| SACRIFIER, verbe trans. A. − [Corresp. à sacrifice A] 1. RELIG. Qqn sacrifie qqc. à qqn.Offrir en sacrifice. Synon. immoler.Sacrifier un agneau, une victime (sur l'autel d'un dieu). Dans ces fêtes barbares, six sacrificateurs étaient chargés de l'horrible fonction de sacrifier aux dieux des milliers de captifs (Dupuis, Orig. cultes, 1796, p. 420).Demain, à la fin des temps, Mithra viendra de nouveau sacrifier un taureau divin. Et du sacrifice ne sortira plus cette fois la vie terrestre mais la résurrection des corps et des âmes, avec les châtiments et les félicités éternels (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 432). − Empl. abs. Offrir un sacrifice, des sacrifices. La femme [romaine] n'a plus rien de commun avec la religion domestique de ses pères; elle sacrifie au foyer du mari (Fustel de Coul., Cité antique, 1864, p. 45).Faire retentir une prière juive au pied de la colline sacrée où sacrifiait David? (Tharaud, An prochain, 1924, p. 59). − Empl. pronom. réfl. S'offrir en sacrifice. Se sacrifier (à Dieu). Jésus se sacrifie en toute vérité quand, dès le premier instant, il s'offre pour l'autel (...) et se soumet à la souffrance (Bremond, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 677). ♦ P. anal. [Dans le lang. mystique] Se consacrer à la vie religieuse, entrer dans les ordres. Maintenez-la dans la sainte résolution qu'elle vient de témoigner solennellement, en demandant à se sacrifier à Dieu, en qualité de victime (Huysmans, En route, t. 1, 1895, p. 212). − [Avec effacement du compl. dir.] Sacrifier à.Offrir un/des sacrifices à. Sacrifier aux idoles. [Le roi] négligeait de sacrifier au dieu Phthâh, et n'envoyait plus d'offrandes à la déesse de Tafné (Du Camp, Nil, 1854, p. 71).Ces soldats chrétiens qui, sommés par l'empereur romain de sacrifier aux dieux, ne voulurent ni céder ni se révolter et acceptèrent le martyre (Barrès, Greco, 1911, p. 25). 2. Au fig., littér. Qqn sacrifie à qqn/qqc. a) Sacrifier aux grâces. V. grâce III A 2 b. b) Sacrifier à Vénus (p. plaisant.). [Le suj. désigne un homme] Avoir des relations sexuelles avec une femme. De Morny (...) qui ne couchait jamais avec une femme, mais qui, tous les matins (...) sacrifiait à Vénus avec une visiteuse enjuponnée (Goncourt, Journal, 1886, p. 597).Quoiqu'il en paraisse et malgré mes trente-six ans, je n'ai point encore sacrifié à Vénus! (Giraudoux, Folle, 1944, i, p. 56). c) [Avec parfois une nuance de blâme] Être dépendant de, être sous l'emprise de, se soumettre ou se conformer à. Sacrifier au devoir, au goût du jour, à des intérêts, à la mode, à un sentiment. Alexandre sacrifia aussi à la peur avant la bataille d'Arbelles (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 2, 1821, p. 43).L'auteur est un écrivain de grande qualité, mais c'est lui qui a eu la « trouille », il a sacrifié au goût du public (Green, Journal, 1950, p. 344). B. − [Corresp. à sacrifice B] Qqn sacrifie qqn/qqc. (à qqn/qqc., pour qqn/qqc.) 1. [L'obj. désigne un animé] a) Vouer quelqu'un à la mort ou le laisser aller à sa perte, au bénéfice d'autres personnes ou d'un intérêt supérieur. Sacrifier l'individu à l'espèce; sacrifier qqn au bien de l'État; sacrifier des combattants, des soldats. Pétain, ça se sait, ne veut pas qu'on sacrifie les hommes (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 278).Une mission sacrifiée... Je vous demande un peu s'il est sensé de sacrifier un équipage pour des renseignements dont personne n'a besoin (Saint-Exup., Pilote guerre, 1942, p. 277).V. commende A ex. de Chateaubriand. − ÉCON. [L'obj. désigne un animal] L'abattre pour la consommation ou en cas d'accident ou de maladie. Si le cal doit gêner, voire même empêcher la sortie du fœtus, il faut sacrifier la jument, la vache ou la chienne (Garcin, Guide vétér., 1944, p. 153).Au repas du soir (...) on sacrifie (...) l'oie que l'on engraisse pour cette occasion (Menon, Lecotté, Vill. Fr., 1, 1954, p. 88). b) Négliger au profit de quelqu'un ou de quelque chose d'autre. Synon. négliger.Sacrifier un ami; sacrifier sa famille à son métier. Ce théâtre (...) a maladroitement ou à dessein amorti Madame Dorval, notre première tragédienne, et l'a complètement sacrifiée à Mademoiselle Georges (Mussetds R. des Deux Mondes, 1832, p. 642).Les hommes regardent ma décoration et Marinette. Quand elle passe d'un côté et moi de l'autre, ils me sacrifient pour ne regarder qu'elle, qui est un peu décolletée (Renard, Journal, 1902, p. 781). c) Empl. pronom. réfl. − Donner sa vie pour quelqu'un ou quelque chose. Se sacrifier à qqn; se sacrifier à l'honneur, à la Patrie; se sacrifier pour sauver qqn. « Se sacrifier à un autre! » Chose étrange, inouïe, qui scandalisera l'oreille de nos philosophes. « S'immoler à qui? À un homme, qu'on sait valoir moins que soi (...) » (Michelet, Peuple, 1846, p. 304).Au cours de l'histoire des grandes nations, beaucoup d'individus se sont sacrifiés pour le salut de leur pays (Carrel, L'Homme, 1935, p. 347). − Se dévouer, faire le sacrifice de soi. Se sacrifier pour ses enfants, pour un idéal; se sacrifier avec joie, de grand cœur, sans regret. Décidée à se sacrifier pour rétablir la tranquillité domestique, elle ne craignait aucune espèce d'inquisition (Champfl., Bourgeois Molinch., 1855, p. 283).Amour qui n'était pas un désir charnel, mais un besoin de se sacrifier, d'admirer, de se sacrifier pour ce qu'on admire (Maurois, Ariel, 1923, p. 268). ♦ Empl. réciproque. Quand on aime, on se sacrifie l'un à l'autre (Rolland, J.-Chr., Adolesc., 1905, p. 347). ♦ Absol. Il faut se sacrifier. − (...) Mais, mon cher, il faut être aveugle pour ne pas voir qu'elle t'aime. − Alors Alissa... − Alors Alissa se sacrifie (Gide, Porte étr., 1909, p. 537). 2. [L'obj. désigne un inanimé] Renoncer à un bien ou à une valeur auquel on tient au profit d'une personne ou d'une valeur supérieure; subordonner une valeur à une autre. a) [L'obj. désigne un inanimé le plus souvent abstr.] Sacrifier à Dieu sa haine, son ressentiment, sa vengeance (Ac.). Dût-il m'en coûter la moitié des jours qui me restent et la moitié de ma fortune, je sacrifierais tout pour la rendre heureuse (Balzac, Lys, 1836, p. 240): 1. Des employés amateurs sacrifiant à leur coupable fainéantise la dignité de leurs fonctions, jusqu'à laisser choir dans la déconsidération publique et dans le mépris sarcastique de la foule l'antique prestige des administrations de l'État!
Courteline, Ronds-de-cuir, 1893, 1ertabl., 2, p. 35. SYNT. Sacrifier l'amour à l'ambition, au devoir; sacrifier l'avenir au présent; sacrifier l'intérêt général aux intérêts particuliers; sacrifier son bonheur, son existence, sa gloire, ses intérêts, ses sentiments, sa vie à qqn, à qqc.; sacrifier un plaisir, son repos à qqn, à qqc. − [Sans compl. second] Sacrifier ses loisirs. Quand j'ai appris que Jacques ne pouvait se lever entre nous, j'ai faibli, je n'ai pas eu le courage de sacrifier mes tendresses (Zola, M. Férat, 1868, p. 150).Il crut qu'en sacrifiant ses plaisirs et sa liberté [en se mariant], il ferait naître en lui un homme neuf, solidement convaincu de ses devoirs et de ses droits (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p. 348). − Absol. Ils se sentent lourds de la richesse de tous les possibles, et décider, c'est choisir, choisir c'est sacrifier, renoncer (Mounier, Traité caract., 1946, p. 416). − En partic. Sacrifier son temps à qqn, à qqc. Consacrer son temps à quelqu'un, à quelque chose. Sacrifier ses vacances à un travail. Je me crois obligée à vous donner une soirée en échange de celle que vous m'avez sacrifiée (Balzac, Illus. perdues, 1837, p. 110).Toujours je l'ai connu prêt à me sacrifier une heure, deux heures, et davantage, parfois des journées entières pour m'expliquer n'importe quoi (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 424). b) [L'obj. désigne un inanimé concr.] Les femmes qui sacrifient résolument leur visage à la sveltesse de leur taille et ne quittent plus Marienbad (Proust, Fugit., 1922, p. 665): 2. L'histoire de la mode doit enregistrer une des bizarreries du temps: les cheveux rasés de la main du bourreau, dans ce qu'on appelle la toilette du condamné, furent mis en vogue, comme fantaisie de la parure du jour. Les élégantes sacrifièrent leur chevelure pour se coiffer « à la victime », « à la sacrifiée ».
Stéphane, Art coiff. fém., 1932, p. 153. − [Sans compl. second] Sacrifier sa barbe, une pièce (d'habitation), une plante. Après avoir sacrifié vingt fois son navire, il aperçut la mer, qui s'ouvrait largement dans le sud-ouest. Le détroit existait (Verne, Enf. cap. Grant, t. 2, 1868, p. 43).On démolit bientôt chez soi [pour se chauffer]. On sacrifia une chaise, un escabeau, une vieille table, une malle, une caisse à linge (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 335). c) Spécialement − ARTS, LITT. Éliminer, réduire ce qui est accessoire en particulier pour faire valoir l'ensemble. Sacrifier une mise en scène, le rôle d'un personnage. Toutes les substitutions ont leur but, relatif généralement à la composition, et je n'ai pas hésité à sacrifier des vers qui me semblaient d'une jolie peinture (Mallarmé, Corresp., 1866, p. 211).Le goût tend ici à assurer la ligne et à sacrifier la couleur, dont les Japonais ont laissé de frappants exemples (Alain, Beaux-arts, 1920, p. 286). − COMM. Sacrifier une marchandise. Vendre à prix très bas. Synon. brader, solder.Le tailleur anglais de Paris (...) sacrifie ses plus beaux tailleurs de dames coupés dans ses ateliers (Le Figaro, 19-20 janv. 1952, p. 3, col. 5).Au part. passé. Remarquez, tout ça partait d'un bon sentiment, confie un maire rouergat. L'État voulait nous fournir des projets types, du prêt à municipaliser à des prix sacrifiés (Le Point, 30 oct. 1978, p. 76, col. 2). − JEUX (échecs, dames, cartes). Sacrifier une pièce de jeu, une carte. Perdre une pièce de jeu, une carte délibérément pour s'assurer par la suite un avantage (notamment de position) ou quelque opportunité tactique. P. anal. Nancy n'a pas hésité à sacrifier une pièce du jeu pour sauver cela, à recourir au dernier moyen dont elle disposait, sa propre vie dégradée, et perdue (Camus, Requiem, 1956, 2epart., 6etabl., p. 902). Prononc. et Orth.: [sakʀifje], (il) sacrifie [-fi]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1119 abs. « offrir un sacrifice à la divinité » (Philippe de Thaon, Comput, éd. E. Mall, 2249); 2. a) ca 1145 « rendre quelqu'un victime de quelque dessein ou de quelque intérêt » (Wace, Conception N.D., éd. W. R. Ashford, 405); b) 1668 se sacrifier (La Fontaine, Fables, VII, I, éd. H. Régnier, t. 2, p. 96); 3. 1674 fig. (Racine, Iphigénie, IV, 4: Cruel! C'est à ces dieux [l'orgueil et l'ambition] que vous sacrifiez); 4. 1875 arts (Lar. 19e). Empr. au lat.sacrificare (de sacrum, neutre de sacer « ce qui est sacré » et facere « faire ») littéral. « accomplir une cérémonie sacrée » d'où « offrir en sacrifice à une divinité ». Fréq. abs. littér.: 2 270. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4 214, b) 2 396; xxes.: a) 3 003, b) 2 964. |