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RUINER1, verbe trans.
A. −
1. Réduire en ruines (une construction ou un ensemble d'édifices). Synon. détruire.Ruiner un rempart, un village; ruiner une tour. V. intra-muros ex. de Lenoir:
Des villages se nichent dans les ruines d'Antioche ou d'Éphèse. Les catastrophes historiques qui ruinent les villes ne réussissent pas à extirper des lieux où elles avaient pris racine les germes d'établissements humains. Vidal de La Bl.,Princ. géogr. hum., 1921, p. 159.
Empl. abs. Ruiner de fond en comble (Ac.).
Empl. pronom. Tomber en ruine(s). Ce château commence à se ruiner (Ac.).
2. P. ext.
a) Dégrader une chose, la mettre en très mauvais état. Synon. abîmer, délabrer, détériorer.Ma culotte surtout me donne de l'inquiétude. Elle est à ce point ruinée que (...) je sens que c'en est fait d'elle (A. France,Rôtisserie, 1893, p. 263).Empl. pronom. Se dégrader. Aussi dans les pays tropicaux (...) voit-on les cônes des volcans inactifs se ruiner peu à peu par ravinement (Lapparent,Abr. géol., 1886, p. 72).
b) En partic. Dévaster un lieu, ses richesses. Synon. ravager.La foudre qui ruine les moissons engrangées (Balzac,Lys, 1836, p. 206).Une gelée ou une grêle était passée par là, ruinant sa vigne qui fournit seule l'argent de poche (Pesquidoux,Livre raison, 1928, p. 225).
3. P. anal.
a) Altérer profondément la santé d'une personne. Synon. délabrer, détruire (v. ce mot A 2).Ruiner les forces de qqn. Les débauches ont ruiné sa santé (Ac.). L'arrestation de sa sœur (...) et d'incessantes alertes achevèrent de ruiner sa constitution ébranlée (A. France,Livre ami, 1885, p. 98).L'application des Allemands à ruiner notre équilibre nerveux (Ambrière,Gdes vac., 1946, p. 265).Empl. pronom. [Le suj. désigne l'état physique d'une pers., d'une partie de son corps] Par le train de vie qu'il avait mené, sa santé s'était ruinée (Barante,Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 89).Empl. pronom. réfl. indir. [Le suj. désigne une pers.; le compl. son état physique ou (une partie de) son corps] Se ruiner la santé. Elles s'apprêtent bravement à passer trois ans dans une école normale (...) et s'y ruiner l'estomac, qui résiste rarement à trois ans de réfectoire (Colette,Cl. école, 1900, p. 195).
b) MÉD. VÉTÉR., vieilli. Diminuer les forces d'un cheval, altérer la vigueur de ses membres. Synon. user.La chasse a ruiné ce cheval. Le pavé ruine les pieds des chevaux (Ac.).Empl. pronom. S'affaiblir. Les jambes de ce cheval commencent à se ruiner (Ac.1935).
B. − Au fig.
1. [Le compl. désigne une chose abstr.]
a) Altérer profondément quelque chose jusqu'à le faire disparaître; p. ext., détruire complétement et soudainement quelque chose. Synon. anéantir, désagréger (v. ce mot C), détruire (v. ce mot B 1 et 2).
[Le compl. désigne une struct., un syst.] Ruiner un plan, une hypothèse. Un seul fait contraire suffit pour ruiner une théorie (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 222).C'est donc à tort qu'on prétendrait ruiner la métaphysique pour édifier la morale (Blondel,Action, 1893, p. 299).À la forme passive. De 1684 à 1721 l'âme de la peinture française est changée: l'école pompeuse de Le Brun est ruinée (Mauclair,De Watteau à Whistler, 1905, p. 1).Empl. pronom. Des hypothèses matérialistes, qui se remplacent et se ruinent successivement (L. Daudet,Morticoles, 1894, p. 176).
[Le compl. désigne une idée, un sentiment, une valeur, etc.] Ruiner un bonheur, un sentiment; ruiner une espérance, une illusion. Pour délivrer Paule, il fallait ruiner son amour jusque dans le passé (Beauvoir,Mandarins, 1954, p. 496).
b) Faire perdre à quelque chose le crédit qu'il a ou peut avoir dans l'esprit des gens. Ruiner des arguments. Il suffit pour le ruiner [un livre] d'en extraire quelques passages (Sainte-Beuve,Prem. lundis, t. 1, 1827, p. 246).J'ai ruiné l'opinion d'Aristote et démontré l'égalité non seulement des hommes mais encore de tous les êtres vivants (Arnoux,Seigneur, 1955, p. 111).
2. [Le compl. désigne une pers., une collectivité]
a)
α) Provoquer la ruine morale de quelqu'un. C'était un homme qui voulait ruiner Monsieur Fernand Rocher, le déshonorer en jetant aux genoux de sa femme le jeune comte de Château-Mailly (Ponson du Terr.,Rocambole, t. 3, 1859, p. 533).
Empl. pronom. réfl. Se perdre. [Napoléon] a décliné dès qu'il a cessé de dérouter. Il s'est ruiné pour s'être rendu semblable à ses adversaires (Valéry,Regards sur monde act., 1931, p. 17).
β) En partic. Acculer quelqu'un à la ruine (v. ce mot I B 2 b); faire perdre tous ses biens à quelqu'un. Ruiner un homme complètement. Est-ce vrai, vieux, reprit-elle, que tu as tué ton frère et ton oncle, ruiné ta famille (...)? (Balzac,Cous. Bette, 1846, p. 320).La classe de petits agriculteurs que ruinait alors une crise économique (Vidal de La Bl.,Princ. géogr. hum., 1921, p. 99).Empl. pronom. réfl. Causer la perte de ses propres biens, de sa fortune. Se ruiner au jeu, se ruiner pour une femme. Elle s'était ruinée avec un grand nègre, une sale passion qui la laissait sans une chemise (Zola,Nana, 1880, p. 1471).
P. exagér. Faire faire une dépense excessive à quelqu'un, lui faire perdre de l'argent. Ça ne te ruinera pas. Je suis lasse de toutes ces princesses, elles nous ruinent en gazes et en dorures (Janin,Âne mort, 1829, p. 146).Vous ruinez la commune. On goudronne les routes pour les automobiles, et le chemin de Saint-Timothée pour nos charrettes n'est pas fait (Hamp,Champagne, 1909, p. 127).Empl. pronom. réfl. Se ruiner en qqc., se ruiner pour qqn.Dépenser beaucoup d'argent (pour quelque chose/ quelqu'un). Se ruiner en remèdes. S'étant ruiné en frais de copistes, de scribes et de secrétaires (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p. 16).
b) Ruiner qqn auprès/dans l'esprit de qqn. Faire perdre à quelqu'un la confiance, la considération ou l'influence dont il jouit auprès d'un tiers. Synon. discréditer.L'homme que le parti démocratique détestait le plus, qu'il se flattait d'avoir usé, ruiné, démoli par trois ans de critiques, d'excitations, d'insultes (Proudhon,Révol. sc., 1852, p. 58).Il y suffit [en France] d'un mot, d'un trait heureux (...), pour ruiner dans l'esprit public, en quelques instants, des puissances et des situations considérables (Valéry,Regards sur monde act., 1931, p. 116).Empl. pronom. réfl. Se discréditer (auprès de/dans l'esprit de quelqu'un). Il s'en fallut de peu (...), qu'il ne se ruinât tout à fait dans l'esprit du Père Malebranche (Sainte-Beuve,Caus. lundi, t. 3, 1851, p. 421).
REM. 1.
Ruine-babine(s),(Ruine-babine, Ruine-babines) subst. masc. ou fém.,région. (Canada). Harmonica; guimbarde. C'est sur ce vieux banc que Rosaire s'installait pour jouer de sa « ruine-babines », qui n'était rien d'autre qu'une guimbarde et de ses musiques à bouche (Cl. Jasmin, Et puis tout est silence, 1970, p. 76 ds Richesses Québec 1982, p. 2048).
2.
Ruinoter (se), verbe pronom.,hapax. Il s'était ruinoté et avait épousé une demoiselle Borel (Stendhal,H. Brulard, t. 1, 1836, p. 348).
Prononc. et Orth.: [ʀ ɥine], (il) ruine [ʀ ɥin]. Homon. ruiner2. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Fin xiiies. intrans. « tomber, s'enfoncer » (Récits Menestrel de Reims, éd. N. de Wailly, § 161, p. 84, leçon du ms. A Brit. Mus. Add. 11753: [li vaissiaus] ... bien cousuz ... fu assis sour liege en tel maniere qu'il ne povoit ruiner [autre var. tumeir]) − xvies., Hug.; 2. 1358 intrans. « tomber en ruine (en parlant d'un édifice) » (Arch. nat. MM 28, fol. 80 r ods Gdf. Compl.); 1534 trans. « abattre, renverser, laisser à l'état de ruine » (Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder et M. A. Screech, XXXIV, 55, p. 211); 1552 maison ruinée (Est., s.v. ruo, ruina); 1587 empl. p. image s'appuyer sur un fondement ruiné (en parlant d'appuis politiques) (Lanoue, Discours pol. et littér., Basle, F. Forest, p. 655). B. Fig. 1. Ca 1350 trans. « causer la perte des biens » (Gilles Li Muisis, Poésies, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 1, p. 160: Si voit on par les cours les plais déterminer, Les eslieus et les monnes de florins affiner. Advocat sont dolant, quand vont si tost finer; Empris bien les avoient de tout en tout ruiner); 1587 réfl. (Lanoue, op. cit., p. 557); 1679 part. passé adj. (E. Fléchier, Oraisons funèbres, Lamoignon, Paris, Libraires associés, 1808, p. 103); 2. 1538 trans. « détruire, réduire à néant » (Est., s.v. evertere [aliquem]; s.v. frangere: rompre et ruiner la domination tyrannique d'aucun); 1559 ruiner l'empire romain (Amyot, trad. Plutarque, Hommes illustres, Cicéron, 27, éd. G. Walter, t. 1, p. 764); id. réfl. en parlant d'une personne (Id., op. cit., Cicéron, 58, t. 1, p. 789); av. 1704 part. passé adj. [ville] ruinée par son opulence (Bossuet, Sermons, Septuag., 1 ds Littré); 3. 1580 « mettre à bas, anéantir (un raisonnement, une preuve) » (Montaigne, Essais, II, XII, éd. P. Villey et V. L. Saulnier, p. 571: Les Pyrrhoniens ne se servent ... de leur raison que pour ruiner l'apparence de l'experience). Dér. de ruine*; dés. -er. Le lat. médiév. ruinare est relevé au xiies. par Latham et Nierm. Fréq. abs. littér.: 1 127. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2 092, b) 1 571; xxes.: a) 1 455, b) 1 288. Bbg. Quem. DDL t. 25 (s.v. ruinant).