiété. Étymol. et Hist. 1. 1remoit. xiies. « état moral de dégoût pour une chose » (Psautier d'Oxford, 105, 15 ds T.-L.); 1827 à satiété (Stendhal, Corresp., Lettre à A. de Mareste, éd. H. Martineau et V. del Litto, t. 2, p. 129, éd. de la Pléiade); 1834 répéter à satiété (Balzac, E. Grandet, p. 302); 2. ca 1530 manger jusqu'à satiété « état de quelqu'un complètement rassasié » (Lefèvre d'Étaples, Bible, éd. H. Kunze, p. 81). Empr. au lat.satietas « rassasiement, satiété, dégoût, ennui », « quantité suffisante ». Fréq. abs. littér.: 269. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 408, b) 420; xxes.: a) 332, b) 370. |