| RUDE, adj. I. − [En parlant de choses] A. − Qui donne du mal, difficile, pénible à supporter. Métier rude; rudes travaux; rude besogne; rude combat; rude bataille; rude hiver; climat rude. Rude journée de dix heures de marche, par un froid rigoureux et dans des vallées complétement désertes (Lamart.,Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 241).Ne vous illusionnez pas sur les difficultés du rôle d'éducateur. Rien n'est plus rude et plus rebutant que le défrichage d'une intelligence (Claudel,Corresp.[avec G. Frizeau], 1911, p. 230). ♦ Être soumis, mis à (une) rude épreuve; subir de rudes épreuves. Être soumis à quelque chose de pénible; subir des choses pénibles. La femme que j'aime (...) a déjà subi les rudes épreuves de la vie, elle a aimé, elle a souffert (Ponson du Terr.,Rocambole, t. 3, 1859, p. 565).On me signalait le triste état dans lequel elle [l'armée belge] se trouvait. La retraite d'Anvers l'avait soumise à une rude épreuve, au cours de laquelle elle avait eu l'impression d'être abandonnée par ses alliés (Joffre,mém., t. 1, 1931, p. 466).Soumettre qqc. à (une) rude épreuve. Que voulait-il faire de cette grosse boule noire? Ô! Lecteur, toi qui te vantes sans cesse de ta perspicacité (et non à tort), serais-tu capable de me le dire? Mais, je ne veux pas soumettre à une rude épreuve ta passion connue pour les énigmes (Lautréam.,Chants Maldoror, 1869, p. 289). ♦ Rude école. Apprentissage d'un métier, de la vie dans des conditions sévères ou pénibles. L'adversité, disait-elle, est une rude école à laquelle on profite vite. Elle se flattait, pour sa part, d'y avoir beaucoup appris et beaucoup oublié (Sandeau,Mllede La Seiglière, 1848, p. 63).rude école de + subst.Rude école de patience en vérité, de résignation et de ténacité. Parce que rien n'est acquis aux champs, et semer n'est pas récolter (Pesquidoux,Livre raison, 1928, p. 261).Sortir d'une rude école. Une maison de drogues l'avait instruite sur les pénombres, les menaces, les poursuites qui cassent les meubles, les viandes froides mangées à la nuit (...). Elle sortait d'une rude école (Cocteau,Enfants, 1929, p. 111). ♦ Rude leçon. Enseignement pénible, sévère mais profitable. Un prince étudier, aller en classe! Un prince avoir des camarades! Les princes jusqu'ici ont eu des serviteurs, et jamais d'autre école que celle de l'adversité, dont les rudes leçons étaient perdues souvent (Courier,Pamphlets pol., Disc. souscr. acquis. de Chambord, 1821, p. 76).Les belles âmes arrivent difficilement à croire au mal, à l'ingratitude, il leur faut de rudes leçons avant de reconnaître l'étendue de la corruption humaine (Balzac,Illus. perdues, 1843, p. 563). ♦ Rude à + inf. Pénible, dur à. La sonnette de la grille, un peu rude à tirer (Flaub.,Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 89).La thuie reste rude parfois à couper, malgré l'outil effilé (Pesquidoux,Livre raison, 1928, p. 101). − Empl. subst. En voir de rudes. Supporter beaucoup de choses pénibles. Tartarin se réveilla. Il avait dormi toute la soirée, toute la nuit, toute la matinée, et même un bon morceau de l'après-midi; il faut dire aussi que depuis trois jours la chéchia en avait vu de rudes! (A. Daudet,Tartarin de T., 1872, p. 65).[Peyral] dit qu'il en a vu de rudes pour les jeunes gens qui ne sont pas bien raisonnables, par rapport à des camarades qui les entraînent à la boisson (Loti,Spahi, 1881, p. 83). − En partic. Difficile (à comprendre, à croire, à résoudre). Une rude question. La guerre d'Europe avait posé aux musulmans de l'Inde un rude problème de conscience (Rolland,Gandhi, 1923, p. 63). ♦ Cela paraît, est rude, un peu rude. C'est difficile à admettre, à croire. Tutoyer ainsi un homme à qui on n'a pas appartenu, à qui on ne s'est pas donnée, est un peu rude (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t. 8, 1864, p. 235). B. − 1. Dur (au toucher). Barbe, poil rude; herbe rude; étoffe rude; rude écorce; peau rude. Synon. raboteux, raide, rêche.Madeleine dormait dans ses mousselines légères, étendue sur la rude toile qui lui servait de tapis (Fromentin,Dominique, 1863, p. 167).Ses mains étaient si rudes qu'elles me râpaient la peau quand elles tenaient les miennes (A. France,Pt Pierre, 1918, p. 95). − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. J'insistai d'abord sur les qualités des objets plutôt que sur la variété de ceux-ci: le chaud, le froid, le tiède, le doux, l'amer, le rude, le souple, le léger (Gide,Symph. pastor., 1919, p. 890).Définir le dur ou le mou, le rude ou le lisse, le sable ou le miel comme autant de lois ou de règles du déroulement de l'expérience tactile (Merleau-Ponty,Phénoménol. perception, 1945, p. 365). 2. P. anal. a) Dur, désagréable (au goût). Synon. âpre, fort1, raide.Un vin rude; une rude saveur. C'était un alcool rude, aromatisé d'herbes à goût très brutal (Giono,Hussard, 1951, p. 46). b) Dur (à l'oreille). Synon. âpre, heurté, rauque.Parler guttural et rude; ton rude; voix rude. La langue française est comme tempérée dans sa tonalité générale (...) les phonèmes rudes ou trop marqués en sont proscrits (Valéry,Regards sur monde act., 1931, p. 128).Louis [Armstrong], au lieu d'atténuer ce que la voix a de rude et d'âpre, l'accentue (Panassié,Jazz hot, 1934, p. 89). c) Dur (à l'odorat). Synon. fort1, violent.Un parfum rude; de rudes senteurs. Ça sentait la fonte surchauffée, l'eau d'amidon aigrie, le roussi des fers, une fadeur tiède de baignoire où les quatre ouvrières, se démanchant les épaules, mettaient l'odeur plus rude de leurs chignons et de leurs nuques trempées (Zola,Assommoir, 1877, p. 515).Du parc détrempé montait une rude odeur d'herbe versée, de mousseron et de tubercule germé (Colette,Duo, 1934, p. 144). C. − P. ext. [Antéposé] Fort, important, qui se fait remarquer. Un rude appétit; un rude estomac; une rude chance. Des conseils? Tu as un rude culot! Oui, un rude culot de te mêler de me guider, de fouiner dans mes affaires! (Colette,Cl. s'en va, 1903, p. 217).Il dînait avec le docteur: une rude économie (Aragon,Beaux quart., 1936, p. 211). II. − [En parlant d'une pers.] A. − Primitif, fruste, vigoureux. Homme simple et rude. Les houilleurs sont de rudes hommes qui ont la tête plus dure que les machineurs (Zola,Germinal, 1885, p. 1250): 1. [Grand-père] comprenait que ce rude garçon, qui avait toujours vécu dans ce pays sauvage et qui voyait autour de lui beaucoup de vies semblables à celle qu'il entendait se faire, était excusable, étant inconscient. Sa droiture, sa simplicité, sa distinction native, sa forme extraordinaire, séduisaient grand-père malgré lui.
Gyp,Souv. pte fille, 1928, p. 6. − [P. méton.; en parlant de la nature, de l'esprit d'une pers., d'une manière d'être ou de faire] Des mœurs rudes; mine, physionomie rude. Je me dis: Ce doit être [M. Du Camp] une nature forte, franche, un peu rude et dure de fibre, un peu crue, courageuse, véhémente, violente même (Sainte-Beuve,Caus. lundi, t. 12, 1855, p. 15).Il avait l'esprit rude et grossier, et il ne pouvait témoigner sa délicatesse que dans l'autorité (Noailles,Domination, 1905, p. 27).Avec nos matelots, mon entente (...) fut si facile! Sous les manières rudes, je distinguai vite des délicatesses exquises et, entre nous la sympathie s'établit tout de suite (Loti,Vertige mond., 1917, p. 54). ♦ [En parlant de la qualité d'une pers., d'une émotion] Rude franchise. Ce qui frappe surtout dans les œuvres de Mantegna (...) c'est l'empreinte d'une émotion profonde, énergique, rude même, accentuant et violentant pour ainsi dire jusqu'aux délicatesses d'un style patiemment, curieusement travaillé (Ménard,Hist. Beaux-Arts, 1882, p. 138).On trouve un charme de simplicité rude et de sincérité à ces œuvres où Cézanne emploie juste ce qui est indispensable à rendre son désir (Mauclair,Maîtres impressionn., 1923, p. 152). ♦ [En parlant du style, de l'éloquence] Ce rédacteur (...) présentera les détails techniques avec le style âpre et rude, mais concis, d'un marin (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. v).D'une éloquence énergique et rude, il prononça de nombreux et brillants discours (Sartre,Nausée, 1938, p. 121). B. − Dur, sévère, résistant. Un maître rude. Le patron était rude et toujours présent (R. Bazin,Blé, 1907, p. 48).Le plus rude travailleur des environs. Pas plus qu'il ne fumait ou parlait au chantier, il ne soufflait. Toujours devant les autres. Ceux-ci grognaient: « Il nous tuera, c'est un bœuf » (Pesquidoux,Livre raison, 1928, p. 87). − Rude à qqn.Dur envers quelqu'un. Il était rude à lui-même, infatigable, sachant endurer patiemment la faim, la soif, le froid, la pluie, la chaleur (Barante,Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 268). − Rude à qqc.Dur, résistant. Rude à la tâche, au travail. Celui que tu viens combattre est, par malheur, Vaillant autant que fort et rude à la bataille (Bornier,Fille Rol., 1875, iii, 4, p. 73).Elle est gentille, hein! dit le menuisier, pendant qu'elle apportait des verres. Si on ne jurerait pas une demoiselle, costumée en paysanne! Et rude à l'ouvrage, pourtant! (Flaub.,Bouvard, t. 1, 1880, p. 99). − En partic. ♦ Redoutable, difficile. Un rude joueur. L'enfant jugea sans doute inutile de lutter plus longtemps avec un aussi rude adversaire, et il sortit de la chambre (Bernanos,Crime, 1935, p. 805): 2. Des manières patelines faisaient passer son esprit chicanier, car c'était le plus rude ferrailleur judiciaire; mais s'il contestait audacieusement le droit d'autrui, il ne cédait rien sur le sien; il prenait son adversaire par le temps, il le lassait par une inflexible volonté.
Balzac,C. Birotteau, 1837, p. 58. ♦ Courageux, hardi. Un rude gaillard. Il n'y a pas de brume qui tienne, sans une avarie, jamais le capitaine ne serait venu s'aplatir ici contre. C'était un rude marin, que nous connaissions tous (A. Daudet,Lettres moulin, 1869, p. 88).[Joseph] a accroché dans sa sellerie, les portraits du pape et de Drumont; dans sa chambre, celui de Déroulède; dans la petite pièce aux graines, ceux de Guérin et du général Mercier... de rudes lapins... des patriotes... des Français, quoi! (Mirbeau,Journal femme ch., 1900, p. 120). C. − [Antéposé; détermine en le renforçant un mot à valeur dépréc. ou péj.] Synon. de drôle de (fam.), sacré, vrai.Elle a beau être dans les curés... je l'ai toujours pensé que c'est une rude cochonne (Mirbeau,Journal femme ch., 1900, p. 67).Tu es un rude salaud, dit Bloyé, tu aurais bien pu monter jusqu'à la rue d'Ulm avec ton corbillard (Nizan,Conspir., 1938, p. 58).La mère Popineau, quoi... La marchande de poisson (...) Une rude garce, oui, à qui il ne faut pas en promettre... Il paraît qu'elle a déjà usé trois maris (Simenon,Vac. Maigret, 1948, p. 68). Prononc. et Orth.: [ʀyd]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1213 « mal dégrossi, inculte » (Fet des Romains, éd. Flutre et Sneyders de Vogel, 106, 3); 2. a) 1306 « se dit d'une chose dure au toucher » (Girart d'Amiens, Charlemagne, éd. H. Dammann, 480, 58); b) ca 1355 « désagréable à voir, à entendre » (Bersuire, f o89 ds Littré); 3. a) 1271 « fatigant; dur à supporter » (Rutebeuf, Ste Élysabel, éd. E. Faral, J. Bastin, t. 2, p. 165); b) 1462 « pénible à supporter (du temps) » (Cent Nouvelles nouvelles, éd. F. P. Sweetser, p. 98); c) 1835 des mœurs rudes (Ac.); 4. ca 1375 « dur, sévère (d'une personne) » (J. Cuvelier, B. du Guesclin, éd. E. Charrière, 118); 5. 1580 « difficile à vaincre, redoutable (d'un adversaire) » (Montaigne, Essais, éd. P. Villey, V. L. Saulnier, p. 153); 6. 1675 rude à (Mmede Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 1, p. 715); 1688 rude école (La Bruyère, Caractères, III, 64); 1718 les temps sont rudes (Ac.); 1798 cela me paraît rude « d'une chose difficile à croire » (Ac.); 1872 en voir de rudes (A. Daudet, loc. cit.); 7. 1859 « difficile à comprendre, ardu » (Hugo, Légende, t. 2, p. 776); 8. 1715 rude appétit (Lesage, Gil Blas, II, 7 ds Littré); 1841 rude gaillard (Balzac, Tén. affaire, p. 155); 1862 rude lapin (Larchey, Excentr. lang., p. 283). Empr. au lat.rudis « brut, inculte, grossier, ignorant ». Fréq. abs. littér.: 3 102. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3 817, b) 6 636; xxes.: a) 5 315, b) 3 182. |