| RUDESSE, subst. fém. I. − Surtout au sing. A. − Caractère de ce qui est rude. 1. [Corresp. à rude I A] Synon. brutalité, dureté, rigueur, violence.Rudesse d'une attaque, d'un coup; rudesse de l'hiver, du climat. La rudesse même de son existence [d'une jeune fille] a communiqué à sa physionomie (...) une disgrâce contre quoi aucune fibre de mon cerveau ne saurait réagir (Jammes, Corresp.[avec Gide], 1901, p. 180).La rudesse du climat continental (...) ne permet que des blés de printemps (Vidal de la Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p. 69).Parmi les femmes, comme elle aux prises avec la société pour lui arracher les moyens d'exister, combien étaient broyées, bien moins encore par la rudesse des choses que par leur propre faiblesse et leur renoncement! (Rolland, Âme ench., t. 2, 1925, p. 232). 2. [Corresp. à rude I B] a) [Corresp. à rude I B 1] Synon. rugosité; anton. douceur.Rudesse d'un tissu. La rudesse de l'éponge humide assaillait sa figure immédiatement frottée, raclée, essuyée (Adam, Enf. Aust., 1902, p. 39). b) [Corresp. à rude I B 2] − [Corresp. à rude I B 2 a] Le patron n'est pas de son temps. Il a tort de vouloir des eaux-de-vie pures, qui gardent si longtemps le défaut de la jeunesse, cette rudesse, qui oblige à les laisser dormir (Chardonne, Dest. sent., I, 1934, p. 213). − [Corresp. à rude I B 2 b] Synon. âpreté.Sa voix, par l'habitude de s'adresser à des chevaux et de crier gare, avait contracté de la rudesse (Balzac, Début vie, 1842, p. 306).[Beethoven] en vient (...) à un état d'impatience brusque et joviale, non sans rudesses harmoniques (Rolland, Beethoven, t. 1, 1937, p. 126). 3. [En parlant d'une œuvre d'art] Manque d'élégance, de raffinement; aspect primitif, fruste et vigoureux. La Chanson de Roland d'abord, si grandiose dans sa rudesse, si héroïque de souffle, si impériale et nationale, si admirablement fraternelle dans l'union des deux amis (Sainte-Beuve, Prem. lundis, t. 3, 1864, p. 148).Ces derniers [les chapiteaux de Saint-Savin] se font remarquer par leur rudesse, dans la province où la sculpture d'ornementation est parvenue de bonne heure à l'élégance la plus raffinée (Mérimée, Ét. arts Moy. Âge, 1870, p. 72). B. − Caractère, qualité d'une personne rude. 1. [Corresp. à rude II A] Synon. dureté, rigueur, sévérité.On a si peur de rencontrer l'affectation dans le plus beau don du ciel, dans la sensibilité, que l'on préfère quelquefois la rudesse elle-même comme garant de la franchise (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 27).Sa bonté se dissimulait sous une mâle rudesse, qui la rendait peut-être plus efficace (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p. 1361): Lui aussi se piquait d'aimer Paris, de l'avoir habité, de n'en ignorer ni les politesses ni les raffinements; et, en effet, il affectait toute une correction d'homme bien élevé, cachant sous ce vernis sa rudesse native.
Zola, Débâcle, 1892, p. 545. − [Corresp. à rude II A p. méton.] Rudesse des mœurs; rudesse de l'âme. Il me semble qu'il y ait ici quelque rudesse dans les formes, et qu'en général on y voie des traits frappans ou une beauté pittoresque, plutôt qu'une beauté finie (Senancour, Obermann, t. 2, 1840, p. 154).Une authentique physionomie de brigand, si la rudesse de ses traits n'eût été tempérée par l'aménité de commande et le sourire servile du spéculateur fréquemment en rapport avec le public (Gautier, Rom. momie, 1858, p. 155). 2. [Corresp. à rude II B] Lorsqu'elle vit Coupeau hors de danger, Gervaise cessa de garder son lit avec autant de rudesse jalouse (Zola, Assommoir, 1877, p. 484).Alban, qui aimait bien les enfants, ne se reconnaissait pas dans sa rudesse à se frayer un passage parmi leur meute hurlante (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 531).V. gourmander B 1 ex. de Maupassant et insensible A 2 ex. de Proust. II. − Au plur. A. − Ensemble de faits qui marquent la rudesse d'une chose. Ce jeune homme marchait d'un pas alourdi, mais ferme encore, et son allure semblait annoncer qu'il s'était familiarisé depuis long-temps avec les rudesses de la vie militaire (Balzac, Réquisit., 1831, p. 148).Gervaise n'avait que vingt-deux ans. Elle était grande, un peu mince, avec des traits fins, déjà tirés par les rudesses de la vie (Zola, Assommoir, 1877, p. 381). − En partic. ♦ Maladresses, ensemble de faits dénotant un manque d'élégance, de savoir faire. Il y a, par-ci par-là [dans le Discours sur l'Histoire universelle], des négligences ou des rudesses de narration (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 9, 1865, p. 286). ♦ Propos sévères, durs. Il entamait une harangue où les propos séducteurs se teintaient à peine de quelques rudesses prudemment feutrées (Ambrière, Gdes vac., 1946, p. 281). B. − Actions, conduite marquant la rudesse d'une personne. Me laissant voir en elle deux femmes: la femme enchaînée qui m'avait séduit malgré ses rudesses, et la femme libre dont la douceur devait éterniser mon amour (Balzac, Lys, 1836, p. 214). Prononc. et Orth.: [ʀydεs]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1. 1271 « dureté » (Rutebeuf, Ste Elysabel, éd. E. Faral, J. Bastin, t. 2, p. 165); ca 1355 « qualité de ce qui est brut, non dégrossi » (Bersuire, f o7 ds Littré); 2. 1372-74 « ignorance » (Oresme, Politiques, éd. A. D. Menut, 57b); 3. 1538 « qualité de ce qui est désagréable à voir, entendre, lire » (Est.); 4. 1567 « qualité de ce qui est pénible à supporter (du temps) » (Amyot, Philop., 30 ds Littré); 5. 1580 « état de ce qui est rude au toucher » (B. Palissy, Disc. admir., 344). Dér. de rude*; suff. -esse1*. Fréq. abs. littér.: 422. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 622, b) 658; xxes.: a) 763, b) 450. |