| RÉCONCILIER, verbe trans. A. − 1. Remettre d'accord, en harmonie des personnes qui étaient brouillées. Synon. rabibocher (fam.), raccommoder.Réconcilier des adversaires, des ennemis; réconcilier un ménage. L'enterrement même a du bon: il réconcilie les familles (Renard,Journal, 1904, p. 884).Nous poussâmes la porte du café et, dès l'entrée, j'aperçus Bouffioux et Fouillard attablés devant des litres vides. Une cuite les avait réconciliés (Dorgelès,Croix de bois, 1919, p. 188). − Réconcilier qqn avec qqn.Méline, par les voies de la persuasion, réconcilie la Chambre avec le gouvernement du canon (Clemenceau,Iniquité, 1899, p. 232).Frédéric II avait espéré que la récupération de Jérusalem le réconcilierait avec les autorités religieuses (Grousset,Croisades, 1939, p. 331). − Réconcilier qqn et qqn.Dans cet heureux monde, Juliette et Roméo ne meurent point et réconcilient Montaigus et Capulets (Lemaitre,Contemp., 1885, p. 138). − Proverbe, part. passé adj. Il ne faut pas se fier à un ennemi réconcilié. V. ami ex. 2. 2. Au fig. a) Réconcilier qqn avec qqc. ou qqn.Inspirer des opinions plus favorables sur quelque chose ou quelqu'un, faire revenir quelqu'un sur une prévention, une hostilité. Les salsifis de Cuverville sont épatants; ils me réconcilient avec ce légume (Valéry,Corresp.[avec Gide], 1906, p. 411).François de Séryeuse, auprès de ce vieux cercle, jouissait d'un assez grand prestige: il le réconciliait avec la jeunesse (Radiguet,Bal, 1923, p. 60). ♦ Réconcilier qqn à (vieilli).Ces jeunes générations, aimables et confiantes, qui croyaient en moi, me réconcilièrent à l'humanité (Michelet,Peuple, 1846, p. 34). ♦ Réconcilier qqn avec la vie. Rendre à quelqu'un l'amour, le goût de la vie. Nulle part elle ne trouve un asile, elle qui en avait tant donné. Mais quand ses injures sont réparées, elle n'en est pas plus réconciliée avec la vie (Montalembert,Ste Élisabeth, 1836, p. lxxx).Et puis la vie elle-même, si mauvaise soit-elle, vous réconcilie avec la vie (Guéhenno,Journal homme 40 ans, 1934, p. 19). ♦ Réconcilier qqn avec lui-même. Remettre quelqu'un en paix avec sa conscience. Un magnifique silence dont je commençai seulement à jouir enveloppait tout; j'en tirai une sorte d'exaltation et d'ardeur à vivre qui me réconcilièrent en quelques instants avec moi-même (Abellio,Pacifiques, 1946, p. 106). b) Réconcilier qqc. avec/et qqc.Accorder des choses qui semblent opposées. Réconcilier le théâtre avec la religion; réconcilier la politique et la morale. Un seul mot suffit à réconcilier l'ombre et la lumière, à faire éclater le rayonnement de l'éternité (Béguin,Âme romant., 1939, p. 195): 1. Ce qui réconcilie la science et la morale, c'est la science de la morale; car en même temps qu'elle nous enseigne à respecter la réalité morale, elle nous fournit les moyens de l'améliorer.
Durkheim,Divis. trav., 1893, p. XLI. 3. RELIG. CATH. a) Admettre dans l'orthodoxie; réunir à (Dieu, l'Église). Réconcilier un hérétique. Le P. Alta est revenu de Russie depuis une semaine; vous savez qu'il veut réconcilier l'église grecque (Péladan,Vice supr., 1884, p. 267). ♦ Réconcilier avec.Rougon n'a jamais pratiqué... J'ai si souvent tenté en pure perte de le réconcilier avec Dieu! (Zola,E. Rougon, 1876, p. 322). ♦ Réconcilier à (vieilli).Ce n'étoit pas les sophistes, c'étoit le monde qu'ils égaroient, qu'il falloit réconcilier à la religion (Chateaubr.,Génie, t. 1, 1803, p. 8). − En partic. Remettre (un pécheur) en état de grâce. N'est-ce rien que d'avoir arraché plusieurs âmes aux griffes de Luther, (...) d'avoir consolé et réconcilié des agonisants (Bloy,Journal, 1897, p. 257).Part. passé subst. Où le Saint-Office montrait ce que vous appelez justement de la philanthropie spirituelle, c'est dans le traitement qu'il infligeait aux « réconciliés » (A. France,Mannequin, 1897, p. 196). − HIST. DE LA RÉVOLUTION FR. Prêtre non réconcilié. Prêtre qui ne s'est pas réconcilié avec l'Église. On remarquait que son front [de Talleyrand], si impassible, se rembrunissait toutes les fois qu'il était question dans les journaux d'un refus de sépulture pour un prêtre non réconcilié (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t. 12, 1869, p. 112). b) Bénir à nouveau selon certains rites, une église, un lieu saint qui ont été profanés. L'exercice public et officiel de la religion catholique avait été rétabli à Utrecht, où commanda M. de Luxembourg; la grande église, le dôme, avait été réconciliée et rendue aux catholiques (Sainte-Beuve,Port-Royal, t. 5, 1859, p. 147). B. − Empl. pronom. 1. a) Se réconcilier avec qqn.Se remettre bien avec quelqu'un. Se réconcilier avec sa famille, avec son voisin. Nous nous disputions, elle pleurait, je m'irritais, nous nous jetions à la tête la suprême insulte: « Tu es bête! » et puis nous nous réconciliions (Beauvoir,Mém. j. fille, 1958, p. 47): 2. Se réconcilier avec une maîtresse adorée qui vous a fait une infidélité, c'est se donner à défaire à coups de poignard une cristallisation sans cesse renaissante.
Stendhal,Amour, 1822, p. 114. ♦ Se réconcilier avec soi-même. Reconquérir la paix intérieure, ne plus être mécontent de soi. Je n'étais que trop tenté de dégoût vis-à-vis de ma propre personne, et je sais le danger d'un tel sentiment qui finirait par m'enlever tout courage. Mon premier devoir, au début des épreuves qui m'attendent, devrait être sûrement de me réconcilier avec moi-même (Bernanos,Journal curé camp., 1936, p. 1244). b) RELIG. CATH. Se réconcilier avec Dieu, avec l'Église, ou absol., se réconcilier. Demander pardon à Dieu de ses péchés et recevoir l'absolution. Mon enfant, dit alors l'abbé, n'éprouvez-vous pas le besoin de vous réconcilier avec Dieu également? (Gide,Robert, 1930, p. 1339). − Part. passé adj. Toute la nuit, bourdonna à ses oreilles la plainte de cette âme qu'il n'avait pas su atteindre, qu'il avait laissée s'enfuir, opiniâtre et non réconciliée (Barrès,Colline insp., 1913, p. 275). 2. Au fig., vieilli ou littér. a) Se réconcilier à.Se rallier à, adhérer à. Le caractère de l'homme est peut-être un peu trop sacrifié, son imprudence est trop grossière, et l'on ne peut se réconcilier à l'idée qu'il accepte la proposition que lui fait sa femme de mourir avec lui (Constant,Journaux, 1804, p. 90). b) Empl. réfl. indir. Se réconcilier qqn.Se concilier quelqu'un de nouveau. Charlotte, que je cherchais ainsi à me réconcilier par la gloire, présidait à mes études (Chateaubr.,Mém., t. 1, 1848, p. 469). Prononc. et Orth.: [ʀekɔ
̃silje], (il) réconcilie [-li]. Ac. 1694, 1718: re-; dep. 1740: ré-. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1165 pronom. « renouer amitié, reprendre des relations » (Troie, éd. L. Constans, 25087: Nos devrions bien racorder O eus e reconciliier); 1253 trans. « rétablir la concorde » (Cout. de la terre de Merk, Ctesd'Artois, 234, Arch. Pas-de-Calais ds Gdf. Compl.: reconsillier [chelui] envers ses parens); b) av. 1715 pronom. se réconcilier avec soi-même (Fénelon, Dial. des morts, éd. 1819, p. 112: il faudroit [...] vous réconcilier avec vous même); 2. a) déb. xiiies. [date var. ms.] trans., relig. « faire revenir à Dieu » (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 6032: li reis Henris fu [...] a Deu reconciliez); 1588 pronom. (Montaigne, Essais, III, 9, éd. Villey-Saulnier, p. 982: je me reconcilie à Dieu); b) 1283 trans. « bénir de nouveau (une église, un cimetière qui ont été profanés) » (Philippe de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon, chap. 43, § 1352: li lieus soit reconciliés); 3. a) 1634 pronom. « se remettre bien avec, être de nouveau favorable à » (Voiture, Lettre 81, éd. A. Ubicini, t. 1, p. 245: [la fortune] se veut réconcilier avec nous); b) 1677 trans. « remettre (quelque chose) en faveur » (Racine, Phèdre, préf.: réconcilier la tragédie avec quantité de personnes); 4. 1668 trans. « accorder (des choses) » (R. de Piles, L'Art de Peint. de Ch. A. Dufresnoy, p. 133: reconcilier [des couleurs]); 5. 1810 réconcilier qqn avec la vie (Chateaubr., Martyrs, t. 2, p. 8); 1823 pronom. (Maine de Biran, Journal, p. 384: pour me réconcilier avec cette vie); 6. 1831 trans. « réunir contre un ennemi commun » (Michelet, Hist. romaine, t. 2, p. 246: ces barbaries réconcilièrent toute la Gaule contre César); 1835 pronom. (Lamart., Voy. Orient, t. 2, p. 116). Empr. au lat.reconciliare « remettre en état, rétablir; ramener; réconcilier, rétablir la concorde, l'amitié », dér. de conciliare (concilier*), préf. re- (re-*). Au sens 2 b, lat. médiév. reconciliare « reconsacrer une église profanée » (fin du viiies. ds Nierm.). Fréq. abs. littér.: 862. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 144, b) 1 078; xxes.: a) 911, b) 1 560. DÉR. Réconciliable, adj.,peu usité. Qui peut être réconcilié. Des sociétés qui ne sont ni spontanément harmoniques, ni réconciliables par des arbitrages incontestables, restent dans une large mesure contradictoires les unes avec les autres (Perroux,Écon. XXes., 1964, p. 329).− [ʀekɔ
̃siljabl̥]. Ac. 1694, 1718: re-; dep. 1740: ré-. − 1reattest. 1585 (P. de Dampmartin, De la connoissance et merveilles du monde et de l'homme, f o111 v o: nous devenons ennemis moins reconciliables de celuy qui s'est efforcé de nous faire un tel desplaisir); de réconcilier, suff. -able*, cf. irréconciliable. BBG. − Jean-Nesmy (Cl.). Laissez-vous réconcilier!... Foi Lang. 1982, n o2, pp. 84-85. |