| RUISSEAU, subst. masc. A. − 1. Cours d'eau d'importance relativement peu considérable par rapport à la rivière. Après avoir circulé dans l'intérieur de la terre, l'eau peut revenir à l'air en formant des sources qui alimentent les ruisseaux et les rivières (Boule,Conf. géol.,1907, p. 13): Quant au Chéliff, qui, quarante lieues plus avant dans l'ouest, devient un beau fleuve pacifique et bienfaisant, ici c'est un ruisseau tortueux, encaissé, dont l'hiver fait un torrent, et que les premières ardeurs de l'été épuisent jusqu'à la dernière goutte. Il s'est creusé dans la marne molle un lit boueux qui ressemble à une tranchée...
Fromentin,Été Sahara,1857, p. 40. SYNT. Étroit, petit ruisseau; large, gros ruisseau; un clair, un frais ruisseau; le cours, le lit d'un ruisseau; l'eau d'un ruisseau; au bord, sur le bord du ruisseau; ruisseau qui coule, qui court, qui serpente. ♦ Loc. proverbiale. Les petits ruisseaux font les grandes rivières. Une accumulation de petites choses peuvent constituer à la longue un ensemble important. Il n'y a rien de futile en ce monde, tout est dans tout, les petits ruisseaux font les grandes rivières, les petites syllabes font des alexandrins, et les montagnes sont faites de grains de sable (Murger,Scènes vie boh.,1851, p. 130).En partic. ,,Plusieurs petites sommes réunies en font une grande`` (Ac. 1835-1935). − P. méton. Lit d'un ruisseau. Le ruisseau est à sec; élargir, curer un ruisseau; creuser un ruisseau (Ac.1798-1878). 2. P. anal. Quantité plus ou moins abondante d'un liquide coulant de façon continue. Des ruisseaux de lave; des ruisseaux de larmes, de sang. Goutte à goutte, de la fenêtre mal jointe, filtre un petit ruisseau brunâtre qui s'allonge sur le parquet, s'allonge, s'allonge et serpente jusqu'à moi (Colette,Dialog. bêtes,1905, p. 128). − Loc. adv. (Couler, verser) en ruisseaux, ou plus rarement, à (longs) ruisseaux. En abondance. Synon. à flots, à torrents.Le vin coulait en ruisseaux, mouillait les pieds (Flaub.,Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 114).Des vieillards, dont le sang coulait à longs ruisseaux (Hugo,Légende, t. 6, 1883, p. 340). 3. P. anal. ou au fig. Ce qui s'étend, se répand, se déverse à la manière d'un fluide, de façon continue et parfois en abondance. a) [Dans l'ordre visuel] Du côté de l'est, les arbres, les guérets, les rochers mêmes verdoyaient à travers le ruisseau de lumière qui, jaillissant du soleil penché, coulait directement à même la terre (Giono,Que ma joie demeure, 1935, p. 161).Délicieux séjour. Ruisseaux de verdure, grappes de collines, cieux sans ombrages (Éluard,Donner,1939, p. 34). b) [Dans l'ordre de ce qui n'est pas perceptible visuellement] Ta robe, fourreau mince et tiède de ta chair, Dont le seul souvenir, effleurant ma narine, Fait couler un ruisseau d'amour dans ma poitrine (Samain,Chariot,1900, p. 96).Il se sentait le cœur riche et plein; cette abondance heureuse se traduisait, comme à l'ordinaire chez lui, par un ruisseau de musique (Rolland,J.-Chr., Maison, 1909, p. 1024). B. − P. anal. 1. [Dans une rue] Eau qui coule sur les côtés ou au milieu de la chaussée avant de se déverser dans les égouts. L'armée des balayeurs balayait. Ils balayaient les trottoirs, les pavés, poussant toutes les ordures au ruisseau (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Avent. paris., 1881, p. 767).J'aime les ruisseaux des rues. Ils coulent sur des pavés et tarissent à une heure fixe, je sais; ils ne naissent pas d'une source. Mais d'un robinet de fonte. Tant pis! On n'a jamais que la poésie qu'on mérite (Duhamel,Confess. min.,1920, p. 86). ♦ En compos. Saute-ruisseau*. − P. méton. ♦ Partie de la rue où coule cette eau; petit canal à ciel ouvert pratiqué sur les bords ou au milieu d'une chaussée pour permettre l'écoulement des eaux et le nettoyage des rues. Synon. caniveau, rigole.Un ruisseau est composé de pavés appelés jumelles et contre-jumelles (Chabatt. 21876).Les paveurs n'ont pas donné assez de pente au ruisseau. Il n'y a pas une goutte d'eau dans le ruisseau (Ac.1798-1935).Ruisseau en biseau. Ruisseau de rue qui n'a ni caniveau ni contre-jumelles. (Ds Lar. 19e-Lar. encyclop.). ♦ La rue elle-même. De ces hommes [qui recherchent la puissance], il en est parmi les pauvres comme parmi les riches et le misérable qui cuve au ruisseau son ivresse est peut-être plein des mêmes rêves que César endormi sous ses courtines de pourpre (Bernanos,Journal curé camp.,1936, p. 1080). 2. Au fig. a) [Concernant des personnes, symbole de situation misérable et dégradante] La misère (...) Pierre alors la connut (...) Cela commença par ces petits êtres qu'il ramassait sur le trottoir (...) Souvent le père avait disparu, la mère se prostituait, l'ivrognerie et la débauche étaient entrées au logis avec le chômage; et c'était la nichée au ruisseau, les plus jeunes crevant de faim et de froid sur le pavé, les autres s'envolant pour le vice et le crime (Zola,Rome,1896, p. 5).Si je suis l'amant d'une femme du dernier acabit, d'une traînée de ruisseau, où est l'unité de style dans les « scènes » que nous pouvons voir ensemble? (Montherl.,Notes théâtre,1954, p. 1075). SYNT. Enfant, fille du ruisseau; être, rouler, tomber au ruisseau; sortir du ruisseau; jeter qqn au ruisseau; tirer qqn du ruisseau; ramasser qqn dans le ruisseau. b) [Concernant des choses, surtout dans des loc.] ♦ [Comme compl. d'un nom désignant des écrits, des paroles, une œuvre] De ruisseau, du ruisseau. Qui a un caractère de trivialité, de vulgarité; qui semble émaner du bas peuple ou lui être destiné. J'estime que, pour être vraisemblable et simplement possible, une action de ballet doit se détacher de la réalité. D'ailleurs, qu'elle le veuille ou non, elle le fera, sinon elle ne sera plus dansée. Il existe, à l'heure actuelle, une tendance chorégraphique qu'Emile Vuillermoz a fort justement définie comme étant celle d'un réalisme de ruisseau (Lifar,Traité chorégr.,1952, p. 47). ♦ ,,Cette chose est traînée dans le ruisseau, traîne dans le ruisseau (Ac. 1798-1878). Elle est triviale, commune, elle ne mérite pas d'être dite`` (Ac. 1798-1878). ♦ ,,Cette nouvelle est ramassée dans le ruisseau. Elle a été prise dans les rues, dans le bas peuple`` (Ac.1798-1878). ♦ Jeter qqc. au ruisseau. La dégrader, l'avilir ou la rejeter comme une chose méprisable. Je fis le tableau en quatre mots: la Constitution jetée au ruisseau; l'Assemblée menée à coups de crosse en prison... (Hugo,Hist. crime,1877, p. 147).Victor Hugo triomphant, c'était le laid et le sale qui allait tout envahir et jeter les lettres au ruisseau (Zola,Nos aut. dram.,1881, p. 71). REM. Ru(i)sson,(Russon, Ruisson) subst. masc.,région. (Vendée, Charentes). ,,Petit canal alimenté par un chenal (...) dont l'eau se déverse dans les claires ou les salines`` (Réz. Ouest 1984). La plupart des marais sont alimentés par des chenaux, dont certains envasés ont été réduits à l'état de russons ou ruissons (P. Tardy,1972,ibid.). Prononc. et Orth.: [ʀ
ɥiso]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Mil. xiies. russeals « petit cours d'eau » (Psautier de Cambridge, 64, 10 ds T.-L.); 1640 proverbe les petits ruisseaux font les grandes rivieres (Oudin Curiositez); 2. a) ca 1155 ruissel « ce qui paraît couler sans fin » (Wace, Brut, 12973 ds T.-L.); b) 1573-75 p. métaph. et fig. un ruisseau de perles (Inv. Ste Chapelle in Mém. Soc. Hist. Paris, XXXV, 246 ds IGLF); 3. fin xives. « eau qui coule le long d'un trottoir » (Eustache Deschamps, III, 305 ds Gdf. Compl.); d'où péj. a) 1668 (Molière, Femmes Savantes, 520: De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles); b) 1remoit. xviiies. laisser qqn dans le ruisseau (Saint-Simon, 320-178 ds Littré). Du lat. pop. *rivuscellus, dimin. de rivus « petit cours d'eau » (v. ru), de même formation que *ramuscellus v. rinceau. Fréq. abs. littér.: 2 633. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4 420, b) 4 120; xxes.: a) 3 654, b) 3 020. Bbg. Cohn (G.). Arch. St. n. Spr. 1899, t. 103, n o3, p. 240. − Foerster (W.). Étymol. Z. rom. Philol. 1881, t. 5, pp. 96-97. − Foulet (L.). Fleuve et rivière. Rom. Philol. 1948/49, t. 2, p. 289. − Gröber (G.). Etymologien. In: [Mél. Caix (N.), Canello (U.A.)]. Firenze, 1886, pp. 48-49. − Guerlin de Guer (Ch.). Mél. et documents... Revue du Nord. 1934, t. 20, pp. 35-36. − Paris (G.). Romania. 1881, t. 10, p. 444. |