| ROGNER1, verbe trans. A. − 1. Couper une chose en retranchant une partie de son pourtour, de ses bords, de son extrémité, pour lui donner un aspect plus net ou des dimensions déterminées. Synon. égaliser, raccourcir, rectifier.Il avait un peu rogné, pour ne point se refuser à la mode, ses belles moustaches gauloises, mais par l'effet d'une vieille habitude, il continuait de les chercher à leur place ordinaire avec un geste caressant (Duhamel, Combat ombres, 1939, p. 291): 1. ... en même temps il [l'ouvrier] presse avec le genou droit la branche mobile des cisailles qui taillent les pointes tout en rognant les fils de fer. On continue de rogner ceux-ci, et de former des pointes avec ces rognures, tant que la longueur des fils de fer le permet.
Nosban, Manuel menuisier, t. 2, 1857, p. 203. 2. Spécialement a) PAPET., RELIURE. Couper le bord des feuilles de papier, des feuillets d'un livre pour les rendre nets ou leur donner la dimension voulue. Synon. émarger, massicoter.Couteau, machine à rogner (synon. massicot2). Marion, formée par Séchard père, façonnait le papier, le trempait, aidait Kolb à l'imprimer, l'étendait, le rognait (Balzac, Illus. perdues, 1843, p. 555).Les livres brochés sont rognés sur les bords pour obtenir des tranches lisses (Civilis. écr., 1939, p. 10-14). − Part. passé en empl. adj. En France, la faveur va au livre broché non rogné (Civilis. écr., 1939, p. 10-14). b) VITIC. Faire le rognage des sarments de vigne. On fait usage [de la cisaille à main] en viticulture pour rogner les sarments des vignes qui sont palissées sur fils de fer (Brunet, Matér. vitic., 1909, p. 153).Il se penchait sur le cep dangereusement délaissé, réduisait et rognait avec une passion vétilleuse (Lacretelle, Silbermann, 1922, p. 24). 3. a) Vieilli. Rogner les ongles, les griffes. Couper les ongles, les griffes. L'accoucheur doit se découvrir le bras jusqu'au-dessus du coude, toutes les fois qu'il est obligé de porter la main profondément dans la matrice; et il doit avoir l'attention auparavant de bien rogner ses ongles (Baudelocque, Art accouch., 1812, p. 350).T'as des griffes comme une charrue (...); je te rognerai les griffes à coups de serpe, moi (Giono, Colline, 1929, p. 66). − Part. passé en empl. adj. Louise (...) posa ses deux mains, aux ongles rognés, à plat, sur ses cuisses (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 306). − Au fig. Rogner les ongles à qqn. V. ongle A 1. b) Rogner les ailes (à un oiseau). Lui couper l'extrémité des ailes pour le garder en captivité. Part. passé en empl. adj. Elle s'enfuit vers sa cage fermée où elle ne put rentrer, tourna autour, se blottit derrière contre les barreaux, enfouit sa tête sous son aile rognée, et refusa obstinément de manger, de boire et de bouger pendant tout le reste du jour (Pergaud, De Goupil, 1910, p. 226). − Au fig., littér. Ôter la liberté, l'élan, l'esprit d'indépendance à quelqu'un ou à quelque chose. Le poëte a dit des paroles qu'elles étaient ailées; pourquoi leur rogner les ailes? (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 2, 1862, p. 295).V. aile ex. 82.Part. passé en empl. adj. La paix chuchote son espérance, aux ailes rognées... et, dès les premières mesures du Dona, voyez ce petit vol inquiet, palpitant, brisé, des violons (Rolland, Beethoven, t. 2, 1937, p. 404). 4. Vieilli. Couper, limer la tranche d'une pièce de monnaie en métal précieux pour prélever frauduleusement ce métal. Il ne craignait pas de visiter (...) les juifs sordides, afin d'apprendre (...) le titre des métaux, le prix des pierres précieuses et l'art de rogner les monnaies (A. France, Barbe-bleue, Mir. Gd St Nic., 1909, p. 94).Changeurs et orfèvres (...) s'arrangent pour rogner sur les deniers les plus lourds un peu de métal précieux (Faral, Vie temps st Louis, 1942, p. 76). − Part. passé en empl. adj. Ce n'est qu'à ce prix qu'il obtient l'argent qu'il emprunte à gros intérêts, et qu'on lui compte en écus rognés (Jouy, Hermite, t. 3, 1813, p. 64). 5. Fam. ou pop. a) Vx. Guillotiner. Tu sais bien celui [cet assassin] qu'on a rogné y a quéque temps (...) les autres disent qu'il ne faudrait plus condamner au bagne, [mais] rogner toute la fripouille (Poulot, Sublime, 1870, p. 151).Absol. Condamné aux galères perpétuelles (...) [il] me regarda [moi le condamné à mort] d'un air d'envie en disant: − Il est heureux! il sera rogné (Hugo, Dern. jour condamné, 1829, p. 73). b) Amputer. La guerre rogne un peu ses héros; on nous coupe, au lendemain d'une victoire, une jambe, un bras (Vallès, Réfract.,1865, p. 30).Il a été blessé, vous avez su? À la main. En avril 17, près de Fismes. Vous connaissez?... Il s'était engagé en 16... On lui a rogné ces deux doigts-là... Heureusement, c'est la gauche (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 850). B. − P. anal. 1. Diminuer, raccourcir une durée, un espace. Elle rencontra, sur la place, Lestiboudois, qui s'en revenait; car, pour ne pas rogner la journée, il préférait interrompre sa besogne, puis la reprendre, si bien qu'il tintait l'Angelus selon sa commodité (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 127).Au passif. Ils n'osaient pas aller dormir (...) parce qu'en se réveillant ils se trouveraient devant le petit tas de leurs six jours déjà rogné (Romains, Hommes bonne vol., 1939, p. 15).Les mêmes plantes se cultivent de plus en plus hors des grandes plantations européennes, et celles-ci rognées sur leurs bords, perdent de leurs dimensions (Meynier, Paysages agraires, 1958, p. 51). − Rogner sur + subst.Penser que vous consacrez à votre fils − ne parlons pas de moi: je ne compte pas − un jour et demi par semaine, et que vous parvenez à rogner sur ce pauvre jour et demi! Arriver ici à près de dix heures du soir! (Montherl., Fils personne, 1943, i, 1, p. 276). 2. Raccourcir, amputer un texte, un discours, une œuvre littéraire. Cette sacrée petite Océane risque de flanquer notre troisième acte par terre. Il faut absolument lui rogner son rôle, dût-elle nous inonder de larmes (L. Daudet, Médée, 1935, p. 32): 2. Lui-même est encore obligé de disputer pour ne pas être rogné ou remanié: on lui indique des endroits, « où il faudrait des généralités... » Singulières et honteuses choses, que ces fourches caudines du style, subies au XIXesiècle par les plus grands, les plus fameux, les plus considérables, Rémusat comme Cousin!
Goncourt, Journal, 1863, p. 1243. 3. En partic. a) Souvent péj. Diminuer d'une petite quantité un avantage matériel qui revient à quelqu'un, dans un but de profit ou d'économie. Rogner un salaire. On ne vous guillotinera pas [la bourgeoisie], vous ne méritez pas Sanson; mais on vous rognera vos fortunes (Goncourt, Journal, 1861, p. 926).Le décimateur et le seigneur n'éveillaient pas moins de colère: ils devenaient accapareurs du fait de leurs prélèvements, qui, amputant une faible moisson, rognaient la subsistance du cultivateur (Lefebvre, Révol. fr., 1963, p. 136). − Rogner sur + subst.Économiser petitement, lésiner sur quelque chose. Il dut rogner beaucoup sur sa nourriture. Il mangeait une fois par jour, à une heure de l'après-midi (Rolland, J.-Chr., Foire, 1908, p. 793).Il rognait sur la solde des troupes, si bien que les meilleurs soldats le quittèrent et que la défense d'Édesse ne fut assurée que par des effectifs squelettiques (Grousset, Croisades, 1939, p. 163). b) Diminuer la valeur, l'importance de quelqu'un ou de quelque chose. C'est ainsi qu'en 1661 il [Sully] rogna les attributions des fonctionnaires provinciaux pour ne plus leur laisser qu'un rôle financier (P. Rousseau, Hist. transp., 1961, p. 155). REM. Rogne, subst. fém.a) Reliure. ,,Action de couper les tranches d'un livre pour obtenir une surface unie`` (Vogüé-Neufville 1971). b) Technol. Outil de sabotier servant à creuser les sabots. (Dict. xixeet xxes.). Prononc. et Orth.: [ʀ
ɔ
ɳe], (il) rogne [ʀ
ɔ
ɳ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. a) [Fin xies. redo[g]nier « rogner » (Raschi, Gl., éd. A. Darmesteter et D. S. Blondheim, t. 1, 879)]; ca 1180 rooignier « couper, trancher (par exemple la tête) » (Fierabras, 32 ds T.-L.); xiiies. [date des mss] reoignier, rooingnier « id. » (Troie, éd. L. Constans, 15712, var.); b) ca 1135 reoignier « tonsurer » (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, rédaction AB, 516); 1246 rongnier « id. » (Gerbert de Metz, Image du monde ds T.-L.); c) fig. ca 1165 reoingnier « raccourcir (par exemple un nom) (Chrétien de Troyes, Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 995); 1176-81 reoignier « id. (en parlant d'une ennemi taillé en pièces) » (Id., Chevalier Lion, éd. A. Micha, 1912); d) ca 1260 roignier ses ongles (Philippe de Novare, Quatre Ages, 157 ds T.-L.); e) spéc. 1283 rooignier « enlever une partie de la matière d'une monnaie » (Philippe de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. Am. Salmon, 835); 1567 rogner « couper les branches, des racines de » (Ch. Estienne, Agriculture et Maison rustique, f o135 r o); f) expr. 1358 bien près rongnier les ongles à aucun « diminuer, retrancher les profits, l'autorité de quelqu'un » (Lett. de Marcel ds Hist. de Flandre, t. 3, p. 390); 1549 rongner les ongles à qqn (Est.); 1549 rongner les aelles (ibid.); 1549 tailler et rongner quelques faict de son autorité « diminuer l'autorité de quelqu'un » (ibid.); 1608 tailler, roigner « agir à sa guise » (Régnier, Satyre X ds
Œuvres, éd. G. Raybaud, p. 109, 28); 1549 oster et rongner de son prouffit « retrancher à quelqu'un une partie de ce qui lui appartient » (Est.). Du lat. pop. *retundiare, altér. de *rotundiare « couper en rond », dér. du lat. class. rotundus (rond*). Cf. a prov. redonhar (Rayn., Levy Prov.). DÉR. 1. Rognage, subst. masc.a) Opération par laquelle on rogne un objet, une matière, généralement pour la rendre conforme à une norme. Synon. massicotage.[Les fausses marges] s'observent surtout avant le rognage du livre (Maire, Manuel biblioth., 1896, p. 362).Le rognage d'une grume est plutôt une opération de tronçonnage (Métro1975).b) Vitic. Coupe de l'extrémité des sarments de vigne qui ont atteint une certaine longueur. Le rognage a pour but de concentrer la sève dans la base des sarments afin de leur permettre de nourrir les raisins (Brunet, Matér. vitic., 1909, p. 152).V. écimage dér. s.v. écimer ex. de Levadoux.− [ʀ
ɔ
ɳa:ʒ]. − 1resattest. a) 1761 asse de rognage « outil de tonnelier muni d'un tranchant » (Savary t. 3, p. 445), b) 1842 vitic. (Ac. Compl.), c) 1870 « action de rogner » (La Châtre); de rogner1*, suff. -age*. 2. Rognement, subst. masc.Fait de rogner quelque chose. Synon. rognage.P. anal. Fait d'économiser, de lésiner; p. méton. ce qui oblige à économiser. Pour les enfants, elle prend son parti de n'en pas avoir: elle connaît des gens bien qui n'en ont pas. Puis, c'est un dérangement du monde et un rognement sur les toilettes (Goncourt, Journal, 1862, p. 1091).− [ʀ
ɔ
ɳ
əmɑ
̃]. − 1resattest. a) fin xives. roingnement « action de rogner » (Aalma, 9.565 ds Roques t. 2, p. 325), 1538 rongnement (Est. s.v. resectio), b) 1600 roignement « action de couper (des branches) (Ol. de Serres, Théâtre d'agriculture, III, 4, p. 175), 1910 vitic. (Lar. pour tous), c) 1636 rognemant « action de rogner (un livre, etc.) » (Monet); de rogner1*, suff. -(e)ment1*. 3. Rognoir, subst. masc.Appareil servant à rogner le papier, le carton, des feuilles métalliques; en partic., reliure, outil servant à rogner les pages d'un livre. On fait aussi des rognoirs mécaniques (Chesn.t. 21858).− [ʀ
ɔ
ɳwa:ʀ]. − 1resattest. 1803 « plaque de cuivre chaude sur laquelle on rogne le pied des chandelles » (Boiste), 1835 « tout outil dont on se sert pour rogner quelque chose » (Raymond); de rogner1*, suff. -oir*. |